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Catégorie parente: Histoire
Catégorie : Histoire orientale
S. m. (Histoire orientale) sorte de religieux mahométants que nous allons faire connaître d'après M. de Tournefort, un de ces rares voyageurs aux rapports duquel on peut donner croyance.

Ce sont, dit-il, de maîtres moines qui vivent en communauté dans des monastères sous la conduite d'un supérieur, lequel s'applique particulièrement à la prédication. Ces dervis font vœu de pauvreté, de chasteté, et d'obéissance ; mais ils se dispensent aisément des deux premiers, et même ils sortent de leur ordre sans scandale pour se marier quand l'envie leur en prend. Les Turcs tiennent pour maxime que la tête de l'homme est trop légère pour être longtemps dans la même disposition ; et c'est une maxime incontestable. Le général de l'ordre des dervis réside à Cogna, qui est l'ancienne ville d'Iconium, capitale de la Lycaonie dans l'Asie mineure. Ottoman premier empereur des Turcs érigea le supérieur du couvent de cette ville en chef-d'ordre, et accorda de grands privilèges à cette maison. On assure qu'elle entretient plus de cinq cent religieux, et que leur fondateur fut un sultan de la même ville appelé Meleleva, d'où vient qu'on les appelle les melelevis : ils ont le tombeau de ce sultan dans leur couvent. Quelques-uns ajoutent au récit de M. de Tournefort, que lorsque le chapitre général se tient dans ce couvent, il s'y rencontre quelquefois plus de huit mille melelevis.

Les dervis qui portent des chemises, les ont par pénitence de la plus grosse toîle qui se puisse trouver ; ceux qui n'en portent point mettent sur la chair une veste de bure de couleur brune que l'on travaille à Cogna, et qui descend un peu plus bas que le gras de jambe ; ils la boutonnent quand ils veulent : mais ils ont la plupart du temps la poitrine découverte jusqu'à leur ceinture, qui est ordinairement de cuir noir. Les manches de cette veste sont larges comme celles des chemises de femme en France, et ils portent par-dessus une espèce de casaque ou de mantelet, dont les manches ne descendent que jusqu'au coude. Ces moines ont les jambes nues, et se servent souvent de pantoufles à l'ordinaire : leur tête est couverte d'un bonnet de poil de chameau d'un blanc sale, sans aucun bord, fait en pain de sucre, arrondi néanmoins en manière de dome. Quelques-uns y roulent un linge ou une sesse pour en faire un turban.

Ces religieux, en présence de leur supérieur et des étrangers, sont d'une modestie affectée, tenant les yeux baissés, et gardant un profond silence. Ils passent néanmoins pour grands buveurs d'eau-de-vie, et même de vin. L'usage de l'opium leur est encore plus familier qu'aux autres Turcs. Cette drogue qui est un poison pour ceux qui n'y sont pas accoutumés, et dont une petite dose cause alors la mort, met d'abord les dervis, qui en mangent des onces à la fais, dans une gaieté pareille à celle des hommes qui sont entre deux vins : une douce fureur, que l'on pourrait appeler enthousiasme, ivresse, succede à cette gaieté ; ils tombent ensuite dans l'assoupissement, et passent une journée entière sans remuer ni bras ni jambes. Cette espèce de léthargie les occupe tout le jeudi, qui est un jour de jeune pour eux, pendant lequel ils ne sauraient manger, suivant leur règle, quoique ce sait, qu'après le coucher du soleil. Leur barbe est propre, bien peignée ; ils ne sont plus assez sots pour se découper et taillader le corps comme ils faisaient autrefois ; à peine aujourd'hui effleurent-ils leur peau : ils ne laissent pas cependant de se bruler quelquefois du côté du cœur avec de petites bougies, pour donner des marques de tendresse aux objets de leur amour. Ils s'attirent l'admiration du peuple en maniant le feu sans se bruler, et le tenant dans la bouche pendant quelque temps comme nos charlatants. Ils font mille tours de souplesse, et jouent à merveille des gobelets. Ils prétendent charmer des viperes par une vertu spécifique attachée à leur robe.

De tous les religieux turcs ce sont les seuls qui voyagent dans les pays orientaux : ils vont dans le Mogol et au-de-là, et profitant des grosses aumônes qu'on leur donne, ils ne laissent pas d'aller manger chez tous les religieux qui sont sur leur route. Ils s'appliquent à la Musique ; et quoiqu'il soit défendu par l'alcoran de louer Dieu avec des instruments, ils se sont pourtant mis sur le pied de le faire malgré les édits du sultan et la persécution des dévots.

Les principaux exercices des dervis sont de danser les mardi et vendredi. Cette espèce de comédie est précédée par une prédication qui se fait par le supérieur du couvent ou par son subdélégué. Les femmes qui sont bannies de tous les endroits publics où il y a des hommes, ont la permission de se trouver à ces prédications, et elles n'y manquent pas. Pendant ce temps-là les religieux sont enfermés dans une balustrade, assis sur leurs talons, les bras croisés et la tête baissée. Après le sermon, les chantres placés dans une galerie qui tient lieu d'orchestre, accordant leurs voix avec les flutes et les tambours de basque, chantent un hymne fort long : le supérieur en étole et en veste à manches pendantes, frappe des mains à la seconde strophe : à ce signal les moines se lèvent ; et après l'avoir salué d'une profonde révérence, ils commencent à tourner l'un après l'autre en pirouettant avec tant de promptitude, que la jupe qu'ils ont sur leur veste s'élargit et s'arrondit en pavillon d'une manière surprenante : tous ces danseurs forment un grand cercle tout à fait réjouissant ; mais ils cessent tout-d'un-coup au premier signal du supérieur, et ils se remettent dans leur première posture aussi frais que s'ils n'avaient pas remué. On revient à la danse au même signal par quatre ou cinq reprises, dont les dernières sont bien plus longues à cause que les moines sont en haleine ; et par une longue habitude ils finissent cet exercice sans être étourdis.

Quelque vénération qu'aient les Turcs pour ces religieux, ils ne leur permettent pas d'avoir de couvens, parce qu'ils n'estiment pas les personnes qui ne font point d'enfants. Sultan Amurat voulait exterminer les dervis, comme gens inutiles à la république, et pour qui le peuple avait trop de considération : néanmoins il se contenta de les reléguer dans leur couvent de Cogna. Ils ont encore obtenu depuis ce sultan une maison à Péra, et une autre sur le bosphore de Thrace.

Suivant Thevenot, il y a un fameux monastère de ces dervis en Egypte, où ils invoquent pour leur saint un certain Chederle, qui donne, disent-ils, la vertu de chasser les serpens à ceux qui mettent en lui leur confiance. Je supprime d'autres détails rapportés par le même Thevenot concernant cet ordre de religieux, et je ne me suis peut-être que trop étendu sur leur compte, mais c'est un spectacle bien singulier à l'esprit humain, que celui des dervis et des peuples qui les nourrissent. Art. de M(D.J.)




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