ou TARANTULE, dans l'histoire naturelle est un insecte venimeux, dont la morsure a donné le nom à la maladie appelée tarantisme. Voyez TARANTISME.

La tarentule est une espèce d'araignée, ainsi appelée à cause de la ville de Tarente dans la Pouille, où elle se trouve principalement. Elle est de la grosseur environ d'un gland ; elle a huit pieds et huit yeux ; sa couleur est différente ; mais elle est toujours garnie de poils. De sa bouche sortent douze espèces de cornes un peu recourbées, dont les pointes sont extrêmement aiguës, et par lesquelles elle transmet son venin.

M. Geoffroy observe que ses cornes sont dans un mouvement continuel, sur - tout lorsque l'animal cherche sa nourriture, d'où il conjecture qu'elles peuvent être des espèces de narines mobiles.

La tarentule se trouve en plusieurs autres endroits de l'Italie, et même dans l'île de Corse ; mais celles de la Pouille sont les seules dangereuses. On prétend même que celles-ci ne le sont plus lorsqu'elles sont transportées ailleurs. On ajoute que même dans la Pouille il n'y a que celles des plaines qui soient fort à craindre, parce que l'air y est plus chaud que sur les montagnes.

M. Geoffroy ajoute que, selon quelques-uns, la tarentule n'est venimeuse que dans la saison de l'accouplement ; et Baglivi dit qu'elle l'est seulement pendant les chaleurs de l'été, mais surtout pendant la canicule ; et qu'alors étant comme enragée, elle se jette sur tout ce qu'elle rencontre.

Sa morsure cause une douleur qui d'abord parait à-peu-près semblable à celle que cause la piquure d'une abeille ou d'une fourmi. Au bout de quelques heures, on sent un engourdissement, et la partie affectée se trouve marquée d'un petit cercle livide, qui bientôt après devient une tumeur très-douloureuse. Le malade ne tarde pas à tomber dans une profonde mélancolie, sa respiration est très-difficile, son pouls devient faible, la connaissance diminue ; enfin il perd tout à fait le sentiment et le mouvement, et il meurt à-moins que d'être secouru. Mais ces symptômes sont un peu différents, suivant la nature de la tarentule et la disposition de la personne. Une aversion pour le noir et le bleu ; et au contraire une affection pour le blanc, le rouge et le verd sont d'autres symptômes inexplicables de cette maladie.

Tous les remèdes que la Médecine a pu découvrir par le raisonnement, consistent en quelques applications extérieures, en des cordiaux et des sudorifiques ; mais tout cela est peu efficace. Ce qui vaut infiniment mieux, et que la raison ne pouvait jamais découvrir, c'est la musique. Voyez MUSIQUE.

Dès que le malade a perdu le sentiment et le mouvement, on fait venir un musicien qui essaie différents airs sur un instrument ; et lorsqu'il a rencontré celui qui plait au malade, on voit aussi-tôt celui-ci faire un petit mouvement : ses doigts commencent à se remuer en cadence, ensuite ses bras, puis ses jambes et tout le corps successivement. Enfin il se lève sur ses pieds et se met à danser, devenant toujours plus fort et plus actif. Quelques-uns continuent à danser pendant six heures sans relâche.

On met ensuite le malade au lit ; et quand on juge qu'il est suffisamment reposé de sa danse, on le fait lever en jouant le même air pour danser de nouveau.

On continue cet exercice pendant plusieurs jours, c'est-à-dire pendant six ou sept au plus. Alors le malade se trouve excessivement fatigué et hors d'état de danser plus longtemps, ce qui est la marque de la guérison ; car tant que le poison agit sur lui, il danserait, si l'on voulait, sans discontinuer jusqu'à ce qu'il mourut de faiblesse.

Le malade se sentant fatigué, commence à revenir à lui-même, et se réveille comme d'un profond sommeil, sans aucun souvenir de ce qui lui est arrivé dans son paroxysme, et pas même d'avoir dansé.

Quelquefois il est entièrement guéri après un premier accès. Si cela n'est pas, il se trouve accablé de mélancolie, il évite la vue des hommes et cherche l'eau ; et si on ne veille exactement sur lui, il se jette dans quelque rivière. S'il ne meurt pas de cette fais, il retombe dans son accès au bout de douze mois, et on le fait danser de nouveau. Quelques-uns ont régulièrement ces accès pendant vingt ou trente ans.

Chaque malade aime particulièrement un certain air de musique ; mais les airs qui guérissent sont tous en général très-vifs et très-animés. Voyez AIR et TON.

Ce que nous venons de rapporter fut communiqué en 1702 à l'académie royale des Sciences, par M. Geoffroy, à son retour d'Italie, et fut confirmé par les lettres du P. Gouye. Baglivi nous donne la même histoire dans une dissertation composée exprès sur la tarentule, et publiée en 1696.

Il n'est pas étonnant qu'on ait ajouté quelques fables à des faits si extraordinaires ; comme par exemple, que la maladie ne dure que tant que la tarentule vit ; et que la tarentule danse elle-même pendant tout ce temps-là le même air que la personne mordue.

Théorie des effets de la morsure de la tarentule, par M. Geoffroy. Cet auteur conçoit que le suc empoisonné que transmet la tarentule, peut donner aux nerfs un degré de tension plus grand que celui qui leur est naturel, ou qui est proportionné à leurs fonctions ; de-là vient la perte de connaissance et de mouvement. Mais en même temps cette tension se trouvant égale à celle de quelques cordes d'un instrument, met les nerfs à l'unisson avec certains tons, et fait qu'ils sont ébranlés et agités par les ondulations et les vibrations de l'air qui sont propres à ces tons. De-là cette guérison merveilleuse qu'opère la musique : les nerfs étant par ce moyen rétablis dans leur mouvement naturel, rappellent les esprits qui auparavant les avaient abandonnés. Voyez UNISSON et ACCORD.

On peut ajouter avec quelque probabilité et sur les mêmes principes, que l'aversion du malade pour certaines couleurs vient de ce que la tension de ses nerfs, même hors du paroxysme, étant toujours différente de ce qu'elle est dans l'état naturel, les vibrations que ces couleurs occasionnent aux fibres du cerveau sont contraires à leur disposition, et produisent une dissonnance qui est la douleur.

Théorie des effets de la morsure de la tarentule, par le D. Mead. La malignité du venin de la tarentule consiste dans sa grande force et sa grande activité par laquelle il excite aussi-tôt dans tout ce fluide artériel une fermentation extraordinaire qui altère considérablement son tissu ; en conséquence de quoi il arrive nécessairement un changement dans la cohésion des particules de ce liquide ; et par ce moyen les globules de sang qui auparavant se pressaient les uns les autres avec une égale force se trouvent avoir une action irrégulière et fort différente ; en sorte que quelques uns sont si fortement unis ensemble qu'ils forment des molécules, et comme de petits pelotons. Sur ce pié-là, comme il y a alors un plus grand nombre de globules enfermés dans le même espace qu'il n'y avait auparavant, et que l'impulsion de plusieurs d'entr'eux, lorsqu'ils sont unis ensemble, varie suivant le degré de leur cohésion, suivant leur grosseur, leur figure, etc. l'impétuosité avec laquelle ce sang artériel est poussé vers les parties, ne sera pas seulement plus grande quelquefois qu'à l'ordinaire ; mais encore la pression sur les vaisseaux sanguins sera nécessairement irrégulière et fort inégale ; ce qui arrivera particulièrement à ceux qui se distendent le plus aisément, tels que ceux du cerveau, etc.

En conséquence le fluide nerveux doit subir divers mouvements ondulatoires, dont quelques-uns seront semblables à ceux que différents objets agissant sur les organes du corps ou sur les passions de l'âme excitent naturellement. De-là s'ensuivent nécessairement certains mouvements du corps qui sont les suites ordinaires de la tristesse, de la joie, du désespoir, et d'autres passions de l'âme. Voyez PASSIONS.

Il y a alors un certain degré de coagulation du sang, laquelle étant accompagnée d'une chaleur extraordinaire, comme il arrive dans le pays où les tarentules abondent, produira encore plus surement les effets dont nous avons parlé : car les esprits séparés du sang ainsi enflammé et composé de particules dures, fines et seches, ne sauraient manquer d'avoir part à cette altération, c'est-à-dire qu'au - lieu que leur fluide est composé de deux parties, l'une plus active et plus volatile, l'autre plus visqueuse et plus fixe, qui sert en quelque façon de véhicule à la première, leur partie visqueuse se trouvera alors trop semblable à la partie active ; par conséquent ils auront plus de volatilité et de force qu'à l'ordinaire ; c'est pourquoi à la moindre occasion ils se porteront irrégulièrement à chaque partie.

De-là s'ensuivront des sauts, de la colere, ou de la crainte pour le moindre sujet ; une extrême joie pour des choses triviales, comme des couleurs particulières, et choses semblables ; et d'un autre côté de la tristesse dès qu'une chose ne plait pas à la vue ; des ris, des discours obscènes et des actions de même nature, et d'autres pareils symptômes qui surviennent aux personnes mordues par la tarentule ; parce que dans la disposition où est alors le fluide nerveux, la plus légère cause le fait refluer avec ondulation vers le cerveau, et produit des images aussi vives, que pourrait faire la plus forte impression dans l'état naturel de ce fluide. Dans une telle confusion, les esprits ne peuvent manquer, même sans aucune cause manifeste, de se jeter quelquefois avec précipitation sur les organes vers lesquels ils se portaient le plus souvent en d'autres temps ; et l'on sait quels sont ces organes dans les pays chauds.

Les effets de la musique sur les personnes infectées du venin de la tarentule, confirment la doctrine précédente. Nous savons que le mouvement musculaire n'est autre chose qu'une contraction des fibres, causée par le sang arteriel, qui fait une effervescence avec le fluide nerveux, lequel par la légère vibration et le trémoussement des nerfs, est déterminé à se porter dans les muscles. Voyez MUSCULAIRE.

Ainsi la musique a un double effet, et agit également sur le corps et sur l'âme. Une harmonie vive excite dans l'âme des mouvements violents de joie et de plaisir, qui sont toujours accompagnés d'un pouls plus fréquent et plus fort, c'est-à-dire, d'un abord plus abondant du fluide nerveux dans les muscles ; ce qui est aussi - tôt suivi des actions conformes à la nature des parties.

Quant au corps, puisqu'il suffit pour mettre les muscles en action, de causer aux nerfs ces trémoussements qui déterminent leur fluide à couler alternativement dans les fibres motrices, c'est tout un que cela se fasse par la détermination de la volonté, ou par les impressions extérieures d'un fluide élastique.

Ce fluide élastique, c'est l'air. Or, on convient que les sons consistent en des vibrations de l'air : c'est pourquoi étant proportionnés à la disposition du malade, ils peuvent aussi réellement ébranler les nerfs que pourrait faire la volonté, et produire par conséquent des effets semblables.

L'utilité de la musique pour les personnes mordues de la tarentule, ne consiste pas seulement en ce que la musique les fait danser, et leur fait ainsi évacuer par la sueur une grande partie du venin ; mais outre cela, les vibrations réitérées de l'air que cause la musique, ébranlant par un contact immédiat les fibres contractiles des membranes du corps, et spécialement celles de l'oreille, qui étant contiguès au cerveau, communiquent leurs trémoussements aux membranes et aux vaisseaux de ce viscère ; il arrive que ces secousses et ces vibrations continuées détruisent entièrement la cohésion des parties du sang, et en empêchent la coagulation ; tellement que le venin étant évacué par les sueurs, et la coagulation du sang étant empêchée par la contraction des fibres musculaires, le malade se trouve guéri.

Si quelqu'un doute de cette force de l'air, il n'a qu'à considérer, qu'il est démontré dans le mécanisme, que le plus léger mouvement du plus petit corps peut surmonter la résistance du plus grand poids qui est en repos ; et que le faible trémoussement de l'air, que produit le son d'un tambour, peut ébranler les plus grands édifices.

Mais outre cela, on doit avoir beaucoup d'égard à la force déterminée, et à la modulation particulière des trémoussements de l'air ; car les corps capables de se contracter, peuvent être mis en action par un certain degré de mouvement de l'air qui les environne ; tandis qu'un plus grand degré de mouvement, différemment modifié, ne produira aucun effet semblable. Cela ne parait pas seulement dans deux instruments à cordes, montés au même ton ; mais encore dans l'adresse qu'ont certaines gens de trouver le ton particulier qui est propre à une bouteille de verre, et en réglant exactement leur voix sur ce ton, la poussant néanmoins avec force et longtemps, de faire d'abord trembler la bouteille, et ensuite de la casser, sans cependant la toucher ; ce qui n'arriverait pas, si la voix était trop haute, ou trop basse. Voyez SON.

Cela fait concevoir aisément, pourquoi les différentes personnes infectées du venin de la tarentule, demandent différents airs de musique pour leur guérison ; d'autant que les nerfs et les membranes distractiles ont des tensions différentes, et par conséquent ne peuvent toutes être mises en action par les mêmes vibrations de l'air.

Je n'ajouterai que quelques réflexions sur ce grand article. Il est assez singulier que ce soit dans la musique qu'on ait cru trouver le remède du tarantisme ; mais les dépenses d'esprit qu'ont fait quelques physiciens pour expliquer les effets de la musique dans cette maladie, me semblent encore plus étranges : si vous en croyez M. Geoffroy, par exemple, la raison de la privation de mouvement et de connaissance, vient de ce que le venin de la tarentule cause aux nerfs une tension plus grande que celle qui leur est naturelle. Il suppose ensuite, que cette tension, égale à celle de quelques cordes d'instrument, met les nerfs à l'unisson d'un certain ton, et les oblige à frémir, dès qu'ils sont ébranlés par les ondulations propres à ce ton particulier ; enfin il établit que le mouvement rendu aux nerfs par un certain mode, y rappelle les esprits qui les avaient presqu'entièrement abandonnés, d'où il fait dériver cette cure musicale si surprenante. Pour moi je ne trouve qu'un roman dans toute cette explication.

D'abord elle suppose une tension extraordinaire de nerfs qui les met à l'unisson avec la corde d'un instrument. Si cela est, il faut que les membres du malade soient roides et dans la contraction, selon l'action égale ou inégale des muscles antagonistes : or l'on ne nous représente pas les malades dans un état de roideur pareille. D'ailleurs, si c'est par l'effet de l'unisson ou de l'accord qu'il y a entre le ton de l'instrument et les nerfs du malade qu'ils reprennent leurs mouvements ; il semble qu'il s'agirait de monter l'instrument sur le ton qui le met en accords avec ces nerfs, et c'est néanmoins ce dont le musicien ne se met pas en peine. Il parait bien étrange que tant de nerfs de différente grosseur et longueur puissent sans dessein, se trouver tendus de manière à former des accords ; ou ce qui serait encore plus singulier, et même en quelque sorte impossible, à être à l'unisson avec le ton de l'instrument dont on joue. Enfin, si les esprits ont presqu'entièrement abandonné ces nerfs, comme le suppose encore M. Geoffroy, je ne conçais pas comment il peut en même temps supposer que ces nerfs soient tendus au-delà du naturel, puisque suivant l'opinion la plus généralement reçue, ce sont les esprits, qui par leur influence tendent les nerfs.

Je pourrais opposer à l'hypothèse de M. Méad de semblables difficultés, mais j'en ai une bien plus grande qui m'arrête, c'est la vérité des faits dont je voudrais m'assurer auparavant que d'en lire l'explication. MM. Geoffroy, Méad, Grube, Scheuchzer et autres, n'ont parlé de la tarentule, que sur le témoignage de Baglivi qui n'exerçait pas la médecine à Tarente ; par conséquent l'autorité de ce médecin n'est pas d'un grand poids, et ses récits sont fort suspects, pour ne rien dire de plus. D'abord une araignée qui par une petite piquure semblable à celle d'une fourmi, cause la mort malgré tous les remèdes, excepté celui de la musique, est une chose incroyable. Une araignée commune en plusieurs endroits de l'Italie, et qui n'est dangereuse que dans la Pouille, seulement dans les plaines de ce pays, et seulement dans la canicule, saison de son accouplement, où pour lors elle se jette sur tout ce qu'elle rencontre ; une telle araignée, dis-je, est un insecte unique dans le monde ! on raconte qu'elle transmet son venin par ses cornes, qui sont dans un mouvement continuel, nouvelle singularité ! on ajoute pour complete r le roman, que les personnes qui sont mordues de cette araignée, éprouvent une aversion pour les couleurs noire et bleue, et une affection pour les couleurs blanche, rouge et verte. Il me prend fantaisie de simplifier toutes ces fables, comme on fait en Mythologie ; et voici ce que je pense.

La plupart des hommes ont pour les araignées une aversion naturelle ; celles de la Pouille peuvent mériter cette aversion, et être réellement venimeuses. Les habitants du pays les craignent beaucoup ; ils sont secs, sanguins, voluptueux, ivrognes, impatiens, faciles à émouvoir, d'une imagination vive, et ont les nerfs d'une grande irritabilité ; le délire les saisit au moindre mal, et dans ce délire, il est bien naturel qu'ils s'imaginent avoir été piqués de la tarentule. Les cordiaux et les sudorifiques leur sont nuisibles, et empirent leur état ; on met donc en usage le repos, la fraicheur, les boissons, ainsi que la musique qui calme leurs sens, et qu'ils aiment avec passion : voilà comme elle guérit la prétendue morsure si dangereuse de la tarentule. Cette exposition n'est pas merveilleuse, mais elle est fondée sur le bon sens, la vraisemblance, et la connaissance du caractère des habitants de la Pouille. (D.J.)