S. f. (Philol.) la logique est l'art de penser juste, ou de faire un usage convenable de nos facultés rationnelles, en définissant, en divisant, et en raisonnant. Ce mot est dérivé de , terme grec, qui rendu en latin est la même chose que sermo, et en français que discours ; parce que la pensée n'est autre chose qu'une espèce de discours intérieur et mental, dans lequel l'esprit converse avec lui-même.

La logique se nomme souvent dialectique, et quelquefois aussi l'art canonique, comme étant un canon ou une règle pour nous diriger dans nos raisonnements.

Comme pour penser juste il est nécessaire de bien apercevoir, de bien juger, de bien discourir, et de lier méthodiquement ses idées ; il suit de-là que l'appréhension ou perception, le jugement, le discours et la méthode deviennent les quatre articles fondamentaux de cet art. C'est de nos réflexions sur ces quatre opérations de l'esprit que se forme la logique.

Le lord Bacon tire la division de la logique en quatre parties, des quatre fins qu'on s'y propose ; car un homme raisonne, ou pour trouver ce qu'il cherche, ou pour raisonner de ce qu'il a trouvé, ou pour retenir ce qu'il a jugé, ou pour enseigner aux autres ce qu'il a retenu : de-là naissent autant de branches de l'art de raisonner, savoir l'art de la recherche ou de l'invention, l'art de l'examen ou du jugement, l'art de retenir ou de la mémoire, l'art de l'élocution ou de s'énoncer.

Comme on a fait un grand abus de la logique, elle est tombée maintenant dans une espèce de discrédit. Les écoles l'ont tant surchargée de termes et de phrases barbares, elles l'ont tellement noyée dans de seches et de vaines subtilités, qu'elle semble un art, qui a plutôt pour but d'exercer l'esprit dans des querelles et des disputes, que de l'aider à penser juste. Il est vrai que dans son origine c'était plutôt l'art de pointiller que celui de raisonner ; les Grecs parmi lesquels elle a commencé étant une nation qui se piquait d'avoir le talent de parler dans le moment, et de savoir soutenir les deux faces d'un même sentiment ; de-là leurs dialecticiens, pour avoir toujours des armes au besoin, inventèrent je ne sais quel assemblage de mots et de termes, propres à la contention et à la dispute, plutôt que des règles et des raisons qui pussent y être d'un usage réel.

La logique n'était alors qu'un art de mots, qui n'avaient souvent aucun sens, mais qui étaient merveilleusement propres à cacher l'ignorance, au-lieu de perfectionner le jugement, à se jouer de la raison plutôt qu'à la fortifier, et à défigurer la vérité plutôt qu'à l'éclaircir. On prétend que les fondements en ont été jetés par Zénon d'Elée, qui fleurissait vers l'an 400 avant Notre-Seigneur. Les Péripatéticiens et les Stoïciens avaient prodigieusement bâti sur ses fondements, mais leur édifice énorme n'avait que très-peu de solidité. Diogène Laerce donne dans la vie de Zénon un abrégé de la dialectique stoïcienne, où il y a bien des chimères et des subtilités inutiles à la perfection du raisonnement. On sait ce que se proposaient les anciens Sophistes, c'était de ne jamais demeurer court, et de soutenir le pour et le contre avec une égale facilité sur toutes sortes de sujets. Ils trouvèrent donc dans la dialectique des ressources immenses pour ce beau talent, et ils l'approprièrent toute à cet usage. Cet héritage ne demeura pas en friche entre les mains de ces scolastiques, qui enchérirent sur le ridicule de leurs anciens prédécesseurs. Universaux, catégories, et autres doctes bagatelles firent l'essence de la logique et l'objet de toutes les méditations et de toutes les disputes. Voilà l'état de la logique depuis son origine jusqu'au siècle passé, et voilà ce qui l'avait fait tomber dans un décri dont bien des gens ont encore de la peine à revenir. Et véritablement il faut avouer que la manière dont on traite encore aujourd'hui la logique dans les écoles, ne contribue pas peu à fortifier le mépris que beaucoup de personnes ont toujours pour cette science.

En effet, soit que ce soit un vieux respect qui parle encore pour les anciens, ou quelque autre chimère de cette façon, ce qu'il y a de certain, c'est que les pointilleries de l'ancienne école règnent toujours dans les nôtres, et qu'on y traite la Philosophie comme si l'on prenait à tâche de la rendre ridicule, et d'en dégoûter sans ressource. Qu'on ouvre les cahiers qui se dictent dans les universités, n'y trouverons-nous pas toutes ces impertinentes questions ?

Savoir si la Philosophie, prise d'une façon collective, ou d'une façon distributive, loge dans l'entendement ou dans la volonté.

Savoir si l'être est univoque à l'égard de la substance de l'accident.

Savoir si Adam a eu la philosophie habituelle.

Savoir si la logique enseignante spéciale est distinguée de la logique pratique habituelle.

Savoir si les degrés métaphysiques dans l'individu sont distingués réellement, ou s'ils ne le sont que virtuellement et d'une raison raisonnée.

Si la relation du père à son fils se termine à ce fils considéré absolument, ou à ce fils considéré relativement.

Si l'on peut prouver qu'il y ait autour de nous des corps réellement existants.

Si la matière seconde, ou l'élément sensible, est dans un état mixte.

Si dans la corruption du mixte il y a résolution jusqu'à la matière première.

Si toute vertu se trouve causalement ou formellement placée dans le milieu, entre un acte mauvais par excès, et un acte mauvais par défaut.

Si le nombre des vices est parallèle ou double de celui des vertus.

Si la fin meut selon son être réel, ou selon son être intentionnel.

Si syngatégoriquement parlant le concret et l'abstrait se... Je vous fais grâce d'une infinité d'autres questions qui ne sont pas moins ridicules, sur lesquelles on exerce l'esprit des jeunes gens. On veut les justifier, en disant que l'exercice en est très-utile, et qu'il subtilise l'esprit. Je le veux ; mais si toutes ces questions, qui sont si fort éloignées de nos besoins, donnent quelque pénétration et quelque étendue à l'esprit qui les cultive, ce n'est point du tout parce qu'on lui donne des règles de raisonnement, mais uniquement parce qu'on lui procure de l'exercice : et exercice pour exercice, la vie étant si courte, ne vaudrait-il pas mieux exercer tout d'abord l'esprit, la précision et tous les talents sur des questions de service, et sur des matières d'expérience ? Il n'est personne qui ne sente que ces matières conviennent à tous les états ; que les jeunes esprits les saisiront avec feu, parce qu'elles sont intelligibles ; et qu'il sera trop tard de les vouloir apprendre quand on sera tout occupé des besoins plus pressants de l'état particulier qu'on aura embrassé.

On ne peut pardonner à l'école son jargon inintelligible, et tout cet amas de questions frivoles et puériles, dont elle amuse ses élèves, surtout depuis que des hommes heureusement inspirés, et secondés d'un génie vif et pénétrant, ont travaillé à la perfectionner, à l'épurer et à lui faire parler un langage plus vrai et plus intéressant.

Descartes, le vrai restaurateur du raisonnement, est le premier qui a amené une nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa Philosophie même, dont une bonne partie se trouve fausse ou fort incertaine, selon les propres règles qu'il nous a apprises. C'est à lui qu'on est redevable de cette précision et de cette justesse, qui règne non seulement dans nos bons ouvrages de physique et de métaphysique, mais dans ceux de religion, de morale, de critique. En général les principes et la méthode de Descartes ont été d'une grande utilité, par l'analyse qu'ils nous ont accoutumés de faire plus exactement des mots et des idées, afin d'entrer plus surement dans la route de la vérité.

La méthode de Descartes a donné naissance à la logique, dite l'art de penser. Cet ouvrage conserve toujours sa réputation. Le temps qui détruit tout ne fait qu'affermir de plus en plus l'estime qu'on en fait. Il est estimable surtout par le soin qu'on a pris de le dégager de plusieurs questions frivoles. Les matières qui avaient de l'utilité parmi les Logiciens au temps qu'elle fut faite, y sont traitées dans un langage plus intelligible qu'elles ne l'avaient été ailleurs en français. Elles y sont exposées plus utilement, par l'application qu'on y fait des règles, à diverses choses dont l'occasion se présente fréquemment, soit dans l'usage des sciences, ou dans le commerce de la vie civîle : au lieu que les logiques ordinaires ne faisaient presque nulle application des règles à des usages qui intéressent le commun des honnêtes gens. Beaucoup d'exemples qu'on y apporte sont bien choisis ; ce qui sert à exciter l'attention de l'esprit, et à conserver le souvenir des règles. On y a mis en œuvre beaucoup de pensées de Descartes, en faveur de ceux qui ne les auraient pas aisément ramassées dans ce philosophe.

Depuis l'art de penser, il a paru quantité d'excellents ouvrages dans ce genre. Les deux ouvrages si distingués, de M. Locke sur l'entendement humain, et du P. Malebranche sur la recherche de la verité, renferment bien des choses qui tendent à perfectionner la logique.

M. Locke est le premier qui ait entrepris de démêler les opérations de l'esprit humain, immédiatement d'après la nature, sans se laisser conduire à des opinions appuyées plutôt sur des systèmes que sur des réalités ; en quoi sa Philosophie semble être par rapport à celles de Descartes et de Malebranche, ce qu'est l'histoire par rapport aux romans. Il examine chaque sujet par les idées les plus simples, pour en tirer peu à peu des vérités intéressantes. Il fait sentir la fausseté de divers principes de Descartes par une analyse des idées qui avaient fait prendre le change. Il distingue ingénieusement l'idée de l'esprit d'avec l'idée du jugement : l'esprit assemble promptement des idées qui ont quelque rapport, pour en faire des peintures qui plaisent ; le jugement trouve jusqu'à la moindre différence entre des idées qui ont d'ailleurs la plus grande ressemblance ; on peut avoir beaucoup d'esprit et peu de jugement. Au sujet des idées simples, M. Locke observe judicieusement que sur ce point, les hommes diffèrent peu de sentiment ; mais qu'ils diffèrent dans les mots auxquels chacun demeure attaché. On peut dire en général de cet auteur, qu'il montre une inclination pour la vérité, qui fait aimer la route qu'il prend pour y parvenir.

Pour le père Malebranche, sa réputation a été si éclatante dans le monde philosophique, qu'il parait inutîle de marquer en quoi il a été le plus distingué parmi les Philosophes. Il n'a été d'abord qu'un pur cartésien ; mais il a donné un jour si brillant à la doctrine de Descartes, que le disciple l'a plus répandue par la vivacité de son imagination et par le charme de ses expressions, que le maître n'avait fait par la suite de ses raisonnements et par l'invention de ses divers systèmes.

Le grand talent du père Malebranche est de tirer d'une opinion tout ce qu'on peut en imaginer d'imposant pour les conséquences, et d'en montrer tellement les principes de profil, que du côté qu'il les laisse voir, il est impossible de ne s'y pas rendre.

Ceux qui ne suivent pas aveuglément ce philosophe, prétendent qu'il ne faut que l'arrêter au premier pas ; que c'est la meilleure et la plus courte manière de le réfuter, et de voir clairement ce qu'on doit penser de ses principes. Ils les réduisent particulièrement à cinq ou six, à quoi il faut faire attention ; car si on les lui passe une fais, on sera obligé de faire avec lui plus de chemin qu'on n'aurait voulu. Il montre dans tout leur jour, les difficultés de l'opinion qu'il réfute ; et à l'aide du mépris qu'il en inspire, il propose la sienne par l'endroit le plus plausible ; puis, sans d'autre façon, il la suppose comme incontestable, sans avoir ou sans faire semblant de voir ce qu'on y peut et ce qu'on y doit opposer.

Outre ces ouvrages, nous avons bon nombre de logiques en forme. Les plus considérables sont celle de M. Leclerc, et celle de M. de Crouzas. La première a une grande prérogative sur plusieurs autres ; c'est que renfermant autant de choses utiles, elle est beaucoup plus courte. L'auteur y fait apercevoir l'inutilité d'un grand nombre de règles ordinaires de logique ; il ne laisse pas de les rapporter et de les expliquer assez nettement. Ayant formé son plan d'après le livre de M. Locke, de intellectu humano, à qui il avoue, en lui dédiant son ouvrage, qu'il n'a fait qu'un abrégé du sien ; il a parlé de la nature et de la formation des idées d'une manière plus juste et plus plausible que l'on n'avait fait dans les logiques précédentes. Il a choisi ce qui se rencontre de meilleur dans la logique dite l'art de penser. Il tire des exemples de sujets intéressants. Empruntant des ouvrages que je viens de nommer, ce qui est de meilleur dans le sien, il ne dit rien qui serve à découvrir les méprises qui y sont échappées. Il serait à souhaiter qu'il n'eut pas suivi M. Locke dans ses obscurités, et dans des réflexions aussi écartées du sentiment commun, que des principes de la morale.

Le dessein que se propose M. de Crouzas dans son livre, est considérable. Il y prétend rassembler les principes, les maximes, les observations qui peuvent contribuer à donner à l'esprit plus d'étendue, de force, de facilité, pour comprendre la vérité, la découvrir, la communiquer, etc. Ce dessein un peu vaste pour une simple logique, traite ainsi des sujets les plus importants de la Métaphysique. L'auteur a voulu recueillir sur les diverses opérations de l'esprit, les opinions des divers philosophes de ce temps. Il n'y a guère que le livre de M. Locke, auquel M. de Crouzas n'ait pas fait une attention qui en aurait valu la peine. Il y a un grand nombre d'endroits qui donnent entrée à des réflexions subtiles et judicieuses. Plusieurs réflexions n'y sont pas assez développées, les sujets ne paraissent ni si amenés par ce qui précède, ni assez soutenus par ce qui suit. L'élocution quelquefois négligée diminue de l'extrême clarté que demandent des matières abstraites. Cet ouvrage a pris diverses formes et divers accroissements sous la main de l'auteur. Tous les éloges de M. de Fontenelle, qui y sont fondus, ne contribuent pas peu à l'embellir et à y jeter de la variété. L'édition de 1712, deux vol. in -12. est la meilleure pour les étudiants, parce que c'est la plus dégagée, et que les autres sont comme noyées dans les ornements.

Tels sont les jugements que le père Buffier a portés de toutes ces différentes logiques. Ses principes du raisonnement sont une excellente logique. Il a surtout parfaitement bien démêlé la vérité logique d'avec celle qui est propre aux autres sciences. Il y a du neuf et de l'original dans tous les écrits de ce père, qui a embrassé une espèce d'encyclopédie, que comprend l'ouvrage in-folio intitulé cours des sciences. L'agrément du style rend amusant ce livre, quoiqu'il contienne véritablement l'exercice des sciences les plus épineuses. Il a trouvé le moyen de changer leurs épines en fleurs, et ce qu'elles ont de fatiguant en ce qui peut divertir l'imagination. On ne peut rien ajouter à la précision et à l'enchainement des raisonnements et des objections, dont il remplit chacun des sujets qu'il traite. La manière facîle et peut-être égayée dont il expose les choses, répand beaucoup de clarté sur les matières les plus abstraites.

M. Wolf a ramené les principes et les règles de la logique à la démonstration. Nous n'avons rien de plus exact sur cette science que la grande logique latine de ce philosophe, dont voici le titre : philosophia rationalis, sive logica methodo scientificâ pertractata, et ad usum scientiarum atque vitae aptata. Praemittitur discursus praeliminaris de philosophia in genere.

Il a paru depuis peu un livre intitulé, essai sur l'origine des connaissances humaines. M. l'abbé de Condillac en est l'auteur. C'est le système de M. Locke, mais extrêmement perfectionné. On ne peut lui reprocher, comme à M. Leclerc, d'être un copiste servîle de l'auteur anglais. La précision française a retranché toutes les longueurs, les répétitions et le désordre qui règnent dans l'ouvrage anglais ; et la clarté, compagne ordinaire de la précision, a répandu une lumière vive et éclatante sur les tours obscurs et embarrassés de l'original. L'auteur se propose, à l'imitation de M. Locke, l'étude de l'esprit humain, non pour en découvrir la nature, mais pour en connaître les opérations. Il observe avec quel art elles se combinent, et comment nous devons les conduire, afin d'acquérir toute l'intelligence dont nous sommes capables. Remontant à l'origine des idées, il en développe la génération, les suit jusqu'aux limites que la nature leur a prescrites, et fixe par-là l'étendue et les bornes de nos connaissances. La liaison des idées, soit avec les signes, soit entre elles, est la base et le fondement de son système. A la faveur de ce principe si simple en lui-même et si fécond en même temps dans ses conséquences, il montre quelle est la source de nos connaissances, quels en sont les matériaux, comment ils sont mis en œuvre, quels instruments on y emploie, et quelle est la manière dont il faut s'en servir. Ce principe n'est ni une proposition vague, ni une maxime abstraite, ni une supposition gratuite ; mais une expérience constante, dont toutes les conséquences sont confirmées par de nouvelles expériences. Pour exécuter son dessein, il prend les choses d'aussi haut qu'il lui est possible. D'un côté, il remonte à la perception, parce que c'est la première opération qu'on peut remarquer dans l'âme ; et il fait voir comment et dans quel ordre, elle produit toutes celles dont nous pouvons acquérir l'exercice. D'un autre côté, il commence au langage d'action. Il explique comment il a produit tous les arts qui sont propres à exprimer nos pensées ; l'art des gestes, la danse, la parole, la déclamation, l'art de la noter, celui des pantomimes, la musique, la poésie, l'éloquence, l'écriture, et les différents caractères des langues. Cette histoire du langage sert à montrer les circonstances où les signes ont été imaginés ; elle en fait connaître le vrai sens, apprend à en prévenir les abus, et ne laisse aucun doute sur l'origine des idées. Enfin après avoir développé les progrès des opérations de l'âme et ceux du langage, il indique par quels moyens on peut éviter l'erreur, et montre les routes qu'on doit suivre, soit pour faire des découvertes, soit pour instruire les autres de celles qu'on a faites. Selon cet auteur, les sensations et les opérations de notre âme sont les matériaux de toutes nos connaissances ; mais c'est la réflexion qui les met en œuvre, en cherchant par des combinaisons les rapports qu'ils renferment. Des gestes, des sons, des chiffres, des lettres, sont les instruments dont elle se sert, quelque étrangers qu'ils soient à nos idées, pour nous élever aux connaissances les plus sublimes. Cette liaison nécessaire des signes avec nos idées, que Bacon a soupçonnée, et que Locke a entrevue, il l'a parfaitement approfondie. M. Locke s'est imaginé qu'aussitôt que l'âme reçoit des idées par les sens, elle peut à son gré les répéter, les composer, les unir ensemble avec une variété infinie, et en faire toutes sortes de notions complexes. Mais il est constant que dans l'enfance nous avons éprouvé des sensations, longtemps avant que d'en savoir tirer des idées. Ainsi, l'âme n'ayant pas dès le premier instant l'exercice de toutes ses opérations, il était essentiel, pour mieux développer les ressorts de l'entendement humain, de montrer comment elle acquiert cet exercice, et quel en est le progrès. M. Locke, comme je viens de le dire, n'a fait que l'entrevoir ; et il ne parait pas que personne lui en ait fait le reproche, ou ait essayé de suppléer à cette partie de son ouvrage. Enfin, pour conclure ce que j'ai à dire sur cet ouvrage, j'ajouterai que son principal mérite est d'être bien fondu, et d'être travaillé avec cet esprit d'analyse, cette liaison d'idées, qu'on y propose comme le principe le plus simple, le plus lumineux et le plus fécond, auquel l'esprit humain devait tous ses progrès dans le temps même qu'il n'en remarquait pas l'influence.

Quelque diverses formes qu'ait pris la logique entre tant de différentes mains qui y ont touché, toutes conviennent cependant qu'elle n'est qu'une méthode pour nous faire découvrir le vrai et nous faire éviter le faux à quelque sujet qu'on la puisse appliquer : c'est pour cela qu'elle est appelée l'organe de la vérité, la clé des Sciences, et le guide des connaissances humaines. Or il parait qu'elle remplira parfaitement ces fonctions, pourvu qu'elle dirige bien nos jugements : et telle est, ce me semble, son unique fin.

Car si je possède l'art de juger sainement de tous les sujets sur lesquels ma raison peut s'exercer, certainement dès-là même j'aurai la logique universelle. Quand avec cela on pourrait se figurer qu'il n'y eut plus au monde aucune règle pour diriger la première et la troisième opération de l'esprit, c'est-à-dire la simple représentation des objets et la conclusion des syllogismes, ma logique n'y perdrait rien. On voit parlà, ou que la première et la troisième opération ne sont essentiellement autres que le jugement, soit dans sa totalité, soit dans ses parties, ou du-moins que la première et la seconde opération tendent elles-mêmes au jugement, comme à leur dernière fin. Ainsi j'aurai droit de conclure que la dernière fin de la logique est de diriger nos jugements et de nous apprendre à bien juger : en sorte que tout le reste à quoi elle peut se rapporter, doit uniquement se rapporter tout entier à ce but. Le jugement est donc la seule fin de la logique. Un grand nombre de philosophes se récrient contre ce sentiment, et prétendent que la logique a pour fin les quatre opérations de l'esprit ; mais pour faire voir combien ils s'abusent, il n'y a qu'à lever l'équivoque que produit le mot fin.

Quelques-uns se figurent d'abord la logique (& à proportion les autres arts ou sciences) comme une sorte d'intelligence absolue ou de divinité qui prescrit certaines lois à quoi il faut que l'univers s'assujettisse ; cependant cette prétendue divinité est une chimère. Qu'est-ce donc réellement que la logique ? rien autre chose qu'un amas de réflexions écrites ou non écrites, appelées règles, pour faciliter et diriger l'esprit à faire ses opérations aussi-bien qu'il en est capable : voilà au juste ce que c'est que la logique. Qu'est-ce que fin présentement ? c'est le but auquel un être intelligent se propose de parvenir.

Ceci supposé, demander si la logique a pour fin telles ou telles opérations de l'âme, c'est demander si un amas de réflexions écrites ou non écrites a pour fin telle ou telle chose. Quel sens peut avoir une proposition de cette nature ? Ce ne sont donc pas les réflexions mêmes ou leur amas qui peuvent avoir une fin, mais uniquement ceux qui font ou qui ont fait ces réfléxions, c'est-à-dire que ce n'est pas la logique qui a une fin ou qui en peut avoir une, mais uniquement les logiciens.

Je sais ce qu'on dit communément à ce sujet, qu'autre est la fin de la logique, et autre est la fin du logicien ; autre la fin de l'ouvrage, finis operis, et autre la fin de celui qui fait l'ouvrage ou de l'ouvrier, finis operantis. Je sais, dis-je, qu'on parle ainsi communément, mais je sais aussi que souvent ce langage ne signifie rien de ce qu'on imagine : car quelle fin, quel but, quelle intention peut se proposer un ouvrage ? Il ne se trouve donc aucun sens déterminé sous le mot de fin, finis, quand il s'attribue à des choses inanimées, et non aux personnes qui seules sont capables d'avoir et de se proposer une fin.

Quel est donc le vrai de ces mots finis operis ? c'est la fin que se proposent communément ceux qui s'appliquent à cette sorte d'ouvrage ; et la fin de l'ouvrier, finis operantis, est la fin particulière que se proposerait quelqu'un qui s'applique à la même sorte d'ouvrage : outre la fin commune que l'on s'y propose d'ordinaire en ce sens, on peut dire que la fin de la peinture est de représenter des objets corporels par le moyen des linéaments et des couleurs ; car telle est la fin commune de ceux qui travaillent à peindre : au lieu que la fin du peintre est une fin particulière, outre cette fin commune, savoir de gagner de l'argent, ou d'acquérir de la réputation, ou simplement de se divertir. Mais en quelque sens qu'on le prenne, la fin de l'art est toujours celle que se propose, non pas l'art même, qui n'est qu'un amas de réflexions incapables de se proposer une fin, mais celle que se proposent en général ceux qui ont enseigné ou étudié cet art.

La chose étant exposée sous ce jour, que devient cette question, quelle est la fin de la logique ? Elle se résout à celle-ci : quelle est la fin que se sont proposée communément ceux qui ont donné des règles et fait cet amas de réflexions, qui s'appelle l'art ou la science de la logique ? Or cette question n'est plus qu'un point de fait avec lequel on trouvera qu'il y a autant de fins différentes de la logique, qu'il y a eu de différents logiciens.

La plupart ayant donné des règles et dirigé leurs réflexions à la forme et à la pratique du syllogisme, la fin de la logique en ce sens sera la manière de faire des syllogismes dans toutes les sortes de modes et de figures, dont on explique l'artifice dans les écoles ; mais une logique où les auteurs ont regardé comme peu important l'embarras des règles et des réflexions nécessaires pour faire des syllogismes en toutes sortes de modes et de figures, une logique de ce caractère, dis-je, n'a point du tout la fin de la logique ordinaire, parce que le logicien ne s'est point proposé cette fin.

Au reste il se trouvera néanmoins une fin commune à tous les logiciens, c'est d'atteindre toujours à la vérité interne, c'est-à-dire à une juste liaison d'idées pour former des jugements vrais, d'une vérité interne, et non pas d'une vérité externe, que le commun des logiciens ont confondue avec la vérité interne : ce qui leur a fait aussi méconnaître quelle est ou quelle doit être la fin spéciale de la logique.

On demande aussi si la logique est une science : il est aisé de satisfaire à cette question. Elle mérite ce titre, si vous appelez science toute connaissance infaillible acquise avec les secours de certaines réflexions ou règles ; car ayant la connaissance de la logique, vous savez démêler infailliblement une conséquence vraie d'avec une fausse.

Mais est-elle un art ? question aussi aisée à résoudre que la précédente. Elle est l'un ou l'autre, suivant le sens que vous attachez au mot art. L'un veut seulement appeler art ce qui a pour objet quelque chose de matériel ; et l'autre veut appeler art toute disposition acquise qui nous fait faire certaines opérations spirituelles ou corporelles, par le moyen de certaines règles ou réflexions. Là-dessus il plait aux logiciens de disputer si la logique est ou n'est pas un art ; et il ne leur plait pas toujours d'avouer ni d'enseigner à leurs disciples que c'est une pure ou puérîle question de nom.

On forme encore dans les écoles une autre question, savoir si la logique artificielle est nécessaire pour acquérir toutes les Sciences dans leur perfection. Pour répondre à cette question, il ne faut qu'examiner ce que c'est que la logique artificielle : or cette logique est un amas d'observations et de règles faites pour diriger les opérations de notre esprit ; et de-là elle n'est point absolument nécessaire : pourquoi ? parce que pour que notre esprit opère bien, il n'est pas nécessaire d'étudier comment il y réussit. C'est un instrument que Dieu a fait et qui est très-bien fait. Il est fort inutîle de discuter métaphysiquement ce que c'est que notre entendement et de quelles pièces il est composé : c'est comme si l'on se mettait à disséquer les pièces de la jambe humaine pour apprendre à marcher. Notre raison et notre jambe font très-bien leurs fonctions sans tant d'anatomies et de préambules ; il ne s'agit que de les exercer, sans leur demander plus qu'elles ne peuvent. D'ailleurs, si l'esprit ne pouvait bien faire ses opérations sans les secours que fournit la logique artificielle, il ne pourrait être sur si les règles qu'il a établies sont bien faites. Au reste, nous prouvons que les syllogismes ne sont rien moins que nécessaires pour découvrir la vérité. Voyez SYLLOGISMES.

La logique se divise en docente et utente ; la docente est la connaissance des règles et des préceptes de la logique, et la logique utente est l'application de ces mêmes règles. On peut appeler la première théorétique, et la seconde, pratique : elles ont besoin mutuellement l'une de l'autre. Les règles apprises et comprises s'effacent bientôt, si l'on ne s'exerce souvent à les appliquer, tout comme la danse ou le manège s'oublient aisément quand on discontinue ces exercices. Tel croit être logicien, parce qu'il a fait un cours de logique ; mais quand il faut venir au fait et à l'application, sa logique se trouve en défaut : pourquoi ? c'est parce qu'il avait jeté une bonne semence, mais qu'il l'a mal cultivée.

Disons aussi que le succès de la logique artificielle dépend beaucoup de la logique naturelle : celle-ci varie et se trouve en différents degrés chez les hommes. Tel comme tel est naturellement plus agîle ou plus fort que son camarade, de même tel est meilleur logicien, c'est-à-dire qu'il a plus d'ouverture d'esprit et de solidité de jugement.

L'expérience prouve qu'entre douze disciples qui étudieront la même science sous le même maître, il y aura toujours une gradation qui vient en partie du fonds, en partie de l'éducation : car la logique naturelle acquise a aussi ses degrés. Avec un même fonds on peut avoir eu ou moins d'attention à le cultiver, ou des circonstances moins favorables. Cette diversité de dispositions, tant naturelles qu'acquises qu'on apporte à l'étude de la logique artificielle, déterminent donc les progrès que l'on y fait.