ou RHACHITIS, (Médecine pratique) maladie ainsi appelée de , épine du dos, parce que la cause et les principaux symptômes paraissent resider dans cette partie du corps ; elle n'a point été connue avant le milieu du seizième siècle, où elle commença ses ravages par les provinces occidentales de l'Angleterre, d'où elle se répandit avec beaucoup de promptitude dans tous les pays septentrionaux de l'Europe. Les enfants sont les seules victimes que le rachitis immole à ses fureurs ; elle les prend au berceau depuis le sixième mois environ de leur naissance, jusqu'à l'âge d'un an et demi, et plus rarement jusqu'à ce qu'ils aient atteint la moitié de leur premier lustre ; son invasion est marquée par les signes suivants.

La proportion de grosseur qui se trouve entre les différentes parties du corps, commence à cesser de façon que les parties musculeuses, les extrémités, le col s'amincissent, deviennent grêles et décharnés, cependant la tête grossit, le visage se boursouffle, le ventre se porte en-dehors et présente au toucher une enflure mollasse, la peau perd sa force et son coloris ; elle est d'une blancheur fade, lâche et flasque ; les jointures des os ressortent davantage, leurs épiphyses augmentent en volume, tandis que le corps de l'os est délié et diversement recourbé ; ce vice très-considérable dans l'épine du dos et dans les côtés, retrécit la poitrine par derrière, et la porte en pointe sur le devant, les carotides et les jugulaires dans qui le mouvement du sang est sans-doute gêné par cette disposition vicieuse de la poitrine, paraissent au col très-amples et très-dilatées ; on remarque enfin dans ces malades un développement plus prompt de l'esprit, et beaucoup plus de vivacité qu'à l'ordinaire ; à mesure que ces enfants grandissent et que le mal s'invétère, de nouvelles facultés découvrent en eux de nouveaux maux ; dans le temps où suivant l'ordre de la nature et les lois de l'éducation, l'usage des pieds leur est accordé, à peine peuvent-ils en profiter, quelques pas les fatiguent ; leurs jambes énervées, engourdies au moindre mouvement, ne leur permettent pas de courir, de sauter, d'aller et de venir, jeux et occupations de leur âge ; on les voit aussi en choisir auxquels ils puissent vaquer étant assis ; leurs bras n'ont pas plus de force, ils ne sauraient vaincre la plus petite résistance, et leur col délié ne soutient qu'avec peine le poids considérable de leur tête grossie, qui chancelle de côté et d'autre ; à ces symptômes propres au rachitis, se joignent en divers temps la dentition difficile, des dévoyements presque continuels, des sueurs fréquentes, difficulté de respirer, digestion laborieuse, etc. et enfin survient la fièvre lente qui hâte le funeste coup d'une mort prématurée.

Parmi les causes, qui, suivant une observation repetée, donnent le plus communément naissance au rachitis, on n'en voit point à qui l'on puisse attribuer l'origine de cette maladie, il n'y en a point qui n'agit avant le seizième siècle ; cependant, ou elle ne produisait pas cet effet, ou cet effet produit n'était pas observé, ce qui n'est guère vraisemblable ; car le silence des auteurs antérieurs est général sur ce sujet, et tous ceux qui sont venus après s'accordent à en reconnaître la nouveauté, et à fixer la même époque ; comme on peut voir dans les dissertations particulières que Glisson, Mayow, Hoffman, etc. en ont données ; il ne parait pas même que ces écrivains se soient beaucoup occupés à rechercher la cause qui a déterminé pour la première fois l'invasion de cette fâcheuse maladie ; y aurait-il eu dans ce temps-là une disposition singulière dans l'air qui dirigeât à cet effet particulier les causes générales d'atrophie, de consomption, ou d'autres maladies ? C'est ce qu'il n'est pas possible d'assurer ; on peut seulement le présumer, et cette conjecture pourra se soutenir par le défaut d'autres plus vraisemblables ; mais laissons cette frivole aitiologie que le raisonnement seul pourrait établir, pour passer à l'examen des causes qu'une observation constante a démontré concourir plus efficacement à la production du rachitis.

Ces causes sont, 1°. l'air froid et nébuleux chargé de mauvaises exhalaisons : la preuve en est que cette maladie est très-fréquente à Londres, où l'air est un espèce de cloaque épais, rempli d'exhalaisons et des vapeurs du charbon de terre ; dans les endroits maritimes, ou situés sur le bord des rivières et des marais. 2°. La mauvaise constitution des parents : le rachitis est très-familier aux enfants, dont les père et mère sont d'un tempérament faible et lâche, qui vivent dans l'oisiveté et la mollesse ; qui usent d'aliments de mauvais sucs, visqueux, affadissants ; qui sont épuisés par les maladies chroniques, surtout véneriennes, et par des excès en différents genres. 3°. Le défaut d'une bonne nourrice : ces tendres victimes susceptibles des moindres impressions ne tardent pas à se ressentir des qualités pernicieuses d'un lait fourni par une nourrice colere, ivrogne, intempérante, vérolée, phtisique, scrophuleuse, ou attaquée de quelqu'autre maladie, ou enfin enceinte, et c'est, à ce que l'on prétend, le vice du lait le plus propre à produire le rachitis et celui qui doit en favoriser les progrès. Des nourrices mercenaires à qui par une coutume barbare introduite par la mollesse, on confie les enfants, se gardent bien de déclarer aux parents leur grossesse, dans la crainte qu'on ne retire avec les enfants le salaire qu'on leur payait, elles font par une punissable avarice avaler à ces pauvres innocens un lait empoisonné, germe fécond d'un grand nombre de maladies, et principalement du rachitis. J'ai Ve plusieurs enfants attaqués de cette maladie, qui la devaient à une semblable cause ; les nourrices sont encore en faute, lorsqu'elles portent entre les bras pendant des journées entières ces enfants emmaillotés dans une situation gênée, qui leur tient l'épine du dos courbée et les jambes inégalement tendues ; de même aussi lorsque par défaut d'attention, elles leur laissent faire des chutes sur le dos. 4°. La disposition vicieuse des enfants qui peut avoir pris naissance d'un mauvais régime, de l'usage d'aliments peu convenables à leur âge ; tels sont les substances aqueuses et muqueuses, les fruits d'été cruds, les poissons, le pain non levé et toutes ces panades indigestes, dont on engorge les enfants à Paris, et qu'un homme fait a de la peine à soutenir ; les maladies précèdentes mal traitées ne contribuent pas peu à entretenir ou former cette mauvaise disposition ; la petite vérole, par exemple, la rougeole, des dartres, la teigne, la gale, la croute de lait repercutées donnent souvent lieu au rachitis.

L'action de ces différentes causes tend à déranger la nutrition, à la distribuer inégalement dans les diverses parties du corps, de façon que quelques-unes regorgent de parties nutritives, tandis que d'autres en sont dépourvues ; de là vient l'inégalité d'accroissement ; mais on observe dans cette inégale distribution d'embonpoint, une sorte de régularité. On a cru que la nutrition avait lieu dans tous les organes qui tiraient leurs nerfs du cerveau, et que les parties dont les nerfs naissaient de la moèlle épinière étaient les seules qui ne fussent pas suffisamment nourries ; l'observation est conforme sur ce point à ce sentiment ; l'ouverture des cadavres y ajoute encore un nouveau poids. Il parait évidemment que tous les viscères du bas-ventre, et surtout le foie, sont beaucoup plus gros qu'à l'ordinaire ; du reste, les glandes du mésentère sont gorgées, plus apparentes et plus dures ; les poumons sont à la vérité plus petits, mais les parois retrécies du thorax s'opposaient à leur accroissement ; on les trouve en revanche surchargés d'humeurs, remplis de concrétions ; quelquefois de petits abscès, et presque toujours adhérents à la plèvre. Le cerveau n'offre rien de remarquable qu'un volume bien au-delà du naturel ; toutes ces parties sont munies de nerfs qui sortent du cerveau : les parties musculeuses externes, les extrémités qui n'ont que des nerfs spinaux sont toutes dans l'amaigrissement ; d'où l'on a tiré une conclusion qui n'est pas sans fondement, donc il y a un engorgement dans la moèlle épinière qui empêche la distribution du suc nourricier par les nerfs auxquels elle donne naissance ; il doit donc refluer dans les nerfs que fournit le cerveau absolument libre ; de là le prompt accroissement de cet organe et de tous ceux qui en dépendent ; de là aussi le développement de l'esprit, sa vivacité prématurée proportionnée à la force des nerfs, à la facilité avec laquelle ils reçoivent et retiennent les impressions, et forment les idées, tant le matériel influe sur le spirituel des opérations de l'âme. Il faut, suivant ce système, reconnaître que les nerfs sont les principaux organes de la nutrition ; et par conséquent, priver de cette fonction les extrémités capillaires des vaisseaux sanguins ou lymphatiques, que la théorie ordinaire leur avait accordée ; mais je ne vois rien dans cette idée que de très-vraisemblable et très-conforme aux expériences, aux observations et aux lois bien connues de l'économie animale. C'est une expérience connue que la section totale d'un nerf fait tomber dans l'atrophie la partie dans laquelle il se distribuait ; il parait d'ailleurs que l'humeur qu'on observait dans les nerfs est plus propre à cet usage qu'à exécuter les mouvements et les sensations, à quoi les nerfs solides auraient pu suffire ; en creusant cette opinion, on y trouverait la solution satisfaisante de plusieurs phénomènes regardés comme inexplicables ; nous sommes obligés de passer sous silence ces détails intéressants qui ne seraient pas ici à leur place. Voyez NERF. Revenons à notre sujet ; la courbure des os et la grosseur de leurs épiphyses dépendent de leur ramollissement, des obstacles qui se trouvent dans le corps de l'os, qui retiennent toutes les humeurs dans les extrémités spongieuses et faciles à se dilater. Plusieurs auteurs ont pensé que les os étaient courbés par la force des muscles, qui dépourvus de nourriture, restaient toujours de la même longueur, par conséquent ne pouvaient s'étendre, s'allonger sans faire un arc afin que les deux extrémités conservassent toujours la même distance entr'elles, mesurée par la longueur constante du muscle. Cette explication est éclaircie par la comparaison d'un arbre qui serait tiré par une corde ; il serait obligé en croissant d'obéir à cette action, et de se couder ; elle est encore fondée sur ce théoreme de Géométrie, que toute ligne posée entre deux points fixes ne saurait s'allonger sans devenir oblique, ou courbe ; ce qui y ajoute un nouveau poids, c'est l'observation qui fait voir que les os ne se plient que du côté où il y a des muscles qui tirent ; par exemple, que la jambe est convexe par-devant, et courbée en arrière du côté qui donne attache au solaire, aux gastronumières, etc. Cette remarque n'a pas échappé aux bonnes femmes qui se mêlent de traiter les enfants rachitiques ; elles ont toujours soin d'appliquer les remèdes, de faire les frictions du côté concave, et le succès justifie la bonté de leur méthode.

Cette maladie fâcheuse par les accidents qu'elle entraîne et qui servent à l'établir, l'est encore plus par les suites funestes qu'elle manque rarement d'attirer lorsqu'elle n'est pas prévenue par une mort prochaine ; c'est dans les premiers instants où l'enfant jouit de la vie, que doivent se jeter les fondements d'une santé durable. Mais quels affreux commencements ; il n'est pas un seul viscère qui soit dans son assiete naturelle, et qui exerce ses fonctions d'une manière convenable ; alors se forment ces dérangements qui sont le noyau des maladies longues, habituelles, qui se développeront après un certain âge, ou de cet état languissant et maladif qui n'aura d'autres bornes que celles de la vie ; victimes infortunées, elles commencent à souffrir en naissant, et sont destinées à des souffrances presque continuelles. Telle est l'horrible perspective qui se présenterait à leurs regards, si leur vue pouvait percer dans l'avenir ; la mort d'un côté, et de l'autre la vie la plus desagréable, cent fois plus à craindre que la mort ; et le tout pour expier innocemment les crimes et les débauches de leurs parents, ou l'intempérance et les vices d'une malheureuse nourrice. Souvent à l'incommodité d'une faible santé se joint le desagrément d'une mauvaise conformation ; il n'est pas rare de voir les enfants rachitiques devenir bossus ou boiteux à l'âge de sept à huit ans, et être ainsi défigurés pour le reste de leurs jours ; peut-être que la gibbosité et le rachitis ne sont que les divers périodes d'une même maladie dépendante d'une cause commune. On doit s'attendre que ces accidents succedent au rachitis, s'il n'est pas terminé et détruit entièrement à l'âge de cinq ans : la mort est à craindre s'il a dégénéré en phtisie, en fièvre lente, en hydropisie de poitrine ou de bas-ventre ; si les autres symptômes sont considérables, si la disproportion des parties est notable, et l'amaigrissement extrême, si l'enfant est né rachitique, ou si cette maladie s'est déclarée peu de temps après la naissance, elle est en général d'autant plus dangereuse, qu'elle a commencé plus tôt. On peut espérer de la guérir dans les cas contraires ; la guerison n'est pas eloignée dès que les symptômes commencent à diminuer ; les éruptions cutanées survenues pendant le rachitis sont d'un très-bon augure ; elles annoncent et opèrent la guérison ; on vient aussi plus aisément à bout du rachitis qui provient du défaut de régime, de la mauvaise constitution de l'air, de la suppression de la gale, de la teigne, etc. que de celui qui est héréditaire ; enfin on peut toujours fonder quelque espérance sur les résolutions générales qui arrivent fréquemment aux enfants, et sur celle enfin qui est plus remarquable à l'âge de puberté.

Lorsqu'on entreprend le traitement d'un enfant rachitique, il ne faut pas oublier que les différents remèdes que la Pharmacie fournit font moins d'effets à cet âge que dans d'autres, et qu'ils sont plus souvent pernicieux ; ainsi on doit bien se garder de surcharger de médicaments ces machines délicates, déjà assez affaissées par la maladie : ajoutez à cela que les enfants encore dans l'état de nature, plus conduits par les sensations agréables ou le plaisir, que par la raison, répugnent toujours aux remèdes dont le goût est pour l'ordinaire détestable, et refusent absolument de les prendre. C'est pour quoi il faut principalement compter sur les secours que le régime fournit ; et en conséquence si l'enfant est encore en nourrice, lui en procurer une bien portante, et qui ait le moins de mauvaises qualités, ou à son défaut, nourrir l'enfant avec du lait de chèvre ou de vache, qui trop épais a besoin d'être coupé avec de l'eau, ou avec la décoction de quelque plante appropriée, mais qui n'ait point de goût desagréable, telle qu'est le chiendent ; car il ne faut pas leur donner de la répugnance pour les aliments en en corrompant la saveur. Si l'enfant peut supporter des aliments plus solides, on aura soin de ne lui en présenter que de facîle digestion, secs et sans graisse, assaisonnés même de quelque léger aromate ; leur boisson doit être de l'eau aiguisée de quelques gouttes de vin vieux, ou de l'eau ferrée, ou des eaux minérales légérement ferrugineuses, qui n'aient rien de rebutant ; on doit tâcher de les tenir dans un endroit sec, bien airé et modérément chaud ; il faut aussi que leurs linges ne soyent ni humides ni froids. Les habillements et même les chemises de laine leur conviendraient très-bien ; on pourrait les imprégner de quelque vapeur spiritueuse, de même que le lit dans lequel on les couche, qu'on pourrait aussi remplir de simples aromatiques. L'exercice ne doit pas être négligé : si l'enfant ne peut pas marcher, il faut le promener en voiture, l'agiter, le balancer, etc.

Les remèdes intérieurs par lesquels on peut seconder l'effet de ces secours diététiques, sont les purgatifs, les extraits amers, les préparations de mars et les absorbans. Les purgatifs ne sont jamais indifférents à cet âge, surtout ceux qui poussent par les selles ; les émétiques sont cependant très-appropriés dans le cas présent, moins par l'évacuation qu'ils procurent, que par la secousse générale qu'ils excitent ; on doit préférer l'hypecacuana aux préparations d'antimoine ; les cathartiques les plus convenables sont la rhubarbe, le diagrede, le jalap et le mercure doux. On peut associer ces médicaments, en former des poudres ou des bols, en continuer l'usage pendant plusieurs jours, et réitérer souvent cette purgation ; la manne, la casse, les huileux, tous purgatifs indigestes si peu efficaces et si usités, seraient ici très-déplacés. A ces remèdes on fera succéder les opiates, ou les poudres stomachiques, toniques, absorbantes. Parmi les amers on pourra choisir la fougère, que l'observation ou le préjugé ont consacré particulièrement dans ce cas, et qu'on regarde comme éminemment anti-rachitique. Si l'engourdissement était considérable, et que l'effet des remèdes précédents ne fût pas assez sensible, il serait à propos de leur joindre des médicaments un peu plus actifs, tels que les plantes aromatiques, quelques gouttes d'élixir de propriété de Paracelse, ou même d'esprit volatil de corne de cerf succiné, et autres semblables. Si la suppression de quelque éruption cutanée avait donné naissance au rachitis, il faudrait faire tous ses efforts pour la rappeler ; ou même ne serait-il pas avantageux de procurer ces maladies ? on pourrait le faire en couchant les enfants avec des galeux, des teigneux, etc.

A l'extérieur conviennent principalement les frictions seches, avec des étoffes de laine imprégnées de vapeurs aromatiques, les liniments avec des baumes spiritueux, les douches avec des eaux minérales chaudes sur les différentes parties du corps exténuées, et surtout sur l'épine du dos ; les bains ou demi-bains aromatiques, ou avec des eaux thermales ; les fomentations avec les mêmes matières, et quelquefois aussi l'application des vésicatoires derrière les oreilles ou à la nuque du cou ; quelques auteurs proposent aussi les cautères et les setons ; mais le bien incertain qui pourrait en résulter ne saurait compenser le désagrément, les douleurs et l'incommodité qu'ils occasionnent ; d'autres conseillent les sangsues ; mais ce remède n'est approprié ni à la maladie, ni à l'age du sujet. Les charlatants anglais comptent beaucoup sur les scarifications des oreilles ; ils prétendent qu'on ne peut guérir aucun rachitique sans cette operation : ce qui est démontré faux par l'expérience journalière ; cependant ce secours peut avoir l'avantage d'évacuer quelques humeurs de la tête ; son effet est assez analogue à celui des vésicatoires, quoique moins puissant, et à celui de l'opération de percer les oreilles, qu'on voit quelquefois dissiper les fluxions invétérées. Lorsque les os ont commencé à se courber, il faut tâcher de prévenir un vice plus considérable, et même corriger doucement celui qui est formé, par des ligatures, des bandages, des cors, des bottines, etc. convenables à la partie pour laquelle ils sont destinés, et à la gravité du mal.