Pour parler de l'architecture civîle qui est notre objet, nous dirons en général que son origine est aussi ancienne que le monde ; que la nécessité enseigna aux premiers hommes à se bâtir eux-mêmes des huttes, des tentes, et des cabanes ; que par la suite des temps se trouvant contraints de vendre et d'acheter, ils se réunirent ensemble, où vivant sous des lois communes, ils parvinrent à rendre leurs demeures plus régulières.

Les anciens auteurs donnent aux Egyptiens l'avantage d'avoir élevé les premiers des bâtiments symétriques et proportionnés ; ce qui fit, disent-ils, que Salomon eut recours à eux pour bâtir le temple de Jérusalem, quoique Vilapandre nous assure qu'il ne fit venir de Tyr que les ouvriers en or, en argent, et en cuivre, et que ce fut Dieu lui-même qui inspira à ce roi les préceptes de l'architecture ; ce qui serait, selon cet auteur, un trait bien honorable pour cet art. Mais sans entrer dans cette discussion, nous regardons la Grèce comme le berceau de la bonne architecture, soit que les règles des Egyptiens ne soient pas parvenues jusqu'à nous, soit que ce qui nous reste de leurs édifices ne nous montrant qu'une architecture solide et colossale (tels que ces fameuses pyramides qui ont triomphé du temps depuis tant de siècles) ne nous affecte pas comme les restes des monuments que nous avons de l'ancienne Grèce. Ce qui nous porte à croire que nous sommes redevables aux Grecs des proportions de l'architecture, ce sont les trois ordres, dorique, ionique et corinthien, que nous tenons d'eux, les Romains ne nous ayant produit que les deux autres qui en sont une imitation assez imparfaite, quoique nous en fassions un usage utîle dans nos bâtiments ; exprimant parfaitement chacun à part le genre d'architecture rustique, solide, moyen, délicat et composé, connus sous le nom de toscan, dorique, ionique, corinthien, et composite, qui ensemble comprennent ce que l'architecture a de plus exquis ; puisque nous n'avons pu en France, malgré les occasions célèbres que nous avons eues de bâtir depuis un siècle, composer d'ordres qui aient pu approcher de ceux des Grecs et des Romains : je dis approcher ; car plusieurs habiles hommes l'ont tenté, tels que Bruant, le Brun, le Clerc, etc. sans être approuvés ni imités par leurs contemporains ni leurs successeurs ; ce qui nous montre assez combien l'architecture, ainsi que les autres arts, ont leurs limites. Mais sans parler ici des ouvrages des Grecs, qui sont trop éloignés de nous, et dont plusieurs auteurs célèbres ont donné des descriptions, passons à un temps moins reculé, et disons que l'architecture dans Rome parvint à son plus haut degré de perfection sous le règne d'Auguste ; qu'elle commença à être négligée sous celui de Tibere son successeur ; que Néron même, qui avait une passion extraordinaire pour les arts, malgré tous les vices dont il était possédé, ne se servit du goût qu'il avait pour l'architecture, que pour étaler avec plus de prodigalité son luxe et sa vanité, et non sa magnificence. Trajan témoigna aussi beaucoup d'affection pour les arts ; et malgré l'affoiblissement de l'architecture, ce fut sous son règne qu'Apollodore éleva cette fameuse colonne qui porte encore aujourd'hui dans Rome le nom de cet empereur. Ensuite Alexandre Sevère soutint encore par son amour pour les arts l'architecture : mais il ne put empêcher qu'elle ne fût entrainée dans la chute de l'empire d'Occident, et qu'elle ne tombât dans un oubli dont elle ne put se relever de plusieurs siècles, pendant l'espace desquels les Visigots détruisirent les plus beaux monuments de l'antiquité, et où l'architecture se trouva réduite à une telle barbarie, que ceux qui la professaient négligèrent entièrement la justesse des proportions, la convenance et la correction du dessein, dans lesquels consiste tout le mérite de cet art.

De cet abus se forma une nouvelle manière de bâtir que l'on nomma gothique, et qui a subsisté jusqu'à ce que Charlemagne entreprit de rétablir l'ancienne. Alors la France s'y appliqua avec quelque succès, encouragée par Hugues Capet, qui avait aussi beaucoup de goût pour cette science. Robert son fils, qui lui succéda, eut les mêmes inclinations ; de sorte que par degrés l'architecture, en changeant de face, donna dans un excès opposé en devenant trop légère ; les architectes de ces temps-là faisant consister les beautés de leur architecture dans une délicatesse et une profusion d'ornements jusqu'alors inconnus : excès dans lequel ils tombèrent sans doute par opposition à la gothique qui les avait précédés, ou par le goût qu'ils reçurent des Arabes et des Maures, qui apportèrent ce genre en France des pays méridionaux ; comme les Vandales et les Goths avaient apporté du pays du nord le goût pesant et gothique.

Ce n'est guère que dans les deux derniers siècles que les architectes de France et d'Italie s'appliquèrent à retrouver la première simplicité, la beauté et la proportion de l'ancienne architecture ; aussi n'est-ce que depuis ce temps que nos édifices ont été exécutés à l'imitation et suivant les préceptes de l'architecture antique. Nous remarquerons à cette occasion que l'architecture civîle qui se distingue, eu égard à ces différentes époques et à ses variations, en antique, ancienne, gothique, et moderne, peut encore se distinguer selon ses différentes proportions et ses usages, selon les différents caractères des ordres dont nous avons parlé. Voyez TOSCAN, DORIQUE, IONIQUE, CORINTHIEN, MPOSITESITE.

Pour avoir des notions de l'architecture, et des principes élémentaires concernant la matière, la forme, la proportion, la situation, la distribution et la décoration ; voyez la définition de ces différentes expressions, aussi bien que celles des arts qui dépendent de l'architecture, tels que la SCULPTURE, PEINTURE, DORURE, MAÇONNERIE, CHARPENTERIE, MENUISERIE, etc. Voyez ces articles.

De tous les architectes grecs qui ont écrit sur l'architecture, tels qu'Agatarque l'athénien, Démocrite, Théophraste, etc. aucun de leurs traités n'est parvenu jusqu'à nous, non plus que ceux des auteurs latins, tels que furent Fussitius, Terentius Varro, Publius Septimius, Epaproditus, etc. de sorte que Vitruve peut être regardé comme le seul architecte ancien dont nous ayons des préceptes par écrit, quoique Vegece rapporte qu'il y avait à Rome près de sept cens architectes contemporains. Cet architecte vivait sous le règne d'Auguste, dont il était l'ingénieur, et composa dix livres d'architecture, qu'il dédia à ce prince : mais le peu d'ordre, l'obscurité et le mélange de latin et de grec qui se trouve répandu dans son ouvrage, a donné occasion à plusieurs architectes, du nombre desquels sont Philander, Barbaro, etc. d'y ajouter des notes : mais de toutes celles qui ont été faites sur cet auteur, celles de Perrault, homme de Lettres et savant architecte, sont celles qui font le plus d'honneur aux commentateurs de Vitruve. Ceux qui ont écrit sur l'architecture depuis cet auteur, sont Léon Baptiste Alberti, qui publia dix livres d'architecture, à l'imitation de Vitruve, mais où la doctrine des ordres est peu exacte ; Sebastien Serlio en donna aussi un, et suivit de plus près les préceptes de Vitruve ; Palladio, Philibert de Lorme et Barrozzio de Vignole, en donnèrent aussi ; Daviler a fait des notes fort utiles sur ce dernier. On peut encore ranger au nombre des ouvrages célèbres sur l'architecture, l'idée universelle de cet art, par Vincent Scamozzi ; le parallèle de l'ancienne architecture avec la moderne, par M. de Cambray ; le cours d'architecture de François Blondel, professeur et directeur de l'académie royale d'architecture, qui peut être regardé comme une collection de ce que les meilleurs auteurs ont écrit sur les cinq ordres ; l'architecture de Goldman, qui a montré combien il était aisé d'arriver au degré de perfection dans l'art de bâtir, par le secours de certains instruments dont il est l'inventeur ; celle de Wotton réduite en démonstration par Wolfius, à qui nous avons l'obligation, ainsi qu'à François Blondel, d'avoir appliqué à l'architecture les démonstrations mathématiques.

Depuis les auteurs dont nous venons de parler, plusieurs de nos architectes français ont aussi traité de l'architecture, tels que M. Perrault, qui nous a donné les cinq ordres avec des additions sur Vitruve, et des observations fort intéressantes ; le P. Dairan, qui nous a donné un excellent traité de la Coupe des pierres, que la Rue, architecte du roi, a commenté, éclairci et rendu utîle à la pratique ; M. Fraizier, qui a donné la théorie de cet art, presqu'inconnue avant lui ; M. Boffrand, qui nous a donné ses œuvres, dans lesquels cet habîle homme a montré son érudition et son expérience dans l'art d'architecture ; M. Brizeux nous a aussi donné un traité de la distribution et de la décoration des maisons de campagne ; et Daviler, qui non-seulement a commenté Vignole, mais nous a donné un traité d'architecture fort estimé, augmenté par le Blond (dont nous avons un excellent traité du jardinage) et depuis par Jacques-Français Blondel, professeur d'architecture, dont nous avons aussi un traité de la distribution et de la décoration des édifices ; sans oublier Bullet, le Muet, Bosse, etc. qui nous ont aussi donné quelques ouvrages sur l'architecture.

Le terme d'architecture reçoit encore plusieurs significations, selon la manière dont on le met en usage, c'est-à-dire qu'on appelle architecture en perspective celle dont les parties sont de différentes proportions, et diminuées à raison de leurs distances pour en faire paraitre l'ordonnance en général plus grande ou plus éloignée qu'elle ne l'est réellement, tel qu'on voit exécuté le fameux escalier du Vatican, bâti sous le pontificat d'Alexandre VII. sur les desseins du cavalier Bernin. On appelle architecture feinte celle qui a pour objet de représenter tous les plans, saillies et reliefs d'une architecture réelle par le seul secours du coloris, tel qu'on en voit dans quelques frontispices de l'Italie, et aux douze pavillons du château de Marly ; ou bien celle qui concerne les décorations des théâtres ou des arcs de triomphe peintes sur toîle ou sur bois, géométralement ou en perspective, à l'occasion des entrées ou fêtes publiques, ou bien pour les pompes funèbres, feux d'artifice, etc. (P)