S. m. en Grammaire ; on appelle supplément, les mots que la construction analytique ajoute, pour la plénitude du sens, à ceux qui composent la phrase usuelle. Par exemple, dans cette phrase de Virgile, (Ecclésiaste XIe 1.) Quò te, Moeri, pedes ? il n'y a que quatre mots ; mais l'analyse ne peut en développer le sens, qu'en y en ajoutant plusieurs autres. 1°. Pedes au nominatif pluriel, exige un verbe pluriel dont il soit le sujet ; et te, qui parait ici sans relation en sera le régime objectif : d'autre part, quò qui exprime un complément circonstanciel du lieu de tendance, indique que ce verbe doit exprimer un mouvement qui puisse s'adapter à cette tendance vers un terme : le concours de toutes ces circonstances assigne exclusivement à l'analyse le verbe ferunt. 2°. Quò est un adverbe conjonctif, qui suppose un antécédent ; et la suppression de cet antécédent indique aussi que la phrase est interrogative : ainsi l'analyse doit suppléer, et le verbe interrogatif et l'antécédent de quò qui se servira de complément à ce verbe, (voyez INTERROGATIF, RELATIF) : le verbe interrogatif est dic, auquel on peut ajouter mihi, ainsi que Virgile lui-même l'a dit au commencement de sa troisième éclogue, dic mihi, Damaeta, cujum pecus : le complément objectif de dic sera eum locum, exigé par le sens de quò ; par conséquent le supplément total qui doit précéder quò, c'est dic mihi eum locum. La construction analytique pleine est donc : Moeri (dic mihi eum locum) quò pedes (ferunt) te ; où l'on voit un supplément d'un seul mot ferunt, et un autre de quatre) dic mihi eum locum.

Quoique la pensée soit essentiellement une et indivisible ; la parole ne peut en faire la peinture, qu'au moyen de la distinction des parties que l'analyse y envisage dans un ordre successif. Mais cette décomposition même oppose à l'activité de l'esprit qui pense, des embarras qui se renouvellent sans-cesse, et donne à la curiosité agissante de ceux qui écoutent ou qui lisent un discours, des entraves sans fin. Delà la nécessité générale de ne mettre dans chaque phrase que les mots qui y sont les plus nécessaires, et de supprimer les autres, tant pour aider l'activité de l'esprit, que pour se rapprocher le plus qu'il est possible, de l'unité indivisible de la pensée, dont la parole fait la peinture.

Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se

Impediat verbis lassas onerantibus aures.

Ce que dit ici Horace, I. Sat. Xe 9. 10. pour caractériser le style de la satyre, nous pouvons donc en faire un principe général de l'élocution ; et ce principe est d'une nécessité si grande et si universellement sentie, qu'il a influé sur la syntaxe de toutes les langues : point de langues sans ellipses, et même sans de fréquentes ellipses.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer, que le choix et la manière en soient abandonnés au caprice des particuliers, ni même que quelques exemples autorisés par l'usage d'une langue puissent y fonder une loi générale d'analogie : l'ellipse est elle-même une exception à un principe général, qui ne doit et qui ne peut être anéanti ; et il le serait par le fait, si l'exception devenait générale. L'usage, par exemple, de la langue latine, permet de dire elliptiquement, vivère Romae, Lugduni (vivre à Rome, à Lyon) au lieu de la phrase pleine, vivère in urbe Romae, in urbe Lugduni ; mais on ferait un solécisme, si on allait dire par une fausse analogie, vivère Athenarum, pour in urbe Athenarum ou pour Athenis (vivre à Athènes) ire Romae, Lugduni, pour ire in urbem Romae, in urbem Lugduni ou pour ire Romam, Lugdunum (aller à Rome, à Lyon) : c'est que vivère Romae, Lugduni, est une phrase que l'usage n'autorise que pour les noms propres de villes qui sont singuliers et de l'une des deux premières déclinaisons, quand ces villes sont le lieu de la scène, ou comme disent les rudiments, à la question ubi ; dans d'autres circonstances, l'usage veut que l'on suive l'analogie générale, ou n'en permet que des écarts d'une autre espèce.

Or, s'il est vrai, comme on ne peut pas en douter, qu'une ellipse usitée ne peut pas fonder une analogie générale ; c'est une conséquence nécessaire aussi, que de l'analogie générale on ne peut pas conclure contre la réalité de l'ellipse particulière. C'est pourtant ce que fait, dans sa préface, l'auteur d'un rudiment moderne. " Il ne rencontre pas plus juste, dit-il, en parlant de Sanctius, quand il dit que cette phrase, natus Romae, est l'abrégé de celle-ci, natus in urbe Romae ; puisqu'avec son principe on dirait également, natus Athenarum, qui serait aussi l'abrégé de celle-ci, natus in urbe Athenarum ". Il est évident que cet auteur prend acte de l'analogie générale qui ne permet pas de dire à la faveur de l'ellipse, natus Athenarum, pour en conclure que quoiqu'on dise natus Romae, ce n'est point une expression elliptique. Mais cette conséquence, comme on vient de le dire, n'est point légitime, parce qu'elle suppose qu'une exception une fois constatée, peut fonder une loi générale et destructive de l'analogie dont elle n'est qu'une exception.

S'il fallait admettre cette conséquence, qui empêcherait qu'on ne dit à cet auteur qu'il est certain que natus Romae, est une phrase très-bonne et très-latine, et que par conséquent on peut dire par analogie, natus Athenarum, natus Avenionis ? S'il donne à cette objection quelque réponse plausible, je l'adopte pour détruire l'objection qu'il fait lui-même à Sanctius ; et je reviens à ce que j'ai d'abord avancé, que le choix et la manière des ellipses ne sont point abandonnées au caprice des particuliers, parce que ce sont des transgressions d'une loi générale à laquelle il ne peut être dérogé que sous l'autorité incommunicable du législateur, de l'usage en un mot.

Quem penes arbitrium est, et jus, et norma loquendi.

Mais si la plénitude grammaticale est nécessaire à l'intégrité de l'expression et à l'intelligence de la pensée, l'usage lui-même peut-il étendre ses droits jusqu'à compromettre la clarté de l'énonciation, en supprimant des mots nécessaires à la netteté, et même à la vérité de l'image que la parole doit tracer ? Non sans-doute, et l'autorité de ce législateur suprême de la parole, loin de pouvoir y établir des lois opposées à la communication claire des pensées des hommes, qui en est la fin, n'est au contraire sans bornes, que pour en perfectionner l'exercice. C'est pourquoi, s'il autorise un tour elliptique pour donner à la phrase le mérite de la briéveté ou de l'énergie, il a soin d'y conserver quelque mot qui indique par quelque endroit la suppression et l'espèce des mots supprimés.

Ici, c'est un cas qui est essentiellement destiné à caractériser ou le complément simple d'une préposition, ou le complément objectif d'un verbe, ou le complément déterminatif d'un nom appelatif ; et quoique la préposition, le verbe, ou le nom appelatif ne soient pas exprimés, ils sont indiqués par ce cas, et entièrement déterminés par l'ensemble de la phrase : quem Minerva omnes artes edocuit, suppl. ad omnes artes ; ne sus Minervam, suppl. doceat ; ad Minervae, suppl. aedes.

Là, c'est un mot conjonctif qui suppose un antécédent, lequel est suffisamment indiqué par la nature même du mot conjonctif et par les circonstances de la phrase ; souvent cet antécédent, quand il est suppléé, se trouve lui-même dans l'un des cas que l'on vient de marquer, et il exige ou un nom appelatif, ou un verbe, ou une préposition : quando venies ? suppl. dic mihi illud tempus, ou quaero illud tempus ; quò vadis ? suppl. dic mihi ou quaero illum locum, etc. Voyez RELATIF, INTERROGATIF.

Ailleurs une simple inversion qui déroge à la construction ordinaire, devient le signe usuel d'une ellipse dont le supplément est indiqué par le sens : viendras-tu ? c'est-à-dire, dis-moi si tu viendras ; dussions-nous l'acheter, c'est-à-dire, quoique nous dussions l'acheter ; que ne l'ai-je Ve ! c'est-à-dire, je suis fâché de ce que je ne l'ai pas vu, &c.

Partout enfin ceux qui entendent la langue, reconnaissent à quelque marque infaillible ce qu'il peut y avoir de supprimé dans la construction analytique, et ce qu'il convient de suppléer pour en rétablir l'intégrité.

L'art de suppléer se réduit en général à deux points capitaux, que Sanctius exprime ainsi (Minerv. IV. ij.) : ego illa tantùm supplenda praecipio, quae veneranda illa supplevit antiquittas, aut ea sine quibus grammatica ratio constare non potest. La première règle de ne suppléer que d'après les anciens, quand les anciens fournissent des phrases pleines qui ont ou le même sens, ou un sens analogue à celui dont il s'agit ; cette première règle, dis-je, est fondée évidemment sur ce qu'il faut apprendre à parler une langue comme on la parle, et que cela ne peut se faire que par l'imitation de ceux qui sont reconnus pour l'avoir le mieux parlée.

Mais comme il y a quantité d'ellipses tellement autorisées dans toutes les circonstances, qu'il n'est pas possible d'en justifier les suppléments par des exemples où ils ne soient pas supprimés ; il faut bien se contenter alors de ceux qui sont indiqués par la logique grammaticale, en se rapprochant d'ailleurs, le plus qu'il est possible, de l'analogie et des usages de la langue dont il est question : c'est le sens de la seconde règle, qui autorise à juste titre les suppléments, sine quibus grammatica ratio constare non potest.

On objecte que ces additions faites au texte par forme de supplément, ne servent qu'à en énerver le style par des paroles superflues et des circonlocutions inouies et fatigantes, verbis lassas onerantibus aures : ce qui est expressément défendu par Horace, et par le simple bon sens, qui est de toutes les langues : que d'ailleurs, si au défaut des exemples et de l'autorité, l'on se permet de faire dépendre l'art des suppléments des vues de la construction analytique, telle qu'on l'a montrée dans les différents articles de cet ouvrage qui ont pu en donner occasion ; il arrivera souvent d'ajouter le barbarisme à la battologie : ce qui est détruire plutôt qu'approfondir l'esprit de la langue.

J'ai déjà répondu ailleurs (voyez SUBJONCTIF, à la fin), que le danger d'énerver le style par les suppléments est absolument chimérique, puisqu'on ne les donne pas comme des locutions usitées, mais au contraire comme des locutions évitées par les bons écrivains, lesquelles cependant doivent être envisagées comme des développements analytiques de la phrase usuelle. Ce n'est en effet qu'au moyen de ces suppléments, que les propositions elliptiques sont intelligibles ; non qu'il soit nécessaire de les exprimer quand on parle, parce qu'alors il n'y aurait plus d'ellipse ni de propriété dans le langage ; mais il est indispensable de les reconnaître et de les assigner, quand on étudie une langue étrangère, parce qu'il est impossible d'en concevoir le sens entier et d'en saisir toute l'énergie, si l'on ne Ve jusqu'à en approfondir la raison grammaticale. Il est mieux, à la vérité, de puiser, quand on le peut, ces suppléments analytiques dans les meilleures sources, parce que c'est se perfectionner d'autant dans la pratique du bon usage ; mais quand ce secours vient à manquer, il faut hardiment le remplacer comme on peut, quoiqu'il faille toujours suivre l'analogie générale : dans ce cas, plus les suppléments paraissent lâches, horribles, barbares, plus on voit la raison qui en a amené la suppression, malgré l'enchainement des idées grammaticales, dont l'empreinte subsiste toujours, lors même qu'il est rompu par l'ellipse. Mais aussi plus on est convaincu de la réalité de l'ellipse, par la nature des relations dont les signes subsistent encore dans les mots que conserve la phrase usuelle, plus on doit avouer la nécessité du supplément pour approfondir le sens de la phrase elliptique, qui ne peut jamais être que le résultat de la liaison grammaticale de tous les mots qui concourent à l'exprimer. (B. E. R. M.)

SUPPLEMENT d'un arc, en termes de Géométrie ou de Trigonométrie, est le nombre de degrés qui manquent à un arc pour faire le demi-cercle entier, ou 180 degrés, ainsi que complément est ce qui manque à un arc pour faire un quart de cercle. Voyez COMPLEMENT.

Ainsi le supplément d'un arc ou angle de 30 degrés est 150 degrés, et son complément est 60 degrés. (E)

SUPPLEMENT, en matière de Littérature, se dit d'une addition faite pour suppléer à ce qui manquait à un livre. Voyez APPENDIX et PARERGON.

Frenshemius a composé divers suppléments pour rétablir les livres de plusieurs auteurs de l'antiquité, dont on avait perdu des fragments.

Les François se servent aussi du mot supplément, pour exprimer une espèce de taxe, ou d'arriere-payement que l'on exige des propriétaires et possesseurs de terres et de charges, sous prétexte qu'elles ont été vendues d'abord au-dessous de leur juste valeur : c'est ce qu'on appelle supplément de finances.

SUPPLEMENT, arc de, c'est l'arc parcouru par le régulateur, après l'arc de levée, dans quelque échappement que ce soit : ainsi le recul dans l'un et le repos dans l'autre, sont l'objet de l'arc de supplément. Cet arc varie d'étendue par le plus ou le moins de force motrice ; mais il ne varie point, ou très-peu, dans le temps employé à le parcourir : au lieu que l'arc de levée, qui peut être appelé arc constant, ne varie point d'étendue par le plus ou le moins de la force motrice, mais bien dans le temps employé à le parcourir. Voyez ARC de levée.

SUPPLEMENT, s. m. (terme de Finances) ce mot se dit d'une taxe ou augmentation qu'on fait payer aux acquéreurs des domaines du roi qu'on croit aliénés au-dessous de leur juste valeur, ou à des officiers pourvus de charges dont le prix parait trop médiocre ; ce qui n'arrive guère dans le dernier cas, que pour des offices de nouvelle création. Diction. de Finances. (D.J.)