adj. (Diète) se dit d'un aliment incapable d'être digéré, et qui serait par conséquent plus proprement appelé indigestible ou indigérable. Un pareil aliment est encore appelé, dans le langage ordinaire, lourd, pesant et chargeant.

Ce mot ne se prend point à la rigueur et dans un sens absolu, parce que les matières absolument incapables d'être digérées sont rejetées de la classe des aliments, lors même qu'elles contiennent une substance nutritive. Ainsi comme on ne s'avise point de manger les os durs, les cornes, les poils, les racines ligneuses, etc. quoique ces matières soient indigestes par excellence, ce n'est pas dans celles de cet ordre que les Médecins considèrent cette qualité. Ainsi donc un aliment indigeste n'est qu'un aliment de difficîle digestion.

Il n'y a point d'aliment généralement et absolument indigeste ; c'est-à-dire, dont la digestion soit difficîle pour tous les sujets. Cette considération est nécessairement liée à la précédente : car une matière qui serait constamment et universellement difficîle à digérer, serait aussi infailliblement exclue de la classe des aliments qu'une matière absolument incapable de digestion. Un aliment indigeste est donc celui qui est difficilement digéré par le plus grand nombre de sujets sains, ou par un ordre entier de sujets sains. Voyez la fin de cet article.

On a remarqué à l'art. ALIMENT et à l'art. DIGESTION (Voyez ces articles), que les divers estomacs ne s'accommodaient pas également des mêmes aliments, et qu'on observait communément à cet égard des bizarreries fort singulières. Or comme ces bizarreries sont telles que les aliments les plus parfaits, les plus généralement propres à une digestion aisée et louable, y sont soumis comme les plus indigestes ; il est clair que ces accidents ne doivent point être mis sur le compte des aliments.

Les aliments réellement indigestes en soi par leur constitution propre, sont de deux espèces, savoir ceux qui par leur tissu dense, serré, membraneux, fibreux, coèneux, coriace, visqueux, opposent aux organes et aux sucs digestifs une résistance trop forte. Ce sont parmi les aliments qu'on tire des animaux, les cartilages, la chair dure des animaux vieux, maigres, ou salée, ou fumée, ou trop récente, le gosier des oiseaux, le cœur de tous les animaux, etc. la peau, comme coène de lard, la peau de hure de sanglier, de grosse volaille, etc. les parties membraneuses, comme estomac, boyaux, etc. les pieds de cochon, de veau, de mouton, etc. les huitres, les limaçons, les écrevisses et tous les crustacées, la seche, la raie et autres poissons dont la chair est très-fibreuse ; les œufs durs, etc. et parmi ceux que fournissent les végétaux, le pain bis, gluant, mal levé, mal cuit, la croute de pâté et autres pâtisseries non-fermentées, et feuilletées, etc. les peaux ou écorces des fruits, et éminemment l'écorce blanche des oranges, des citrons, etc. les feuilles de certaines plantes dures, minces, séches, comme de pimprenelle, de persil, etc. les racines et bulbes d'un tissu fibreux et serré, comme le sont souvent celles du panais, des raves qui commencent à monter, etc. les oignons, etc. des fruits à parenchyme fibreux comme les oranges, ou d'un tissu ferme et compacte, comme les amandes, noix, etc. les semences légumineuses entières, et mal ramollies par la cuisson, etc.

La seconde classe d'aliments indigestes comprend ceux qui par leur consistance molle, égale, douce, dissoute, leur fadeur, leur inertie, et peut-être une qualité laxative occulte, n'excitent point convenablement le jeu des organes digestifs, et sont trop-tôt et trop facilement pénétrés par les humeurs digestives. Ce sont les viandes grasses, délicates, fondantes, la graisse, les laitages surtout mêlés avec les œufs et le sucre ; les fruits doux, succulents et fondants, les vins doux, le mout, le miel, les sucreries, etc. Voyez tous les articles particuliers où il est traité des diverses matières comprises sous les différentes divisions que nous venons d'assigner.

Les aliments indigestes de la première classe exercent presque infailliblement leur opération malfaisante sur les sujets délicats, élevés mollement, peu exercés, etc. mais pourtant sains, du moins à cela près, voyez SANTE, et sont au contraire éminemment convenables aux sujets vigoureux, menant une vie dure, et laborieuse, etc. et réciproquement ceux de la seconde classe sont tout aussi communément funestes aux sujets vigoureux, et utiles aux sujets faibles. Voyez DOUX, DIETE et REGIME. (b)

INDIGESTION. s. f. (Médecine) Ce mot composé est proprement français, quoiqu'il soit formé du simple digestio qui est latin, et de la particule privative latine in. (Le mot indigestio que quelques médecins ont employé dans des ouvrages latins, est un vrai barbarisme). Notre indigestion est l'affection que les Grecs ont appelée et , et les latins cruditas : car les différences attachées à ces divers noms méritant peu de considération, peuvent être négligées sans scrupule.

L'indigestion est une espèce particulière de digestion viciée, vicieuse ou lésée ; savoir, la nullité, ou du moins la très-grande imperfection de la digestion des aliments ; et ce mot ne désigne pas seulement ce vice considéré en soi et strictement, mais l'ensemble de tous les accidents, c'est-à-dire la maladie dont il est cause. Au reste, les noms les plus usités de la plupart des maladies sont pris dans la même acception : il est tout commun dans le langage de la Médecine de prendre comme ici la cause pour l'effet. L'indigestion est donc une incommodité ou une maladie quelquefois très-grave, dont la cause évidente est la présence des aliments non digérés dans l'estomac.

L'indigestion simple ou légère, celle que nous venons d'appeler une incommodité, voyez INCOMMODITE, s'annonce par un sentiment de pesanteur dans l'estomac, par des rapports chargés du goût et de l'odeur, ou même de quelques parties des aliments contenus dans l'estomac ; par des nausées, par des douleurs d'entrailles, par une gêne quelquefois assez considérable dans la respiration ; par la pâleur du visage, des angoisses, et même des défaillances ; par un pouls lent, petit, serré, frémissant, stomachal. Tous ces symptômes se manifestent dans un temps plus ou moins éloigné du repas qui les occasionne ; ordinairement quatre ou cinq heures après ce repas ; quelquefois beaucoup plus tard, et même après plusieurs heures d'un sommeil assez tranquille.

L'indigestion grave et vraiment maladive est accompagnée du gonflement de l'estomac, des hypochondres, de tout le bas-ventre ; de borborygmes ou flatuosités que les malades tentent envain de chasser par les voies ordinaires ; de respiration difficile, ronflante, sifflante ou entrecoupée ; d'affection soporeuse, de convulsions, de délire, de fièvre.

Je divise l'indigestion en nécessaire et en accidentelle.

J'appelle nécessaire ou infaillible celle qu'éprouvent des sujets chez qui la digestion des aliments quelconques est essentiellement impossible ; comme chez ceux qui ont le pylore fermé ou considérablement retréci ; l'estomac desséché, racorni, calleux, ou dans un relâchement absolu, une espèce d'atonie, de paralysie (image sous laquelle on peut se représenter l'état de l'estomac de certains vieillards qui, après avoir été très-voraces, ont presque absolument perdu la faculté de digérer) ; chez ceux encore dont l'estomac est comprimé par une tumeur considérable des parties voisines ; ou bien blessé, abscédé, déplacé, etc.

J'appelle indigestion accidentelle, celle qui arrive dans les sujets vraiment sains, ou qui n'ont point de disposition maladive bien décidée ; ou bien qui, quoique réellement malades, ne sont point incapables de digérer sous certaines circonstances, comme celles d'une certaine consistance des aliments, d'une certaine quantité, etc. Ainsi, quoique dans les fièvres aiguës et dans les grandes plaies suppurantes, par exemple, l'indigestion soit une suite presque infaillible de l'usage des aliments solides, cependant les aliments liquides se digèrent suffisamment dans ce cas, etc.

Nous avons déjà suffisamment indiqué les causes de l'indigestion infaillible ; celles de l'indigestion accidentelle ont été divisées avec raison en causes extérieures, et en dispositions particulières du sujet affecté. Les causes de ces deux classes peuvent agir séparément et indépendamment les unes des autres. Elles peuvent aussi concourir, agir ensemble, ce qui est le cas le plus ordinaire.

Les causes extérieures des indigestions sont principalement les erreurs de régime que les auteurs de diete réduisent à ces chefs par rapport aux aliments : manger trop ; manger des aliments indigestes, voyez INDIGESTE, ou des mélanges incongrus d'aliments, voyez REGIME ; manger mal-à-propos, ou lorsqu'il ne faut point, comme lorsqu'on n'a pas encore digéré le repas précédent, ou même pour plusieurs sujets très-sains et bien vigoureux, manger à des heures insolites. C'est encore, selon des auteurs, une erreur grave dans l'usage des aliments d'intervertir l'ordre dans lequel on doit les prendre. Mais les observations et les lois qui nous ont été laissées sur cet ordre prétendu sont absolument précaires et démenties par l'expérience journalière, voyez REGIME. Boire excessivement pendant le repas, même la liqueur la plus innocente en soi, comme l'eau fraiche ; et boire peu de temps après le repas, sont aussi des causes communes d'indigestion. L'ivresse contractée en mangeant, en est une cause bien plus fréquente encore : quant à l'usage des autres choses non-naturelles, l'exercice violent, et même l'exercice modéré chez les uns, le repos et le sommeil chez les autres, l'acte vénérien, un accès de passion violente, un froid soudain, etc. toutes ces choses, dis-je, survenant au repas, sont des causes communes d'indigestion.

Les dispositions particulières sont, outre l'état évident de maladie dont nous avons déjà parlé, comme la fiévre aiguë et les grandes plaies suppurantes, sont, dis-je, les intempéries, c'est-à-dire l'état plus ou moins éloigné de l'état sain (voyez INTEMPERIE) de l'estomac et des autres organes qui servent à la digestion, le défaut, l'excès, ou les vices des sucs digestifs, la constitution pituiteuse, humide, lâche, accompagnée d'extrême embonpoint, de paresse, de stupidité, de penchant au sommeil, de cou apoplectique, etc. la disposition passagère de tout le corps acquise par une fatigue excessive, par une grande contention d'esprit, par une passion violente, le dégout, ou même le manque de faim, l'amas des restes de plusieurs digestions imparfaites précédentes, l'écoulement des règles, un accès d'hémorrhoïdes ou de goutte manquée, ou se préparant laborieusement.

Les causes extérieures agissant seules, c'est-à-dire sur les sujets réellement sains, ne produisent jamais que l'indigestion simple ou légère. Les dispositions particulières, même les plus légères, peuvent sans être secondées par aucune cause extérieure, et par les seules révolutions propres à l'économie animale, ou si l'on veut par le mauvais effet d'un grand nombre de digestions toujours pénibles pour des organes malades ; effet cependant longtemps insensible, sourd, caché, peuvent, dis-je, occasionner de temps-en-temps de vraies indigestions, et même de la pire espèce, et d'autant plus graves, qu'elles se seront préparées de plus loin. Ces cas ne sont pas rares ; cependant c'est communément le concours des causes extérieures et des dispositions particulières qui produit les indigestions graves. Comme il n'y a que ce concours qui vraisemblablement puisse produire une maladie proprement dite. Voyez MALADIE.

Les indigestions que j'ai appelées infaillibles, étant comme ce nom même l'exprime, des accidents toujours prévus, elles peuvent toujours être détournées par un régime convenable ; et c'est presque à les prévenir, que se borne uniquement le secours que l'art peut fournir dans ce cas ; car ces indigestions surviennent à des sujets si faibles, ou d'ailleurs si malades, qu'ils y succombent le plus souvent, ou du moins que leur mort en est considérablement hâtée. Au reste elles indiquent, lorsqu'elles ne sont pas absolument incurables, les secours communs aux indigestions graves en général ; secours que nous indiquerons dans la suite de cet article.

Les indigestions legeres, celles qu'éprouvent les sujets sains et vigoureux, se terminent ordinairement d'elles-mêmes par une abondante purgation, soit par le vomissement et par les selles, soit par les selles seulement, ce qui s'appelle percer ; une pareille indigestion doit être regardée comme un effort critique, suivi de l'effet le plus complet ; ou si l'on veut, comme l'action d'une forte médecine, comme une superpurgation plus ou moins modérée.

Les malades et les Médecins ont coutume de seconder cette évacuation spontanée par une boisson abondante d'une liqueur aqueuse tiede, ou même par quelques grains de tartre stibiés donnés soit en lavage, soit en une seule dose. Ces secours abregent en effet le mal-aise souvent très-incommode, les angoisses, la douleur ; mais il est sur qu'ils ne sont pas nécessaires, et qu'une courageuse expectation suffirait le plus souvent. Il est plus généralement utîle de donner après que les évacuations spontanées ont presque entièrement cessé, un purgatif doux, et dont l'effet se borne, autant qu'il est possible, à entraîner le reste des aliments non digérés, et quelques sucs, dont l'excrétion a été vraisemblablement augmentée, forcée pendant l'indigestion. Les eaux minérales purgatives sont éminemment propres à remplir cette indication.

Les indigestions qui se présentent sous l'apparat le moins effrayant, qui ont d'abord le caractère par lequel nous avons défini les indigestions legeres, et lors même qu'elles tendent à la solution de la manière la plus avantageuse, qu'elles percent ; ces affections, dis-je, qui selon ce que nous venons de faire entendre, méritent à peine le nom d'incommodité chez les personnes saines et vigoureuses, ne doivent pas être regardées comme une affection d'aussi peu de conséquence chez les sujets mal constitués dont nous avons fait mention plus haut. Elles peuvent dans tous les temps de l'attaque dégénérer en indigestion grave. On ne saurait trop se hâter, surtout dans les sujets humides, pléthoriques, lourds, chargés d'embonpoint, sujets aux affections soporeuses, de dégager l'estomac et les intestins par le secours de puissants évacuans, et surtout du tartre émétique donné d'abord à assez haute dose pour vider l'estomac, et ensuite très-étendu et mêlé à la manne, ou aux sels purgatifs, ou bien dissous dans une eau minérale, chargée d'un sel ou de sels neutres.

L'indigestion grave est relativement à sa terminaison accompagnée de vomissement, ou d'évacuation par les selles ; ou bien elle n'est point accompagnée de ces évacuations, et elle s'appelle dans le langage ordinaire indigestion seche. La dernière est communément regardée comme plus dangereuse que la première ; mais cette opinion n'est pas confirmée par l'expérience. Il n'est pas rare de voir, surtout chez des hommes mélancholiques et chez des femmes vaporeuses, des indigestions seches, accompagnées de gonflement considérable du bas-ventre, de douleurs de colique très-cruelles, de borborygmes énormes, de convulsions, de fiévre, se dissiper en deux ou trois jours sans aucun secours médicinal, ou tout au plus par celui de quelques lavages, et moyennant la diéte la plus sévère ; et n'être terminées par aucune évacuation abdominale, mais seulement par la voie de la transpiration et par l'écoulement de quelques urines troubles : et d'un autre côté des indigestions qui produisent de bonne heure le vomissement, n'en sont pas moins suivies pour cela des accidents les plus funestes, d'affections convulsives ou soporeuses, d'inflammations du bas-ventre, d'une fiévre prolongée, et qui devient une seconde maladie susceptible de toutes les diverses déterminations vers la poitrine, la tête, les viscères du bas-ventre, et de tous les caractères de maladie humorale, nerveuse, maligne, etc. Voyez MALADIE.

L'indigestion grave n'a pas, comme on voit par ce court exposé, un caractère constant et une marche uniforme, d'après quoi on puisse établir une méthode curative générale ; on peut avancer seulement que l'administration convenable des boissons aqueuses et des divers évacuans, soit émétiques, soit purgatifs, doit fournir la base de la curation dans tous les cas.

C'est un ancien dogme en Médecine, de ne pas saigner dans les indigestions, non plus que pendant l'effet d'un purgatif, dans les coliques d'estomac, et dans les coliques intestinales. Les Médecins s'en sont un peu écartés dans le traitement des coliques, vraisemblablement mal-à-propos : l'observation a prouvé que la saignée était presque constamment funeste pendant l'action d'un vrai purgatif. Quelques médecins mettent aujourd'hui en problème si on doit saigner dans les indigestions, voyez Journal de Médecine, Février 1759 ; et la mode parait même être sur le point de se décider pour l'affirmative. Car la pléthore, les érétismes, l'engorgement du cerveau annoncé par l'assoupissement, le délire, les convulsions, sont des états que la théorie courante a si fort réalisés, et qu'elle a soumis si exclusivement, aussi-bien que la violence de la fiévre, à l'action victorieuse de la saignée, que certes il est difficîle de renoncer à la conséquence pratique qui découle naturellement de ses principes. Aussi est-il déjà écrit qu'il faut saigner dans les indigestions, lorsque la fiévre est violente, la pléthore évidente, etc. voyez Journal de Médecine à l'endroit déjà cité. Mais j'ose l'avancer avec assurance ; cette pratique est proscrite par trop d'événements malheureux. Les raisons sur lesquelles on l'a appuyée jusqu'à présent sont, s'il est permis d'ainsi parler, si rationelles ; et la distinction des cas qu'on a voulu assigner les uns à l'émétique, les autres à la saignée, cette distinction sur laquelle on l'établit principalement, constitue une division si incomplete , puisqu'on a omis ceux qu'il fallait livrer à l'expectation ou au rien-faire ; l'utilité de la saignée est si peu manifestée par des faits ; d'ailleurs l'analogie des funestes effets de la saignée pendant l'action réelle d'un purgatif, est si frappante ; l'induction plus générale à tirer de ce que l'indigestion est un effort critique très-évident, très-actuel, très-présent, et du trouble dangereux que la saignée a coutume de jeter dans un pareil travail ; enfin, le peu de valeur réelle de la saignée en soi, et comme secours véritablement curatif ; toutes ces considérations doivent faire prévaloir l'ancienne pratique, rendre la saignée scrupuleusement prohibée dans l'indigestion proprement dite, pendant tout le temps où l'on peut raisonnablement soupçonner l'action des aliments non digérés sur l'estomac et sur les intestins. Or nous pensons que dans les indigestions graves prolongées, cette cause doit être soupçonnée au-moins pendant trois jours. Quant à leurs suites proprement dites, c'est-à-dire ce temps qu'il faut regarder comme une maladie secondaire ou subséquente, la circonstance d'avoir été produite ou déterminée par une indigestion, ne parait point influer sur le caractère de cette maladie, de façon à contre-indiquer les secours ordinaires. (b)