ou ZEA, (Géographie ancienne et moderne) île de l'Archipel, l'une des Cyclades. Elle est à quatre lieues de l'île de Joura, autrement nommée Trava, à cinq lieues au midi de l'île d'Eubée, connue aujourd'hui sous le nom de Negrepont, à six lieues de l'île d'Andros ; à trois lieues de l'île d'Helene ou de Macronisi, autrement dite Isola longa, et à dix-huit milles du promontoire de l'Attique nommé autrefois Sunium, et aujourd'hui cap des Colonnes. On compte trente-six milles de Thermie à Zia, quoiqu'il n'y en ait pas douze de cap en cap. Elle s'étend en longueur du sud-ouest au nord-est, et elle peut avoir trente milles d'Italie de circuit. Son port est un des plus assurés de la Méditerranée, outre que les vaisseaux y font de l'eau, du biscuit et du bois.

L'île de Zia est celle que les anciens grecs appelaient Céos, et par abréviation, Côs, et qui fut nommée par les Latins Cea ou Cia. On lui donne encore aujourd'hui le nom de Cea ou Zéa ; les Grecs l'avaient nommée auparavant Hydrussa, c'est-à-dire abondante en eau à cause qu'elle en est bien pourvue ; mais ce nom ne lui était pas particulier, puisque l'île de Ténos avait été ainsi appelée, et pour la même raison. Dans la suite on la nomma Ceos ou Cea, de Céus, fils du géant Titan.

Aristée, fils d'Apollon et de Cyrène, affligé de la mort de son fils Actéon, quitta la ville de Thèbes, à la persuasion de sa mère, et se retira dans l'île de Céos, alors inhabitée. Diodore de Sicile, l. IV. dit qu'il se retira dans l'île de Cos ; mais il y a apparence que ce nom était commun à la patrie d'Hippocrate et à l'île de Kéos ou Céos, et Céa ; car Etienne le géographe a employé le nom de Kos pour Kéos, si ce n'est qu'on veuille que ce soit une faute à corriger chez lui et chez Diodore de Sicile. Quoiqu'il en sait, l'île de Céos se peupla, et le pays se cultiva avec le dernier soin, comme il parait par les murailles qu'on avait bâties jusqu'à l'extrémité des montagnes pour en soutenir les terres.

Cette île devait être incomparablement plus grande qu'elle n'est aujourd'hui, si Pline (l. II. c. lxiij. et l. IV. c. xij.) a été bien informé des changements qui lui sont arrivés. Autrefois, suivant cet auteur, elle tenait à l'île d'Eubée ; la mer en fit deux iles, et emporta la plus grande partie des terres qui regardaient la Boeotie. Tout cela s'accommode assez avec la figure de Zia, qui s'allonge du nord au sud, et se rétrécit de l'est à l'ouest. Peut-être que ce fut l'effet du débordement du Pont-Euxin dont a parlé Diodore de Sicile.

De quatre fameuses villes qu'il y avait dans Céos, il ne reste que Carthée, sur les ruines de laquelle est bâti le bourg de Zia : c'est de quoi l'on ne saurait douter en lisant Strabon et Pline. Ce dernier assure que Poeeesse et Caressus furent abimées, et Strabon écrit que les habitants de Poeeesse passèrent à Carthée, et ceux de Caressus à Ioulis. Or la situation d'Ioulis est si bien connue qu'on n'en peut pas douter. Il ne reste donc plus que Carthée remplie encore d'une infinité de marbres cassés ou employés dans les maisons du bourg de Zia.

En prenant la route du sud-sud-est du bourg de Zia, on arrive aux restes superbes de l'ancienne ville d'Ioulis, connue par les gens du pays sous le nom de Polis, comme qui dirait la ville. Ces ruines occupent une montagne, au pied de laquelle les vagues se viennent briser, mais qui était du temps de Strabon éloignée de la mer d'environ trois milles. Caressus lui servait de port. Aujourd'hui il n'y a que deux méchantes cales, et les ruines de l'ancienne citadelle sont sur la pointe du cap. Dans un lieu plus enfoncé on distingue le temple par la magnificence de ses débris. La plupart des colonnes ont le fust moitié lisse, moitié cannelé, du diamètre de deux pieds moins deux pouces, à cannelures de trois pouces de large. On descend à la marine par un escalier taillé dans le marbre pour aller voir sur le bord de la cale une figure sans bras et sans tête. La draperie en est bien entendue ; la cuisse et la jambe sont bien articulées. On croit que c'est la statue de la déesse Némesis ; car elle est dans l'attitude d'une personne qui poursuit quelqu'un.

Les restes de la ville sont sur la colline, et s'étendent jusque dans la vallée où coule la fontaine Ioulis, belle source d'où la place avait pris son nom. On ne saurait guère voir de plus gros quartiers de marbre que ceux qu'on avait employés à bâtir les murailles de cette ville. Il y en a de longs de plus de douze pieds. Dans les ruines de la ville, parmi les champs semés d'orge, on trouve dans une chapelle grecque le reste d'une inscription sur un marbre cassé, où on lit encore , accusatif d' : le mot de s'y trouve deux fais.

On allait de cette ville à Carthée par le plus beau chemin qu'il y eut peut-être dans la Grèce, et qui subsiste encore l'espace de plus de trois milles, traversant les collines à mi-côte, soutenu par une muraille couverte de grands quartiers de pierre plate grisâtre, qui se fend aussi facilement que l'ardoise, et dont on couvre les maisons et les chapelles dans la plupart des iles. Ioulis, comme dit Strabon, l. X. fut la patrie de Simonide, poète lyrique, et de Bachylide, son cousin. Erasistrate, fameux médecin, le sophiste Prodicus et Ariston le péripatéticien, naquirent aussi dans cette ile. Les marbres d'Oxford nous apprennent que Simonide, fils de Léopépris, inventa une espèce de mémoire artificielle, dont il montrait les principes à Athènes, et qu'il descendait d'un autre Simonide, grand poète, aussi fort estimé dans la même ville, et dont il est parlé dans l'époque 50. Le poète Simonide composa des vers si tendres et si touchans, que Catulle les appelle les larmes de Simonide.

Après la défaite de Cassius et de Brutus, Marc-Antoine donna aux Athéniens Céa, Aegine, Ténos, et quelques autres îles voisines. Il est hors de doute que Céa fut soumise aux empereurs romains, et passa dans le domaine des Grecs. Ensuite elle tomba entre les mains des ducs de l'Archipel. Jacques Chrispole la donna en dot à sa sœur Thadée, femme de Jean-Français de Sommerive, qui en fut dépouillé par Barberousse sous Soliman II.

Strabon rapporte un fait bien singulier de l'ancienne Céos, mais qu'il ne faut pas croire sans examen. Il prétend qu'il y avait une loi dans cette île qui obligeait les habitants à s'empoisonner avec de la ciguè, quand ils avaient passé 60 ans, afin qu'il restât assez de vivres pour la subsistance publique.

Héraclide raconte seulement que l'air de l'île de Céa était si bon, qu'on y vivait fort longtemps, mais que les habitants ne se prévalaient pas de cette faveur de la nature, et qu'avant que de se laisser atteindre par les infirmités de l'âge caduc, ils terminaient leurs jours, les uns avec du pavot, les autres avec de la ciguè. Elien, l. III. c. xxxvij. assure aussi que ceux de cette île qui se sentaient incapables à cause de leur décrépitude, d'être utiles à la patrie, s'assemblaient en un festin, et avalaient de la ciguè.

Il parait d'abord de ces divers récits que Strabon s'est faussement imaginé qu'il y avait une loi dans Céos, par laquelle on devait se donner la mort, dès que l'on avait passé l'âge de 60 ans ; les termes d'Héraclide et d'Elien insinuent seulement une coutume volontaire, et vraisemblablement ils ont pris pour coutume ce qui n'était arrivé qu'à quelques particuliers ; car si cet usage eut été commun, il n'est pas possible que tous les autres historiens l'eussent passé sous silence. Il y avait peut-être à Céa le même usage qui regnait à Marseille. Valere Maxime dit qu'on gardait publiquement dans cette dernière ville un breuvage empoisonné, et qu'on le donnait à ceux qui exposaient au sénat les raisons pour lesquelles ils souhaitaient de mourir. Le sénat examinait leurs raisons avec un certain tempérament, qui n'était ni favorable à une passion téméraire de mourir, ni contraire à un désir légitime de la mort, soit qu'on voulut se délivrer des persécutions de la mauvaise fortune, soit qu'on ne voulut pas courir le risque d'être abandonné de son bonheur. Après tout, il est sur que s'il n'y avait point de loi à Céa pour engager quelqu'un à abréger ses jours quand il était las de vivre, on pouvait prendre ce parti sans s'être fait autoriser par le souverain. Voyez pour cette preuve l'article IOULIS, (Géographie)

Valere Maxime rapporte, comme témoin oculaire à ce sujet, avoir Ve une citoyenne de cette île issue d'une maison illustre, laquelle après avoir vécu longtemps dans une félicité parfaite, craignant que l'inconstance de la fortune ne troublât par malheur l'arrangement de ses jours, résolut de se donner la mort. Elle informa ses citoyens de la résolution qu'elle avait prise, non par ostentation, mais pour ne pas quitter son poste sans être autorisée.

Pompée qui était sur les lieux, accourut à ce spectacle. Il trouva la dame couchée sur un lit, et proprement ajustée. Il employa toute la vivacité de son éloquence pour la détourner de son dessein, mais elle n'en fut point ébranlée. La tête appuyée sur le coude, elle entretenait gaiement ceux qui l'étaient venus voir. Enfin, après avoir exhorté ses enfants à l'union, et leur avoir partagé ses biens, elle prit d'une main assurée un verre plein d'un poison temperé qu'elle avala. Elle n'oublia pas d'invoquer Mercure, et de le prier de la conduire en l'une des meilleures places de l'élisée, et sans perdre un moment de sa tranquillité, elle marquait les parties de son corps où le poison faisait impression, lorsqu'elle le sentit proche du cœur, elle appela ses filles pour lui fermer les yeux, et expira.

Pline, l. IV. c. XIIe prétend que ce fut une femme de l'île de Céos qui inventa l'art de filer l'ouvrage des vers à soie, et d'en faire des étoffes. Telas araneorum modo texunt (bombyces), ad vestem luxumque feminarum, quae bombycina appelatur. Prima eas redordiri, rursusque texere, invenit in Ceo mulier Panphila, lato ifilia, non fraudanda gloriâ excogitatae rationis, ut denudet feminas vestis. Aristote, l. V. c. xix. a fourni ce fait à Pline ; mais il est vraisemblable que les paroles d'Aristote doivent s'entendre de l'île de Côs, partie d'Hippocrate, et non de l'île de Ceos ; cependant on recueillait autrefois beaucoup de soie à Ceos ; on en recueille encore de même aujourd'hui, et les bourgeois de Zia s'asseyent ordinairement pour filer leur soie sur les bords de leurs terrasses, afin de laisser tomber le fuseau jusqu'au bas de la rue, qu'ils retirent ensuite en roulant le fil.

M. de Tournefort et sa compagnie trouvèrent l'évêque grec en cette posture, qui demanda quelles gens ils étaient ; et leur fit dire que leurs occupations étaient bien frivoles, s'ils ne cherchaient que des plantes et de vieux marbres. Mais il eut pour réponse, que l'on serait plus édifié de lui voir à la main les œuvres de S. Chrysostome ou de S. Basile, que le fuseau.

Le même Pline, l. XVI. c. xxvij. a remarqué que l'on cultivait dans Cea les figuiers avec beaucoup de soin ; on y continue encore aujourd'hui la caprification. On y nourrit de bons troupeaux ; on y recueille beaucoup d'orge et de velani ; c'est ainsi qu'on appelle le fruit d'une des plus belles espèces de chêne qui soit au monde ; on s'en sert pour les teintures et pour tanner les cuirs. Il n'y a dans toute l'île que cinq ou six pauvres familles du rit latin ; tout le reste est du rit grec, dont l'évêque est assez riche.

Le bourg de Zia, bâti sur les ruines de l'ancienne Carthée, est aussi sur une hauteur, à 3 milles du port de l'île de Zia, au fond d'une vallée désagréable. C'est une espèce de théâtre d'environ 2000 maisons, élevées par étages et en terrasses ; c'est-à-dire que leur couvert est tout plat, comme par-tout le levant, mais assez fort pour servir de rue : cela n'est pas surprenant dans un pays où il n'y a ni charrettes, ni carosses, et où l'on ne marche qu'en escarpins.

Parmi les marbres, conservés chez les bourgeois, le nom de Gymnasiarque se trouve dans deux inscriptions fort maltraitées, et l'on y voit un bas-relief en demi-bosse, où la figure d'une femme est représentée avec une belle draperie. La ville de Carthée s'étendait dans la vallée qui vient à la marine. On y voyait encore dans le dernier siècle plusieurs marbres, surtout une inscription de 41 lignes, transportée dans une chapelle. Le commencement de cette inscription manque, la plus grande partie des lettres est si effacée, qu'on n'y peut déchiffrer que le nom de Gymnasiarque. (D.J.)