VIE, (Morale) c'est un commerce spirituel et réciproque qui se fait au-dedans de l'âme entre le créateur et la créature par les opérations de Dieu dans l'âme, et la coopération de l'âme avec Dieu. Les pères distinguent trois différents degrés par lesquels passe l'âme fidèle, ou trois sortes d'amours auxquels Dieu élève l'homme qui s'est occupé de lui. Ils appellent le premier amour de préférence, ou vie purgative ; c'est l'état d'une âme que les touches de la grâce divine, et les remords d'une conscience justement alarmée, ont pénétré des vérités de la religion, et qui occupée de l'éternité, ne veut plus rien qui ne tende vers ce terme. L'homme dans cette situation s'occupe tout entier à mériter les biens ineffables que la religion promet, et à éviter les peines éternelles dont elle menace. Dans ce premier état l'âme règle sa conduite sur ses devoirs, et donne toujours la préférence au créateur sur tout ce qui est créé. L'esprit de pénitence lui fait embrasser une mortification qui asservit en même temps les passions et les sens, alors toutes ses pensées étant élevées vers Dieu, chaque action n'a d'autre principe ni d'autre fin que lui seul ; la prière devient habituelle. L'ame n'est plus interrompue par les travaux extérieurs qu'elle embrasse cependant autant que les devoirs particuliers de son état ou ceux de la charité l'y obligent. Mais l'esprit de recueillement les fait entrer dans l'exercice même de la prière. Néanmoins la méditation se fait encore par des actes méthodiques. L'ame s'occupe d'une manière réfléchie des paroles de l'Ecriture-sainte, et d'actes dictés pour se tenir dans la présence de Dieu. Dans l'ordre des choses spirituelles, les biens augmentent à proportion de la fidélité de l'âme ; et de ce premier état elle passe bientôt à un degré plus élevé et plus parfait appelé vie illuminative ou amour de complaisance. En effet l'âme qui a contracté l'heureuse habitude de la vertu acquiert un nouveau degré de faveur, elle goutte dans sa pratique une facilité et une satisfaction qui lui rend précieuses toutes les occasions de sacrifice, et quoique les actes de son amour soient encore discursifs, c'est-à dire, sentis et réfléchis, elle ne délibère plus entre l'intérêt temporel, et le devoir qu'elle doit à Dieu est alors son plus grand intérêt. Ce n'est plus assez pour elle de faire le bien, elle veut le plus grand bien, en sorte que de deux actes bons en eux-mêmes, elle accomplit toujours le plus parfait, parce qu'elle ne se regarde plus elle-même du moins volontairement, mais la gloire et la plus grande gloire de Dieu. C'est ce degré d'amour qui fait chérir aux solitaires le silence, la mortification, et la dépendance des cloitres si opposés à la nature, et en apparence si contraire à la raison, dans lesquels cependant ils goutent des sentiments plus doux, des plaisirs plus sensibles, des transports plus réels, que tout ce que le monde offre de plus séduisant ; ces vérités sont d'expérience, et ceux qui ne les ont pas pratiquées ne peuvent ni ne doivent les comprendre, comme le dit le cardinal Bona ; elles sont attestées par une suite constante d'expériences, depuis l'apôtre saint Paul jusqu'à saint François de Sales.

Rien n'apprend mieux à l'homme ce qu'il est que la connaissance du Dieu qui l'a formé ; la grandeur du Créateur lui donne une juste idée de la petitesse de la créature ; la disproportion infinie qu'il aperçoit entre l'être suprême et les hommes, lui apprend ce qu'ils sont, et combien sont méprisables les vanités qui les distinguent, et les frivolités qui les occupent. Ainsi les grâces que Dieu n'accorde qu'aux humbles rendent encore leur humilité plus profonde. C'est la disposition où doit être l'âme fidèle pour arriver au troisième degré de la vie intérieure appelée vie unitive ou amour d'union, et à laquelle les épreuves extérieures et intérieures servent de préparation. Cet état a été défini, un acte passif où il semble que Dieu agit seul, et que l'âme ne fait qu'obéir à la force impulsive qui la porte vers lui ; mais cet état est rarement habituel, et il reste toujours des actes distincts qui spécifient les vertus. Dieu n'élève ses Saints sur la terre à ce degré que d'une manie momentanée par anticipation des biens célestes. C'est l'habitude de la contemplation et l'union de l'amour qui ont mérité dans plusieurs des Saints dont l'église a canonisé les vertus, ces extases, ces ravissements, ces révélations qu'on doit regarder comme des miracles que Dieu, quand il lui plait, fait éprouver à l'âme fidèle ; mais qu'il ne nous appartient pas de demander. Ces états extraordinaires et ineffables, devenus l'objet de l'ambition de quelques mystiques, ont donné lieu à bien des illusions qui ont perdu ceux qui d'eux-mêmes ont voulu s'introduire dans le sanctuaire de ses grâces de prédilection. Dieu n'en gratifie que celui qui s'en croit vraiement indigne, et dans lequel ces dons divins produisent une foi plus vive, une charité plus ardente, une humilité plus profonde, un dénuement plus parfait, une pratique plus généreuse de ce qu'il y a d'héroïque dans toutes les vertus. Les autres chez lesquels ces états surnaturels ne sont pas précédés de l'exercice des vertus et n'en perfectionnent pas la pratique, tombent dans une illusion bien dangereuse. Tel est l'état de ces femmes prétendues dévotes, dans lesquelles la sensibilité du cœur, la vivacité des passions et la force de l'imagination ont des effets qu'elles prennent pour des grâces singulières, et qui souvent ont des causes toutes humaines, quelquefois même criminelles. Ces déplorables égarements ont donné lieu à des extravagances dont l'opprobre est retombé par une suite aussi ordinaire qu'injuste sur les opérations même de la grâce. Il y a eu de faux mystiques dès le commencement de l'Eglise depuis les Gnostiques jusqu'aux Quiétistes, dont les erreurs, quoique condamnées précédemment dans le concîle de Vienne, ont paru vouloir se renouveller le siècle passé. Voyez QUIETISME.