LA, (Géographie moderne) grand royaume d'Asie, borné au nord par la Circassie et la Géorgie ; au midi, par le golfe Persique et la mer des Indes ; au levant, par les états du Mogol ; et au couchant, par la Turquie asiatique.

Le Mont-Taurus la coupe par le milieu, à-peu-près comme l'Apennin coupe l'Italie, et il jette ses branches çà et là dans diverses provinces, où elles ont toutes des noms particuliers. Les provinces que cette montagne couvre du nord au sud, sont fort chaudes : les autres qui ont cette montagne au midi, jouïssent d'un air plus tempéré.

Le terroir est généralement sabloneux et stérîle dans la plaine, mais quelques provinces ne participent point de cette stérilité. Il y a peu de rivières dans toute la Perse, et même il n'y en a aucune de bien navigable dans toute son étendue. La plus grande, qui porte quelques radeaux, est l'Aras, l'Araxes des anciens, qui coule en Arménie ; mais le terroir est sec par le défaut de rivières, les Persans par leur travail et leur industrie, le rendent fertîle dans une grande partie de l'empire.

Le climat de Perse est admirable pour la vigne ; on y recueille d'excellent vin, du riz, des fruits, et des graines de toute espèce, excepté du seigle et de l'avoine, les melons y sont d'une grosseur extraordinaire, et d'un goût exquis. Dès qu'on a passé le Tigre en tirant vers ce royaume, on ne trouve que des roses dans toutes les campagnes.

Les montagnes sont remplies de gibier ; mais la plus grande partie du commerce consiste à élever une quantité prodigieuse de vers à soie, dont on fait tous les ans plus de vingt mille balles de soie, chaque balle pesant deux cent seize livres. On en vend la plus grande partie en turquie, dans les Indes et aux Anglais et Hollandais qui trafiquent à Ormus. Une autre branche du commerce de la Perse, consiste en magnifiques tapis, en toiles de coton, en étoffes d'or et d'argent, et en perles.

Les Persans sont d'une taille médiocre, maigres et secs comme du temps d'Ammien Marcellin, mais forts et robustes. Ils sont de couleur olivâtre, et ont le poil noir ; leur vêtement est une tunique de coton ou de soie, large, qui descend jusqu'au gras de la jambe, et qu'ils ceignent d'une écharpe, sur laquelle les gens très-riches mettent une belle ceinture. Ils ont sous cette tunique quand ils sortent, une veste de soie de plusieurs couleurs ; leurs chausses sont de coton, faites comme des caleçons ; leurs souliers sont pointus au bout, et ont le quartier fort bas. Ils se peignent les ongles d'une couleur orangée ; leur turban est de toîle de coton fine, rayée, de différentes couleurs, et qui fait plusieurs tours ; les grands du royaume portent des bonnets fourrés, ordinairement rouges. La coiffure de leurs prêtres est blanche, et leur robe est de la même couleur.

Les femmes opulentes sont brillantes dans leur habillement ; elles n'ont point de turban, mais leur front est couvert d'un bandeau d'or émaillé, large de trois doigts, et chargé de pierreries ; leur tête est couverte d'un bonnet brodé d'or, environné d'une écharpe très-fine, qui voltige et descend jusqu'à la ceinture ; leurs cheveux sont tressés, et pendent par derrière ; elles portent au col des colliers de perles ; elles ne mettent point de bas, parce que leurs caleçons descendent jusqu'au dessous de la cheville du pied ; l'hiver elles ont des brodequins richement brodés ; elles se servent comme les hommes de pantoufles de chagrin ; elles peignent en rouge leurs ongles et le dedans des mains ; elles se noircissent les yeux avec de la tutie, parce que les yeux noirs sont les plus estimés en Perse.

La dépense du ménage chez les Persans est fort médiocre, pour la cave et la cuisine ; la toîle de coton dont les bourgeois s'habillent est à grand marché ; les meubles consistent en quelques tapis ; le riz fait la nourriture de toute l'année ; le jardin fournit le fruit, et le premier ruisseau tient lieu de cave.

L'éducation consiste à aller à l'école pour y apprendre à lire et à écrire ; les metzides ou mosquées qui servent pour la prière, servent aussi pour les écoles ; tout le monde écrit sur le genou, parce qu'on n'a point en Perse l'usage des tables, ni des sièges ; le papier se fait de chiffons de coton ou de soie ; on unit ce papier avec une polissoire pour en ôter le poil.

La langue persane tient beaucoup de l'arabe, s'apprend aisément, et se prononce un peu du gosier ; mais la plupart des Persans apprennent avec leur langue celle des Turcs qui est familière à la cour. Ils étudient encore dans leurs collèges l'Arithmétique, la Médecine, l'astronomie, ou plutôt l'Astrologie.

Le royaume est un état monarchique, despotique, la volonté du monarque sert de loi. Il prend le titre de sophi, et en qualité de fils de prophète, il est en même temps le chef de la religion. Les enfants légitimes succedent à la couronne ; à leur défaut, on appelle les fils des concubines : s'il ne se trouve ni des uns, ni des autres, le plus proche des parents du côté paternel, devient roi. Ce sont comme les princes du sang, mais la figure qu'ils font est bien triste ; ils sont si pauvres, qu'ils ont peine à vivre. Les fils du sophi sont encore plus malheureux ; ils ne voient jamais le jour que dans le fond du serrail, d'où ils ne sortent pas du vivant du roi. Il n'y a que le successeur au trône qui ait ce bonheur ; et la première chose qu'il fait, est de priver ses frères de l'usage de la vue, en leur faisant passer un fer rouge devant les yeux pour qu'ils ne puissent aspirer à la couronne.

Après le sophi, les grands pontifes de la religion mahométane tiennent le premier rang à sa cour ; ils sont au nombre de quatre. Le premier pontife de Perse s'appelle sadre-cassa, il est le chef de l'empire pour le spirituel, gouverne seul la conscience du roi, et règle la cour et la ville d'Hispahan, selon les règles de l'alcoran. Il est tellement révéré, que les rois prennent ordinairement les filles des Sadres pour femmes ; il commet le second pontife pour avoir soin du reste du royaume, et établit des vicaires dans toutes les villes capitales des provinces. On lui donne la qualité de Nabab, qui veut dire, vicaire de Mahomet et du roi.

Il y a six ministres d'état pour le gouvernement du royaume, et chacun a son département ; on les appelle rhona-dolvet, c'est-à-dire les colonnes de l'empire. Le premier est le grand vizir, appelé etma-doulet-itimad-ud-dewlet, c'est-à-dire l'appui de la puissance ; il est le chancelier du royaume, le chef du conseil, le sur-intendant des finances, des affaires étrangères et du commerce ; toutes les gratifications et les pensions, ne se paient que par son ordre. Je ne parlerai point des autres colonnes de l'état Persan : c'est assez d'avoir nommé la principale.

L'usage des festins publics est bien ancien en Perse, puisque le livre d'Ester fait mention de la somptuosité du banquet d'Assuérus ; ceux que le sophi fait aujourd'hui par extraordinaire, sont toujours superbes, car on y étale ce qu'il y a de plus précieux dans sa maison.

Toute la Perse est pour ainsi dire du domaine du roi, mais ses revenus consistent encore en impôts extraordinaires, et en douannes qu'il afferme ; les deux principales, sont celle du golfe Persique, et celle de Ghilan ; ces deux douannes sont affermées à environ 7 millions de notre monnaie. Les troupes de sa maison qui montent à quatorze mille hommes, sont entretenues sur les terres du domaine ; celles qu'il emploie pour couvrir ses frontières, peuvent monter à cent mille cavaliers qui sont aussi entretenus sur le domaine. Le roi de Perse n'a point d'infanterie réglée ; il n'a point non plus de marine ; il ne tiendrait qu'à lui d'être le maître du golfe d'Ormus, de la mer d'Arabie, et de la mer Caspienne ; mais les Persans détestent la navigation.

Leur religion est la mahométane, avec cette différence des Musulmants, qu'ils regardent Ali, pour le successeur de Mahomet ; au lieu que les musulmants prétendent que c'est Omar. De-là nait une haine irréconciliable entre les deux nations. L'ancienne religion des mages est entiérement détruite en Perse ; on nomme ses sectateurs gawes, c'est-à-dire idolâtres ; ces gawes n'ont cependant point d'idoles, et méprisent ceux qui les adorent ; mais ils sont en petit nombre, pauvres, ignorants et grossiers.

Si la plupart des princes de l'Asie ont coutume d'affecter des titres vains et pompeux, c'est principalement du monarque Persan, qu'on peut le dire avec vérité. Rien n'est plus plaisant que le titre qu'il met à la tête de ses diplomes ; il faut le transcrire ici par singularité.

" Sultan Ussein, roi de Perse, de Parthie, de Médie, de la Bactriane, de Chorazan, de Candahar, des Tartares Usbecks ; des royaumes d'Hircanie, de Draconie, de Parménie, d'Hidaspie, de Sogdiane, d'Aric, de Paropamize, de Drawgiane, de Margiane et de Caramanie, jusqu'au fleuve Indus : Sultan d'Ormus, de Larr, d'Arabie, de Susiane, de Chaldée, de Mésopotamie, de Géorgie, d'Arménie, de Circassie ; seigneur des montagnes impériales d'Ararac, de Taurus, du Caucase ; commandant de toutes les créatures, depuis la mer de Chorazan, jusqu'au Golfe de Perse, de la famille d'Ali, prince des quatre fleuves, l'Euphrate, le Tigre, l'Araxe et l'Indus ; gouverneur de tous les sultants, empereur des musulmants, rejeton d'honneur, miroir de vertu, et rose de délices, etc. "

La Perse est située entre le 79 et le 108d de longitude, et entre le 25 et 42d de latitude. On la divise en treize provinces, dont six à l'orient, quatre au nord, et trois au midi.

Les six provinces à l'orient, sont celles de Send, Makeran, Sitzistan, Sablustan, Khorassan, Estarabade.

Les quatre au nord sont Masanderan ou Tabristan ; Schirvan, Adirbeitzan, Frak-Atzem, qui renferme Hispahan, capitale de toute la Perse.

Enfin les trois provinces au midi, sont Khusistan, Farsistan ou Fars, et Kirman. (D.J.)

PERSES, empire des, (Histoire ancienne et moderne) l'ancien empire des Perses était beaucoup plus étendu que ce que nous appelons aujourd'hui la Perse ; car leurs rois ont quelquefois soumis presque toute l'Asie à leur domination. Xerxès subjugua même toute l'Egypte, vint dans la Grèce, et s'empara d'Athènes ; ce qui montre qu'ils ont porté leurs armes victorieuses jusques dans l'Afrique, et dans l'Europe.

Persépolis, Suze, et Ecbatane, étaient les trois villes où les rois de Perse faisaient alternativement leur résidence ordinaire. En été ils habitaient Ecbatane, aujourd'hui Tabris ou Tauris, que la montagne couvre vers le sud-ouest contre les grandes chaleurs. L'hiver ils séjournaient à Suze dans le Suzistan, pays délicieux, où la montagne met les habitants à couvert du nord. Au printemps et en automne, ils se rendaient à Persépolis, ou à Babylone. Cyrus, qui est regardé comme le fondateur de la monarchie des Perses, fit néanmoins de Persépolis, la capitale de son empire, au rapport de Strabon, livre XV.

Cette grande et belle monarchie, dura deux cent six ans sous douze rais, dont Cyrus fut le premier, et Darius le dernier. Cyrus régna neuf ans depuis la prise de Babylone, c'est-à-dire, depuis l'an du monde 3466, jusqu'en 3475, avant J. C. 525. Darius, dit Codomanus, fut vaincu par Alexandre le Grand en 3674, après six ans de règne ; et de la ruine de la monarchie des Perses, on vit naître la troisième monarchie du monde, qui fut celle de Macédoine dans la personne d'Alexandre.

La Perse, après avoir obéi quelque temps aux Macédoniens, et ensuite aux Parthes, un simple soldat persan, qui prit le nom d'Artaxare, leur enleva ce royaume vers l'an 225 de J. C. et rétablit l'empire des Perses, dont l'étendue ne différait guère alors de ce qu'il est aujourd'hui.

Nouschirwan, ou Khosroès le grand, qui monta sur le trône l'an 531 de l'ère chrétienne, est un des plus grands rois de l'Histoire. Il étendit son empire dans une partie de l'Arabie Pétrée, et de celle qu'on nommait Heureuse. Il reprit d'abord ce que les princes voisins avaient enlevé aux rois ses prédécesseurs ; ensuite il soumit les Arabes, les Tartares jusqu'aux frontières de la Chine ; les Indiens voisins du Gange, et les empereurs grecs, furent contrains de lui payer un tribut considérable.

Il gouverna ses peuples avec beaucoup de sagesse : zélé pour l'ancienne religion de la Perse, ne refusant jamais sa protection à ceux qui étaient opprimés, punissant le crime avec sévérité, et récompensant la vertu avec une libéralité vraiment royale ; toujours attentif à faire fleurir l'Agriculture et le Commerce, favorisant le progrès des Sciences et des Arts, et ne conférant les charges de judicature qu'à des personnes d'une probité reconnue, il se fit aimer de tous ses sujets, qui le regardaient comme leur père. Il eut un fils nommé Hormizdas, à qui il fit épouser la fille de l'empereur des Tartares, et qui l'accompagna dans son expédition contre les Grecs.

Nouschirwan, alors âgé de plus de 80 ans, voulut encore commander ses armées en personne ; il conquit la province de Mélitène ; mais bien-tôt après, la perte d'une bataille où son armée fut taillée en pièces, le mit dans la triste nécessité de fuir pour la première fois devant l'ennemi, et de repasser l'Euphrate à la nage sur un éléphant. Cette disgrace précipita ses jours ; il profita des derniers moments de sa vie pour dicter son testament ; et ce testament le voici tel que M. l'abbé Fourmont l'a tiré d'un manuscrit turc.

" Moi, Nouschirwan, qui possède les royaumes de Perse, et des Indes, j'adresse mes dernières paroles à Hormizdas mon fils ainé, afin qu'elles soient pour lui une lumière dans les ténébres, un chemin droit dans les déserts, une étoîle sur la mer de ce monde.

Lorsqu'il aura fermé mes yeux, qui déjà ne peuvent plus soutenir la lumière du soleil, qu'il monte sur mon trône, et que de-là il jette sur mes sujets une splendeur égale à celle de cet astre. Il doit se ressouvenir que ce n'est pas pour eux-mêmes que les rois sont revêtus du pouvoir souverain, et qu'ils ne sont à l'égard du reste des hommes, que comme le ciel est à l'égard de la terre. La terre produira-t-elle des fruits si le ciel ne l'arrose ?

Mon fils, répandez vos bienfaits d'abord sur vos proches, ensuite sur les moindres de vos sujets. Si j'osais, je me proposerais à vous pour exemple ; mais vous en avez de plus grands. Voyez ce soleil, il part d'un bout du monde pour aller à l'autre ; il se cache et se remontre ensuite ; et s'il change de route tous les jours, ce n'est que pour faire du bien à tous. Ne vous montrez donc dans une province que pour lui faire sentir vos grâces ; et lorsque vous la quitterez, que ce ne soit que pour faire éprouver à une autre les mêmes biens.

Il est des gens qu'il faut punir, le soleil s'éclipse : il en est d'autres qu'il faut récompenser, et il se remontre plus beau qu'il n'était auparavant : il est toujours dans le ciel, soutenez la majesté royale : il marche toujours, soyez sans cesse occupé du soin du gouvernement. Mon fils, présentez-vous souvent à la porte du ciel pour en implorer le secours dans vos besoins, mais purifiez votre âme auparavant. Les chiens entrent-ils dans le temple ? Si vous observez exactement cette règle, le ciel vous exaucera ; vos ennemis vous craindront ; vos amis ne vous abandonneront jamais ; vous ferez le bonheur de vos sujets ; ils feront votre félicité.

Faites justice, réprimez les insolents, soulagez le pauvre, aimez vos enfants, protégez les Sciences, suivez le conseil des personnes expérimentées, éloignez de vous les jeunes gens, et que tout votre plaisir soit de faire du bien. Je vous laisse un grand royaume, vous le conserverez si vous suivez mes conseils ; vous le perdrez si vous en suivez d'autres ".

Nouschirwan mourut l'an 578, et Hormizdas, qui lui succéda, ne suivit point ses conseils. Après bien des concussions, il fut jugé indigne de sa place, et déposé juridiquement, par le consentement unanime de toute la nation assemblée. Son fils mis sur le trône à sa place, le fit poignarder dans sa prison : ce fils lui-même fut contraint de sortir de son royaume, qui devint la proie d'un sujet de Waranes, homme de grand mérite, mais qui fut enfin obligé de se réfugier chez les Tartares, qui l'empoisonnèrent.

Sur la fin du règne de Nouschirwan, naquit Mahomet à la Mecque, dans l'Arabie Pétrée en 570. Bientôt profitant des guerres civiles des Persans, il étendit chez eux sa puissance et sa domination. Omar son successeur, poussa encore plus loin ses conquêtes : Jédasgird, que nous appelons Hormizdas IV. perdit contre ses lieutenans à quelques lieues de Madaïn (l'ancienne Ctésiphon des Grecs) la bataille et la vie. Les Persans passèrent sous la domination d'Omar plus facilement qu'ils n'avaient subi le joug d'Alexandre.

Cette servitude sous les Arabes, dura jusqu'en 1258, que la Perse commença à renaître sous ses propres rais. Haalou recouvra ce royaume par le succès de ses armes ; mais au bout d'un siècle, Tamerlan, kan des Tartares, se rendit maître de la Perse, l'an 1369, subjugua les Parthes, et fit prisonnier Bajazet I. en 1402. Ses fils partagèrent entr'eux ses conquêtes, et cette branche régna jusqu'à ce qu'une autre dynastie de la faction du mouton blanc, s'empara de la Perse en 1469.

Ussum Cassan, chef de cette faction, étant monté sur le trône, une partie de la Perse flattée d'opposer un culte nouveau à celui des Turcs, de mettre Ali au-dessus d'Omar, et de pouvoir aller en pélerinage ailleurs qu'à la Mecque, embrassa avidement ce dogme que proposa un persan nommé Xeque Aidar, et qui n'est connu de nous que sous le nom de Sophi, c'est-à-dire, sage. Les semences de cette opinion étaient jetées depuis longtemps ; mais Sophi donna la forme à ce schisme politique et religieux, qui parait aujourd'hui nécessaire entre deux grands empires voisins, jaloux l'un de l'autre. Ni les Turcs, ni les Persans n'avaient aucune raison de reconnaître Omar et Ali pour successeurs légitimes de Mahomet. Les droits de ces arabes qu'ils avaient chassés, devaient peu leur importer. Mais il importait aux Persans que le siège de leur religion ne fût pas chez les Turcs ; cependant Ussum Cassan trouva bien des contradicteurs, et entr'autres Rustan qui fit assassiner Sophi en 1499. Il en résulta d'étranges révolutions, que je vais transcrire de l'histoire de M. de Voltaire, qui en a fait le tableau curieux.

Ismaèl fils de Xeque-Aidar, fut assez courageux et assez puissant, pour soutenir la doctrine de son père les armes à la main ; ses disciples devinrent des soldats. Il convertit et conquit l'Arménie, subjugua la Perse, combattit le sultan des Turcs Sélim I. avec avantage, et laissa en 1524 à son fils Tahamas, la Perse puissante et paisible. Ce même Tahamas repoussa Soliman, après avoir été sur le point de perdre sa couronne. Il laissa l'empire en 1576 à Ismaèl II. son fils, qui eut pour successeur en 1585 Scha-Abas, qu'on a nommé le grand.

Ce grand homme était cependant cruel ; mais il y a des exemples que des hommes féroces ont aimé l'ordre et le bien public. Scha-Abas pour établir sa puissance, commença par détruire une milice telle à-peu-près que celle des janissaires en Turquie, ou des strelits en Russie ; il construisit des édifices publics ; il rebâtit des villes ; il fit d'utiles fondations ; il reprit sur les Turcs tout ce que Soliman et Sélim avaient conquis sur la Perse. Il chassa d'Ormus en 1622 par le secours des Anglais, les Portugais qui s'étaient emparés de ce port en 1507. Il mourut en 1629.

La Perse devint sous son règne extrêmement florissante, et beaucoup plus civilisée que la Turquie ; les arts y étaient plus en honneur, les mœurs plus douces, la police générale bien mieux observée. Il est vrai que les Tartares subjuguèrent deux fois la Perse après le règne des kalifes arabes ; mais ils n'y abolirent point les Arts ; et quand la famille des Sophi régna, elle y apporta les mœurs douces de l'Arménie, où cette famille avait habité longtemps. Les ouvrages de la main passaient pour être mieux travaillés, plus finis en Perse, qu'en Turquie ; et les Sciences y avaient de tous autres encouragements.

La langue persane plus douce et plus harmonieuse que la turque, a été féconde en poésies agréables. Les anciens grecs qui ont été les premiers précepteurs de l'Europe, sont encore ceux des Persans. Ainsi leur philosophie était au seizième et au dix-septième siècles, à-peu-près au même état que la nôtre. Ils tenaient l'Astrologie de leur propre pays, et s'y attachaient plus qu'aucun peuple de la terre. Ils étaient comme plusieurs de nos nations, pleins d'esprit et d'erreurs.

La cour de Perse étalait plus de magnificence que la Porte ottomane. On croit lire une relation du temps de Xerxès, quand on voit dans nos voyageurs, ces chevaux couverts de riches brocards, leurs harnais brillans d'or et de pierreries, et ces quatre mille vases d'or, dont parle Chardin, lesquels servaient pour la table du roi de Perse. Les choses communes, et surtout les comestibles, étaient à trois fois meilleur marché à Ispahan et à Constantinople que parmi nous. Ce prix est la démonstration de l'abondance.

Scha-Sophi, fils du grand Scha-Abas, mais plus cruel, moins guerrier, moins politique, et d'ailleurs abruti par la débauche, eut un règne malheureux. Le grand-mogol Scha-Géan enleva Candahar à la Perse, et le sultan Amurath IV. prit d'assaut Bagdat en 1638.

Depuis ce temps, vous voyez la monarchie persane décliner sensiblement, jusqu'à ce qu'enfin la mollesse de la dynastie des Sophi, a causé sa ruine entière. Les eunuques gouvernaient le serrail et l'empire sous Muza-Sophi, et sous Hussein, le dernier de cette race. C'est le comble de l'avilissement dans la nature humaine, et l'opprobre de l'Orient, de dépouiller les hommes de leur virilité ; et c'est le dernier attentat du despotisme, de confier le gouvernement à ces malheureux.

La faiblesse de Scha-Hussein qui monta sur le trône en 1694, faisait tellement languir l'empire, et la confusion le troublait si violemment par les factions des eunuques noirs et des eunuques blancs, que si Myrr-Weis et ses Aguans, n'avaient pas détruit cette dynastie, elle l'eut été par elle-même. C'est le sort de la Perse, que toutes ses dynasties commencent par la force, et finissent par la faiblesse. Presque toutes les familles ont eu le sort de Serdan-Pull, que nous nommons Sardanapale.

Ces Aguans qui ont bouleversé la Perse au commencement du siècle où nous sommes, étaient une ancienne colonie des Tartares, habitant les montagnes de Candahar, entre l'Inde et la Perse. Presque toutes les révolutions qui ont changé le sort de ces pays-là, sont arrivées par des Tartares. Les Persans avaient reconquis Candahar sur le Mogol, vers l'an 1650 sous Scha-Abas II. et ce fut pour leur malheur. Le ministère de Scha-Hussein, petit-fils de Scha-Abas II. traita mal les Aguans. Myrr-Weis qui n'était qu'un particulier, mais un particulier courageux et entreprenant, se mit à leur tête.

C'est une de ces révolutions, où le caractère des peuples qui la firent, eut plus de part que le caractère de leurs chefs : car Myrr-Weis ayant été assassiné, et remplacé par un autre barbare nommé Maghmud, son propre neveu, qui n'était âgé que de dixhuit ans, il n'y avait pas d'apparence que ce jeune homme put faire beaucoup par lui-même, et qu'il conduisit ses troupes indisciplinées de montagnards féroces, comme nos généraux conduisent des armées réglées. Le gouvernement de Hussein était méprisé, et la province de Candahar ayant commencé les troubles, les provinces du Caucase du côté de la Géorgie, se révoltèrent aussi. Enfin, Maghmud assiégea Ispahan en 1722 ; Scha-Hussein lui remit cette capitale, abdiqua le royaume à ses pieds, et le reconnut pour son maître, trop heureux que Maghmud daignât épouser sa fille. Ce Maghmud crut ne pouvoir s'affermir qu'en faisant égorger les familles des principaux citoyens de cette capitale.

La religion eut encore part à ces désolations : les Aguans tenaient pour Omar, comme les Persans pour Ali ; et Maghmud chef des Aguans, mêlait les plus lâches superstitions aux plus détestables cruautés. Il mourut en démence en 1725, après avoir désolé la Perse.

Un nouvel usurpateur de la nation des Aguans, lui succéda. Il s'appelait Aszraff, ou Archruff, ou Echeref ; car on lui donne tous ces noms. La désolation de la Perse redoublait de tous côtés. Les Turcs l'inondaient du côté de la Géorgie, l'ancienne Colchide. Les Russes fondaient sur ses provinces, du nord à l'occident de la mer Caspienne, vers les portes de Derbent dans le Shirvan, qui était autrefois l'Ibérie et l'Albanie.

Un des fils de Scha-Husseim, nommé Thamas, échappé au massacre de la famille impériale, avait encore des sujets fidèles, qui se rassemblèrent autour de sa personne vers Tauris. Les guerres civiles et les temps de malheur produisent toujours des hommes extraordinaires, qui eussent été ignorés dans des temps paisibles. Le fils du gouverneur d'un petit fort du Khorassan devint le protecteur du prince Thamas, et le soutien du trône, dont il fut ensuite l'usurpateur. Cet homme qui s'est placé au rang des plus grands conquérants, s'appelait Nadir (Chah).

Nadir ne pouvant avoir le gouvernement de son père, se mit à la tête d'une troupe de soldats, et se donna avec sa troupe au prince Thamas. A force d'ambition, de courage et d'activité, il fut à la tête d'une armée. Il se fit appeler alors Thamas Koulikan, le Kan esclave de Thamas. Mais l'esclave était le maître sous un prince aussi faible et aussi efféminé que son père Husseim. Il reprit Ispahan et toute la Perse, poursuivit le nouveau roi Airaf jusqu'à Candahar, le vainquit, le fit prisonnier en 1629, et lui fit couper la tête après lui avoir arraché les yeux.

Kouli-Kan ayant ainsi rétabli le prince Thamas sur le trône de ses ayeux, et l'ayant mis en état d'être ingrat, voulut l'empêcher de l'être. Il l'enferma dans la capitale du Khorassan, et agissant toujours au nom de ce prince prisonnier, il alla faire la guerre au Turc, sachant bien qu'il ne pouvait affermir sa puissance, que par la même voie qu'il l'avait acquise. Il battit les Turcs à érivan en 1736, reprit tout ce pays, et assura ses conquêtes en faisant la paix avec les Russes. Ce fut alors qu'il se fit déclarer roi de Perse, sous le nom de Scha-Nadir. Il n'oublia pas l'ancienne coutume, de crever les yeux à ceux qui peuvent avoir droit au trône. Les mêmes armées qui avaient servi à désoler la Perse servirent aussi à la rendre redoutable à ses voisins. Kouli-Kan mit les Turcs plusieurs fois en fuite. Il fit enfin avec eux une paix honorable, par laquelle ils rendirent tout ce qu'ils avaient jamais pris aux Persans, excepté Bagdat et son territoire.

Kouli-Kan, chargé de crimes et de gloire, alla conquérir l'Inde, par l'envie d'arracher au Mogol, tous ces trésors que les Mogols avaient pris aux Indiens. Il avait des intelligences à la cour du grand-mogol, et entr'autres deux des principaux seigneurs de l'empire, le premier vizir, et le généralissime des troupes. Cette expédition lui réussit au-delà de ses espérances ; il se rendit maître de l'empire, et de la personne même de l'empereur en 1739.

Le grand-mogol Mahamad semblait n'être venu à la tête de son armée, que pour étaler sa vaine grandeur, et pour la soumettre à des brigands aguerris. Il s'humilia devant Thamas Kouli-Kan, qui lui parla en maître, et le traita en sujet. Le vainqueur entra dans Delhi, ville qu'on nous représente plus grande et plus peuplée que Paris ou Londres. Il trainait à sa suite ce riche et misérable empereur. Il l'enferma d'abord dans une tour, et se fit proclamer lui-même roi des Indes.

Quelques officiers mogols essayèrent de profiter d'une nuit, où les Persans s'étaient livrés à la débauche, pour prendre les armes contre leurs vainqueurs. Thamas Kouli-Kan livra la ville au pillage ; presque tout fut mis à feu et à sang. Il emporta autant de trésors de Delhi, que les Espagnols en prirent à la conquête du Mexique. On compte que cette somme monta pour sa part à quatre-vingt sept millions et demi sterling, et qu'il y en eut sept millions et demi pour son armée. Ces richesses amassées par un brigandage de quatre siècles, ont été apportées en Perse par un autre brigandage, et n'ont pas empêché les Persans d'être longtemps les plus malheureux peuples de la terre. Elles y sont dispersées ou ensevelies pendant les guerres civiles, jusqu'au temps où quelque tyran les rassemblera.

Kouli-Kan en partant des Indes pour retourner en Perse, laissa le nom d'empereur à ce Mahamad qu'il avait détrôné ; mais il laissa le gouvernement à un vice-roi qui avait élevé le grand-mogol, et qui s'était rendu indépendant de lui. Il détacha trois royaumes de ce vaste empire, Cachemire, Caboul et Multan, pour les incorporer à la Perse, et imposa à l'Indoustan un tribut de quelques millions. L'Indoustan fut alors gouverné par le vice-roi, et par un conseil que Thamas Kouli-Kan avait établi. Le petit-fils d'Aurang-Zel garda le titre de roi des rais, et ne fut plus qu'un fantôme.

Thamas Kouli-Kan arrivé chez lui, donna la régence de la Perse à son second fils Nesralla Mirza, recruta son armée, et marcha contre les tartares Usbegs, pour les châtier des désordres qu'ils avaient commis dans le Khorassan, pendant qu'il était occupé dans l'Inde. Il traversa des déserts presque impraticables, et l'on crut qu'il y périrait infailliblement ; mais il revint quelques mois après, amenant quantité d'Usbegs qui avaient pris parti dans son armée, et il soumit dans son passage plusieurs peuples inconnus même aux Persans.

Cependant l'année suivante, qui était en 1742, les Arabes se soulevèrent de toutes parts, et défirent totalement ses troupes. Obligé de faire la guerre par mer et par terre, ne voulant pas toucher aux trésors immenses qu'il avait apportés de l'Inde, il mit sur toute la Perse un nouvel impôt de sept cent mille tomants (quatorze millions d'écus.) En même temps il fit publier, qu'ayant reconnu la religion des Sunnis pour la seule véritable, il l'avait embrassée, et qu'il désirait que ses sujets suivissent son exemple. Il se prépara à attaquer les Turcs, et mit en marche une partie de ses troupes pour qu'elles se rendissent à Mosul, tandis que lui-même marcherait à Vau, dans le dessein d'attaquer les Turcs par deux différents côtés, et de pousser ses conquêtes jusqu'à Constantinople ; mais le succès ne répondit point à ses espérances.

A peine s'était-il mis en marche, que les peuples de diverses provinces persanes se révoltèrent, ce qui l'obligea de retourner sur ses pas pour étouffer la rébellion. Mais le mécontentement était général ; le feu de la révolte gagnait par-tout. A mesure que Nadir (ou si vous voulez Thamas Kouli-Kan) l'éteignait d'un côté, il s'allumait d'un autre. Ne pouvant courir dans toutes les provinces révoltées, il fit la paix avec les Turcs en 1746.

Enfin s'étant rendu de plus en plus odieux aux Persans par ses cruautés envers ceux dont la fidélité lui était suspecte, il se forma contre lui une conspiration si générale, qu'ayant été obligé de se sauver d'Ispahan, et ayant cru être plus en sûreté dans son armée, ses propres troupes se soulevèrent, et le massacrèrent dans son camp. Il fut assassiné par Ali-Kouli-Kan, son propre neveu, comme l'avait été Myrr-Weis, le premier auteur de la révolution. Ainsi à péri cet homme extraordinaire à l'âge d'environ 59 ans, après avoir occupé le trône de Perse pendant 12 ans.

Par la mort de cet usurpateur, les provinces enlevées au grand-mogol lui sont retournées ; mais une nouvelle révolution a bouleversé l'Indoustan ; les princes tributaires, les vice-rais ont secoué le joug ; les peuples de l'intérieur ont détrôné le souverain, et l'Inde est encore devenue ainsi que la Perse, le théâtre de nouvelles guerres civiles. Enfin tant de dévastations consécutives ont détruit dans la Perse le commerce et les arts, en détruisant une partie du peuple.

Plusieurs écrivains nous ont donné l'histoire des dernières révolutions de Perse. Le P. du Cerceau l'a faite, et son ouvrage a été imprimé à Paris en 1742. Nous avons Ve l'année suivante l'histoire de Thamas Kouli-Kan ; mais il faut lire le voyage en Turquie et en Perse par M. Otter et M. Fraser, the history of Nadir-Shah. Ces deux derniers ont été eux-mêmes dans le pays, ont connu le Shah-Nadir, et ont conversé pour s'instruire avec des personnes qui lui étaient attachées ; ils n'ont point estropié les noms persans, parce qu'ils entendaient la langue ; et quoiqu'ils ne soient pas d'accord en tout, ils ne diffèrent pas néanmoins dans les principaux faits. Il parait par leurs relations, que l'auteur de l'histoire de Thamas Kouli-Kan, a composé un roman de la naissance de Nadir, en le faisant fils d'un pâtre ou d'un marchand de troupeaux, dont il vola une partie à son père, les vendit, et s'associa à une troupe de brigands pour piller les pélerins de Mached.

Nadir (Shah) naquit dans le Khorassan. Son père était un des principaux entre les Aschars, tribu Turcomane, et gouverneur du fort de Kiélat, dont le gouvernement avait été héréditaire dans sa famille depuis longtemps. Nadir étant encore mineur quand son père mourut, son oncle prit possession du gouvernement, et le garda. Nadir obtint du Begler-Beg une compagnie de cavalerie, et s'étant distingué en diverses occasions contre les Eusbegs qu'il eut le bonheur de battre, le Begler-Beg l'éleva au grade de min-bachi, ou commandant de mille hommes. Tel fut le commencement de sa fortune. Ensuite il fut envoyé contre les Turcs, les vainquit, fut élevé au grade de lieutenant-général ; et au commencement de l'année 1729, il parvint au généralat. Alors Shah Thamas prit tant de confiance en lui, qu'il lui abandonna entièrement le gouvernement de ses affaires militaires.

M. Fraser qui a demeuré plusieurs années en Perse, et qui a été souvent dans la compagnie du Shah Nadir, nous a tracé son portrait en 1743 ; et il parait qu'il admirait beaucoup cet homme extraordinaire.

" Le Shah Nadir, dit-il, est âgé d'environ 55 ans. Il a plus de six pieds de haut, et est bien proportionné, d'un tempérament très-robuste, sanguin, avec quelque disposition à l'embonpoint, s'il ne le prévenait pas par les fatigues. Il a de beaux yeux noirs, bien fendus, et des sourcils de même couleur. Sa voix est extrêmement haute et forte. Il bait du vin sans excès, mais il est très-adonné aux femmes dont il change souvent, sans cependant négliger ses affaires. Il Ve rarement chez elles avant onze heures ou minuit, et il se lève à cinq heures du matin. Il n'aime point la bonne chère ; sa nourriture consiste surtout en pillau, et autres mets simples ; et lorsque les affaires le demandent, il perd ses repas, et se contente de quelques pois secs qu'il porte toujours dans ses poches, et d'un verre d'eau. Quand il est en son particulier, qui que ce soit ne peut lui envoyer de lettres, de messages, ni obtenir audience.

Il entretient par-tout des espions. Il a de plus établi dans chaque ville un ministre nommé hum calam qui est chargé de veiller sur la conduite du gouverneur, de tenir régistre de ses actions, et de lui en envoyer le journal par une voie particulière. Très-rigide sur la discipline militaire, il punit de mort les grandes fautes, et fait couper les oreilles à ceux qui en commettent les plus légères. Pendant qu'il est en marche, il mange, bait et dort comme un simple soldat, et accoutume ses officiers à la même rigueur. Il est si fort endurci à la fatigue, qu'on l'a Ve souvent dans un temps de gelée passer la nuit couché à terre, en plein air, enveloppé de son manteau, et n'ayant qu'une selle pour chevet. Au soleil couchant, il se retire dans un appartement particulier, où débarrassé de toute affaire, il soupe avec trois ou quatre de ses favoris, et s'entretient familièrement avec eux.

Quelque temps après qu'il se fut saisi de Shah Thamas, des gens attachés à la famille royale firent agir la mère de Nadir, qui vint prier son fils de rétablir ce prince, sur les assurances qu'elle lui donna que pour reconnaître cet important service, Shah Thamas le ferait son généralissime à vie. Il lui demanda si elle le croyait sérieusement ? Elle ayant répondu qu'oui : Si j'étais une vieille femme, répliqua-t-il, peut-être que je le croirais aussi, mais je vous prie de ne vous plus mêler d'affaire d'état. Il a épousé la sœur cadette du Shah Hussein, dont on dit qu'il a une fille. Il a d'ailleurs de ses concubines plusieurs enfants, et deux fils d'une femme qu'il avait épousée dans le temps de son obscurité. Quoique d'ordinaire il charge lui-même à la tête de ses troupes, il n'a jamais reçu la plus petite égratignure ; cependant il a eu plusieurs chevaux tués sous lui, et son armure souvent effleurée par des bales ".

M. Fraser ajoute qu'il a entendu dire et qu'il a Ve lui-même plusieurs autres choses remarquables de ce prince, et propres à convaincre toute la terre qu'il y a peu de siècles qui aient produit un homme aussi étonnant : cela se peut ; mais à juger de cet homme singulier selon les idées de la droite raison, je ne vois en lui qu'un scélérat d'une ambition sans bornes, qui ne connaissait ni humanité, ni fidélité, ni justice, toutes les fois qu'il ne pouvait la satisfaire. Il n'a fait usage de sa bravoure, de son habileté et de sa conduite, que de concert avec ses vues ambitieuses. Il n'a respecté aucun des devoirs les plus sacrés pour s'élever à quelque point de grandeur, et ce point était toujours au-dessous de ses désirs. Enfin, il a ravagé le monde, désolé l'Inde et la Perse par les plus horribles brigandages ; et ne mettant aucun frein à sa brutalité, il s'est livré à tous les mouvements furieux de sa colere et de sa vengeance, dans les cas même où sa modération ne pouvait lui porter aucun préjudice.

J'ai tracé l'histoire moderne des Perses ; leur histoire ancienne est intimement liée avec celle des Medes, des Assyriens, des Egyptiens, des Babyloniens, des Juifs, des Parthes, des Carthaginois, des Scythes, des Grecs et des romains. Cyrus, le fondateur de l'empire des Perses, n'eut point d'égal dans son temps en sagesse, en valeur et en vertu. Hérodote et Xénophon ont écrit sa vie ; et quoiqu'il semble que ce dernier ait moins voulu faire l'histoire de ce prince, que donner sous son nom l'idée d'un héros parfait, le fond de son ouvrage est historique, et mérite plus de croyance que celui d'Hérodote. (D.J.)

PERSES, Philosophie des, (Histoire de la Philosoph.) Les seuls garants que nous ayons ici de l'histoire de la Philosophie, les Arabes et les Grecs, ne sont pas d'une autorité aussi solide et aussi pure qu'un critique sévère le désirerait. Les Grecs n'ont pas manqué d'occasions de s'instruire des lais, des coutumes, de la religion et de la philosophie de ces peuples ; mais peu sincères en général dans leurs récits, la haine qu'ils portaient aux Perses les rend encore plus suspects. Qu'est-ce qui a pu les empêcher de se livrer à cette fureur habituelle de tout rapporter à leurs idées particulières ? La distance des temps, la légèreté du caractère, l'ignorance et la superstition des Arabes n'affoiblissent guère moins leur témoignage. Les Grecs mentent par orgueil ; les Arabes mentent par intérêt. Les premiers défigurent tout ce qu'ils touchent pour se l'approprier ; les seconds pour se faire valoir. Les uns cherchent à s'enrichir du bien d'autrui, les autres à donner du prix à ce qu'ils ont. Mais c'est quelque chose que de bien connaître les motifs de notre méfiance, nous en serons plus circonspects.

De Zoroastre. Zerdust ou Zaradusht, selon les Arabes, et Zoroastre, selon les Grecs, fut le fondateur ou le restaurateur de la Philosophie et de la Théologie chez les Perses. Ce nom signifie l'ami du feu. Sur cette étymologie on a conjecturé qu'il ne désignait pas une personne, mais une secte. Quoi qu'il en sait, qu'il n'y ait jamais eu un homme appelé Zoroastre, ou qu'il y en ait eu plusieurs de ce nom, comme quelques-uns le prétendent, on n'en peut guère reculer l'existence au-delà du règne de Darius Histaspe. Il y a la même incertitude sur la patrie du premier Zoroastre. Est-il chinois, indien, perse, medo-perse ou mède ? s'il en faut croire les Arabes, il est né dans l'Aderbijan, province de la Médie. Il faut entendre toutes les puérilités merveilleuses qu'ils racontent de sa naissance et de ses premières années ; au reste, elles sont dans le génie des Orientaux, et du caractère de celles dont tous les peuples de la terre ont défiguré l'histoire des fondateurs du culte religieux qu'ils avaient embrassé. Si ces fondateurs n'avaient été que des hommes ordinaires, de quel droit eut-on exigé de leurs semblables le respect aveugle pour leurs opinions ?

Zoroastre, instruit dans les sciences orientales, passe chez les Islalites. Il entre au service d'un prophète. Il y prend la connaissance du vrai dieu. Il commet un crime. Le prophète, qu'on croit être Daniel ou Esdras, le maudit, et il est attaqué de la lepre. Guéri apparemment, il erre ; il se montre aux peuples, il fait des miracles ; il se cache dans des montagnes ; il en descend ; il se donne pour un envoyé d'en-haut, il s'annonce comme le restaurateur et le réformateur du culte de ces mages ambitieux que Cambise avait exterminés. Les peuples l'écoutent. Il Ve à Xis ou Ecbatane. C'était le lieu de la naissance de Smerdis, et le magianisme y avait encore des sectateurs cachés. Il y prêche ; il y a des vexations. Il passe de-là à Balch sur les rives de l'Oxus, et s'y établit. Histaspe regnait alors. Ce prince l'appele. Zoroastre le confirme dans la religion des mages que Histaspe avait gardée ; il l'entraîne par des prestiges ; et sa doctrine devient publique, et la religion de l'état. Il y en a qui le font voyager aux Indes, et conferer avec les brachmanes ; mais c'est sans fondement. Après avoir établi son culte dans la Bactriane, il vint à Suse, où l'exemple du roi fut suivi de la conversion de presque tous les courtisans. Le magianisme, ou plutôt la doctrine de Zoroastre, se répandit chez les Perses, les Parthes, les Bactres, les Chorasmiens, les Saiques, les Medes, et plusieurs autres peuples barbares. L'intolérance et la cruauté du mahométisme naissant n'a pu jusqu'à-présent en effacer toutes les traces. Il en reste toujours dans la Perse et dans l'Inde. De Suse, Zoroastre retourna à Balch ; où il éleva un temple au feu ; s'en dit archimage, et travailla à attirer à son culte les rois circonvoisins ; mais ce zèle ardent lui devint funeste. Argaspe, roi des Scythes, était très-attaché au culte des astres ; c'était celui de sa nation et de ses aïeux. Zoroastre ne pouvant réussir auprès de lui par la persuasion, emploie l'autorité et la puissance de Darius. Mais Argaspe indigné de la violence qu'on lui faisait dans une affaire de cette nature, prit les armes, entra dans la Bactriane, et s'en empara, malgré l'opposition de Darius, dont l'armée fut taillée en pièces. La destruction du temple patriarchal, la mort de ses prêtres et celle de Zoroastre même furent les suites de cette défaite. Peu de temps après Darius eut sa revanche ; Argaspe fut battu, la province perdue recouverte, les temples consacrés au feu relevés, la doctrine de Zoroastre remise en vigueur, et l'azur gustasp, ou l'édifice de Hystaspe construit. Darius en prit même le titre de grand-prêtre, et se fit appeler de ce nom sur son tombeau. Les grecs qui connaissaient bien les affaires de la Perse, gardent un profond silence sur ces événements, qui peut-être ne sont que des fables inventées par les Arabes, dont il faudrait réduire le récit à ce qu'il y eut dans un temps un imposteur qui prit le nom de Zoroastre déjà révéré dans la Perse, attira le peuple, séduisit la cour par des prestiges, abolit l'idolâtrie, et lui substitua l'ancien culte du feu, qu'il arrangea seulement à sa manière. Il y a aussi quelqu'apparence que cet homme n'était pas tout à fait ignorant dans la médecine et les sciences naturelles et morales ; mais que ce fut une encyclopédie vivante, comme les Arabes le disent, c'est surement un de ces mensonges pieux auxquels le zèle qui ne croit jamais pouvoir trop accorder aux fondateurs de religion, se détermine si généralement.

Des Guèbres. Depuis ces temps reculés, les Guèbres ont persisté dans le culte de Zoroastre. Il y en a aux environs d'Ispahan dans un petit village appelé de leur nom Gauradab. Les Musulmants les regardent comme des infidèles, et les traitent en conséquence. Ils exercent là les fonctions les plus viles de la société ; ils ne sont pas plus heureux dans la Commanie ; c'est la plus mauvaise province de la Perse. On leur y fait payer bien cher le peu d'indulgence qu'on a pour leur religion. Quelques-uns se sont réfugiés à Surate et à Bombaye où ils vivent en paix, honorés pour la sainteté et la pureté de leurs mœurs, adorant un seul Dieu, priant vers le soleil, révérant le feu, détestant l'idolâtrie, et attendant la résurrection des morts et le jugement dernier. Voyez l'article GUEBRES ou GAURES.

Des livres attribués à Zoroastre. De ces livres le zend ou le zendavesta est le plus célèbre. Il est divisé en deux parties ; l'une comprend la liturgie ou les cérémonies à observer dans le culte du feu ; l'autre prescrit les devoirs de l'homme en général, et ceux de l'homme religieux. Le zend est sacré ; et les saintes Ecritures n'ont pas plus d'autorité parmi les Chrétiens, ni l'alcoran parmi les Turcs. On pense bien que Zoroastre le reçut aussi d'en-haut. Il est écrit en langue et en caractères Perses. Il est renfermé dans les temples ; il n'est pas permis de le communiquer aux étrangers ; et tous les jours de fêtes les prêtres en lisent quelques pages aux peuples. Thomas Hyde nous en avait promis une édition ; mais il ne s'est trouvé personne même en Angleterre qui ait voulu en faire les frais.

Le zend n'est point un ouvrage de Zoroastre : il faut en rapporter la supposition au temps d'Eusebe. On y trouve des pseaumes de David ; on y raconte l'origine du monde d'après Moyse ; il y a les mêmes choses sur le déluge ; il y est parlé d'Abraham, de Joseph et de Salomon. C'est une de ces productions telles qu'il en parut une infinité dans ces siècles où toutes les sectes qui étaient en grand nombre, cherchaient à prévaloir les unes sur les autres par le titre d'ancienneté. Outre le zend, on dit que Zoroastre avait encore écrit dans son traité quelques centaines de milliers de vérités sur différents sujets.

Des oracles de Zoroastre. Il nous en reste quelques fragments qui ne font pas grand honneur à l'anonyme qui les a fabriqués ; quoiqu'ils aient eu de la réputation parmi les platoniciens de l'école d'Alexandrie, c'est qu'on n'est pas difficîle sur les titres qui autorisent nos opinions. Ces philosophes n'étaient pas fâchés de retrouver quelques-unes de leurs idées dans les écrits d'un sage aussi vanté que Zoroastre.

Du mage Hystaspe. Cet Hystaspe est le père de Darius ; il se fit chef des mages. Il y eut là-dedans plus de politique que de religion. Il doubla son autorité sur les peuples en réunissant dans sa personne les titres de pontife et de roi. L'inconvénient de cette réunion, c'est qu'un seul homme ayant à soutenir deux grands caractères, il arrive souvent que le roi déshonore le pontife, ou que le pontife rabaisse le roi.

D'Ostanes ou d'Otanès. On prétend qu'il y eut plusieurs mages de ce nom, et qu'ils donnèrent leur nom à la secte entière qui en fut appelée ostaniste. On dit qu'Ostanès ou Otanès cultiva le premier l'Astronomie chez les Perses. On lui attribue un livre de Chimie.

Ce fut lui qui initia Démocrite aux mystères de Memphis. Il n'y a que le rapport des temps qui contredise cette fable.

Du mot mage. Ceux qui dérivent de l'ancien mot mog, qui dans la Perse et dans la Médie signifiait adorateur ou prêtre du feu, en ont trouvé l'étymologie la plus vraisemblable.

De l'origine du magianisme. Cette doctrine était établie dans l'empire de Babylone et d'Assyrie, et chez d'autres peuples de l'orient longtemps avant la fondation des Perses. Zoroastre n'en fut que le restaurateur. Il faut en conclure de-là l'extrême ancienneté.

Du caractère d'un mage. Ce fut un théologien et un philosophe. Un mage naissait toujours d'un autre mage. Ce fut dans le commencement une seule famille peu nombreuse qui s'accrut en elle-même ; les pères se mariaient avec leurs filles, les fils avec leurs mères, les frères avec leurs sœurs. Epars dans les campagnes, d'abord ils n'occupèrent que quelques bourgs ; ils fondèrent ensuite des villes, se multiplièrent au point de disputer la souveraineté aux monarques.

Cette confiance dans leur nombre et leur autorité les perdit.

Des classes des mages. Ils étaient divisés en trois classes. Une classe infime attachée aux services des temples ; une classe supérieure qui commandait à l'autre ; et un archimage qui était le chef de toutes les deux. Il y avait aussi trois sortes de temples ; des oratoires où le feu était gardé dans une lampe ; des temples où il s'entretenait sur un autel ; et une basilique, le siege de l'archimage, et le lieu où les adorateurs allaient faire leurs grandes dévotions.

Des devoirs des mages. Zoroastre leur avait dit : Vous ne changerez ni le culte, ni les prières. Vous ne vous emparerez point du bien d'autrui. Vous fuirez le mensonge. Vous ne laisserez entrer dans votre cœur aucun désir impur ; dans votre esprit aucune pensée perverse. Vous craindrez toute souillure. Vous oublierez l'injure. Vous instruirez les peuples. Vous présiderez aux mariages. Vous fréquenterez sans cesse les temples. Vous méditerez le zendavesta : ce sera votre loi, et vous n'en reconnoitrez point d'autre : et que le ciel vous punisse éternellement, si vous souffrez qu'on le corrompe. Si vous êtes archimage, observez la pureté la plus rigoureuse. Purifiez-vous de la moindre faute par l'ablution. Vivez de votre travail. Recevez la dixme des peuples. Ne soyez ni ambitieux, ni vains. Exercez les œuvres de la miséricorde ; c'est le plus noble emploi que vous puissiez faire de votre richesse. N'habitez pas loin des temples, afin que vous puissiez y entrer sans être aperçu. Lavez-vous souvent. Soyez frugal. N'approchez point de votre femme les jours de solennité. Surpassez les autres dans la connaissance des sciences. Ne craignez que Dieu. Reprenez fortement les méchants : de quelque rang qu'ils soient, n'ayez aucune indulgence pour eux. Allez porter la vérité aux souverains. Sachez distinguer la vraie révélation de la fausse. Ayez toute confiance dans la bonté divine. Attendez le jour de la manifestation ; et soyez-y toujours préparé. Gardez soigneusement le feu sacré ; et souvenez-vous de moi jusqu'à la consommation des siècles, qui se fera par le feu.

Des sectes des mages. Quelque simple que soit un culte, il est sujet à des hérésies. Les hommes se divisent bien entr'eux sur des choses réelles, comment s'accorderaient-ils longtemps sur des objets imaginaires ? Ils sont abandonnés à leur imagination, et il n'y a aucune expérience qui puisse les réunir. Les mages admettaient deux principes, un bon et un mauvais ; l'un de la lumière, l'autre des ténèbres : étaient-ils co-éternels ? Ou, y avait-il priorité et postériorité dans leur existence ? Premier objet de discussion ; première hérésie ; première cause de haine, de trahison et d'anathème.

De la philosophie des mages. Elle avait pour objet Dieu, l'origine du monde, la nature des choses, le bien, le mal, et la règle des devoirs. Le système de Zoroastre n'était pas l'ancien ; cet homme profita des circonstances pour l'altérer, et faire croire au peuple tout ce qu'il lui plut. La distance des temps, les mensonges des grecs, les fables des arabes, les symboles et l'emphase des orientaux, rendent ici la matière très-obscure.

Des dieux des Perses. Ces nations adoraient le soleil ; ils avaient reçu ce culte des Chaldéens et des Assyriens. Ils appelaient ce dieu Mithras ; ils joignaient à Mithras Orosmade et Arimane.

Mais il faut bien distinguer la croyance des hommes instruits, de la croyance du peuple. Le soleil était le dieu du peuple ; pour les théologiens ce n'était que son tabernacle.

Mais en remontant à l'origine, Mithras ne sera qu'un de ces bienfaiteurs des hommes, qui les rassemblaient, qui les instruisaient, qui leur rendaient la vie plus supportable et plus sure, et dont ils faisaient ensuite des Dieux. Celui des peuples d'Orient s'appelait Mithras. Son âme au sortir de son corps s'envola au soleil, et de-là le culte du soleil, la divinité de cet astre.

On n'a qu'à jeter les yeux sur les symboles de Mithras pour sentir toute la force de cette conjecture. C'est un homme robuste ; il est ceint d'un cimeterre ; il est couronné d'une tiare ; il est assis sur un taureau, il conduit l'animal féroce, il le frappe, il le tue. Quels sont les animaux qu'on lui sacrifie ? des chevaux ? quels compagnons lui donne-t-on ? des chiens.

L'histoire d'un homme défiguré, est devenue un système de religion. Rien ne peut subsister entre les hommes sans s'altérer ; il faut qu'un système de religion, fut-il achevé se corrompe à la longue, à-moins qu'une autorité infaillible n'en assure la pureté. Supposons que Dieu se montrât aux hommes sous la forme d'un grand spectre de feu, qu'élevé au dessus du globe qui tournerait sous ses pieds, les hommes l'écoutassent en silence, et que d'une voix forte il leur dictât ses lais, croit-on que ses lois subsisteraient incorruptibles ? croit-on qu'il ne vint pas un temps où l'apparition même se révoquât en doute ? il n'y a que le séjour constant de la divinité parmi nous, ou par ses miracles, ou par ses prophêtes, ou par un représentant infaillible, ou par la voix de la conscience, ou par elle-même, qui puisse arrêter l'inconstance de nos idées en matière de religion.

Mithras est un et triple ; on retrouve dans ce triple Mithras des vestiges de la trinité de Platon et de la nôtre.

Orosmade ou Horsmidas est l'auteur du bien ; Arimane est l'auteur du mal : écoutons Leibnitz sur ces dieux. Si l'on considère, dit le philosophe de Leipsick, que tous les potentats d'Asie, se sont appelés Horsmidas, qu'Irmen ou Hermen est le nom d'un dieu ou d'un héros celto-scythe, on sera porté à croire que l'Arimane des Perses fut quelque conquérant d'occident, tels que furent dans la suite Gengis-Chan et Tamerlan, qui passa de la Germanie et de la Sarmatie dans l'Asie, à-travers les contrées des Alains et des Massagetes, et qui fondit dans les états d'un Horsmidas, qui gouvernait paisiblement ses peuples fortunés, et qui les défendit constamment contre les entreprises du ravisseur. Avec le temps l'un fut un mauvais génie, l'autre un bon ; deux principes contraires qui sont perpétuellement en guerre, qui se défendent et se battent bien, et dont l'un n'obtient jamais une entière supériorité sur l'autre. Ils se partagent l'empire du monde, et le gouvernement, ainsi que Zoroastre l'établit dans sa chronologie. Ajoutez à cela, qu'en effet au temps de Cyaxare, roi des Medes, les Scythes se répandirent en Asie.

Mais comment un trait historique si simple, devient-il à la longue une fable si compliquée ? C'est qu'on transporta dans la suite, au culte, aux dieux, aux statues, aux symboles religieux, aux cérémonies, tout ce qui appartenait aux sciences, à l'Astronomie, à la Physique, à la Chimie, à la Métaphysique et à l'histoire naturelle. La langue religieuse resta la même ; mais toutes les idées changèrent. Le peuple avait une religion et le prêtre une autre.

Principes du système de Zoroastre. Il ne faut pas confondre ce système renouvellé avec l'ancien ; celui des premiers mages était fort simple ; celui de Zoroastre se compliqua.

1. Il ne se fait rien de rien.

2. Il y a donc un premier principe, infini, éternel, de qui tout ce qui a été et tout ce qui est, est émané.

3. Cette émanation a été très-parfaite et très-pure. Il faut la regarder comme la cause du mouvement, de la chaleur et de la vie.

4. Le feu intellectuel, très-parfait, très-pur, dont le soleil est le symbole, est le principe de cette émanation.

5. Tous les êtres sont sortis de ce feu, et les matériels et les immatériels. Il est absolu, nécessaire, infini ; il se meut lui-même ; il meut et anime tout ce qui est.

6. Mais la matière et l'esprit étant deux natures diamétralement opposées, il est donc émané du feu originel et divin, deux principes subordonnés, ennemis l'un de l'autre, l'esprit et la matière, Orosmade et Arimane.

7. L'esprit plus voisin de sa source, plus pur, engendre l'esprit, comme la lumière, la lumière : telle est l'origine des dieux.

8. Les esprits émanés de l'océan infini de la lumière intellectuelle, depuis Orosmade, jusqu'au dernier, sont et doivent être regardés comme des natures lucides et ignées.

9. En qualité de natures lucides et ignées, ils ont la force de mouvoir, d'entretenir, d'échauffer, de perfectionner ; et ils sont bons. Orosmade est le premier d'entr'eux ; ils viennent d'Orosmade : Orosmade est la cause de toute perfection.

10. Le soleil, symbole de ses propriétés, est son trône, et le lieu principal de sa lumière divine.

11. Plus les esprits émanés d'Orosmade s'éloignent de leur source, moins ils ont de pureté, de lumière, de chaleur et de force motrice.

12. La matière n'a ni lumière, ni chaleur, ni force motrice ; c'est la dernière émanation du feu éternel et premier. Sa distance en est infinie, aussi est-elle ténébreuse, inerte, solide et immobîle par elle-même.

13. Ce n'est pas à ce principe de son émanation, mais à la nature nécessaire de son émanation, à sa distance du principe, qu'il faut attribuer ses défauts. Ce sont ces défauts, suite nécessaire de l'ordre des émanations, qui en font l'origine du mal.

14. Quoiqu' Arimane ne soit pas moins qu'Orosmade, une émanation du feu éternel, ou de Dieu, on ne peut attribuer à Dieu ni le mal, ni les ténèbres de ce principe.

15. Le mouvement est éternel et très-parfait dans le feu intellectuel et divin ; d'où il s'ensuit qu'il y aura une période à la fin de laquelle tout y retournera. Cet océan reprendra tout ce qui en est émané, tout, excepté la matière.

16. La matière ténébreuse, froide, immobile, ne sera point reçue à cette source de lumière et de chaleur très-pure, elle restera, elle se mouvra, sans cesse agitée par l'action du principe lumineux ; le principe lumineux attaquera sans cesser ses ténèbres, qui lui résisteront, et qu'elle affoiblira peu-à-peu, jusqu'à ce qu'à la suite des siècles atténuée, divisée, éclairée autant qu'elle peut l'être, elle approche de la nature spirituelle.

17. Après un long combat, des alternatives infinies, les ténèbres seront chassées de la matière : ses qualités mauvaises seront détruites ; la matière même sera bonne, lucide, analogue à son principe qui la réabsorbera, et d'où elle émanera derechef, pour remplir tout l'espace et se répandre dans l'univers. Ce sera le règne de la félicité parfaite.

Voilà le système oriental, tel qu'il nous est parvenu après avoir passé, au sortir des mains des mages, entre celles de Zoroastre, et de celles-ci, entre les mains des Pythagoriciens, des Stoïciens et des Platoniciens, dont on y reconnait le ton et les idées.

Ces philosophes le portèrent à Cosroès. Auparavant la sainteté en avait été constatée par des miracles à la cour de Sapor, ce n'était alors qu'un manichéisme assez simple.

Le sadder, ouvrage où la doctrine zoroastrique est exposée, emploie d'autres expressions ; mais c'est le même fonds. Il y a un Dieu : il est un, très-saint : rien ne lui est égal : c'est le Dieu de puissance et de gloire. Il a créé dans le commencement un monde d'esprits purs et heureux ; au bout de trois mille ans, sa volonté, lumière resplendissante, sous la forme de l'homme. Soixante et dix anges du premier ordre l'ont accompagnée ; et elle a créé le soleil, la lune, les étoiles et les âmes des hommes. Après trois autres mille ans, Dieu créa au-dessous de la lune un monde inférieur, plein de matière.

Des dieux et des temples. La doctrine de Zoroastre les rejetait aussi. La première chose que Xerxès fit en Grèce, ce fut de détruire les temples et les statues. Il satisfaisait aux préceptes de la religion ; et les Grecs le regardaient sans doute comme un impie. Xerxès en usait ainsi, dit Cicéron, ut parietibus excluderentur dii, quibus esse debèrent omnia patentia et libera : pour briser les prisons des dieux. Les sectateurs du culte des mages ont aujourd'hui la même aversion pour les idoles.

Abregé des prétendus oracles de Zoroastre. Il y a des dieux. Jupiter en est un. Il est très-bon. Il gouverne l'univers. Il est le premier des dieux. Il n'a point été engendré. Il existe de tous les temps. Il est le père des autres dieux. C'est le grand, le vieil ouvrier.

Neptune est l'ainé de ses fils. Neptune n'a point eu de mère. Il gouverne sous Jupiter. Il a créé le ciel.

Neptune a eu des frères ; ces frères n'ont point eu de mère. Neptune est au-dessus d'eux.

Les autres dieux ont été tirés de la matière, et sont nés de Junon. Il y a des démons au-dessous des dieux.

Le soleil est le plus vieux des enfants que Jupiter ait eu de leur mère. Le soleil et Saturne président à la génération des mortels, aux titants et aux dieux du tartare.

Les dieux prennent soin des choses d'ici-bas, ou par eux-mêmes, ou par des ministres subalternes, selon les lois générales de Jupiter. Ils sont la cause du bien : rien de mal ne nous arrive par eux. Par un destin inévitable, indéclinable, dépendant de Jupiter, les dieux subalternes exécutent ce qu'il y a de mieux.

L'univers est éternel. Les premiers dieux nés de Jupiter, et les seconds, n'ont point eu de commencement, n'auront point de fin ; ils ne constituent tous ensemble qu'une sorte de tout.

Le grand ouvrier qui a pu faire le tout, le mieux qu'il était possible, l'a voulu, et il n'a manqué à rien.

Il conserve et conservera éternellement le tout immobîle et sous la même forme.

L'ame de l'homme, alliée aux dieux, est immortelle. Le ciel est son séjour : elle y est et elle y retournera.

Les dieux l'envoyent pour animer un corps, conserver l'harmonie de l'univers, établir le commerce entre le ciel et la terre, et lier les parties de l'univers entr'elles, et l'univers avec les dieux.

La vertu doit être le but unique d'un être lié avec les dieux.

Le principe de la félicité principale de l'homme est dans sa portion immortelle et divine.

Suite des oracles ou fragments. Nous les exposons dans la langue latine, parce qu'il est presqu'impossible de les rendre dans la nôtre.

Unitas dualitatem genus ; Dyas enim apud eam sedet, et intellectuali luce fulgurat, inde trinitas, et haec trinitas in toto mundo lucet et gubernat omnia.

Voilà bien Mythras, Orosmade et Arimane ; mais sous la forme du christianisme. On croirait en lisant ce passage, entendre le commencement de l'évangîle selon de S. Jean.

Deus fons fontium, omnium matrix, continens omnia, undè generatio variè se manifestantis materiae, unde tractus praeter insiliens cavitatibus mundorum, incipit deorsum tendere radios admirandos.

Galimathias, moitié chrétien, moitié platonicien et cabalistique.

Deus intellectualem in se ignem proprium comprehendents, cuncta perficit et mente tradit secundâ ; sicque omnia sunt ab uno igne progenita, patre genita lux.

Ici le Platonicisme se mêle encore plus évidemment avec la doctrine de Zoroastre.

Mens patris striduit ; intelligens indefesso consilio ; omniformes ideae fonte vero ab uno evolantes exsilierunt, et divisae intellectualem ignem sunt nactae.

Proposition toute platonique, mais embarrassée de l'allégorie et du verbiage oriental.

Anima existens, ignis splendents, Ve patris immortalis manet et vitae domina est, et tenet mundi multas plenitudines, mentem enim imitatur ; sed habet congenitum quid corporis.

Il est incroyable en combien de façons l'esprit inquiet se replie. Ici on aperçoit des vestiges de Léibnitianisme.

Opifex qui fabricatus est mundum, erat ignis moles, qui totum mundum ex igne et aqua et terra et aere omnia composuit.

Ces éléments étaient regardés par les Zoroastriens comme les canaux matériels du feu élémentaire.

Oportet te festinare ad lucem et patris radios, unde missa est tibi anima multam induta lucem, mentem enim in anima reposuit et in corpore deposuit.

Ici l'expression est de Zoroastre, mais les idées sont de Platon.

Non deorsum prorsus sis est nigritantem mundum, cui profunditas semper infida substrata est et haedes, circum quaeque nubilis squallidus, idolis gaudents, aments, praeceps, tortuosus, caecum, profundum semper convolvens, semper tegens obscurum corpus iners et spiritu carents, et osor lucis mundus et tortuosa fluenta, sub quâ multi trahuntur.

Galimatias mélancholique, prophétique et sybillain.

Quaere animi canalem, undè aut quo ordine servus factus corporis, in ordinem à quo effluxisti, iterum resurgas.

C'est la descente des âmes dans les corps, selon l'hypothèse platonicienne.

Cogitatio igne tota primum habet ordinem ; mortalis enim ignis proximus factus, à Deo lumen habebit.

Puisqu'on voulait faire passer ces fragments sous le nom de Zoroastre, il fallait bien revenir au principe ignée.

Lunae cursum et astrorum progressum et strepitum dimitte, semper currit opère necessitatis ; astrorum progressus tui gratiâ non est editus.

Ici l'auteur a perdu de vue la doctrine de Zoroastre, qui est toute astrologique ; et il a dit quelque chose de sensé.

Natura suadet esse daemonas puros, et mala materiae germinia, utilia et bona, &c.

Ces démons n'ont rien de commun avec le magianisme ; et ils sont sortis de l'école d'Alexandrie.

Philosophie morale des Perses. Ils recommandent la chasteté, l'honnêteté, le mépris des voluptés corporelles, du faste, de la vengeance des injures ; ils défendent le vol ; il faut craindre ; réfléchir ; consulter la prudence dans ses actions ; fuir le mal, embrasser le bien ; commencer le jour par tourner ses pensées vers l'être suprême ; l'aimer, l'honorer, le servir ; regarder le soleil quand on le prie de jour, la lune quand on s'adresse à lui de nuit ; car la lumière est le symbole de leur existence et de leur présence ; et les mauvais génies aiment les ténèbres.

Il n'y a rien dans ces principes qui ne soit conforme au sentiment de tous les peuples, et qui appartienne plus à la doctrine de Zoroastre, que d'aucun autre philosophe.

L'amour de la vérité est la fin de tous les systèmes philosophiques ; et la pratique de la vertu, la fin de toutes les législations : et qu'importe par quels principes on y soit conduit !

PERSES, s. f. (Commerce) ce sont les toiles tant brodées que peintes, qui nous viennent de la Perse, et qui sont ordinairement de lin ; au lieu que celles des Indes sont de coton : elles sont estimées, parce que les desseins en sont beaux, et les toiles très-fines et bien lustrées. Elles s'impriment de même que les autres avec des planches de bois.

PER SE, (Chimie) est aussi un terme de Chimie. Quand un corps est distillé simplement et sans l'addition qu'on fait d'ordinaire d'une autre matière pour l'élever ; on dit qu'il est distillé per se, c'est-à-dire, sans addition. Voyez DISTILLATION.

L'esprit volatil de corne de cerf s'élève de lui-même à la distillation ; en quoi il diffère de celui qu'on distille par l'addition de la chaux.

Le mercure qui a été calciné par une douce mais longue chaleur, dans l'œuf philosophique, s'appelle du mercure précipité per se. Voyez MERCURE et voyez OEUF PHILOSOPHIQUE.