(Géographie moderne) village de Livonie, près des bords du lac de Worthseri.

Ce village est célèbre dans l'Histoire, pour avoir donné la naissance à Catherine, femme du czar Pierre I.

Selon le témoignage de la voix publique, le père de cette princesse était un vassal du colonel Rosen, lequel étant venu à mourir lorsque Catherine n'avait que quatre ou cinq ans, et sa mère étant morte bientôt après, ils ne laissèrent rien ni l'un ni l'autre à cette orpheline pour sa subsistance ; car il est rare que les vassaux de la noblesse livonienne et russienne laissent quelque chose à leurs enfants.

Le clerc de la paraisse qui tenait école la prit chez lui, où elle resta jusqu'à ce que le docteur Gluck, ministre de Marienbourg, passant par ce village, et voulant soulager le clerc, dont les revenus étaient forts petits, emmena la jeune fille, la traita comme si elle eut été son enfant ; et son épouse lui trouvant de bonnes inclinations, l'aima de son côté, et l'occupa à des choses proportionnées à son âge. Elle avait appris à lire chez le clerc de Runghen ; mais elle ne parlait encore que la langue du pays, qui est un dialecte esclavon, quand elle le quitta. Elle apprit chez M. Gluck l'allemand en perfection, et s'occupait à la lecture à ses heures de loisir.

Un sergent livonien au service de Suède lui fit la cour, et elle consentit à l'épouser, pourvu qu'il obtint l'aveu de M. Gluck, qui le donna volontiers. Le sergent était d'assez bonne famille, avait quelque bien, et était en passe d'être avancé. Le lendemain du mariage, les Russes, sous le commandement du lieutenant général Baur, se rendirent maîtres de Marienbourg.

L'auteur de la vie de Pierre I. rapporte que ce jour même le sergent fut tué sur la breche. Quoi qu'il en sait, le général ayant aperçu Catherine parmi les prisonnières, remarqua quelque chose dans sa phisionomie qui le frappa ; il lui fit quelques questions sur sa condition, auxquelles elles répondit avec plus d'esprit qu'il n'est ordinaire aux personnes de son ordre. M. Baur lui déclara qu'il aurait soin qu'elle fût bien traitée, et prescrivit à ses gens de la conduire auprès des femmes de sa maison, et de la leur recommander. Dans la suite la voyant fort propre à gouverner un ménage, il lui donna une espèce d'autorité sur ses domestiques, dont elle se fit extrêmement aimer par la douceur de son caractère.

Un jour le prince Menzikof, protecteur du général, la vit, demanda qui elle était, et en quelle qualité elle le servait ; le général Baur lui raconta son histoire. Le prince le pria de la lui céder ; le général n'ayant rien à refuser à son altesse, fit appeler Catherine, et lui dit : voilà le prince Menzikof qui a besoin d'une personne telle que vous ; il est en état de vous faire plus de bien que moi, et je vous en veux assez pour vous placer chez lui. Elle répondit par une profonde révérence, qui marquait sinon son consentement, du moins qu'elle ne croyait pas avoir le pouvoir de dire non. Le prince Menzikof l'emmena avec lui, et la garda à son service jusqu'en 1703, que le czar en devint tellement épris, qu'il l'épousa. Son premier soin dans son élévation, fut de ne pas oublier ses bienfaiteurs, et en particulier M. Gluck et toute fa famille.

Elle se rendit bien-tôt maîtresse par ses manières, du cœur de Pierre le grand ; elle le suivit et l'accompagna par-tout, partageant avec lui les fatigues de la guerre, des courses, et des voyages. Quand le czar se trouva enfermé en 1712 par l'armée des Turcs sur les bords de la rivière de Pruth, la czarine envoya négocier avec le grand-vizir, et lui fit entrevoir une grosse somme d'argent pour récompense ; le ministre turc se laissa tenter, et la prudence du czar acheva le reste. En mémoire de cet événement, il voulut que la czarine instituât l'ordre de sainte Catherine, dont elle serait le chef, et où il n'entrerait que des femmes.

Pierre I. mourut le 28 Janvier 1725, âgé de 53 ans, et laissa l'empire à son épouse qui fut reconnue par tous les ordres de l'état, souveraine impératrice de Russie. Cette princesse pendant la vie du czar, savait l'adoucir, s'opposer à propos aux emportements de sa colere, ou fléchir sa sévérité. Le prince jouissait de ce rare bonheur, que le dangereux pouvoir de l'amour sur lui, ce pouvoir qui a déshonoré tant de grands hommes, n'était employé qu'à le rendre plus grand, excepté néanmoins lorsqu'il fit périr Alexis son fils ; événement dans lequel la czarine Catherine pouvait avoir quelque chose à se reprocher.

Quoi qu'il en sait, elle fit oublier cet événement tragique, et régna seule après le czar Pierre I. sans recevoir aucun reproche de la bassesse de son extraction. Elle mourut en 1727, et laissa pour successeur par le pouvoir que Pierre lui en avait laissé, Pierre II. petit-fils d'elle et de Pierre I. Pierre II. étant mort en 1730, Anne, duchesse de Curlande, fille du czar Jean, et grand-tante de Pierre II. lui succeda ; et étant morte en 1740, elle déclara pour son successeur Jean de Brunswic, petit-fils de sa sœur, âgé de trois mois, sous la régence d'Elisabeth de Meckelbourg, femme du duc de Brunswic sa nièce, mère de Jean de Brunswic. Ainsi l'empire se perpétuait dans la branche ainée d'Alexis ; mais cette régence ne dura guère, et en 1741 Elisabeth et son fils, furent dépossédés par Elisabeth Pétrowna, seconde fille de Pierre le grand.

Cette princesse a déclaré pour son successeur Charles-Pierre Ulric, duc de Holstein-Gottorp, fils de sa sœur, né en 1728, qu'elle a fait nommer grand duc de Russie en 1742. Ce Charles-Pierre Ulric avait été appelé à la monarchie par la Suède à la mort du prince de Hesse mort sans enfants d'Ulric, sœur cadette de Charles XII. mais quand la couronne de Suède vint à vaquer, Charles avait déjà été déclaré héritier de l'empire aux droits de sa mère, fille ainée du czar, et avait fait profession de la religion grecque. Il a épousé Catherine Alexiewna d'AnhaltZerbst, et règne actuellement (1761) ; mais, comme dit Leibnitz, le temps présent est gros de l'avenir. (D.J.)