S. f. S 'OSSIFIER, Ve neut. (Physiologie) c'est la formation des os en longueur, en grosseur, et en solidité, par le secours des sucs nourriciers qui y arrivent, les développent, les allongent, augmentent leur épaississement et leur dureté, jusqu'à-ce qu'enfin n'étant plus capables d'admettre les sucs nécessaires à leur nutrition, ils s'altèrent dans leur substance, et rendent inévitable le dépérissement de la machine. Mais comment se fait l'ossification ? c'est un mystère dont la connaissance nous est cachée, et sur lequel on n'a donné que des conjectures ; voici celles que je crois les plus vraisemblables.

On peut considérer les os dans leur origine comme autant de petits tuyaux creux revêtus d'une fine pellicule en-dehors et en-dedans. Cette double pellicule ou membrane fournit la substance qui doit devenir osseuse, ou le devient elle-même en partie ; car le petit intervalle qui est entre ces deux membranes, c'est-à-dire, entre le périoste intérieur et le périoste extérieur, devient bien-tôt une lame osseuse.

Dans les premiers temps les os du foetus ne sont encore que des filets d'une matière ductile, que l'on aperçoit aisément et distinctement à-travers la peau et les autres parties extérieures, qui sont alors extrêmement minces, et presque transparentes. L'os de la cuisse, par exemple, n'est qu'un petit filet fort court, qui contient une cavité. Ce petit tuyau creux est fermé aux deux bouts par une matière ductile, et il est revêtu à sa surface extérieure et à l'intérieure de sa cavité de deux membranes composées dans leur épaisseur de plusieurs plans de fibres toutes molles et ductiles ; à mesure que ce petit tuyau reçoit des sucs nourriciers, les deux extrémités s'éloignent de la partie du milieu ; cette partie reste toujours à la même place, tandis que toutes les autres s'en éloignent peu-à-peu des deux côtés ; elles ne peuvent s'éloigner dans cette direction opposée sans réagir sur cette partie du milieu : les parties qui environnent ce point du milieu prennent donc plus de consistance, plus de solidité, et commencent à s'ossifier les premières.

L'intervalle des deux périostes devient osseux dans la partie du milieu de la longueur de l'os ; ensuite les parties qui avoisinent le milieu sont celles qui s'ossifient, tandis que les extrémités de l'os, et les parties qui avoisinent ces extrémités, restent ductiles et spongieuses. Et comme la partie du milieu est celle qui est la première ossifiée, elle ne peut plus s'étendre ; il n'est pas possible qu'elle prenne autant de grosseur que les autres. La partie du milieu doit donc être la partie la plus menue de l'os ; car les autres parties et les extrémités ne se durcissant qu'après celle du milieu, elles doivent prendre plus d'accroissement et de volume ; c'est par cette raison que la partie du milieu des os est plus menue que toutes les autres parties, et que les têtes des os qui se durcissent les dernières, et qui sont les parties les plus éloignées du milieu sont aussi les plus grosses de l'os.

Indépendamment de cet accroissement en longueur, l'os prend en même temps un accroissement en grosseur qui se fait ainsi ; la première lame osseuse est produite par la partie intérieure et le périoste extérieur. Il s'en forme bien-tôt deux autres qui se collent de chaque côté de la première, et en même temps la circonférence et le diamètre de la cavité. Les parties intérieures des deux périostes continuent ainsi à s'ossifier, et l'os continue à grossir par l'addition de toutes ces couches osseuses produites par les périostes.

Mais l'ossification est encore produite par plusieurs autres causes qu'il faut développer. Elle se fait, suivant l'illustre Monro, dans son ostéogonie, 1°. à l'aide de la suppression considérable qu'exercent sur les os, plus que sur aucune partie, les grands poids qu'ils ont à supporter ; 2°. par la violente contraction des muscles qui y sont attachés ; 3°. par la force des parties qui les constituent, et qui font des efforts continuels pour s'étendre et s'accroitre.

C'est en conséquence de toutes ces actions réunies, que les fibres solides et les vaisseaux des os sont tenus plus serrés, et que les particules des fluides portées dans ces vaisseaux, deviennent propres à s'unir à ces fibres, et s'y incorporent plus promptement et plus fortement, tandis que le reste continue son chemin par les veines, et rentre dans la masse du sang. Une observation qu'il importe de faire, c'est qu'à mesure que les os se durcissent, en même proportion et le nombre et le diamètre des vaisseaux diminuent. Ce qui nous montre la raison pour laquelle les os des jeunes gens se réunissent plus promptement après une fracture que ceux des vieillards, et celle pour laquelle les chevaux, les bœufs, les gros bestiaux perdent de leur grosseur et de leur force lorsqu'on les fait travailler trop tôt.

Les exemples fréquents que nous avons de l'ossification de quelques autres parties, lorsqu'elles ont été longtemps exposées à la compression des parties environnantes, ou lorsqu'elles se sont trouvées dans des conjonctures semblables, en conséquence de leur contraction violente et fréquente, comme il arrive aux parties situées proche les orifices du cœur dans quelques vieillards, et dans quelques animaux ; ces exemples, dis-je, ne nous permettent point de douter que l'ossification ne vienne d'une compression telle que nous l'avons indiquée : témoin la substance musculaire du cœur, qu'on a trouvée osseuse dans plusieurs personnes, ainsi que nous l'assurent Cheselden et autres : témoin encore l'ossification des artères dans les vieillards, celle des cartilages du larynx dans les adultes, celle des cartilages situés entre les vertèbres du dos et les reins ; dans les bêtes de somme, ces cartilages se changent en os parfaits, et s'unissent intimement aux vertébres ; en sorte que le tout ne parait qu'un os continué. Le périoste n'est pas même exempt de cette métamorphose, et Peyer nous dit avoir séparé cette membrane en plusieurs lames osseuses.

Une observation qui tend à appuyer l'opinion de M. Monro, c'est que les os commencent à s'ossifier dans les endroits où l'action de ces causes est plus sensible ; savoir, dans les os cylindriques par un anneau au milieu ; et dans les larges au centre, ou proche le centre, par un point, ou par plusieurs points distincts. La raison de ces effets, c'est que ces parties sont contiguès aux ventres des muscles qui sont attachés à ces os ; et que c'est en conséquence du gonflement qui se fait à ces ventres, que la pression sur les os est plus grande en ces endroits. Nous faisons juges de cette action ceux qui ont examiné avec attention certains os, comme celui de l'épaule et des iles, qui sont couverts de muscles d'un et d'autre côté ; combien ne sont-ils pas minces et compactes dans les adultes, surtout dans les endroits où les ventres des muscles étant appliqués, la pression était la plus grande, au-lieu qu'ils sont plus épais dans les enfants : mais le nombre des fibres étant le plus grand dans le milieu de ces os, il est évident que cet endroit aurait été plus épais tant dans les adultes que les enfants, s'il n'y avait eu dans les premiers une compression qui n'était point dans les seconds ; en effet, les muscles n'ont presque point encore d'exercice dans les enfants, au lieu qu'ils agissent fortement dans les adultes.

D'ailleurs, si nous admettons que toutes les parties d'un os sont uniformément augmentées par l'accès du fluide destiné à la nutrition ; chaque fibre et chaque particule d'une fibre tendront à s'étendre, et pousseront leurs voisins : conséquemment la pression sera beaucoup plus grande vers le milieu où les particules seront beaucoup plus fermes ; c'est donc là que commencera l'ossification. Enfin, la pulsation des artères médullaires qui entrent dans les os, à-peu-près vers leur milieu, pourrait bien aussi, ainsi que les auteurs l'ont conjecturé, contribuer à leur endurcissement.

C'est des effets de la pression seule que nous pouvons déduire la raison pour laquelle les os des vieillards ont leurs parois beaucoup plus minces, et sont toutefois plus forts et plus solides, tandis que les cavités y sont plus grandes que dans les os des jeunes gens ; et celle pour laquelle l'impression des muscles et des vaisseaux, etc. est beaucoup plus forte sur la surface des os, selon l'âge et l'état des personnes, et selon le travail et les exercices entre les personnes d'un même âge et d'un même état. Cette impression est beaucoup plus profonde dans les vieillards, et dans ceux qui sont accoutumés au travail, que dans les jeunes gens, et dans ceux qui ne prennent aucun exercice, et qui mènent une vie indolente.

Il est encore vraisemblable que l'ossification dépend des vaisseaux des os, dont la situation et les diamètres sont tels, qu'ils séparent une liqueur qui, privée de ses parties les plus fluides, se convertit facilement en une substance osseuse, ainsi qu'il est démontré par la matière calleuse qui se sépare dans les fractures et dans les ulcères, lorsqu'une partie de quelqu'os a été emportée. Dans ces cas cette liqueur se durcit, et cimente quelquefois les deux extrémités d'un os, quoique la distance à laquelle elles sont placées soit assez considérable. Il se trouve un grand nombre d'exemples de ce phénomène dans les auteurs. M. Laing, chirurgien écossais, fit l'extraction du tibia à un enfant, et il ne laissa de cet os presque que les épiphyses de chaque extrémité ; une substance osseuse prit la place de l'os qu'il avait ôté, et suppléa à tout ce qui manquait ; en sorte que le malade marcha dans la suite avec facilité et fermeté.

Peut-être aussi que les causes de l'ossification dont nous venons de faire mention, agissent plus ou moins puissamment, selon la nature du climat, et les aliments dont on fait usage. C'est peut-être aussi par la même raison que les peuples qui habitent des pays chauds, acquièrent plus promptement toutes leurs forces et toute leur grandeur, que ceux qui vivent dans des contrées froides et septentrionales. De-là vient encore la pratique connue parmi les dames de faire boire aux jeunes chiens de l'eau-de-vie ou de l'esprit de vin, et de les baigner dans ces liqueurs pour les empêcher de grossir. On a observé que l'usage excessif de ces esprits avait fait pétrifier dans quelques personnes, et ossifier dans d'autres, des parties naturellement molles à leur âge. Voyez les exemples qu'en rapportent Littre et Geoffroy.

Ceux qui seront curieux de savoir en quel temps et dans quel ordre chaque os, et chaque partie des os commencent à s'ossifier, n'ont qu'à consulter Kerkringius ; cet auteur a poussé ses observations depuis le foetus de trois jours après la conception, et depuis trois semaines et un mois jusqu'à neuf. Qu'ils parcourent aussi Coiterus et Eyssonius. Enfin on trouvera dans les ouvrages de Ruysch, qui a corrigé quelques-unes des erreurs des auteurs que nous venons de citer, un traité complet d'Ostéogonie, en y ajoutant quelques particularités que Nesbitt et Albinus ont remarqué depuis.

Quand l'os a acquis toute sa densité et sa solidité, sa substance devient avec le temps si compacte, qu'elle ne peut plus admettre les sucs nourriciers qui étaient auparavant employés à augmenter sa densité, et qui étaient nécessaires à cette espèce de circulation qui fait la nutrition de ces parties. Dès-lors cette substance de l'os doit s'altérer, puisqu'elle cesse d'être nourrie, et cette altération dans la substance même des os est une des premières causes qui rendent nécessaire le dépérissement de notre corps. Ainsi la vie s'éteint par nuances successives, et la mort n'est que la dernière nuance de la vie.

Le changement qui ossifie insensiblement toutes les parties molles, est encore produit par de fréquents et violents exercices, par l'application des astringens, par le desséchement et par la vieillesse. Ce changement est suivi de roideur dans les parties qui étaient auparavant mobiles, et les effets qui en résultent, varient autant que les parties elles-mêmes sujettes à ces accidents. Il est totalement impossible de changer l'état d'une partie ossifiée ; mais quelquefois à la faveur des fomentations laxatives, mucilagineuses, humectantes, onctueuses, tiédes, jointes à une douce friction de la partie, on vient à bout de lui procurer un certain degré de flexibilité.

Ce degré de flexibilité est très-peu de chose, et ne réussit qu'à l'égard de quelques muscles externes ; car il n'est point de moyen d'empêcher l'ossification des parties solides internes ; ainsi l'a voulu l'auteur de la nature. Tous les observateurs nous parlent d'ossifications, je ne dis pas seulement de membranes et de cartilages, mais de viscères et de vaisseaux. On a trouvé le cerveau, la dure-mère, le conduit auditif, l'oesophage, le cœur, le péricarde, les poumons, les reins, la rate, le foie, le pancréas, l'épiploon, l'artère carotide, l'aorte ossifiés. J'avais rassemblé plus de deux cent observations choisies sur ce sujet ; mon recueil a péri dans un naufrage avec mes autres manuscrits physiologiques. (D.J.)