ou EPAISSISSANT, (Médecine thérapeutique) Les Médecins appellent incrassation, ou épaississement procuré aux humeurs par des remèdes, le changement de ces humeurs trop fluides, trop subtiles, en une consistance plus dense, plus tenace, plus grossière.

La plus grande fluidité, qu'on a aussi appelé la dissolution des humeurs, a été un vice très-anciennement observé ; et la vue de la corriger par des remèdes, est comptée parmi les indications médecinales dès le commencement de la Médecine rationnelle. Mais les anciens, les Galenistes surtout n'ont considéré ce vice que dans les humeurs excrémenticielles, et principalement dans la bile. Ils le regardaient comme un obstacle à l'évacuation suffisante et utîle de ces humeurs, comme les empêchant de céder à l'action de la force expultrice, ou comme propre à une humeur particulière, qui étant mêlée à la masse du sang, l'agitait, le raréfiait, produisait l'orgasme. Voyez ORGASME. Wedel et Juncker auteurs modernes, qui sont mis avec raison au premier rang pour la théorie de l'action des médicaments, ne donnent point d'autre idée de l'état des humeurs qui indique l'incrassation.

C'est une invention, et vraisemblablement un préjugé de notre siècle, que l'opinion d'une dissolution de la masse entière des humeurs, du sang proprement dit, de la lymphe, etc. et que le projet de les épaissir par les secours de l'art.

La Médecine moderne emploie à produire l'incrassation, entendue en ce dernier sens, des remèdes de différentes vertus. Les évacuans de toutes les espèces, par le moyen desquels on chasse du corps la partie la plus liquide de la masse du sang ; l'exercice pour fortifier les organes qui sont mis par-là en état de condenser les humeurs ; les remèdes toniques, acides, acerbes, austères dans la même vue ; les astringens styptiques vulgaires, qu'on croit altérer directement et immédiatement la consistance des humeurs ; les anodins, et antispasmodiques, antorgasmiques, qui sont censés agir en calmant leur fougue ; et enfin les incrassants, proprement dits, qui font le sujet propre de cet article. Voyez sur l'action des autres remèdes que nous venons d'indiquer leurs articles particuliers : EVACUANT, EXERCICE, STYPTIQUE, etc.

Les remèdes appelés incrassants par excellence sont des substances fournies par le règne végétal, et par le règne animal, fades, inodores, collantes, solubles dans les liqueurs aqueuses, qu'elles épaississent et qu'elles rendent gluantes sensiblement ; et qui étant digérées et portées dans la masse du sang, sont censées y produire le même effet par une vraie mixtion, interposition, introsusception de leur substance entière et inaltérée, immediatâ et substantiali sui miscelâ, interpositione, introsusceptione, solutione.

Les médicaments auxquels on accorde éminemment cette propriété, sont la plupart des substances muqueuses, végétales, et animales, et principalement les émulsions ordinaires sucrées, le suc et les décoctions de réglisse ; les décoctions ou tisanes de citrouille, de carouge, de racine de guimauve, de grande consoude, qui est bien plus mucilagineuse que styptique, etc. l'orge, le riz, l'avoine, le sagou, et presque tous les farineux, Voyez FARINEUX, soit en décoction, soit préparés en crême, ou en potage avec l'eau, le lait ; les émulsions végétales, comme le lait d'amende, etc. ou le bouillon ; les décoctions, et le syrop de chou rouge, et de navet ; les châtaignes, le chocolat appelé de santé, les sucs gélatineux animaux, tels que la gelée de corne de cerf, les bouillons de limaçons, de grenouilles, et ceux de jeunes animaux ; comme poulets et veaux, les brouets, ou bouillons légers de ces dernières viandes appelés communément eau de poulet, eau de veau, les bouillons de veau au bain-marie fort usités à Montpellier, les œufs, le lait et les laitages, etc.

Pour évaluer exactement les vertus réelles de ces substances, il faut observer,

Premièrement, que ce sont ici des véritables aliments, des aliments purs et proprement dits exquisita, des aliments qui ne sont point du tout médicamenteux. Voyez NOURRISSANT et MEDICAMENT.

Secondement, que toutes ces substances, et en général toutes les substances propres à nourrir les animaux, sont sujets à un changement spontané, appelé fermentation (Voyez FERMENTATION), et que le premier effet de ce changement est de détruire la viscosité de ces substances qui ne leur est ensuite jamais rendue par aucune altération ultérieure.

Traisiemement, que ces substances éprouvent dans l'estomac et dans les intestins une altération qui détruit encore plus puissamment leur consistance, leur viscosité, et qu'elles ne fournissent constamment au sang qu'une liqueur toujours très-fluide et très-ténue, savoir, le chyle, lequel recevant des élaborations ultérieures dans les organes de la sanguification, est absolument différent, dégénéré de la matière qui l'a fourni avant que d'être véritablement incorporé, assimilé avec le sang.

Quatriemement, qu'il n'en est pas moins vrai que lorsqu'on mange des corps farineux et des doux non fermentés, la salive, et vraisemblablement les humeurs oesophagienne et gastrique sont épaissies et rendues gluantes.

Cinquiemement, il est observé encore que ceux qui tirent leur nourriture ordinaire des corps farineux non fermentés, comme du blé de Turquie et des chataignes, qui sont l'aliment commun des habitants de plusieurs provinces, que ces hommes, disje, sont gros, gras, pour ainsi dire empâtés, et en même-temps lourds, paresseux, faibles.

On peut tirer de ces observations les conséquences suivantes :

Premièrement, que les remèdes appelés incrassants ne sont pas proprement des médicaments ; et que puisqu'ils sont au contraire de simples et véritables aliments, ils doivent être employés à grande dose, et pendant longtemps, s'ils sont en effet indiqués quelquefois.

Secondement, qu'on évalue très-mal leur opération sur les humeurs du corps vivant, dans le sein desquelles ils sont introduits par la route commune du chyle, et après avoir essuyé divers changements considérables, en estimant cette opération par les effets de ces substances inaltérées sur des liqueurs mortes, inertes, contenues dans des vaisseaux purement passifs, in vitro, et que s'il n'est pas démontrable à la rigueur que ces prétendus incrassants n'opèrent sur les humeurs aucun épaississement direct et immédiat, du moins cette assertion est-elle très-vraisemblable : surquoi on peut faire cette remarque singulière, que de tous les moyens d'incrassation artificielle proposés au commencement de cet article, le plus vain, le plus nul, du moins le plus incertain, c'est l'emploi des matières appelées incrassantes par excellence.

Traisiemement, que l'épaississement réellement causé à la salive, et aux sucs oesophagien et stomacal, par l'usage des farineux non fermentés, et surtout des doux exquis, n'infirme en rien le sentiment que nous venons de proposer, parce que ces sucs sont immédiatement imprégnés, chargés de ces substances immuées, inaltérées. Cette considération en fournit une autre qui est immédiatement liée à la première ; c'est qu'il n'y a que les sucs et les organes digestifs qui soient évidemment affectés par nos incrassants, et qu'ainsi l'on peut raisonnablement déduire leurs vertus médicinales, s'ils en ont en effet, de leur action sur les sucs et sur ces organes.

Quatriemement enfin, que le mol embonpoint des alphitophages, ou mangeurs de farine, ne prouve rien en faveur de la théorie vulgaire, c'est-à-dire de celle qui fait agir ces matières dans le corps comme dans les vaisseaux chimiques ; car certainement être gros et gras, n'est pas la même chose qu'avoir les humeurs épaisses et visqueuses.

Mais comme un moyen curatif peut être très-utile, quoiqu'on n'ait qu'une fausse théorie de son action, et que par conséquent, après avoir démontré l'insuffisance de celle-ci, il reste à savoir encore quels sont les usages des corps bien ou mal nommés incrassants. Nous dirons premièrement que l'espèce d'aliment pur, doux, de facîle digestion, abondant en matière nutritive, auquel on a donné le nom d'incrassant, est bon, et vraisemblablement à cause des qualités que nous venons d'y remarquer dans les cas suivants.

On les donne communément et avec succès aux personnes seches, exténuées, épuisées par le travail, ou par un usage excessif de l'acte vénérien ; aux phtisiques, à ceux qui sont attaqués de toux opiniâtres, qui sont dans le marasme, ou dans la fièvre hectique ; à ceux qui sont sujets aux dartres, aux éresipeles, aux rhumatismes ; dans les ophtalmies, avec écoulement d'humeurs abondantes et âcres ; dans le scorbut, les flux de ventre colliquatifs, les sueurs abondantes, la fièvre ardente putride, etc.

Il nous reste à observer que nous avons dans l'art, outre ces incrassants généraux, des incrassants particuliers, d'une humeur excrémenticielle particulière, c'est-à-dire des incrassants, dans le sens des anciens ; savoir, ceux qu'on destine à épaissir l'humeur bronchique, ou à mûrir la matière des crachats dans les rhumes. Ces remèdes sont une espèce de béchique, ou pectoral. Voyez PECTORAL, Méd. thérap. (b)