S. m. (Morale) c'est cette qualité, cette vertu mâle qui nait du sentiment de ses propres forces, et qui par caractère ou par réflexion fait braver les dangers et ses suites.

Delà vient qu'on donne au courage les noms de cœur, de valeur, de vaillance, de bravoure, d'intrépidité : car il ne s'agit pas ici d'entrer dans ces distinctions délicates de notre langue, qui semble porter dans l'idée des trois premiers mots plus de rapport à l'action que dans celle des deux derniers, tandis que ceux-ci à leur tour renferment dans leur idée particulière un certain rapport au danger que les trois premiers n'expriment pas. En général, ces cinq mots sont synonymes et désignent la même chose, seulement avec un peu plus ou un peu moins d'énergie. Voyez BRAVOURE.

On ne saurait s'empêcher d'estimer et d'honorer extrêmement le courage, parce qu'il produit au péril de la vie les plus grandes et les plus belles actions des hommes ; mais il faut convenir que le courage, pour mériter véritablement l'estime, doit être excité par la raison, par le devoir, et par l'équité. Dans les batailles, la rage, la haine, la vengeance, ou l'intérêt, agitent le cœur du soldat mercénaire ; mais la gloire, l'honneur et la clémence, animent l'officier de mérite. Virgile a bien senti cette différence. Si l'éclat et le brillant font paraitre dans son poème la valeur de Turnus plus éblouissante que celle d'Enée, les actions prouvent qu'en effet et au fond la valeur d'Enée l'emporte infiniment sur celle de Turnus. Epaminondas n'a pas moins de résolution, de vaillance et de courage, qu'aucun héros de la Grèce et de Rome ; " non pas de ce courage (comme dit Montagne) qui est éguisé par l'ambition, mais de celui que l'esprit, la sapience et la raison peuvent planter en une âme bien réglée, il en avait tout ce qui s'en peut imaginer. "

Cette louange dont Epaminondas est bien digne, me conduit à la distinction philosophique du courage de cœur, si je puis parler ainsi, qu'on nomme communément bravoure, qui est le plus commun, et de cette autre espèce de courage qui est plus rare, que l'on appelle courage de l'esprit.

La première espèce de courage est beaucoup plus dépendante de la complexion du corps, de l'imagination échauffée, des conjonctures et des alentours. Versez dans l'estomac d'un milicien timide des sucs vigoureux, des liqueurs fortes, alors son âme s'arme de vaillance ; et cet homme devenu presque féroce, court gaiement à la mort au bruit des tambours. On est brave à la guerre, parce que le faste, le brillant appareil des armes, le point d'honneur, l'exemple, les spectateurs, la fortune, excitent les esprits que l'on nomme courage. Jettez-moi dans les troupes, dit la Bruyere, en qualité de simple soldat, je suis Thersite ; mettez-moi à la tête d'une armée dont j'aye à répondre à toute l'Europe, je suis Achille. Dans la maladie, au contraire, où l'on n'a point de spectateurs, point de fortune, point de distinctions à espérer, point de reproches à appréhender, l'on est craintif et lâche. Où l'on n'envisage rien pour récompense du courage du cœur, quel motif soutiendrait l'amour propre ? Il ne faut donc pas être surpris de voir les héros mourir lâchement au lit, et courageusement dans une action.

Le courage d'esprit, c'est-à-dire, cette résolution calme, ferme, inébranlable dans les divers accidents de la vie, est une des qualités des plus rares. Il est très aisé d'en sentir les raisons. En général tous les hommes ont bien plus de crainte, de pusillanimité dans l'esprit que dans le cœur ; et comme le dit Tacite, les esclaves volontaires font plus de tyrants, que les tyrants ne font d'esclaves forcés.

Il me semble, avec un auteur moderne qui a bien développé la différence des deux courages (Considér. sur les mœurs), " que le courage d'esprit consiste à voir les dangers, les périls, les maux et les malheurs, précisément tels qu'ils sont, et par conséquent les ressources ; les voir moindres qu'ils ne sont, c'est manquer de lumières ; les voir plus grands, c'est manquer de cœur : la timidité les exagère ; et par-là les fait croitre : le courage aveugle les déguise, et ne les affoiblit pas toujours ; l'un et l'autre mettent hors d'état d'en triompher. Le courage d'esprit suppose et exige souvent celui du cœur ; le courage du cœur n'a guère d'usage que dans les maux matériels, les dangers physiques, ou ceux qui y sont rélatifs. Le courage d'esprit a son application dans les circonstances les plus délicates de la vie. On trouve aisément des hommes qui affrontent les périls les plus évidents ; on en trouve rarement qui sans se laisser abattre par un malheur, sachent en tirer le parti qui conviendrait ".

Cependant l'Histoire, et l'on ne doit pas le dissimuler, ne manque pas d'exemples de gens qui ont réuni admirablement en eux le courage de cœur et le courage d'esprit : il ne faut que lire Plutarque parmi les anciens, et de Thou parmi les modernes, pour sentir son âme élevée par des traits et des actions de cette espèce, glorieuses à l'humanité. Mais l'exemple le plus fort et le plus frappant qu'il y ait peut-être en ce genre, exemple que tout le monde sait, qu'on cite toujours, et que j'ose encore transcrire ici, c'est celui d'Arria femme de Cecina Poetus, fait prisonnier par les troupes de l'empereur Claude, après la déroute de Scribonianus, dont il avait embrassé le parti.

Cette femme courageuse ayant inutilement tenté, par les instances les plus vives, les plus séduisantes, et les plus ingénieuses, d'être reçue dans le navire qui conduisait son mari prisonnier, loua, sans s'abandonner au désespoir, un bateau de pêcheur, et suivit Poetus toute seule dans ce petit esquif depuis l'Esclavonie jusqu'à Rome. Quand elle y fut arrivée, et qu'elle ne vit plus d'espérance de sauver les jours de son mari, elle s'aperçut qu'il n'avait pas le cœur assez ferme pour se donner la mort, à laquelle la cruauté de l'empereur le contraignait. Dans cette extrémité elle commença, pour tâcher d'y disposer Poetus, d'employer ses conseils et ses exhortations les plus pressantes : alors le voyant ébranlé, elle prit dans sa main le poignard qu'il portait : Sic Poete, fais ainsi mon cher Poetus ; et à l'instant s'étant donné un coup mortel de ce même poignard, elle l'arracha de la plaie, le lui présenta tranquillement, et lui dit en expirant ces trois mots : Poete non dolet ; tiens, Poetus, il ne m'a point fait de mal. Praeclarum illud, s'écrie Pline, ferrum stringère, perfodere pectus, extrahere pugionem, porrigère marito, addere vocem immortalem ac poene divinam, Poete non dolet. Pline, ép. XVIe liv. III. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.