(Chimie) ce mot est tiré du latin lutum, boue, parce qu'un des luts le plus communément employés, est une boue ou de la terre détrempée.

On appelle lut toute matière ténace qu'on applique aux vaisseaux chimiques, et qu'on y fait fortement adhérer, soit pour les munir contre l'action immédiate du feu, soit pour fermer les jointures des différents vaisseaux qu'on adapte les uns aux autres dans les appareils composés, soit enfin pour boucher les fentes des vaisseaux félés, en affermir et retenir les parties dans leur ancienne union, ou même les réunir lorsqu'elles sont entièrement séparées.

Ce dernier usage n'est absolument que d'économie ; mais cette économie est presque de nécessité dans les laboratoires de chimie ; car s'il fallait mettre en rebut tous les vaisseaux, surtout de verre, félés et cassés, la consommation en deviendrait très-dispendieuse : les deux autres usages des luts sont presque absolument indispensables.

Premièrement, quant aux luts destinés à prémunir les vaisseaux contre l'action immédiate du feu, ce n'est autre chose qu'un garni, voyez GARNI, un enduit de terre appliqué au vaisseau dans toute sa surface extérieure, et dont voici les avantages : ce ne sont que les vaisseaux fragiles, et fragiles par l'action du feu, et par conséquent ceux de verre et de terre, qu'on s'avise de luter, car appliquer un lut c'est luter. Voyez VAISSEAUX, (Chimie). Les vaisseaux de verre et de terre ne se rompent au feu que lorsqu'il est appliqué brusquement ou inégalement. Or un enduit d'une certaine épaisseur, d'une matière incombustible et massive de terre, ne pouvant être échauffé ou refroidi, et par conséquent communiquer la chaleur et le froid qu'avec une certaine lenteur ; il est clair que le premier avantage que procure une bonne couche de lut, c'est de prémunir les vaisseaux contre un coup de feu soudain, ou l'abord brusque d'un air froid. Les intermèdes appelés bains (voyez BAIN et INTERMEDE, Chimie), procurent exactement le même avantage ; aussi ne lute-t-on pas les vaisseaux qu'on expose au feu de ces bains dont la susceptibilité de chaleur n'est pas bornée, comme les bains de sable, de limaille, de cendres, etc. Mais ils ont dans les appareils ordinaires, l'inconvénient de ne diriger la chaleur vers le vaisseau que d'une manière peu avantageuse, de n'en chauffer que la partie inférieure, ce qui restreint considérablement l'étendue du degré de feu qu'on peut commodément appliquer par le moyen de ces bains ; au-lieu que les vaisseaux lutés sont disposés, sur cette défense, le plus avantageusement qu'il est possible pour être exposés au feu de reverbere ou environnant, et en souffrir le degré extrême. Quand j'ai dit que les bains pulvérulents étaient d'un emploi moins commode et plus borné que le lut, j'ai ajouté dans les appareils ordinaires ; car il y a moyen de disposer dans un fourneau de reverbere une capsule contenant une petite couche de sable, et de poser dessus une cornue ou une cucurbite non lutée avec tout l'avantage du lut dont nous avons parlé jusqu'à présent. Voyez l'article DISTILLATION. Je dis ce premier, car le lut en a un autre plus essentiel, plus particulier, dont nous ferons mention dans un instant. Il faut observer auparavant que quoiqu'il soit si supérieurement commode de travailler dans le feu très-fort avec les vaisseaux de verre et de terre lutés, et même dans le degré quelconque de feu mis avec les vaisseaux de verre lutés ; cependant les bons artistes n'ont pas absolument besoin de ce secours, du-moins pour les vaisseaux de terre ; et qu'il n'est point de bon ouvrier qui ne se chargeât d'exécuter, avec les vaisseaux de terre non lutés, les opérations qui se font ordinairement avec ces vaisseaux lutés, il n'aurait besoin pour cela que d'un peu plus d'assiduité auprès de son appareil, et de faire toujours le feu lui-même ; au-lieu que communément on se contente de faire entretenir le feu par les apprentifs et les manœuvres. Il faut savoir encore que les vaisseaux de verre très-minces, tels que ceux qu'on appelle dans les boutiques phioles à médecine, peuvent sans être lutés se placer sans ménagement à-travers un brasier ardent.

Cet autre avantage plus essentiel du lut dont on enduit les vaisseaux de verre ou de terre destinés à essuyer un feu très-fort, c'est de les renforcer, de les maintenir, de leur servir pour ainsi dire de supplément ou d'en tenir lieu, lorsque les vaisseaux sont détruits en partie par la violence du feu. Ceci Ve devenir plus clair par le petit détail suivant : les cornues de verre employées à des distillations qui demandent un feu très-violent (à celle du nitre ou du sel marin avec le bol, par exemple), coulent ou se fondent sur la fin de l'opération ; si donc elles n'étaient soutenues par une enveloppe fixe indestructible, par une espèce de second vaisseau, il est clair qu'une cornue qui se fond laisserait répandre, tomber dans le foyer du fourneau les matières qu'on y avait renfermées, et qu'ainsi l'opération n'irait pas jusqu'à la fin. Une bonne couche de lut bien appliquée, exactement moulée sur le vaisseau, devient dans ces cas le second vaisseau, et contient les matières, qui dans le temps de l'opération, sont toujours seches jusqu'à ce qu'on les ait épuisées par le feu. On lute aussi quelquefois les creusets dans les mêmes vues, lorsqu'on veut fondre dans ces vaisseaux des matières très-fondantes, ou douées de la propriété des flux, (voyez FLUX et FONDANT, Chimie, Métal.) et qui attaquent, entament dans la fonte le creuset même, le pénètrent, le criblent, comme cela arrive souvent en procédant à l'examen des pierres et des terres par la fusion, selon la méthode du célèbre M. Pott. Voyez LITHOGEOGNOSIE, PIERRES, TERRES.

Le lut à cuirasser les vaisseaux (le terme est technique, du-moins en latin ; loricare, luter, loricatio, action de luter) est diversement décrit dans presque tous les auteurs : mais la base en est toujours une terre argilleuse, dans laquelle on répand uniformément de la paille hachée, de la fiente de cheval, de la filasse, de la bourre, ou autres matières analogues, pour donner de la liaison au lut, l'empêcher autant qu'il est possible, de se gerser en se dessechant. L'addition de chaux, de sable, de limaille de fer, de litarge, de sang, etc. qu'on trouve demandés dans les livres, est absolument inutile. Une argille quelconque, bien pétrie avec une quantité de bourre qu'on apprend facilement à déterminer par l'usage, et qu'il suffit de déterminer fort vaguement, fournit un bon lut, bien adhérent, et soutenant très-bien le feu. On y emploie communément à Paris une espèce de limon, connu sous le nom vulgaire de terre à four, et qui est une terre argilleuse mêlée de sablon et de marne. Cette terre est très-propre à cet usage ; elle vaut mieux que de l'argille ou terre de potier commune ; mais, encore un coup, cette dernière est très-suffisante.

Ce même lut sert à faire les garnis des fourneaux (voyez GARNI), à fermer les jointures des fourneaux à plusieurs pièces, et le vide qui se trouve entre les cous des vaisseaux et les bords des ouvertures par lesquelles ces cous sortent des fourneaux ; à bâtir des domes de plusieurs pièces, ou à former avec des morceaux de briques, des débris de vaisseaux, des morceaux de lut secs, etc. des suppléments quelconques à des fourneaux incomplets, délabrés et dont on est quelquefois obligé de se servir ; enfin à bâtir les fourneaux de brique ; car comme dans la construction des fours de boulangers, des fourneaux de cuisine, etc. il ne faut y employer ni mortier ni plâtre. On peut se passer pour ce dernier usage de mêler des matières filamenteuses à la terre.

Les luts à fermer les jointures des vaisseaux doivent être différents, selon la nature des vapeurs qui doivent parvenir à ces jointures ; car ce n'est jamais qu'à des vapeurs qu'elles sont exposées. Celui qu'on emploie à luter ensemble les différentes pièces d'un appareil destiné à la distillation des vapeurs salines, et surtout acides, doit être tel que ces vapeurs ne puissent pas l'entamer. Une argille pure, telle que la terre à pipes de Rouen, et la terre qu'on emploie à Montpellier et aux environs, à la préparation de la crême de tartre, fournit la base convenable d'un pareil lut : reste à la préparer avec quelque liqueur visqueuse, ténace, qui puisse la réduire en une masse liée, continue, incapable de contracter la moindre gersure, qui soit d'ailleurs souple, ductile, et qui ne se durcisse point assez en se dessechant, pour qu'il soit difficîle de la détacher des vaisseaux après l'opération ; car la liaison grossière et mécanique du lut à cuirasser serait absolument insuffisante ici, où l'on se propose de fermer tout passage à la vapeur la plus subtile, et ce lut se desseche et se durcit au point qu'on risquerait de casser les vaisseaux, en voulant enlever celui qui se serait glissé entre deux.

Le meilleur lut de ce genre que je connaisse, est celui-ci, que j'ai toujours Ve employer chez M. Rouelle, sous le nom de lut gras, et que M. Baron propose aussi dans ses notes sur la Chimie de Lémery.

Lut gras. Prenez de terre à pipes de Rouen, ou d'argille très-pure réduite en poudre très-fine, trois livres et demie ; de vernis de succin (voyez VERNIS et SUCCIN), quinze onces ; d'huîle de lin cuite, sept à huit onces : incorporez exactement ces matières en les battant longtemps ensemble dans le grand mortier de fer ou de bronze. Pour rendre ce mélange aussi parfait et aussi égal qu'il est possible, on déchire par petits morceaux la première masse qu'on a formée, en faisant absorber peu-à-peu tout le vernis et toute l'huîle à l'argille ; on jette ces morceaux un à un dans le mortier, et en battant toujours, on les réunit à mesure qu'on les jete. On réitère cette manœuvre cinq ou six fais. On apprend facilement par l'usage à déterminer les proportions des différents ingrédiens, que les artistes exercés n'ont pas besoin de fixer par le poids. Si après avoir fait le mélange par estimation on ne le trouve pas assez collant, on ajoute du vernis ; si on veut simplement le ramollir, on ajoute de l'huîle ; s'il manque de consistance, ou augmente la proportion de la terre.

Ce lut doit être gardé exactement enveloppé d'une vessie. Moyennant cette précaution, il se conserve pendant plusieurs années sans se dessécher. Mais s'il devient enfin trop sec, on le ramollit en le battant dans le mortier avec un peu d'huîle de lin cuite.

Un lut qui est éminemment agglutinatif, mais que les acides attaquent, et que les vapeurs aqueuses même détruisent, qui ne peut par conséquent être appliqué que sur un lieu sec et à l'abri de toute vapeur ou liqueur, c'est celui qui résulte du mélange de la chaux en poudre, soit vive, soit éteinte à l'air, et du fromage mou, ou du blanc d'œuf. Un bande de linge bien imbibée de blanc d'œuf, saupoudrée de chaux, humectée de nouveau avec le blanc d'œuf, et chargée d'une nouvelle couche de chaux pétrie prestement avec le doigt, et étendue sur ce linge des deux côtés ; cette bande de linge ainsi préparée, dis-je, appliquée sur le champ et bien tendue sur les corps même les plus polis, comme le verre, y adhere fortement, s'y durcit bientôt, et forme un corps solide et presque continu avec celui auquel on l'applique. Ces qualités la rendent très-propre à affermir et retenir dans une situation constante les divers vaisseaux adaptés ensemble dans les appareils ordinaires de distillation, où l'on veut fermer les jointures le plus exactement qu'il est possible : c'est pour cela qu'après avoir bouché exactement le vide de ces jointures avec du lut gras, on applique ensuite avec beaucoup d'avantage une bande de linge chargée de lut de blanc d'œuf, sur les deux vaisseaux à réunir, de manière que chacun des bords de la bande porte immédiatement sur le corps de l'un et l'autre vaisseau, et que la couche de lut soit embrassée et dépassée des deux côtés. Si on ne faisait que recouvrir le lut, comme le prescrit M. Baron dans la note déjà citée, on ne remplirait pas le véritable objet de l'emploi de ce second lut ; car ce qui rend le premier insuffisant, c'est qu'étant naturellement mou, et pouvant se ramollir davantage par la chaleur, il peut bien réunir très-exactement des vaisseaux immobiles, mais non pas les fixer, empêcher qu'au plus léger mouvement ils ne changent de situation, et ne dérangent par-là la position du lut, qui deviendra alors inutile.

Les jointures des vaisseaux dans lesquels on distille ou on digère à une chaleur légère des matières qui ne jettent que des vapeurs aqueuses et spiritueuses, peu dilatées, faisant peu d'effort contre ces jointures, on se contente de les fermer avec des bandelettes de vessie de cochon mouillées, ou de papier chargées de colle ordinaire de farine.

Enfin les vaisseaux félés ou cassés se recollent ou se rapiécent avec les bandes de linge chargées de lut de chaux et de blanc d'œuf ; sur quoi il faut observer, 1°. que des vaisseaux ainsi rajustés ne sauraient aller au feu ni à l'eau, et qu'ainsi ce radoub se borne aux chapiteaux, aux récipiens, aux poudriers, et aux bouteilles, qu'encore il ne faut point rincer en dehors ; 2°. que lorsque ces vaisseaux à recoller sont destinés à contenir des liqueurs, il est bon d'étendre d'abord le long de la fente une couche mince et étroite, un filet de lut gras, et d'appliquer par-dessus une large bande de linge, etc. (G)