S. m. (Grammaire) c'est un idiotisme français, c'est-à-dire une façon de parler éloignée des lois générales du langage, et exclusivement propre à la langue française. Voyez IDIOTISME.

" Lorsque dans un livre écrit en latin, dit le dictionnaire de Trévoux sur ce mot, on trouve beaucoup de phrases et d'expressions qui ne sont point du-tout latines, et qui semblent tirées du langage français, on juge que cet ouvrage a été fait par un français ; on dit que cet ouvrage est plein de gallicismes ". Cette manière de parler semble indiquer que le mot gallicisme est le nom propre d'un vice de langage, qui dans un autre idiome vient de l'imitation gauche ou déplacée de quelque tour propre à la langue française ; qu'un gallicisme en un mot est une espèce de barbarisme. On ne saurait croire combien cette opinion est commune, et combien on la soupçonne peu d'être fausse : elle a même surpris la sagacité de cet illustre écrivain, que la mort vient d'enlever à l'Encyclopédie ; ce grammairien créateur à qui nous avons eu la témérité de succéder, sans jamais oser nous flatter de pouvoir le remplacer ; ce philosophe exact et profond qui a porté la lumière sur tous les objets qu'il a traités, et dont les vues répandues abondamment dans les parties qu'il a achevées, feront le principal mérite de celles que nous avons à remplir ; en un mot M. du Marsais lui-même parait n'avoir pas été assez en garde contre l'impression de ce préjugé. Voici comme il s'explique à l'article ANGLICISME. " Si l'on disait en français fouetter dans de bonnes mœurs (whip into good manners), au lieu de dire fouetter afin de rendre meilleur, ce serait un anglicisme ". Ne semble-t-il pas que M. du Marsais veuille dire que le tour anglais n'est anglicisme que quand il est transporté dans une autre langue ? C'est une erreur manifeste, et que ceux même qui paraissent l'insinuer ou la répandre ont sentie : la définition que les auteurs du dictionnaire de Trévoux ont donnée du mot gallicisme, et celle que M. du Marsais a donnée du mot anglicisme, en fournissent la preuve.

L'essence du gallicisme consiste en effet à être un écart de langage exclusivement propre à la langue française. Le gallicisme en français est à sa place, et il y est ordinairement pour éviter un vice ; dans une autre langue, c'est ou une locution empruntée qui prouve l'affinité de cette langue avec la nôtre, ou une expression figurée que l'imitation suggère à la passion ou au besoin, ou une expression vicieuse qui nait de l'ignorance : mais par-tout et dans tous les cas, le gallicisme est gallicisme dans le sens que nous lui avons assigné.

Chacun a son opinion, c'est un gallicisme où l'usage autorise la transgression de la syntaxe de concordance, pour ne pas choquer l'oreille par un hiatus desagréable. Le principe d'identité exigeait que l'on dit sa opinion ; l'oreille a voulu qu'on fit entendre sonn-opinion, et l'oreille l'a emporté suavitatis causâ.

Elles sont toute déconcertées ; c'est un gallicisme, où l'usage qui met le mot toute en concordance de genre avec le sujet elles, n'a aucun égard à la concordance de nombre, pour éviter un contre-sens qui en serait la suite : toute est ici une sorte d'adverbe qui modifie la signification de l'adjectif déconcertées, comme si l'on disait, elles sont totalement déconcertées ; au contraire toutes au pluriel serait un adjectif collectif, qui déterminerait le sujet elles, comme si l'on disait, il n'y en a pas une seule qui ne soit déconcertée : c'est donc à la netteté de l'expression que la loi de concordance est ici sacrifiée.

Vous avez beau dire, c'est un gallicisme, où l'usage permet à l'ellipse d'altérer l'intégrité physique de la phrase (voyez ELLIPSE), pour y mettre le mérite de la briéveté. Un français qui sait sa langue entend cette phrase aussi clairement et avec plus de plaisir, que si on employait l'expression pleine, mais diffuse, lâche et pesante, vous avez un beau sujet de dire ; c'est ici une raison de briéveté.

Il est incroyable le nombre de vaisseaux qui partirent pour cette expédition ; c'est un gallicisme, où l'usage consent que l'on soustraye les parties de la phrase à l'ordre qu'il a lui-même fixé, pour donner à l'ensemble un sens accessoire que la construction ordinaire ne pourrait y mettre. On aurait pu dire, le nombre de vaisseaux qui partirent pour cette expédition est incroyable ; mais il faut convenir qu'au moyen de cet arrangement, aucune partie de la phrase n'est plus saillante que les autres : au lieu que dans la première, le mot incroyable qui se présente à la tête, contre l'usage ordinaire, parait ne s'y trouver que pour fixer davantage l'attention de l'esprit sur le nombre des vaisseaux, et pour en exagérer en quelque sorte la multitude ; raison d'énergie.

Nous venons d'arriver, nous allons partir ; ce sont des gallicismes, où l'usage est forcé de dépouiller de leur sens naturel les mots nous venons, nous allons, et de les revêtir d'un sens étranger, pour suppléer à des inflexions qu'il n'a pas autorisées dans les verbes arriver et partir, non plus que dans aucun autre : nous venons d'arriver, c'est-à-dire nous sommes arrivés dans le moment ; expression détournée d'un prétérit récent, auquel l'usage n'en a point accordée d'analogique : nous allons partir, c'est-à-dire nous partirons dans le moment ; expression équivalente à un futur prochain, que l'usage n'a point établi. Ces sortes de locutions ont pour fondement la raison irrésistible du besoin.

Nous ne prétendons pas donner ici une liste exacte de tous les gallicismes ; nous ne le devons pas, et l'exécution de ce projet ne serait pas sans de grandes difficultés.

Il est évident en premier lieu qu'un recueil de cette espèce doit faire la matière d'un ouvrage exprès, dont l'exécution supposerait une patience à l'épreuve des difficultés et des longueurs, une connaissance exacte et réfléchie de notre langue et de ses origines, et une philosophie profonde et lumineuse ; mais dont le succès, en enrichissant notre grammaire d'une branche qu'on n'a pas assez cultivée jusqu'à présent, assurerait à l'auteur la reconnaissance de toute la nation, et une réputation aussi durable que la langue même. Si cette matière pouvait entrer dans un dictionnaire, elle ne pourrait convenir qu'à celui de l'académie, et nullement à l'Encyclopédie. On ne doit y trouver, en fait de Grammaire, que les principes généraux et raisonnés des langues, ou tout au plus les principes, qui, quoique propres à une langue, sont pourtant du district de la Grammaire générale ; parce qu'ils tiennent plus à la nature de la parole, qu'au génie particulier de cette langue ; qu'ils constituent ce génie plutôt qu'ils n'en sont une suite ; qu'ils prouvent la fécondité de l'art ; qu'ils peuvent passer dans les langues possibles, et qu'ils étendent les vues du grammairien. Mais tout détail qui concerne le pur matériel de quelque langue que ce sait, doit être exclu de ce Dictionnaire, dont le plan ne nous laisse que la liberté de choisir des exemples dans telle langue que nous jugerons convenable. Nos scrupules à cet égard vont jusqu'à nous persuader qu'on aurait dû omettre l'article anglicisme, qui ne devait pas plus paraitre ici que l'article arabisme qu'on n'y a point mis, et mille autres qui n'y seront point. L'article idiotisme qui les comprend tous, est le seul article encyclopédique sur cet objet ; et nous ne donnons celui-ci que pour céder aux instances qui nous en ont été faites. Les articles A (mot) ad, anti, ce, di ou dis, elle, en et dans, es, futur (adj.) sont encore bien plus déplacés ; on ne devait les trouver que dans une grammaire française ou dans un simple vocabulaire.

Nous ajoutons en second lieu, que le projet de détailler tous les gallicismes ne serait pas sans de grandes difficultés. Le nombre en est prodigieux, et plusieurs habiles gens ont remarqué que, si l'on en excepte les ouvrages purement didactiques, plus un auteur a de gout, plus on trouve dans son style de ces irrégularités heureuses et souvent pittoresques, qui ne paraissent violer les lois générales du langage que pour en atteindre plus surement le but. D'ailleurs, à-moins de bien connaître les langues anciennes et modernes où la nôtre a puisé, il arriverait souvent de prendre pour gallicismes, des expressions qui seraient peut-être des hellénismes, latinismes, celticismes, teutonismes, ou idiotismes de quelque autre genre ; et la précision philosophique que l'on doit surtout envisager dans cet ouvrage, ne permet pas qu'on s'y expose à de pareilles méprises. (E. R. M.)