(Géographie ancienne et Médailles) ville célèbre de l'Ionie, à 150 stades au midi du fleuve Hermus, au fond d'un grand golfe, avec un port spacieux qui subsiste encore le même. Elle fut fondée 1114 ans avant J. C. 168 ans après la prise de Troie. Strabon l'a décrite avec soin, telle qu'elle était de son temps : voici comme il en parle.

Lorsque les Lydiens eurent détruit Smyrne, la campagne d'alentour n'était peuplée que de villages pendant quatre cent ans ou environ. Antigonus la rebâtit, et Lysimachus après lui ; c'est aujourd'hui une des plus belles villes d'Asie. Une partie est bâtie sur la montagne ; mais la plus grande partie est dans une plaine, sur le port, vis-à-vis du temple de la mère des dieux et du gymnase ou de l'école. Les rues sont les plus belles du monde, coupées en angles droits, et pavées de pierre. Il y a de grands portiques carrés au plus haut et au plus bas de la ville, avec une bibliothèque et un homérion qui est un portique carré avec un temple où est la statue d'Homère : car ceux de Smyrne sont fort jaloux de ce qu'Homère a pris naissance parmi eux, et ils ont un médaillon de cuivre qu'ils appellent homérion de son nom. La rivière de Melès coule le long des murailles. Entre les autres commodités de la ville, il y a un port qui se ferme quand on veut.

On voit par ce passage de Strabon, que les Lydiens avaient détruit une ville encore plus ancienne que celle qu'il décrit ; et c'est de celle dont parle Hérodote, lorsqu'il assure que Gigès roi de Lydie déclara la guerre aux Smyrnéens, et qu'Halyates son petit-fils s'en empara. Elle fut ensuite maltraitée par les Ioniens, surprise par ceux de Colophon, enfin rendue à ses propres citoyens, mais démembrée de l'Eolide sous l'empire des Romains.

La Smyrne de Strabon était vraisemblablement sur une montagne au sud de la nouvelle et au couchant de la haute forteresse ; car on y voit plusieurs monceaux de pierres, outre un grand bâtiment démoli. Ce bâtiment peut avoir été le temple de Cybele, la grand'mère des dieux. Pour ce qui est de l'homérion, on pourrait croire qu'on l'a appelé le temple de Janus, peut-être à cause de quelque ressemblance avec celui de Rome, car il n'est pas fort éloigné de la rivière que l'on suppose avoir été celle de Melès. C'est un petit portique ou bâtiment carré de pierre, d'environ trois brasses de long et de large, avec deux portes opposées l'une à l'autre, l'une au nord et l'autre au sud, avec une grande niche en-dedans contre la muraille orientale, où pouvait être l'effigie d'Homère, quoiqu'il y en ait qui assurent que c'était un temple de Janus.

On ne peut guère conjecturer où était le gymnasium, non-plus que les beaux portiques qui ornaient cette place. Le port qu'on ouvrait et que l'on fermait quand on voulait, pouvait être cette petite place carrée sous la citadelle, qui sert à-présent de havre aux galeres et aux autres petits vaisseaux. Mais le théâtre et le cirque ne sont pas des moindres restes des antiquités de cette ville, quoique Strabon n'en parle point, apparemment parce qu'ils n'existaient pas encore de son temps.

Le théâtre était sur le penchant d'une montagne, au nord de la citadelle, et bâti de marbre blanc. On l'a détruit dans le siècle passé pour faire un kan nouveau, et un bazar qui est vouté de pierres de taille, et long de quatre cent pas. On a trouvé dans les fondements un pot de médailles qui sont toutes de l'empereur Galien, de sa famille, et des tyrants qui régnaient en même temps que lui ; ce qui ferait conjecturer que cet empereur avait fait bâtir ce superbe édifice, ou que du-moins il avait été bâti de son temps. Il y en a pourtant qui assurent qu'il fut bâti du temps de l'empereur Claude. Ils se fondent sur ce qu'on a trouvé dans la scène de ce théâtre une base de statue qui n'avait que le mot de Claudius. Ce n'est pas-là néanmoins une preuve suffisante, parce qu'il est assez ordinaire de trouver dans les fondements des anciens bâtiments les médailles des fondateurs ou des empereurs contemporains.

Le cirque était creusé profondément dans la montagne qui est au couchant de la citadelle. Il est si bien détruit, qu'il n'en reste, pour ainsi dire, que le moule : on en a emporté tous les marbres, mais le creux a retenu son ancienne figure. C'est une espèce de vallée de 465 pieds de long, sur 120 de largeur, dont le haut est terminé en demi-cercle et le bas est ouvert en carré. Cet endroit présentement est fort agréable par sa pelouse, car les eaux n'y croupissent point. Il ne faut pas juger de la véritable grandeur du cirque ou du stade, par les mesures que nous avons rapportées ; on sait que ces sortes de lieux n'avaient ordinairement que 125 pas de long, et qu'on les appelait diaules, quand ils avaient le double d'étendue comme celui-ci. On découvre de cette colline toute la campagne de Smyrne qui est parfaitement belle, et dont les vins étaient estimés du temps de Strabon et d'Athénée.

On voit dans ce même endroit quantité d'anciens fondements, mais on ne sait point ce que c'était. Les inscriptions qu'on y trouve, et qui concernent toutes la ville de Smyrne, sont en assez grand nombre ; quoique la plupart ne soient que des fragments où on lit le nom des empereurs Tibere, Claude et Neron. Strabon donne à plusieurs princes le titre de restaurateurs de Smyrne ; et le fragment d'une de ces inscriptions attribue la même gloire à l'empereur Adrien en ces termes : ; c'est - à - dire : " A l'empereur Adrien, olympien, sauveur, et fondateur. "

Spon a transcrit une grande inscription tirée du même lieu ; c'est une lettre des empereurs Sevère, Antonin et Caracalla à ceux de Smyrne ; en voici la traduction : " Les très-divins empereurs Sevère et Antonin, à ceux de Smyrne. Si Claudius Rufinus votre citoyen, lequel à cause de son application aux études et à l'art d'orateur, est dispensé des charges publiques selon les divines constitutions établies par nos ancêtres, est néanmoins obligé par une nécessité indispensable, et à votre réquisition, d'accepter l'emploi de gouverneur, faites en sorte qu'il ne soit pas troublé par d'autres occupations, comme il est juste ; car ce serait une chose indigne de lui que l'affection qu'il vous porte, lui devint onéreuse ; puisque c'est vous-mêmes qui avez demandé cette grâce pour lui. Bien vous sait. Les députés ont été Aurélius, Antonius et Aelius Spératus. "

On a donné dans les mémoires de Littérature, tome IV. pag. 65. une inscription grecque envoyée de Smyrne, avec des remarques par M. Kuster. Cette inscription traduite en français, porte :

Hermogène fils de Charimède, qui a écrit de la Médecine, est mort âgé de soixante et dix-sept ans, et ayant laissé autant de traités.

De Médecine, soixante-douze.

De livres historiques, savoir, de la ville de Smyrne, deux.

De la sagesse d'Homère un, de sa patrie un.

De l'origine des villes d'Asie deux, de ces villes de l'Europe quatre, de celles des îles un.

De la mesure de l'Asie par stades un, et de celles de l'Europe un.

Des stragèmes deux.

Un catalogue des Ioniens, et la succession des magistrats de Smyrne selon l'ordre des temps.

Si tous ces ouvrages ne s'étaient pas perdus, nous aurions plus de connaissance que nous n'avons de la ville de Smyrne, car cet Hermogène médecin en était sans-doute natif.

Nous observerons en passant, que cette inscription en son honneur écrit par un Z, et , au lieu de . Il ne faut pas s'imaginer que ce soit une faute du graveur ; au contraire le nom de Smyrne s'écrivait anciennement aussi bien par un Z que par un , quoique plus souvent par un : Lucien nous apprend cela dans son traité qui a pour titre jugement des voyelles. Dans ce traité, la lettre par une prosopopée, dit que souffrant assez patiemment le tort que les autres lettres lui faisaient, elle ne s'était jamais plaint de la lettre Z qui lui avait ôté les mots de Smaragde et de Smyrne. Outre cela, il y a des médailles anciennes où au lieu de , il se trouve par un Z ; M. de Boze en avait deux dans son cabinet. On trouve Zmyrnaeorum au lieu de Smyrnaeorum, dans une ancienne inscription latine citée par Gruter.

Les marbres d'Oxford nous offrent aussi des inscriptions curieuses de Smyrne ; mais les médailles frappées dans cette ville, la font mieux connaître. Plusieurs de ces médailles nous apprennent qu'elle avait un Prytanée, car elles font mention de ses Prytanes.

La place du château de Smyrne moderne était occupée dans le temps de la belle Grèce par une citadelle sous la protection de Jupiter éthérée, ou qui présidait aux lieux élevés. Pausanias assure que le sommet de la montagne de Smyrne appelé Coryphe, avait donné le nom de coryphéen à Jupiter qui y avait un temple. Il y a un beau médaillon où ce dieu éthérée est représenté assis, aussi-bien que sur une médaille de Vespasien, où le même dieu assis tient de la main droite une victoire, et une haste de la main gauche.

M. de Boze a publié dans les mémoires de Littérature tom. XVII. in -4°. des réflexions savantes sur une médaille antique frappée par les habitants de la ville de Smyrne en l'honneur de Sabinia Tranquillina, femme de Gordien Pie. On voit d'un côté sur cette médaille le buste d'une princesse, représentée sous la figure et avec les attributs de Cérès, tenant d'une main des épis, et de l'autre une corne d'abondance : on lit autour de ce portrait, .

Au revers est une femme debout, le pied droit appuyé contre une proue de vaisseau, la tête couronnée de tours, et les cheveux noués et soutenus par derrière avec une espèce de ruban : son habillement relevé et plissé à la manière de nos anciennes cottes d'armes, finit de même au-dessus du genou : elle tient de la main droite une patère, et de la gauche cette sorte de bouclier contourné, qui était particulier aux amazones et qu'on nommait pelto. On remarque au-dessous un bout de draperie ou une espèce de petite serviette, qui aidait sans-doute à tenir le bouclier plus ferme, et qui pouvait encore servir à d'autres usages.

A ces différents symboles, il est aisé de reconnaître l'amazone à qui les habitants de Smyrne rapportaient le nom, l'origine et la fondation de leur ville. La couronne de tours aurait peut-être suffi pour l'indiquer ; mais ils ont été bien aises d'exprimer encore par la patère que les cérémonies religieuses, les sacrifices surtout qu'on avait coutume de faire en ces sortes d'occasions, n'avaient pas été oubliés ; et quant à la proue de vaisseau qui est l'attribut ordinaire des villes maritimes, on sait que Smyrne a toujours passé pour un des meilleurs ports de l'Archipel.

Autour de ce type ingénieux règne une inscription dont la plupart des mots sont abrégés ; elle doit être lue ainsi, ; et les deux légendes réunies disent que la médaille ou monnaie dont il s'agit a été frappée par les Smyrnéens qui sont les premiers de l'Asie, sous la préture de Marcus Aurélius Tertius, Asiarque.

Quand les villes de la Grèce et de l'Asie mineure passèrent sous la domination des Romains, elles furent, ce semble, encore plus jalouses qu'auparavant des titres d'honneur dont elles jouissaient, et plus attentives à se maintenir dans les droits qu'elles croyaient avoir insensiblement acquis les unes sur les autres. Les historiens ont négligé ce détail, mais les monuments antiques nous en ont conservé des preuves sensibles : telle est entr'autres celle qui se tire du titre de première ville de l'Asie que Smyrne se donne sur la médaille dont on vient de parler : il y en a plusieurs autres qui la confirment. Les Smyrnéens, dit Tacite, se vantaient d'être les premiers de tous les peuples d'Asie, qui avaient dressé dans leur ville un temple à Rome dans le même temps qu'il y avait de puissants rois en Asie, qui ne connaissaient pas encore la valeur des Romains.

Trais villes célèbres, Pergame, Ephese et Smyrne, se disputèrent vivement cette primatie de l'Asie sous l'empire des deux premiers Antonins. Jusque-là elles avaient vécu dans une parfaite intelligence : il y avait même entr'elles une association particulière, qui mettait en commun pour les habitants de chacune le droit de bourgeoisie, l'usage des temples, le culte des divinités, les sacrifices, les fêtes et les jeux ; et cette association marquée sur la plupart de leurs médailles y est exprimée en ces termes : . Une malheureuse idée de préséance les divisa bientôt. Pergame abandonna la première ses prétentions pour le bien de la paix, mais rien ne put détacher Smyrne du titre de première de l'Asie, car immédiatement après la mort de Marc-Aurele elle fit frapper, en l'honneur de Commode, une médaille où on lit, comme sur les précédentes : .

L'ambition ou la diligence des Smyrnéens ne porta pas grand préjudice aux habitants d'Ephese, qui, selon toutes les apparences favorisés par Septime Sevère, frappèrent deux médailles en son honneur, l'une avec la légende ordinaire, ; l'autre avec cette inscription détournée, , " le premier Jupiter des Ephésiens est le premier de l'Asie ".

Smyrne voulant enrichir sur les expressions d'Ephese, fit frapper en l'honneur de Caracalla un médaillon, où elle ajouta au mot ceux de , pour marquer qu'elle était la première et la plus considérable ville de l'Asie par sa grandeur et par sa beauté : cependant ces termes affectés, loin de lui donner un nouvel avantage, furent regardés comme une restriction favorable aux Ephésiens, qui ne trouvèrent rien de plus précis pour assurer leur victoire que l'inscription qu'ils mirent au revers d'une médaille de Macrin, , " des Ephésiens qui sont les seuls premiers de l'Asie ".

En même temps que Smyrne disputait de rang avec Ephese, ses médailles nous apprennent qu'elle était liée de confédération avec plusieurs autres villes, comme avec Thyatire, Apollinaris et Hiérapolis. L'association avec cette dernière ville semble même avoir été solennisée par quelques jeux, car on a des médailles où cette confédération, , est représentée par deux urnes remplies de branches de palmier.

Il y a des médailles de Smyrne qui nous apprennent d'autres particularités. Telles sont les médailles qu'elle a frappées des empereurs Tite et Domitien, avec une figure chargée sur le revers qui porte un rameau dans sa main droite, une corne d'abondance dans la gauche ; l'eau qui en tombe représente la rivière d'Hermus. On y lit les mots suivants : , c'est-à-dire " Hermus des habitants de Smyrne dans l'Ionie " : on en peut recueillir que ceux de Smyrne tiraient tribut de la rivière d'Hermus, et qu'elle était annexée à l'Ionie.

Mais pour dire quelque chose de plus à la gloire de Smyrne, elle fut faite néocore sous Tibere avec beaucoup de distinction ; et les plus fameuses villes d'Asie ayant demandé la permission à cet empereur de lui dédier un temple, Smyrne fut préférée. Elle devint néocore des Césars, au lieu qu'Ephese ne l'était encore que de Diane ; et dans ce temps-là les empereurs étaient bien plus craints ; et par conséquent plus honorés que les déesses. Smyrne fut déclarée néocore pour la seconde fois sous Adrien, comme le marquent les marbres d'Oxford ; enfin elle eut encore le même honneur lorsqu'elle prit le titre de première ville d'Asie sous Caracalla, titre qu'elle conserva sous Julia Moesa, sous Alexandre Sévère, sous Julia Memmoea, sous Gordien Pie, sous Otacilla, sous Galien et sous Salonine.

Spon cite une médaille de cette ville qui présente le frontispice d'un temple, une divinité debout entre des colonnes, et cette légende autour, . c'est-à-dire, le sénat de Smyrne trois fois néocore. Il semble que cette médaille suppose une divinité protectrice du sénat, lequel ils appelaient saint, comme il parait par le titre d'une inscription de cette ville qui dit : " A la bonne fortune, à l'illustre métropolitaine néocore pour la troisième fois de l'empereur, conformément au jugement du saint sénat de Smyrne ".

Au défaut des médailles, l'histoire nous instruit des diverses révolutions de cette ville. Dès que les Romains en furent les maîtres, ils la regardèrent comme étant la plus belle porte d'Asie, et en traitèrent toujours les citoyens fort humainement ; ceux-ci, pour n'être pas exposés aux armes des Romains, les ont beaucoup ménagés et leur ont été fidèles. Ils se mirent sous leur protection pendant la guerre d'Antiochus ; il n'y a que Crassus proconsul romain qui fut malheureux auprès de cette ville. Non-seulement il fut battu par Aristonicus, mais pris et mis à mort : sa tête fut présentée à son ennemi, et son corps enséveli à Smyrne. Porpenna vengea bientôt les Romains, et fit captif Aristonicus. Dans les guerres de César et de Pompée, Smyrne se déclara pour ce dernier, et lui fournit des vaisseaux. Après la mort de César, Smyrne, qui panchait du côté des conjurés, refusa l'entrée à Dolabella, et reçut le consul Trebonius l'un des principaux auteurs de la mort du dictateur : mais Dolabella l'amusa si à-propos, qu'étant entré la nuit dans la ville, il s'en saisit, et le fit martyriser pendant deux jours. Dolabella cependant ne put pas conserver la place, Cassius et Brutus s'y assemblèrent pour y prendre leurs mesures.

On oublia tout le passé quand Auguste fut paisible possesseur de l'empire. Tibere honora Smyrne de sa bienveillance, et régla les droits d'asîle de la ville. M. Aurele la fit rebâtir après un grand tremblement de terre les empereurs grecs qui l'ont possédée après les Romains la perdirent sous Alexis Comnène ; les Musulmants en chassèrent les Latins et les chevaliers de Rhodes à diverses reprises. Enfin Mahomet I. en fit démolir les murailles. Depuis ce temps-là, les Turcs sont restés paisibles possesseurs de Smyrne, où ils ont bâti pour sa défense une espèce de château à gauche, en entrant dans le port des galeres, qui est l'ancien port de la ville. Des sept églises de l'apocalypse, c'est la seule qui subsiste avec honneur ; Sardes si renommée par les guerres des Perses et des Grecs ; Pergame, capitale d'un beau royaume ; Ephese qui se glorifiait avec raison d'être la métropole de l'Asie mineure ; ces trois célèbres villes ne sont plus, ou sont de petites bourgades bâties de boue et de vieux marbre ; Thyatire, Philadelphe, Laodicée ne sont connues que par quelques restes d'inscriptions où leur nom se trouve ; mais la bonté du port de Smyrne, si nécessaire pour le commerce, l'a conservée riche et brillante, et l'a fait rebâtir plusieurs fois après avoir été renversée par des tremblements de terre. Voyez donc SMYRNE, (Géographie moderne)

C'est à cette ville que fut injustement exilé et que mourut Publius Rutilius Rufus, après avoir été consul l'an 648. Cicéron, Tite-Live, Velleïus Paterculus, Salluste, Tacite et Séneque ont fait l'éloge de son courage et de son intégrité. On rapporte qu'un de ses amis voyant qu'il s'opposait à une chose injuste qu'il venait de proposer dans le sénat, lui dit : " Qu'ai-je affaire de votre amitié, si vous contrecarrez mes projets ? Et moi, lui répondit Rutilius, qu'ai-je affaire de la vôtre, si elle a pour but de me soustraire à l'équité " ?

Bion, charmant poète bucolique, surnommé le smyrnéen, , du lieu de sa naissance, a vécu en même temps que Ptolémée Philadelphe, dont le règne s'est étendu depuis la quatrième année de la cxxiij. olympiade jusqu'à la seconde année de la cxxxiij. Il passa une partie de sa vie en Sicile, et mourut empoisonné, au rapport de Moschus son disciple et son admirateur. Leurs ouvrages ont été imprimés ensemble plusieurs fais, et entr'autres à Cambridge en 1652 et 1661, in -8°. mais la plus agréable édition est celle de Paris en 1686, accompagnée de la vie de Bion, d'une traduction en vers français, et d'excellentes remarques par M. de Longepierre ; cette édition est devenue rare, et mériterait fort d'être réimprimée.

Les auteurs qui donnent Smyrne pour la patrie de Mimnerme, autre aimable poète-musicien, ont assurément bien raison. Mimnerme chante le combat des Smyrnéens contre Gigès roi de Lydie, ce sont les hauts faits de ses compatriotes qu'il célèbre avec affection. Il était antérieur à Hipponax, et vivait du temps de Solon. Il fut l'inventeur du vers pentamètre, s'il en faut croire le poète Hermésianax, cité par Athénée. Il se distingua surtout par la beauté de ses élégies, dont il ne nous reste que quelques fragments. Il pensait et écrivait avec beaucoup de naturel, d'amenité et de tendresse. Son style était abondant, aisé et fleuri. J'ai remarqué à sa gloire en parlant de l'élégie, qu'Horace le met au-dessus de Callimaque ; il avait plus de grâce, plus d'abondance et plus de poésie.

Il fit un poème en vers élégiaques, cité par Strabon, sous le titre de Nanno sa maîtresse ; et ce poème devait être un des plus agréables de l'antiquité, s'il est vrai qu'en matière d'amour ses vers surpassaient la poésie d'Homère ; c'est du-moins le jugement qu'en portait Properce, car il dit, l. I. eleg. ix. Plus in amore valet Mimnermi versus Homero. Horace n'en parle pas autrement ; il cite Mimnerme, et non pas Homère, pour l'art de peindre la séduisante passion de l'amour : si, comme Mimnerme l'a chanté, dit-il, l'amour et les jeux font tout l'agrément de la vie, passons nos jours dans l'amour et dans les jeux.

Si, Mimnermus uti censet, sine amore jocisque

Nil est jucundum, vivas in amore jocisque.

Epist. VI. l. I. vers. 65.

Nous connaissons les vers de Mimnerme qu'Horace avait en vue ; Stobée, tit. 63. p. 243. nous les a conservés dans ses extraits. Il faut en donner ici la belle version latine de Grotius, et la traduction libre de cette jolie pièce en vers français par un de nos poètes.

Vita quid est, quid dulce, nisi juvet aurea Cypris ?

Tunc peream, Veneris cum mihi cura perit.

Flos celer aetatis sexu donatus utrique,

Lectus, amatorum munera, tectus amor.

Omnia diffugiunt mox cum venit atra senectus,

Quae facit et pulchros turpibus esse pares.

Torpida sollicitae lacerant praecordia curae :

Lumina nec solis, nec juvat alma dies,

Invisum pueris, inhonoratumque puellis.

Tam dedit, heu, senio tristia fata Deus.

Que serait sans l'amour le plaisir et la vie ?

Puisse-t-elle m'être ravie,

Quand je perdrai le goût du mystère amoureux,

Des faveurs, des lieux faits pour les amants heureux.

Cueillons la fleur de l'âge, elle est bientôt passée :

Le sexe n'y fait rien ; la vieillesse glacée

Vient avec la laideur confondre la beauté.

L'homme alors est en proie aux soins, à la tristesse ;

Haï des jeunes gens, des belles maltraité,

Du soleil à regret il souffre la clarté,

Voilà le sort de la vieillesse.

Le plus grand de tous les poètes du monde est né, du-moins à ce que je crois, sur les bords du Mélès, qui baignait les murs de Smyrne ; et comme on ne connaissait pas son père, il porta le nom de ce ruisseau, et fut appelé Mélésigène. Une belle avanturière, nommée Crithéide, chassée de la ville de Cumes, par la honte de se voir enceinte, se trouvant sans logement, y vint faire ses couches. Son enfant perdit la vue dans la suite, et fut nommé Homère, c'est-à-dire l'aveugle.

Jamais fille d'esprit, et surtout fille d'esprit qui devient sage, après avoir eu des faiblesses, n'a manqué de mari : Crithéide l'éprouva ; car, selon l'auteur de la vie d'Homère, attribuée à Hérodote, Phémius, qui enseigna la grammaire et la musique à Smyrne, n'épousa Chrithéide qu'après le malheur de cette fille, et la naissance d'Homère. Il conçut d'elle si bonne opinion, la voyant dans son voisinage uniquement occupée du soin de gagner sa vie à filer des laines, qu'il la prit chez lui, pour l'employer à filer celles dont ses écoliers avaient coutume de payer ses leçons. Charmé des bonnes mœurs, de l'intelligence, et peut-être de la figure de cette fille, il en fit sa femme, adopta son enfant, et donna tous ses soins à son éducation. Aussi Phémius est fort célèbre dans l'Odyssée ; il y est parlé de lui en trois endroits, l. I. Ve 154. l. XVII. Ve 263. l. XXII. Ve 331. et il y passe pour un chantre inspiré des dieux. C'est lui qui par le chant de ses poésies mises en musique, et accompagnées des sons de sa lyre, égaye ces festins, où les poursuivants de Pénélope emploient les journées entières.

Non-seulement les Smyrnéens, glorieux de la naissance d'Homère, montraient à tout le monde la grotte où leur compatriote composait ses poèmes ; mais après sa mort ils lui firent dresser une statue et un temple ; et pour comble d'honneur, ils frappèrent des médailles en son nom. Amastris et Nicée, alliés de Smyrne, en firent de même, l'une à la tête de Marc-Aurele, et l'autre à celle de Commode.

Pausanias appelle le Mélès un beau fleuve ; il est devenu bien chétif depuis le temps de cet illustre écrivain ; c'est aujourd'hui un petit ruisseau, qui peut à peine faire moudre deux moulins ; mais il n'en est pas moins le plus noble ruisseau du monde dans la république des lettres. Aussi n'a-t-il pas été oublié sur les médailles, d'autant mieux que c'était à sa source qu'Homère ébauchait dans une caverne les poésies qui devaient un jour l'immortaliser. Le Mélès est représenté sur une médaille de Sabine, sous la figure d'un vieillard appuyé de la main gauche sur une urne, tenant de la droite une corne d'abondance. Il est aussi représenté sur une médaille de Néron, avec la simple légende de la ville, de même que sur celles de Titus et de Domitien.

A un mille ou environ, au-delà du Mélès, sur le chemin de Magnésie à gauche, au milieu d'un champ, on montre encore les ruines d'un bâtiment que l'on appelle le temple de Janus, et que M. Spon soupçonnait être celui d'Homère ; mais depuis le départ de ce voyageur, on l'a détruit, et tout ce quartier est rempli de beaux marbres antiques. A quelques pas de là, coule une source admirable, qui fait moudre continuellement sept meules dans le même moulin. Quel dommage, dit Tournefort, que la mère d'Homère ne vint pas accoucher auprès d'une si belle fontaine ? On y voit les débris d'un grand édifice de marbre, nommé les bains de Diane : ces débris sont encore magnifiques, mais il n'y a point d'inscription.

Autrefois les poètes de la Grèce avaient l'honneur de vivre familièrement avec les rais. Euripide fut recherché par Archélaus ; et même avant Euripide, Anacréon avait vécu avec Polycrate, tyran de Samos ; Eschyle et Simonide avaient été bien reçus de Hiéron, tyran de Syracuse. Philoxene eut en son temps l'accueil du jeune Denys ; et Antagoras de Rhodes, aussi-bien qu'Aratus de Soli, se sont vus honorés de la familiarité d'Antigonus roi de Macédoine ; mais avant eux, Homère ne rechercha les bonnes grâces d'aucun prince ; il soutint sa pauvreté avec courage, voyagea beaucoup pour s'instruire, préférant une grande réputation et une gloire solide, qui s'est accrue de siècle en siècle, à tous les frivoles avantages que l'on peut tirer de l'amitié des grands.

Jamais poésies n'ont passé par tant de mains que celles d'Homère. Josephe, l. I. (contre Appian), assure que la tradition les a conservées dès les premiers temps qu'elles parurent, et qu'on les apprenait par cœur sans les écrire. Lycurgue les ayant trouvées en Ionie, chez les descendants de Cléophyle, les apporta dans le Péloponnèse. On en récitait dans toute la Grèce des morceaux, comme l'on chante aujourd'hui des hymnes, ou des pièces détachées des plus beaux opéra. Platon, Pausanias, Plutarque, Diogène Laèrce, Cicéron et Strabon, nous apprennent que Solon, Pisistrate, et Hipparque son fils, formèrent les premiers l'arrangement de toutes ces pièces, et en firent deux corps bien suivis, l'un sous le nom de l'Iliade, et l'autre sous celui de l'Odyssée ; cependant la multiplicité des copies corrompit avec le temps la beauté de ces deux poèmes ; soit par des leçons vicieuses, soit par un grand nombre de vers, les uns obmis, les autres ajoutés.

Alexandre, admirateur des poèmes d'Homère, chargea Aristote, Anaxarque, et Callisthene, du soin de les examiner, et selon Strabon, ce conquérant même se fit un plaisir d'y travailler avec eux. Cette édition si fameuse des ouvrages d'Homère, s'appela l'édition de la Cassette, , parce qu'Alexandre, dit Pline, l. VII. c. ix. la serrait dans une cassette qu'il tenait sous son oreiller avec son poignard. Il fit mettre ensuite ces deux ouvrages dans un petit coffre à parfums, garni d'or, de perles et de pierreries, qui se trouva parmi les bijoux de Darius. Malgré la réputation de cette belle édition, il parait qu'elle a péri comme plusieurs autres. Strabon et Eustache sont mes garants ; ils assurent que dans l'édition dont il s'agit, on avait placé deux vers entre le 855 et le 856 du II. liv. de l'Iliade : or ces deux vers ne se lisent aujourd'hui dans aucun de nos imprimés.

Enfin, les fautes se multiplièrent naturellement dans le grand nombre des autres copies de ces deux poèmes, en sorte que Zénodote d'Ephese, précepteur de Ptolémée, Aratus, Aristophane de Bysance, Aristarque de Samothrace, et plusieurs autres beaux esprits, travaillèrent à les corriger, et à rendre à Homère ses premières beautés.

Il ne faut pas nous étonner des soins que prirent tant de beaux génies pour la gloire d'Homère. On n'a rien Ve chez les Grecs de si accompli que ses ouvrages. C'est le seul poète, dit Paterculus, qui mérite ce nom ; et ce qu'il y a d'admirable en cet homme divin, c'est qu'il ne s'est trouvé personne avant lui qu'il ait pu imiter, et qu'après sa mort, il n'a pu trouver d'imitateurs. Les savants conviennent encore aujourd'hui qu'il est supérieur à tout ce qu'il y a de poètes, en ce qui regarde la richesse des inventions, le choix des pensées, et le sublime des images. Aucun poète n'a jamais été plus souvent ni plus universellement parodié que lui.

C'est par cette raison que sept villes de la Grèce se sont disputé l'avantage d'avoir donné la naissance à ce génie du premier ordre, qui a jugé à-propos de ne laisser dans ses écrits aucune trace de son origine, et de cacher soigneusement le nom de sa patrie.

Les habitants de Chio prétendent encore montrer la maison où il est né, et où il a fait la plupart de ses ouvrages. Il est représenté sur une des médailles de cette île assis sur une chaise, tenant un rouleau, où il y a quelques lignes d'écriture. Le revers représente le sphynx, qui est le symbole de Chio. Les Smyrnéens ont en leur faveur des médailles du même type, et dont la seule légende est différente.

Les habitants d'Ios montraient, du temps de Pausanias, la sépulture d'Homère dans leur ile. Ceux de Cypre le réclamaient, en conséquence d'un oracle de l'ancien poète Euclus, qui était conçu en ces termes : " Alors dans Cypre, dans l'île fortunée de Salamine, on verra naître le plus grand des poètes ; la divine Thémisto sera celle qui lui donnera le jour. Favori des muses, et cherchant à s'instruire, il quittera son pays natal, et s'exposera aux dangers de la mer, pour aller visiter la Grèce. Ensuite il aura l'honneur de chanter le premier les combats et les diverses aventures des plus fameux héros. Son nom sera immortel, et jamais le temps n'effacera sa gloire ". C'est continue Pausanias, tout ce que je peux dire d'Homère, sans oser prendre aucun parti, ni sur le temps où il a vécu, ni sur sa patrie.

Cependant l'époque de sa naissance nous est connue ; elle est fixée par les marbres d'Arondel à l'an 676 de l'ère attique, sous Diognete, roi d'Athènes, 961 ans avant J. C. Quant à sa patrie, Smyrne et Chio sont les deux lieux qui ont prétendu à cet honneur avec plus de raison que tous les autres, et puisqu'il se faut décider par les seules conjectures, j'embrasse constamment celle qui donne la préférence à Smyrne. J'ai pour moi l'ancienne vie d'Homère par le prétendu Hérodote, le plus grand nombre de médailles, Moschus, Strabon et autres anciens.

Mais comme je suis de bonne foi, le lecteur pourra se décider en consultant Vossius, Kuster, Tannegui le Fèvre, madame Dacier, Cuper, Schot, Fabricius, et même Léon Allazzi, quoiqu'il ait décidé cette grande question en faveur de Chio sa patrie.

Je félicite les curieux qui possèdent la première édition d'Homère, faite à Florence, en 1478 ; mais les éditions d'Angleterre sont si belles, qu'elles peuvent tenir lieu de l'original. (D.J.)

SMYRNE, (Géographie moderne) Smyrne moderne est une ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, sur l'Archipel, au fond d'un grand golfe, avec un port spacieux et de bon mouillage, à environ 75 lieues de Constantinople. Cette ville est la plus belle porte de l'Asie, et l'une des plus grandes et des plus riches du Levant, parce que la bonté de son port la rend précieuse pour le commerce. Son négoce consiste en soie, toîle de coton, camelots de poil de chèvre, maroquins, et tapis. Elle est habitée par des grecs, des turcs, des juifs, des anglais, des français, des hollandais, qui y ont des comptoirs et des églises. Les turcs y tiennent un cadi pour y administrer la justice. Son séjour y a le désagrément de la peste, qui y règne fréquemment, et des tremblements de terre auxquels elle est exposée. Long. selon Cassini, 44d. 51'. 15''. lat. 38d. 28'. 7''.

C'est la patrie de Calaber (Quintus), nom donné à un poète anonyme, dont le poème grec intitulé les paralipomenes d'Homère, fut trouvé en Calabre par le cardinal Bessarion. C'est ce qui lui fit donner le nom de Calaber. Vossius conjecture que ce poète vivait sous l'empereur Anastase, vers 491. La meilleure édition de Quintus Calaber est celle de Rhodomanus. (D.J.)

SMYRNE, terre de (Histoire naturelle) c'est une terre fort chargée de sel alkali ou de natron, qui se trouve dans le voisinage de la ville de Smyrne ; les habitants du pays s'en servent pour faire du savon. On rencontre cette terre ou plutôt ce sel dans deux endroits, près d'un village appelé Duracléa ; il est répandu à la surface de la terre, dans une plaine unie. Ce sel quand on le ramasse est fort blanc. On en fait ordinairement sa provision pendant l'été, avant le lever du soleil, et dans la saison où il ne tombe point de rosée. Ce sel sort de terre en certains endroits, de l'épaisseur d'environ deux pouces ; mais on dit que la chaleur du soleil, lorsqu'il est levé, le fait ensuite diminuer et rentrer, pour ainsi dire, en terre. Le terrain où ce sel se trouve est bas, humide en hiver et il n'y croit que fort peu d'herbe. Quand on a enlevé ce sel dans un endroit, il semble qu'il s'y reproduise de nouveau.

M. Smyth, anglais, a fait des expériences sur ce sel, par lesquelles il a trouvé qu'il ne différait en rien du sel de soude, ou des alkalis fixes ordinaires ; il n'a point trouvé que cette terre contint de l'alkali volatil.

Voici la manière dont on prépare du savon avec cette terre ; on en mêle trois parties avec une partie de chaux vive, et l'on verse de l'eau bouillante sur le mélange ; on le remue avec un bâton, il s'élève à la surface une matière brune, épaisse, que l'on met à part ; on s'en sert, aussi-bien que de la dissolution claire, pour faire du savon ; mais cette matière est beaucoup plus caustique que la liqueur claire. Ensuite on a de grandes chaudières de cuivre dans lesquelles on met de l'huîle ; on allume dessous un grand feu ; on fait un peu bouillir l'huile, et l'on y met peu-à-peu la matière épaisse qui surnageait à la dissolution ; après quoi on y met la liqueur même, ou la dissolution ; quelquefois on n'y met qu'une de ces substances. On continue à y en mettre jusqu'à ce que l'huîle ait acquis la consistance de savon, ce qui n'arrive quelquefois qu'au bout de plusieurs jours ; on entretient pendant tout ce temps un feu très-violent. La partie la plus chargée de sel de la liqueur se combine avec l'huile, et la partie la plus faible tombe au fond de la chaudière, et sort par un robinet destiné à cet usage. On la garde pour la verser sur un nouveau mélange de chaux et de terre. Lorsque le savon est bien formé, on le puise avec des cuilleres, et on le fait sécher sur une aire pavée de briques, ou enduite de glaise. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 220.