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Catégorie : Zoologie
S. m. (Ordre encyclopédique, Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Zoologie, Animal) Qu'est-ce que l'animal ? Voilà ane de ces questions dont on est d'autant plus embarrassé, qu'on a plus de philosophie et plus de connaissance de l'histoire naturelle. Si l'on parcourt toutes les propriétés connues de l 'animal, on n'en trouvera aucune qui ne manque à quelque être auquel on est forcé de donner le nom d 'animal, ou qui n'appartienne à un autre auquel on ne peut accorder ce nom. D'ailleurs, s'il est vrai, comme on n'en peut guère douter, que l'univers est une seule et unique machine, où tout est lié, et où les êtres s'élèvent au-dessus ou s'abaissent au-dessous les uns des autres, par des degrés imperceptibles, en sorte qu'il n'y ait aucun vide dans la chaîne, et que le ruban coloré du célèbre Père Castel, Jésuite, où de nuance en nuance on passe du blanc au noir sans s'en apercevoir, soit une image véritable des progrès de la nature ; il nous sera bien difficîle de fixer les deux limites entre lesquelles l 'animalité, s'il est permis de s'exprimer ainsi, commence et finit. Une définition de l 'animal sera trop générale, ou ne sera pas assez étendue, embrassera des êtres qu'il faudrait peut-être exclure, et en exclura d'autres qu'elle devrait embrasser. Plus on examine la nature, plus on se convainc que pour s'exprimer exactement, il faudrait presqu'autant de dénominations différentes qu'il y a d'individus, et que c'est le besoin seul qui a inventé les noms généraux ; puisque ces noms généraux sont plus ou moins étendus, ont du sens, ou sont vides de sens, selon qu'on fait plus ou moins de progrès dans l'étude de la nature. Cependant qu'est-ce que l 'animal ? C'est, dit M. de Buffon, Histoire naturelle gen. et part. la matière vivante et organisée qui sent, agit, se meut, se nourrit et se reproduit. Conséquemment, le végétal est la matière vivante et organisée, qui se nourrit et se reproduit ; mais qui ne sent, n'agit, ni ne se meut. Et le minéral, la matière morte et brute qui ne sent, n'agit, ni ne se meut, ne se nourrit, ni ne se reproduit. D'où il s'ensuit encore que le sentiment est le principal degré différentiel de l 'animal. Mais est-il bien constant qu'il n'y a point d'animaux, sans ce que nous appelons le sentiment ; ou plutôt, si nous en croyons les Cartésiens, y a-t-il d'autres animaux que nous qui aient du sentiment. Les bêtes, disent-ils, en donnent les signes, mais l'homme seul a la chose. D'ailleurs, l'homme lui-même ne perd-il pas quelquefois le sentiment, sans cesser de vivre ou d'être un animal ? Alors le pouls bat, la circulation du sang s'exécute, toutes les fonctions animales se font ; mais l'homme ne sent ni lui-même, ni les autres êtres : qu'est-ce alors que l'homme ? Si dans cet état, il est toujours un animal ; qui nous a dit qu'il n'y en a pas de cette espèce sur le passage du végétal le plus parfait, à l'animal le plus stupide ? Qui nous a dit que ce passage n'était pas rempli d'êtres plus ou moins léthargiques, plus ou moins profondément assoupis ; en sorte que la seule différence qu'il y aurait entre cette classe et la classe des autres animaux, tels que nous, est qu'ils dorment et que nous veillons ; que nous sommes des animaux qui sentent, et qu'ils sont des animaux qui ne sentent pas. Qu'est-ce donc que l 'animal ?

Ecoutons M. de Buffon s'expliquer plus au long là-dessus. Le mot animal, dit-il, Histoire naturelle tome II. page 260. dans l'acception où nous le prenons ordinairement, représente une idée générale, formée des idées particulières qu'on s'est faites de quelques animaux particuliers. Toutes les idées générales renferment des idées différentes, qui approchent ou diffèrent plus ou moins les unes des autres ; et par conséquent aucune idée générale ne peut être exacte ni précise. L'idée générale que nous nous sommes formée de l'animal sera, si vous voulez, prise principalement de l'idée particulière du chien, du cheval, et d'autres bêtes qui nous paraissent avoir de l'intelligence et de la volonté, qui semblent se mouvoir et se déterminer suivant cette volonté ; qui sont composées de chair et de sang ; qui cherchent et prennent leur nourriture, et qui ont des sens, des sexes, et la faculté de se reproduire. Nous joignons donc ensemble une grande quantité d'idées particulières, lorsque nous nous formons l'idée générale que nous exprimons par le mot animal ; et l'on doit observer que dans le grand nombre de ces idées particulières, il n'y en a pas une qui constitue l'essence de l'idée générale. Car il y a, de l'aveu de tout le monde, des animaux qui paraissent n'avoir aucune intelligence, aucune volonté, aucun mouvement progressif ; il y en a qui n'ont ni chair ni sang, et qui ne paraissent être qu'une glaise congelée ; il y en a qui ne peuvent chercher leur nourriture, et qui ne la reçoivent que de l'élément qu'ils habitent : enfin il y en a qui n'ont point de sens, pas même celui du toucher, au moins à un degré qui nous soit sensible : il y en a qui n'ont point de sexes, d'autres qui les ont tous deux ; et il ne reste de général à l'animal que ce qui lui est commun avec le végétal, c'est-à-dire, la faculté de se reproduire. C'est donc du tout ensemble qu'est composée l'idée générale : et ce tout étant composé de parties différentes, il y a nécessairement entre ces parties des degrés et des nuances. Un insecte, dans ce sens, est quelque chose de moins animal qu'un chien ; une huitre est encore moins animal qu'un insecte ; une ortie de mer, ou une polype d'eau douce, l'est encore moins qu'une huitre ; et comme la nature Ve par nuances insensibles, nous devons trouver des animaux qui sont encore moins animaux qu'une ortie de mer ou un polype. Nos idées générales ne sont que des méthodes artificielles, que nous nous sommes formées pour rassembler une grande quantité d'objets dans le même point de vue ; et elles ont, comme les méthodes artificielles, le défaut de ne pouvoir jamais tout comprendre : elles sont de même opposées à la marche de la nature, qui se fait uniformément, insensiblement et toujours particulièrement ; en sorte que c'est pour vouloir comprendre un trop grand nombre d'idées particulières dans un seul mot, que nous n'avons plus une idée claire de ce que ce mot signifie ; parce que ce mot étant reçu, on s'imagine que ce mot est une ligne qu'on peut tirer entre les productions de la nature ; que tout ce qui est au-dessus de cette ligne est en effet animal, et que tout ce qui est au-dessous ne peut être que végétal, autre mot aussi général que le premier, qu'on emploie de même, comme une ligne de séparation entre les corps organisés et les corps bruts. Mais ces lignes de séparation n'existent point dans la nature : il y a des êtres qui ne sont ni animaux, ni végétaux, ni minéraux, et qu'on tenterait vainement de rapporter aux uns et aux autres. Par exemple, lorsque M. Trembley, cet auteur célèbre de la découverte des animaux qui se multiplient par chacune de leurs parties détachées, coupées, ou séparées, observa pour la première fois le polype de la lentille d'eau, combien employa-t-il de temps pour reconnaître si ce polype était un animal ou une plante ! et combien n'eut-il pas sur cela de doutes et d'incertitudes ? C'est qu'en effet le polype de la lentille n'est peut-être ni l'un ni l'autre ; et que tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il approche un peu plus de l'animal que du végétal ; et comme on veut absolument que tout être vivant soit un animal ou une plante, on croirait n'avoir pas bien connu un être organisé, si on ne le rapportait pas à l'un ou l'autre de ces noms généraux, tandis qu'il doit y avoir, et qu'il y a en effet, une grande quantité d'êtres organisés qui ne sont ni l'un ni l'autre. Les corps mouvants que l'on trouve dans les liqueurs séminales, dans la chair infusée des animaux, dans les graines et les autres parties infusées des plantes, sont de cette espèce : on ne peut pas dire que ce soient des animaux ; on ne peut pas dire que ce soient des végétaux, et assurément on dira encore moins que ce sont des minéraux.

On peut donc assurer sans crainte de trop avancer, que la grande division des productions de la nature en animaux, végétaux et minéraux, ne contient pas tous les êtres matériels : il existe, comme on vient de le voir, des corps organisés qui ne sont pas compris dans cette division. Nous avons dit que la marche de la nature se fait par des degrés nuancés, et souvent imperceptibles ; aussi passe-t-elle par des nuances insensibles de l'animal au végétal : mais du végétal au minéral le passage est brusque, et cette loi de n'y aller que par nuances parait se démentir. Cela a fait soupçonner à M. de Buffon, qu'en examinant de près la nature, on viendrait à découvrir des êtres intermédiaires, des corps organisés, qui sans avoir, par exemple, la puissance de se reproduire comme les animaux et les végétaux, auraient cependant une espèce de vie et de mouvement : d'autres êtres qui, sans être des animaux ou des végétaux, pourraient bien entrer dans la constitution des uns et des autres ; et enfin d'autres êtres qui ne seraient que le premier assemblage des molécules organiques. Voyez MOLECULES ORGANIQUES.

Mais sans nous arrêter davantage à la définition de l 'animal, qui est, comme on voit dès-à-présent, fort imparfaite, et dont l'imperfection s'apercevra dans la suite des siècles beaucoup davantage, voyons quelles lumières on peut tirer de la comparaison des animaux et des végétaux. Nous n'aurions presque pas besoin d'avertir qu'à l'exception de quelques réflexions mises en italique, que nous avons osé disperser dans la suite de cet article, il est tout entier de l'Histoire naturelle générale et particulière : le ton et les choses l'indiqueront assez.

Dans la foule d'objets que nous présente ce vaste globe, (dit M. de Buffon, page 1.) dans le nombre infini des différentes productions, dont sa surface est couverte et peuplée, les animaux tiennent le premier rang, tant par la conformité qu'ils ont avec nous, que par la supériorité que nous leur connaissons sur les êtres végétaux ou inanimés. Les animaux ont par leurs sens, par leur forme, par leur mouvement, beaucoup plus de rapports avec les choses qui les environnent, que n'en ont les végétaux. Mais il ne faut point perdre de vue que le nombre de ces rapports varie à l'infini, qu'il est moindre dans le polype que dans l'huitre, dans l'huitre moindre que dans le singe ; et les végétaux par leur développement, par leur figure, par leur accroissement et par leurs différentes parties, ont aussi un plus grand nombre de rapports avec les objets extérieurs, que n'en ont les minéraux ou les pierres, qui n'ont aucune sorte de vie ou de mouvement. Observez encore que rien n'empêche que ces rapports ne varient aussi, et que le nombre n'en soit plus ou moins grand ; en sorte qu'on peut dire qu'il y a des minéraux moins morts que d'autres. Cependant c'est par ce plus grand nombre de rapports que l'animal est réellement au-dessus du végétal, et le végétal au-dessus du minéral. Nous-mêmes, à ne considérer que la partie matérielle de notre être, nous ne sommes au-dessus des animaux que par quelques rapports de plus, tels que ceux que nous donnent la langue et la main, la langue surtout. Une langue suppose une suite de pensées, et c'est par cette raison que les animaux n'ont aucune langue. Quand même on voudrait leur accorder quelque chose de semblable à nos premières appréhensions et à nos sensations grossières et les plus machinales, il parait certain qu'ils sont incapables de former cette association d'idées, qui seule peut produire la réflexion, dans laquelle cependant consiste l'essence de la pensée. C'est, parce qu'ils ne peuvent joindre ensemble aucune idée, qu'ils ne pensent ni ne parlent, c'est par la même raison qu'ils n'inventent et ne perfectionnent rien. S'ils étaient doués de la puissance de réfléchir, même au plus petit degré, ils seraient capables de quelque espèce de progrès ; ils acquerraient plus d'industrie ; les castors d'aujourd'hui bâtiraient avec plus d'art et de solidité que ne bâtissaient les premiers castors ; l'abeille perfectionnerait encore tous les jours la cellule qu'elle habite : car si on suppose que cette cellule est aussi parfaite qu'elle peut l'être, on donne à cet insecte plus d'esprit que nous n'en avons ; on lui accorde une intelligence supérieure à la nôtre, par laquelle il apercevrait tout d'un coup le dernier point de perfection auquel il doit porter son ouvrage, tandis que nous-mêmes nous ne voyons jamais clairement ce point, et qu'il nous faut beaucoup de réflexions, de temps et d'habitude pour perfectionner le moindre de nos arts. Mais d'où peut venir cette uniformité dans tous les ouvrages des animaux ? Pourquoi chaque espèce ne fait-elle jamais que la même chose, de la même façon ? pourquoi chaque individu ne la fait-il ni mieux ni plus mal qu'un autre individu ? Y a-t-il de plus forte preuve que leurs opérations ne sont que des résultats mécaniques et purement matériels ? Car s'ils avaient la moindre étincelle de la lumière qui nous éclaire, on trouverait au moins de la variété, si l'on ne voyait pas de la perfection, dans leurs ouvrages ; chaque individu de la même espèce ferait quelque chose d'un peu différent de ce qu'aurait fait un autre individu. Mais non, tous travaillent sur le même modèle ; l'ordre de leurs actions est tracé dans l'espèce entière, il n'appartient point à l'individu ; et si l'on voulait attribuer une âme aux animaux, on serait obligé à n'en faire qu'une pour chaque espèce, à laquelle chaque individu participerait également. Cette âme serait donc nécessairement divisible, par conséquent elle serait matérielle et fort différente de la nôtre. Car pourquoi mettons-nous au contraire tant de diversité et de variété dans nos productions et dans nos ouvrages ? Pourquoi l'imitation servîle nous coute-t-elle plus qu'un nouveau dessein ? C'est parce que notre âme est à nous, qu'elle est indépendante de celle d'un autre, et que nous n'avons rien de commun avec notre espèce que la matière de notre corps : mais quelque différence qu'il y ait entre nous et les animaux, on ne peut nier que nous ne leur tenions de fort près par les dernières de nos facultés.

On peut donc dire que quoique les ouvrages du Créateur soient en eux-mêmes tous également parfaits, l'animal est, selon notre façon d'apercevoir, l'ouvrage le plus complet, et que l'homme en est le chef-d'œuvre.

En effet, pour commencer par l'animal qui est ici notre objet principal, avant que de passer à l'homme, que de ressorts, que de forces, que de machines et de mouvements sont renfermés dans cette petite partie de matière qui compose le corps d'un animal ! Que de rapports, que d'harmonie, que de correspondance entre les parties ! Combien de combinaisons, d'arrangements, de causes, d'effets, de principes, qui tous concourent au même but, et que nous ne connaissons que par des résultats si difficiles à comprendre, qu'ils n'ont cessé d'être des merveilles que par l'habitude que nous avons prise de n'y point réfléchir !

Cependant quelqu'admirable que cet ouvrage nous paraisse, ce n'est pas dans l'individu qu'est la plus grande merveille ; c'est dans la succession, dans le renouvellement et dans la durée des espèces que la nature parait tout à fait inconcevable, ou plutôt, en remontant plus haut, dans l'ordre institué entre les parties du tout, par une sagesse infinie et par une main toute-puissante ; car cet ordre une fois institué, les effets quelque surprenans qu'ils soient, sont des suites nécessaires et simples des lois du mouvement. La machine est faite, et les heures se marquent sous l'oeil de l'horloger. Mais entre les suites du mécanisme, il faut convenir que cette faculté de produire son semblable qui réside dans les animaux et dans les végétaux, cette espèce d'unité toujours subsistante et qui parait éternelle ; cette vertu procréatrice qui s'exerce perpétuellement sans se détruire jamais, est pour nous, quand nous la considérons en elle-même, et sans aucun rapport à l'ordre institué par le Tout-puissant, un mystère dont il semble qu'il ne nous est pas permis de sonder la profondeur.

La matière inanimée, cette pierre, cette argille qui est sous nos pieds, a bien quelques propriétés : son existence seule en suppose un très-grand nombre ; et la matière la moins organisée ne laisse pas que d'avoir, en vertu de son existence, une infinité de rapports avec toutes les autres parties de l'univers. Nous ne dirons pas, avec quelques Philosophes, que la matière sous quelque forme qu'elle sait, connait son existence et ses facultés relatives : cette opinion tient à une question de métaphysique, qu'on peut voir discutée à l'article AME. Il nous suffira de faire sentir que, n'ayant pas nous-mêmes la connaissance de tous les rapports que nous pouvons avoir avec tous les objets extérieurs, nous ne devons pas douter que la matière inanimée n'ait infiniment moins de cette connaissance, et que d'ailleurs nos sensations ne ressemblant en aucune façon aux objets qui les causent, nous devons conclure par analogie, que la matière inanimée n'a ni sentiment, ni sensation, ni conscience d'existence ; et que lui attribuer quelques-unes de ces facultés, ce serait lui donner celle de penser, d'agir et de sentir à-peu-près dans le même ordre et de la même façon que nous pensons, agissons et sentons, ce qui répugne autant à la raison qu'à la religion. Mais une considération qui s'accorde avec l'une et l'autre, et qui nous est suggérée par le spectacle de la nature dans les individus, c'est que l'état de cette faculté de penser, d'agir, de sentir, réside dans quelques hommes dans un degré éminent, dans un degré moins éminent en d'autres hommes, Ve en s'affoiblissant à mesure qu'on suit la chaîne des êtres en descendant, et s'éteint apparemment dans quelque point de la chaîne très-éloigné : placé entre le règne animal et le règne végétal, point dont nous approcherons de plus en plus par les observations, mais qui nous échappera à jamais ; les expériences resteront toujours en-deçà, et les systèmes iront toujours au-delà ; l'expérience marchant pied à pied, et l'esprit de système allant toujours par sauts et par bonds.

Nous dirons donc qu'étant formés de terre, et composés de poussière, nous avons en effet avec la terre et la poussière, des rapports communs qui nous lient à la matière en général ; tels sont l'étendue, l'impénétrabilité, la pesanteur, etc. Mais comme nous n'apercevons pas ces rapports purement matériels ; comme ils ne font aucune impression au-dedans de nous-mêmes ; comme ils subsistent sans notre participation, et qu'après la mort ou avant la vie, ils existent et ne nous affectent point du tout, on ne peut pas dire qu'ils fassent partie de notre être : c'est donc l'organisation, la vie, l'âme, qui fait proprement notre existence. La matière considérée sous ce point de vue, en est moins le sujet que l'accessoire ; c'est une enveloppe étrangère dont l'union nous est inconnue et la présence nuisible ; et cet ordre de pensées qui constitue notre être, en est peut-être tout à fait indépendant. Il me semble que l'Historien de la nature accorde ici aux Métaphysiciens bien plus qu'ils n'oseraient lui demander. Quelle que soit la manière dont nous penserons quand notre âme sera débarrassée de son enveloppe, et sortira de l'état de chrysalide ; il est constant que cette coque méprisable dans laquelle elle reste détenue pour un temps, influe prodigieusement sur l'ordre de pensées qui constitue son être ; et malgré les suites quelquefois très-fâcheuses de cette influence, elle n'en montre pas moins évidemment la sagesse de la providence, qui se sert de cet aiguillon pour nous rappeler sans cesse à la conservation de nous-mêmes et de notre espèce.

Nous existons donc sans savoir comment, et nous pensons sans savoir pourquoi. Cette proposition me parait évidente ; mais on peut observer quant à la seconde partie, que l'âme est sujette à une sorte d'inertie, en conséquence de laquelle elle resterait perpétuellement appliquée à la même pensée, peut-être à la même idée, si elle n'en était tirée par quelque chose d'extérieur à elle qui l'avertit, sans toutefois prévaloir sur sa liberté. C'est par cette dernière faculté qu'elle s'arrête ou qu'elle passe légèrement d'une contemplation à une autre. Lorsque l'exercice de cette faculté cesse, elle reste fixée sur la même contemplation ; et tel est peut-être l'état de celui qui s'endort, de celui-même qui dort, et de celui qui médite très-profondément. S'il arrive à ce dernier de parcourir successivement différents objets, ce n'est point par un acte de sa volonté que cette succession s'exécute, c'est la liaison des objets même qui l'entraîne ; et je ne connais rien d'aussi machinal que l'homme absorbé dans une méditation profonde, si ce n'est l'homme plongé dans un profond sommeil.

Mais quoi qu'il en soit de notre manière d'être ou de sentir ; quoi qu'il en soit de la vérité ou de la fausseté, de l'apparence ou de la réalité de nos sensations, les résultats de ces mêmes sensations n'en sont pas moins certains par rapport à nous. Cet ordre d'idées, cette suite de pensées qui existe au-dedans de nous-mêmes, quoique fort différente des objets qui les causent, ne laissent pas d'être l'affection la plus réelle de notre individu, et de nous donner des relations avec les objets extérieurs, que nous pouvons regarder comme des rapports réels, puisqu'ils sont invariables, et toujours les mêmes relativement à nous. Ainsi nous ne devons pas douter que les différences ou les ressemblances que nous apercevons entre les objets, ne soient des différences et des ressemblances certaines et réelles dans l'ordre de notre existence par rapport à ces mêmes objets. Nous pouvons donc nous donner le premier rang dans la nature. Nous devons ensuite donner la seconde place aux animaux ; la troisième aux végétaux, et enfin la dernière aux minéraux. Car quoique nous ne distinguions pas bien nettement les qualités que nous avons en vertu de notre animalité seule, de celles que nous avons en vertu de la spiritu alité de notre âme, ou plutôt de la supériorité de notre entendement sur celui des bêtes, nous ne pouvons guère douter que les animaux étant doués comme nous des mêmes sens, possédant les mêmes principes de vie et de mouvement, et faisant une infinité d'actions semblables aux nôtres, ils n'aient avec les objets extérieurs des rapports du même ordre que les nôtres, et que par conséquent nous ne leur ressemblions à bien des égards. Nous différons beaucoup des végétaux, cependant nous leur ressemblons plus qu'ils ne ressemblent aux minéraux ; et cela, parce qu'ils ont une espèce de forme vivante, une organisation animée, semblable en quelque façon à la nôtre ; au lieu que les minéraux n'ont aucun organe.

Pour faire donc l'histoire de l'animal, il faut d'abord reconnaître avec exactitude l'ordre général des rapports qui lui sont propres, et distinguer ensuite les rapports qui lui sont communs avec les végétaux et les minéraux. L'animal n'a de commun avec le minéral que les qualités de la matière prise généralement ; sa substance a les mêmes propriétés virtuelles ; elle est étendue, pesante, impénétrable, comme tout le reste de la matière : mais son oeconomie est toute différente. Le minéral n'est qu'une matière brute, insensible, n'agissant que par la contrainte des lois de la mécanique, n'obéissant qu'à la force généralement répandue dans l'univers, sans organisation, sans puissance, dénuée de toutes facultés, même de celle de se reproduire ; substance informe, faite pour être foulée aux pieds par les hommes et les animaux, laquelle malgré le nom de métal précieux, n'en est pas moins méprisée par le sage, et ne peut avoir qu'une valeur arbitraire, toujours subordonnée à la volonté, et toujours dépendante de la convention des hommes. L'animal réunit toutes les puissances de la nature ; les sources qui l'animent lui sont propres et particulières ; il veut, il agit, il se détermine, il opere, il communique par ses sens avec les objets les plus éloignés : son individu est un centre où tout se rapporte ; un point où l'univers entier se réfléchit ; un monde en raccourci. Voilà les rapports qui lui sont propres : ceux qui lui sont communs avec les végétaux, sont les facultés de croitre, de se développer, de se reproduire, de se multiplier. On conçoit bien que toutes ces vérités s'obscurcissent sur les limites des règnes, et qu'on aurait bien de la peine à les apercevoir distinctement sur le passage du minéral au végétal, et du végétal à l'animal. Il faut donc dans ce qui précède et ce qui suit, instituer la comparaison entre un animal, un végétal, et un minéral bien décidé, si l'on ne veut s'exposer à tourner à l'infini dans un labyrinthe dont on ne sortirait jamais.

L'observateur est forcé de passer d'un individu à un autre : mais l'historien de la nature est contraint de l'embrasser par grandes masses ; et ces masses il les coupe dans les endroits de la chaîne où les nuances lui paraissent trancher le plus vivement ; et il se garde bien d'imaginer que ces divisions soient l'ouvrage de la nature.

La différence la plus apparente entre les animaux et les végétaux, parait être cette faculté de se mouvoir et de changer de lieu, dont les animaux sont doués, et qui n'est pas donnée aux végétaux. Il est vrai que nous ne connaissons aucun végétal qui ait le mouvement progressif ; mais nous voyons plusieurs espèces d'animaux, comme les huitres, les galle-insectes, etc. auxquelles ce mouvement parait avoir été refusé. Cette différence n'est donc pas générale et nécessaire.

Une différence plus essentielle pourrait se tirer de la faculté de sentir, qu'on ne peut guère refuser aux animaux, et dont il semble que les végétaux soient privés. Mais ce mot sentir renferme un si grand nombre d'idées, qu'on ne doit pas le prononcer avant que d'en avoir fait l'analyse : car si par sentir nous entendons seulement faire une action de mouvement à l'occasion d'un choc ou d'une résistance, nous trouverons que la plante appelée sensitive est capable de cette espèce de sentiment comme les animaux. Si au contraire on veut que sentir signifie apercevoir et comparer des perceptions, nous ne sommes pas surs que les animaux aient cette espèce de sentiment ; et si nous accordons quelque chose de semblable aux chiens, aux éléphans, etc. dont les actions semblent avoir les mêmes causes que les nôtres, nous le refuserons à une infinité d'espèces d'animaux, et surtout à ceux qui nous paraissent être immobiles et sans action. Si on voulait que les huitres, par exemple, eussent du sentiment comme les chiens, mais à un degré fort inférieur, pourquoi n'accorderait-on pas aux végétaux ce même sentiment dans un degré encore au-dessous ? Cette différence entre les animaux et les végétaux n'est pas générale ; elle n'est pas même bien décidée. Mais n'y a-t-il que ces deux manières de sentir, ou se mouvoir à l'occasion d'un choc ou d'une résistance, ou apercevoir et comparer des perceptions ? il me semble que ce qui s'appelle en moi sentiment de plaisir, de douleur, etc. sentiment de mon existence, etc. n'est ni mouvement ; ni perception et comparaison de perceptions. Il me semble qu'il en est du sentiment pris dans ce troisième sens comme de la pensée ; qu'on ne peut comparer à rien, parce qu'elle ne ressemble à rien, et qu'il pourrait bien y avoir quelque chose de ce sentiment dans les animaux.

Une troisième différence pourrait être dans la manière de se nourrir. Les animaux par le moyen de quelques organes extérieurs, saisissent les choses qui leur conviennent, vont chercher leur pâture, choisissent leurs aliments : les plantes au contraire paraissent être réduites à recevoir la nourriture que la terre veut bien leur fournir. Il semble que cette nourriture soit toujours la même ; aucune diversité dans la manière de se la procurer ; aucun choix dans l'espèce ; l'humidité de la terre est leur seul aliment. Cependant si l'on fait attention à l'organisation et à l'action des racines et des feuilles, on reconnaitra bientôt que ce sont-là les organes extérieurs dont les végétaux se servent pour pomper la nourriture ; on verra que les racines se détournent d'un obstacle ou d'une veine de mauvais terrain pour aller chercher la bonne terre ; que même ces racines se divisent, se multiplient, et vont jusqu'à changer de forme, pour procurer de la nourriture à la plante. La différence entre les animaux et les végétaux ne peut donc pas s'établir sur la manière dont ils se nourrissent. Cela peut être d'autant plus que cet air de spontanéité qui nous frappe dans les animaux qui se meuvent, soit quand ils cherchent leur proie ou dans d'autres occasions, et que nous ne voyons point dans les végétaux, est peut être un préjugé, une illusion de nos sens trompés par la variété des mouvements animaux ; mouvements qui seraient cent fois encore plus variés qu'ils n'en seraient pas pour cela plus libres. Mais pourquoi, me demandera-t-on, ces mouvements sont-ils si variés dans les animaux, et si uniformes dans les végétaux ? c'est, ce me semble, parce que les végétaux ne sont mus que par la résistance ou le choc ; au lieu que les animaux ayant des yeux, des oreilles, et tous les organes de la sensation comme nous, et ces organes pouvant être affectés ensemble ou séparément, toute cette combinaison de résistance ou de choc, quand il n'y aurait que cela, et que l'animal serait purement passif, doit l'agiter d'une infinité de diverses manières ; en sorte que nous ne pouvons plus remarquer d'uniformité dans son action. De-là il arrive que nous disons que la pierre tombe nécessairement, et que le chien appelé vient librement ; que nous ne nous plaignons point d'une tuîle qui nous casse un bras, et que nous nous emportons contre un chien qui nous mord la jambe, quoique toute la difference qu'il y ait peut-être entre la tuîle et le chien, c'est que toutes les tuiles tombent de même, et qu'un chien ne se meut pas deux fois dans sa vie précisément de la même manière. Nous n'avons d'autre idée de la nécessité, que celle qui nous vient de la permanence et de l'uniformité de l'évenement.

Cet examen nous conduit à reconnaître évidemment qu'il n'y a aucune différence absolument essentielle et générale entre les animaux et les végétaux : mais que la nature descend par degrés et par nuances imperceptibles, d'un animal qui nous parait le plus parfait, à celui qui l'est le moins, et de celui-ci au végétal. Le polype d'eau douce sera, si l'on veut, le dernier des animaux, et la première des plantes.

Après avoir examiné les différences, si nous cherchons les ressemblances des animaux et des végétaux, nous en trouverons d'abord une qui est très-générale et très-essentielle ; c'est la faculté commune à tous deux de se reproduire, faculté qui suppose plus d'analogie et de choses semblables que nous ne pouvons l'imaginer, et qui doit nous faire croire que, pour la nature, les animaux et les végétaux sont des êtres à-peu-près de même ordre.

Une seconde ressemblance peut se tirer du développement de leurs parties, propriété qui leur est commune ; car les végétaux ont aussi-bien que les animaux, la faculté de croitre, et si la manière dont ils se développent est différente, elle ne l'est pas totalement ni essentiellement, puisqu'il y a dans les animaux des parties très-considérables, comme les os, les cheveux, les ongles, les cornes, etc. dont le développement est une vraie végétation, et que dans les premiers temps de la formation le foetus végete plutôt qu'il ne vit.

Une troisième ressemblance, c'est qu'il y a des animaux qui se reproduisent comme les plantes, et par les mêmes moyens : la multiplication des pucerons, qui se fait sans accouplement, est semblable à celle des plantes par les graines ; et celle des polypes, qui se fait en les coupant, ressemble à la multiplication des arbres par boutures.

On peut donc assurer avec plus de fondement encore, que les animaux et les végétaux sont des êtres du même ordre, et que la nature semble avoir passé des uns aux autres par des nuances insensibles, puisqu'ils ont entre eux des ressemblances essentielles et générales, et qu'ils n'ont aucune différence qu'on puisse regarder comme telle.

Si nous comparons maintenant les animaux aux végétaux par d'autres faces ; par exemple, par le nombre, par le lieu, par la grandeur, par la forme, etc. nous en tirerons de nouvelles inductions.

Le nombre des espèces d'animaux est beaucoup plus grand que celui des espèces de plantes ; car dans le seul genre des insectes, il y a peut-être un plus grand nombre d'espèces, dont la plupart échappent à nos yeux, qu'il n'y a d'espèces de plantes visibles sur la surface de la terre. Les animaux même se ressemblent en général beaucoup moins que les plantes, et c'est cette ressemblance entre les plantes qui fait la difficulté de les reconnaître et de les ranger ; c'est-là ce qui a donné naissance aux méthodes de Botanique, auxquelles on a par cette raison beaucoup plus travaillé qu'à celles de la Zoologie, parce que les animaux ayant en effet entre eux des différences bien plus sensibles que n'en ont les plantes entr'elles, ils sont plus aisés à reconnaître et à distinguer, plus faciles à nommer et à décrire.

D'ailleurs il y a encore un avantage pour reconnaître les espèces d'animaux, et pour les distinguer les unes des autres ; c'est qu'on doit regarder comme la même espèce celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue et conserve la similitude de cette espèce, et comme des espèces différentes celles qui, par les mêmes moyens, ne peuvent rien produire ensemble ; de sorte qu'un renard sera une espèce différente d'un chien, si en effet, par la copulation d'un mâle et d'une femelle de ces deux espèces, il ne résulte rien ; et quand même il résulterait un animal mi-parti, une espèce de mulet, comme ce mulet ne produirait rien, cela suffirait pour établir que le renard et le chien ne seraient pas de la même espèce, puisque nous avons supposé que pour constituer une espèce, il fallait une production continue, perpétuelle, invariable, semblable en un mot à celle des autres animaux. Dans les plantes on n'a pas le même avantage ; car quoiqu'on ait prétendu y reconnaître des sexes, et qu'on ait établi des divisions de genres par les parties de la fécondation, comme cela n'est ni aussi certain, ni aussi apparent que dans les animaux, et que d'ailleurs la production des plantes se fait de plusieurs autres façons où les sexes n'ont aucune part, et où les parties de la fécondation ne sont pas nécessaires ; on n'a pu employer avec succès cette idée, et ce n'est que sur une analogie mal entendue, qu'on a prétendu que cette méthode sexuelle devait nous faire distinguer toutes les espèces différentes de plantes.

Le nombre des espèces d'animaux est donc plus grand que celui des espèces de plantes : mais il n'en est pas de même du nombre d'individus dans chaque espèce : comme dans les plantes le nombre d'individus est beaucoup plus grand dans le petit que dans le grand, l'espèce des mouches est peut-être cent millions de fois plus nombreuse que celle de l'éléphant ; de même, il y a en général beaucoup plus d'herbes que d'arbres, plus de chiendent que de chênes. Mais si l'on compare la quantité d'individus des animaux et des plantes, espèce à espèce, on verra que chaque espèce de plante est plus abondante que chaque espèce d'animal. Par exemple, les quadrupedes ne produisent qu'un petit nombre de petits, et dans des intervalles assez considérables. Les arbres au contraire produisent tous les ans une grande quantité d'arbres de leur espèce.

M. de Buffon s'objecte lui-même que sa comparaison n'est pas exacte, et que pour la rendre telle, il faudrait pouvoir comparer la quantité de graine que produit un arbre, avec la quantité de germes que peut contenir la semence d'un animal ; et que peut-être on trouverait alors que les animaux sont encore plus abondants en germes que les végétaux. Mais il répond que si l'on fait attention qu'il est possible en ramassant avec soin toutes les graines d'un arbre ; par exemple, d'un orme, et en les semant, d'avoir une centaine de milliers de petits ormes de la production d'une seule année, on avouera nécessairement que, quand on prendrait le même soin pour fournir à un cheval toutes les juments qu'il pourrait saillir en un an, les résultats seraient fort différents dans la production de l'animal, et dans celle du végétal. Je n'examine donc pas (dit M. de Buffon) la quantité des germes ; premièrement parce que dans les animaux nous ne la connaissons pas ; et en second lieu, parce que dans les végétaux il y a peut-être de même des germes séminaux, et que la graine n'est point un germe, mais une production aussi parfaite que l'est le foetus d'un animal, à laquelle, comme à celui-ci, il ne manque qu'un plus grand développement.

M. de Buffon s'objecte encore la prodigieuse multiplication de certaines espèces d'insectes, comme celle des abeilles dont chaque femelle produit trente à quarante mille mouches : mais il répond qu'il parle du général des animaux comparé au général des plantes, et que d'ailleurs cet exemple des abeilles, qui peut-être est celui de la plus grande multiplication que nous connaissions dans les animaux, ne fait pas une preuve ; car de trente ou quarante mille mouches que la mère abeille produit, il n'y en a qu'un très-petit nombre de femelles, quinze cens ou deux mille mâles, et tout le reste ne sont que des mulets ou plutôt des mouches neutres, sans sexe, et incapables de produire.

Il faut avouer que dans les insectes, les poissons, les coquillages, il y a des espèces qui paraissent être extrêmement abondantes : les huitres, les harengs, les puces, les hannetons, etc. sont peut-être en aussi grand nombre que les mousses et les autres plantes les plus communes : mais, à tout prendre, on remarquera aisément que la plus grande partie des espèces d'animaux est moins abondante en individus que les espèces de plantes ; et de plus on observera qu'en comparant la multiplication des espèces de plantes entre elles, il n'y a pas des différences aussi grandes dans le nombre des individus, que dans les espèces d'animaux, dont les uns engendrent un nombre prodigieux de petits, et d'autres n'en produisent qu'un très-petit nombre ; au lieu que dans les plantes le nombre des productions est toujours fort grand dans toutes les espèces.

Il parait par tout ce qui précède, que les espèces les plus viles, les plus abjectes, les plus petites à nos yeux, sont les plus abondantes en individus, tant dans les animaux que dans les plantes. A mesure que les espèces d'animaux nous paraissent plus parfaites, nous les voyons réduites à un moindre nombre d'individus. Pourrait-on croire que de certaines formes de corps, comme celles des quadrupedes et des oiseaux, de certains organes pour la perfection du sentiment, couteraient plus à la nature que la production du vivant et de l'organisé, qui nous parait si difficîle à concevoir ? Non, cela ne se peut croire. Pour satisfaire, s'il est possible, au phénomène proposé, il faut remonter jusqu'à l'ordre primitif des choses, et le supposer tel que la production des grands animaux eut été aussi abondante que celle des insectes. On voit au premier coup-d'oeil que cette espèce monstrueuse eut bien-tôt englouti les autres, se fût dévorée elle-même, eut couvert seule la surface de la terre, et que bien-tôt il n'y eut eu sur le continent que des insectes, des oiseaux et des éléphans ; et dans les eaux, que les baleines et les poissons qui, par leur petitesse, auraient échappé à la voracité des baleines ; ordre de choses qui certainement n'eut pas été comparable à celui qui existe. La Providence semble donc ici avoir fait les choses pour le mieux.

Mais passons maintenant, avec M. de Buffon, à la comparaison des animaux et des végétaux pour le lieu, la grandeur, et la forme. La terre est le seul lieu où les végétaux puissent subsister : le plus grand nombre s'élève au-dessus de la surface du terrain, et y est attaché par des racines qui le pénètrent à une petite profondeur. Quelques-uns, comme les truffes, sont entièrement couverts de terre ; quelques autres, en petit nombre, croissent sous les eaux : mais tous ont besoin pour exister, d'être placés à la surface de la terre. Les animaux au contraire sont plus généralement répandus ; les uns habitent la surface ; les autres l'intérieur de la terre : ceux-ci vivent au fond des mers ; ceux-là les parcourent à une hauteur médiocre. Il y en a dans l'air, dans l'intérieur des plantes ; dans le corps de l'homme et des autres animaux ; dans les liqueurs : on en trouve jusque dans les pierres, les dails. Voyez DAILS.

Par l'usage du microscope, on prétend avoir découvert un grand nombre de nouvelles espèces d'animaux fort différentes entre elles. Il peut paraitre singulier qu'à peine on ait pu reconnaître une ou deux espèces de plantes nouvelles par le secours de cet instrument. La petite mousse produite par lamoisissure est peut-être la seule plante microscopique dont on ait parlé. On pourrait donc croire que la nature s'est refusée à produire de très-petites plantes ; tandis qu'elle s'est livrée avec profusion à faire naître des animalcules : mais on pourrait se tromper en adoptant cette opinion sans examen ; et l'erreur pourrait bien venir en effet de ce que les plantes se ressemblant beaucoup plus que les animaux, il est plus difficîle de les reconnaître et d'en distinguer les espèces ; en sorte que cettemoisissure, que nous ne prenons que pour une mousse infiniment petite, pourrait être une espèce de bois ou de jardin qui serait peuplé d'un grand nombre de plantes très-différentes, mais dont les différences échappent à nos yeux.

Il est vrai qu'en comparant la grandeur des animaux et des plantes, elle paraitra assez inégale ; car il y a beaucoup plus loin de la grosseur d'une baleine à celle d'un de ces prétendus animaux microscopiques, que du chêne le plus élevé à la mousse dont nous parlions tout-à-l'heure ; et quoique la grandeur ne soit qu'un attribut purement relatif, il est cependant utîle de considérer les termes extrêmes où la nature semble s'être bornée. Le grand parait être assez égal dans les animaux et dans les plantes ; une grosse baleine et un gros arbre sont d'un volume qui n'est pas fort inégal ; tandis qu'en petit on a cru voir des animaux dont un millier réunis n'égaleraient pas en volume la petite plante de lamoisissure.

Au reste, la différence la plus générale et la plus sensible entre les animaux et les végétaux est celle de la forme : celle des animaux, quoique variée à l'infini, ne ressemble point à celle des plantes ; et quoique les polypes, qui se reproduisent comme les plantes, puissent être regardés comme faisant la nuance entre les animaux et les végétaux, non-seulement par la façon de se reproduire, mais encore par la forme extérieure ; on peut cependant dire que la figure de quelque animal que ce soit est assez différente de la forme extérieure d'une plante, pour qu'il soit difficîle de s'y tromper. Les animaux peuvent à la vérité faire des ouvrages qui ressemblent à des plantes ou à des fleurs : mais jamais les plantes ne produiront rien de semblable à un animal ; ces insectes admirables qui produisent et travaillent le corail, n'auraient pas été méconnus et pris pour des fleurs, si, par un préjugé mal-fondé, on n'eut pas regardé le corail comme une plante. Ainsi les erreurs où l'on pourrait tomber en comparant la forme des plantes à celle des animaux, ne porteront jamais que sur un petit nombre de sujets qui font la nuance entre les deux ; et plus on fera d'observations, plus on se convaincra qu'entre les animaux et les végétaux, le créateur n'a pas mis de terme fixe ; que ces deux genres d'être organisés ont beaucoup plus de propriétés communes que de différences réelles ; que la production de l'animal ne coute pas plus, et peut-être moins à la nature, que celle du végétal ; qu'en général la production des êtres organisés ne lui coute rien ; et qu'enfin le vivant et l'animé, au lieu d'être un degré métaphysique des êtres, est une propriété physique de la matière.

Après nous être tirés, à l'aide de la profonde métaphysique et des grandes idées de M. de Buffon, de la première partie d'un article très-important et très-difficile, nous allons passer à la seconde partie, que nous devons à M. d'Aubenton, son illustre collègue, dans l'ouvrage de l'Histoire naturelle générale et particulière.

Les animaux, dit M. d'Aubenton, tiennent la première place dans la division générale de l'histoire naturelle. On a distribué tous les objets que cette science comprend, en trois classes que l'on appelle règnes : le premier est le règne animal ; nous avons mis les animaux dans ce rang, parce qu'ils ont plus de rapport avec nous que les végétaux, qui sont renfermés dans le second règne ; et les minéraux en ayant encore moins, sont dans le troisième. Dans plusieurs ouvrages d'histoire naturelle, on trouve cependant le règne minéral le premier, et le règne animal le dernier. Les auteurs ont cru devoir commencer par les objets les plus simples, qui sont les minéraux, et s'élever ensuite comme par degrés en parcourant le règne végétal, pour arriver aux objets les plus composés, qui sont les animaux.

Les anciens ont divisé les animaux en deux classes ; la première comprend ceux qui ont du sang, et la seconde ceux qui n'ont point de sang. Cette méthode était connue du temps d'Aristote, et peut-être longtemps avant ce grand philosophe ; et elle a été adoptée presque généralement jusqu'à présent. On objecte contre cette division, que tous les animaux ont du sang, puisqu'ils ont tous une liqueur qui entretient la vie, en circulant dans tout le corps ; que l'essence du sang ne consiste pas dans sa couleur rouge, etc. ces objections ne prouvent rien contre la méthode dont il s'agit. Que tous les animaux aient du sang, ou qu'il n'y en ait qu'une partie ; que le nom de sang convienne, ou non, à la liqueur qui circule dans le corps de ceux-ci, il suffit que cette liqueur ne soit pas rouge, pour qu'elle soit différente du sang des autres animaux, au moins par la couleur ; cette différence est donc un moyen de les distinguer les uns des autres, et fait un caractère pour chacune de ces classes : mais il y a une autre objection à laquelle on ne peut répondre. Parmi les animaux que l'on dit n'avoir point de sang, ou au moins n'avoir point de sang rouge, il s'en trouve qui ont du sang, et du sang bien rouge ; ce sont les vers de terre. Voilà un fait qui met la méthode en défaut : cependant elle peut encore être meilleure que bien d'autres.

La première classe qui est celle des animaux qui ont du sang, est soudivisée en deux autres, dont l'une comprend les animaux qui ont un poumon pour organe de la respiration, et l'autre, ceux qui n'ont que des ouies.

Le cœur des animaux qui ont un poumon, a deux ventricules, ou n'a qu'un seul ventricule ; ceux dont le cœur a deux ventricules, sont vivipares, voyez VIVIPARE ou Ovipares, voyez OVIPARE. Les vivipares sont terrestres ou aquatiques ; les premiers sont les quadrupedes vivipares. Voyez QUADRUPEDE. Les aquatiques sont les poissons cétacées. Voyez POISSONS. Les ovipares dont le cœur a deux ventricules, sont les oiseaux.

Les animaux dont le cœur n'a qu'un ventricule, sont les quadrupedes ovipares et les serpens. Voyez QUADRUPEDE, SERPENT.

Les animaux qui ont des ouies, sont tous les poissons, à l'exception des cétacées. Voyez POISSON.

On distingue les animaux qui n'ont point de sang en grands et en petits.

Les grands sont divisés en trois sortes : 1°. les animaux mous qui ont une substance molle à l'extérieur, et une autre substance dure à l'intérieur, comme le polype, la seiche, le calemar. Voyez POLYPE, SEICHE, CALEMAR. 2°. Les crustacées. Voyez CRUSTACEE. 3°. Les testacées. Voyez TESTACEES.

Les petits animaux qui n'ont point de sang, sont les insectes. Voyez INSECTE. Ray. Sinop. anim. quad.

On a fait d'autres distributions des animaux qui sont moins compliquées ; on les a divisés en quadrupedes, oiseaux, poissons, et insectes. Les serpens sont compris avec les quadrupedes, parce qu'on a cru qu'ils n'étaient pas fort différents des lésards, quoiqu'ils n'eussent point de pieds. Une des principales objections que l'on ait faites contre cette methode, est qu'on rapporte au même genre des vivipares et des ovipares.

On a aussi divisé les animaux en terrestres, aquatiques, et amphibies : mais on s'est récrié contre cette distribution, parce qu'on met des animaux vivipares dans des classes différentes, et qu'il se trouve des vivipares et des ovipares dans une même classe ; les insectes terrestres étant dans une classe, et les insectes d'eau dans une autre, etc.

On peut s'assurer par un examen détaillé, qu'il y a quantité d'autres exceptions aux règles établies par ces méthodes : mais après ce que nous avons dit ci-devant, on ne doit pas s'attendre à avoir une méthode arbitraire qui soit parfaitement conforme à la nature ; ainsi il n'est question que de choisir celles qui sont le moins défectueuses, parce qu'elles le sont toutes plus ou moins. Voyez METHODE.

Les animaux prennent de l'accroissement, ont de la vie, et sont doués de sentiment : par cette définition M. Linnaeus les distingue des végétaux qui croissent et vivent sans avoir de sentiment, et des minéraux qui croissent sans vie ni sentiment. Le même auteur divise les animaux en six classes : la première comprend les quadrupedes ; la seconde, les oiseaux ; la troisième, les amphibies ; la quatrième, les poissons ; la cinquième, les insectes ; et la sixième, les vers. Syst. nat. Voyez QUADRUPEDE, OISEAU, AMPHIBIE, INSECTE, VER. (I)