SOUHAIT, syn. (Grammaire) ces mots désignent en général le sentiment par lequel nous aspirons à quelque chose ; avec cette différence que désir ajoute un degré de vivacité à l'idée de souhait, et que souhait est quelquefois uniquement de compliment et de politesse : ainsi on dit les désirs d'une âme chrétienne, les souhaits de la nouvelle année, etc. (O)

DESIR, (Métaphysique et Morale) espèce d'inquiétude dans l'âme, que l'on ressent pour l'absence d'une chose qui donnerait du plaisir si elle était présente, ou du moins à laquelle on attache une idée de plaisir. Le désir est plus ou moins grand, selon que cette inquiétude est plus ou moins ardente. Un désir très-foible s'appelle velléité.

Je dis que le désir est un état d'inquiétude ; et quiconque réfléchit sur soi-même, en sera bientôt convaincu : car qui est-ce qui n'a point éprouvé dans cet état, ce que le sage dit de l'espérance (ce sentiment si voisin du désir), qu'étant différée elle fait languir le cœur ? cette langueur est proportionnée à la grandeur du désir, qui quelquefois porte l'inquiétude à un tel point, qu'il fait crier avec Rachel : donnez-moi ce que je souhaite, donnez-moi des enfants, ou je vais mourir.

Quoique le bien et le mal présent et absent agissent sur l'esprit, cependant ce qui détermine immédiatement la volonté, c'est l'inquiétude du désir fixé sur quelque bien absent quel qu'il soit ; ou négatif, comme la privation de la douleur à l'égard d'une personne qui en est actuellement atteinte ; ou positif, comme la jouissance d'un plaisir.

L'inquiétude qui nait du désir, détermine donc la volonté ; parce que c'en est le principal ressort, et qu'en effet il arrive rarement que la volonté nous pousse à quelque action, sans que quelque désir l'accompagne. Cependant l'espèce d'inquiétude qui fait partie, ou qui est du moins une suite de la plupart des autres passions, produit le même effet ; car la haine, la crainte, la colere, l'envie, la honte, etc. ont chacune leur inquiétude, et par-là opèrent sur la volonté. On aurait peut-être bien de la peine à trouver quelque passion qui soit exempte de désir. Au milieu même de la joie, ce qui soutient l'action d'où dépend le plaisir présent, c'est le désir de continuer ce plaisir, et la crainte d'en être privé. La fable du rat de ville et du rat des champs, en est le tableau. Toutes les fois qu'une plus grande inquiétude vient à s'emparer de l'esprit, elle détermine aussitôt la volonté à quelque nouvelle action, et le plaisir présent est négligé.

Quoique tout bien soit le propre objet du désir en général, cependant tout bien, celui-là même qu'on reconnait être tel, n'émeut pas nécessairement le désir de tous les hommes ; il arrive seulement que chacun désire ce bien particulier, qu'il regarde comme devant faire une partie de son bonheur.

Il n'y a je crois personne assez destitué de raison pour nier qu'il n'y ait du plaisir dans la recherche et la connaissance de la vérité. Malebranche à la lecture du traité de l'homme de Descartes, avait de tels transports de joie, qu'il lui en prenait des battements de cœur qui l'obligeaient d'interrompre sa lecture. Il est vrai que la vérité invisible et méprisée n'est pas accoutumée à trouver tant de sensibilité parmi les humains, mais les veilles des gens de lettres prouvent du moins qu'elle n'est pas indifférente à tout le monde. Et quant aux plaisirs des sens, ils ont trop de sectateurs pour qu'on puisse mettre en doute, si les hommes y sont sensibles ou non. Ainsi prenez deux hommes, l'un épris des plaisirs sensuels, et l'autre des charmes du savoir ; le premier ne désire point ce que le second aime passionnément. Chacun est content sans jouir de ce que l'autre possede, sans avoir la volonté ni l'envie de le rechercher.

Les choses sont représentées à notre âme sous différentes faces : nous ne fixons point nos désirs ni sur le même bien, ni sur le bien le plus excellent en réalité, mais sur celui que nous croyons le plus nécessaire à notre bonheur : de cette manière, les désirs sont souvent causés par de fausses idées ; toujours proportionnés aux jugements que nous portons du bien absent, ils en dépendent de même ; et à cet égard nous sommes sujets à tomber dans plusieurs égarements par notre propre faute.

Enfin chacun peut observer tant en soi-même que dans les autres, que le plus grand bien visible n'excite pas toujours les désirs des hommes, à proportion de l'excellence qu'il parait avoir, et qu'on y reconnait. Combien de gens sont persuadés qu'il y aura après cette vie un état infiniment heureux et infiniment au-dessus de tous les biens dont on peut jouir sur la terre ! Cependant les désirs de ces gens-là ne sont point émus par ce plus grand bien, ni leurs volontés déterminées à aucun effort qui tende à le leur procurer. La raison de cette inconséquence, c'est qu'une portion médiocre de biens présents suffit pour donner aux hommes la satisfaction dont ils sont susceptibles.

Mais il faut aussi que ces biens se succedent perpétuellement pour leur procurer cette satisfaction : car nous n'avons pas plutôt joui d'un bien, que nous soupirons après un autre. Nos mœurs, nos modes, nos habitudes, ont tellement multiplié nos faux besoins, que le fonds en est intarissable. Tous nos vices leur doivent la naissance ; ils émanent tous du désir des richesses, de la gloire, ou des plaisirs : trois classes générales de désirs, qui se subdivisent en une infinité d'espèces, et dont la jouissance n'assouvit jamais la cupidité. Les gens du commun et de la campagne, que le luxe, l'éducation et l'exemple n'ont pas gâtés, sont les plus heureux, et les plus à l'abri de la corruption. C'est pourquoi Lovelace, dans un roman moderne qui fait honneur à l'Angleterre (lettres de Clarisse), désespère d'attraper du messager de sa maîtresse les lettres dont elle l'a chargé. " Crais-tu Belford (mande-t-il à son ami) qu'il y eut si grand mal, pour avoir les lettres de mon ange, de casser la tête à ce coquin ? un ministre d'état ne le marchanderait pas : car d'entreprendre de le gagner par des présents, c'est folie ; il parait si tranquille, si satisfait dans son état de pauvreté, qu'avec ce qu'il lui faut pour manger et pour boire, il n'aspire point à vivre demain plus largement qu'aujourd'hui. Quel moyen de corrompre quelqu'un qui est sans désir et sans ambition " ? Tels étaient les Fenniens, au rapport de Tacite : ces peuples, dit cet historien, en sûreté contre les hommes, en sûreté contre les dieux, étaient parvenus à ce rare avantage de n'avoir pas besoin même de désirs.

En effet les désirs naturels, c'est-à-dire ceux que la seule nature demande, sont courts et limités : ils ne s'étendent que sur les nécessités de la vie. Les désirs artificiels, au contraire, sont illimités, immenses, et superflus. Le seul moyen de se procurer le bonheur, consiste à leur donner des bornes, et à en diminuer le nombre. C'est assez que d'être, disait si bien à ce sujet madame de la Fayette. Ainsi, puisque la mesure des désirs est celle des inquiétudes et des chagrins, gravons bien dans nos âmes ces vers admirables de la Fontaine :

Heureux qui vit chez soi,

De régler ses désirs faisant tout son emploi !

Il ne sait que par oui-dire

Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire,

Fortune, qui nous fais passer devant les yeux

Des dignités, des biens que jusqu'au bout du monde

On suit, sans que l'effet aux promesses réponde !

La Fontaine, liv. VII. fable XIIe

Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.