SENTIMENT, (Médecine) la faculté de sentir, le principe sensitif, ou le sentiment même des parties, la base et l'agent conservateur de la vie, l'animalité par excellence, le plus beau, le plus singulier phénomène de la nature, etc.

La sensibilité est dans le corps vivant, une propriété qu'ont certaines parties de percevoir les impressions des objets externes, et de produire en conséquence des mouvements proportionnés au degré d'intensité de cette perception.

La première de ces actions est ce qu'on appelle le sentiment, sensatio, sensus, à l'égard duquel la sensibilité n'est qu'une faculté, une puissance reduite en acte, potentia in actum redacta, comme on parle dans les écoles : or le sentiment se définit une fonction de l'animal, qui le constitue tel, et distinct, par-là, des êtres inanimés ; il consiste essentiellement dans une intelligence purement animale, qui discerne l'utîle ou le nuisible, des objets physiques.

La seconde action ou la mobilité, n'est que l'expression muette de ce même sentiment, c'est-à-dire, l'impulsion qui nous porte vers ces objets, ou nous en éloigne ; ainsi l'araignée se contracte toute en elle-même ; les limaçons retirent soudainement leurs cornes, lorsqu'ils se sentent piqués ou blessés ; au contraire ces mêmes animaux se dilatent, s'épanouissent, pour ainsi dire, se dressent, eriguntur, à l'approche des objets qu'ils reconnaissent leur être utiles, ou qui flattent agréablement leur sensibilité. C'est dans ce double rapport d'actions si étroitement liées entr'elles, que l'imagination peut seule les suivre ou les distinguer, que la sensibilité doit être considerée, et ses phénomènes estimés.

Les anciens philosophes et médecins ont parlé de la sensibilité comme d'un objet qui leur était familier, et qui semblait fait pour leur génie, c'est toujours à un principe sentant et se mouvant en soi, aux facultés de l'âme animale ou corporelle, que sont livrées dans la plupart de leurs écrits, toutes les fonctions du corps animal. Les différentes sectes ont employé à désigner ce principe, des expressions conformes à leur enthousiasme, ou à leur manière de philosopher ; tels sont les mots , impetus, appetitio, de l'ancienne académie ; , impetum faciens, d'Hippocrate ; , incitatio libidinis d'Aristote ; anima sensitiva, vis abdita, natura, etc. de quelques autres ; à quoi reviennent le strictum et laxum des méthodiques, le mouvement tonique, le mouvement fibrillaire, le spasme, la contractilité, l'irritabilité des modernes, etc. qu'on retrouve à chaque instant dans les ouvrages de Wepfer, Baglivi, Stahl, et autres solidistes.

La première notion dans l'animal, la seule qui vraisemblablement soit commune aux espèces de tous les genres, l'unique peut-être dans un très-grand nombre, porte sur la sensation intime et radicale de son existence, sur l'impression de cette activité, de ce principe impulsif inséparable de la vie, et qui dans chaque individu est la source de tous les mouvements qui conspirent à la durée de l'être et à sa conservation. C'est sur des vues aussi précieuses à l'animal, qu'est fondée la sensibilité, ainsi que Zénon l'a reconnu, et que ses disciples le repetent dans plusieurs endroits de leur doctrine.

Les animaux, les moins animaux qu'il est possible, s'il est permis de qualifier ainsi les polypes, et quelques autres qu'on a laissé sur la ligne de séparation des deux règnes animal et végétal, donnent, comme l'ont remarqué plusieurs observateurs, les plus grands signes de sensibilité ; on a même trouvé que cette propriété était poussée dans le polype, jusqu'à le faire paraitre sensible aux impressions de la lumière ; ces circonstances suffiraient sans-doute pour ranger décidément les zoophites du côté des animaux, s'il n'y avait eu de tout temps des philosophes, qui, frappés de la manière d'être d'une plante, par exemple la sensitive, et celle d'exister d'un animal, auraient prétendu reculer les bornes de la sensibilité, en y renfermant les végétaux eux-mêmes ; en sorte que l'animal le plus parfait, et la plante la plus vile, donneraient dans ce cas, les deux extrêmes de la sensibilité ; la sensibilité ou le sentiment serait donc encore une faculté commune à tous les corps organisés.

Après l'idée que nous venons de tracer de la sensibilité et de l'étendue de son domaine, il parait à propos d'examiner quelle est son essence ou sa nature. La nature ou l'essence de la sensibilité, a toujours été un des points curieux et des plus agités de son histoire ; les anciens ne concevant pas que deux contraires comme l'âme et le corps, pussent être joints autrement que par un milieu, imaginèrent ce milieu de plusieurs façons ; ainsi les Platoniciens voulurent que ce fût un je ne sais quoi, qu'ils appelaient esprit ; les Péripatéticiens, une forme ; Dicéarque, Pythagore, et quelques autres, établissaient des harmonies, des tempéraments, qui rendaient le corps susceptible de sentiment et d'activité, etc. à toutes ces hypothèses on peut joindre celle des esprits animaux, naturels, vitaux, etc. si accrédités dans les écoles, les démons qu'un auteur moderne (le P. Bougeant) transforme en âme des bêtes, etc. hypothèses qui, comme on voit, ne présentent à l'esprit que des notions abstraites, et auxquelles nous ne croyons pas, par cette raison, qu'on doive du-tout s'arrêter.

Le système de l'âme du monde, en donnant plus de surface, et plus de liberté aux idées spéculatives, nous a fourni sur le principe sensitif, des choses bien plus positives et plus satisfaisantes, qu'on ne peut que regretter de trouver à côté des dogmes les plus dangereux. Les Stoïciens assuraient donc que ce principe était de feu ; Démocrite, Héraclite, Epicure, Diogène Laèrce, Lucrèce, et tout le reste des atomistes, parmi lesquels on peut ranger les partisans des semences, n'ont pas une opinion différente. Hippocrate et Galien pensent tout de même. Voyez surtout Hippocrate, de carnibus et de ratione victus, lib. I. le spiritus intus alit, etc. de Virgile. Le témoignage des livres sacrés et d'un père de l'église (S. Augustin), sont encore autant d'autorités qui militent pour la matérialité ou substance ignée de l'âme sensitive. Enfin Némésius, et quelques autres plus modernes, tels que Fernel, Heurnius, Honoré Fabri, le fameux chancelier Bacon, van Helmont, Gassendi, Willis, etc. ont adopté la même idée ; mais les trois derniers méritent des distinctions sur tous les autres, en ce qu'ils ont fixé les principes vagues des stoïciens et des atomistes, par des méthodes très-ingénieuses, dont ils ont fondé, chacun en particulier, un corps de doctrine. Van Helmont surtout, et Willis, ont traité cette matière d'une façon très-intéressante pour nous, en la considérant dans toutes ses relations avec la médecine et la philosophie.

L'ame sensitive est donc, suivant ces deux auteurs, une lumière ou une flamme vitale : quoique Willis désigne plus particulièrement sous ce dernier nom la portion de l'âme sensitive qui réside dans le sang, elle n'est pas proprement la vie, mais elle en est l'attribut, comme la lumière ou l'éclat est l'attribut de la flamme ; ils s'accordent d'ailleurs à dire que cette âme réside dans la substance la plus intime de nos parties, et qu'elle y est comme l'écorce, la silique de l'âme raisonnable ; ils déduisent de leurs théories des conséquences très-avantageuses à l'explication des phénomènes de l'économie animale, sur lesquelles les bornes d'un article de dictionnaire, ne nous permettent pas de nous étendre. Tout cela mérite d'être lu dans les auteurs mêmes. Voyez van Helmont, passim, et principalement de lithiasi ; et Willis, de animâ brutorum.

Il faut néanmoins convenir que van Helmont a répandu par intervalle dans son système, des idées bien singulières ; et pour nous en tenir à celles qu'il a sur l'origine de cette âme sensitive, il prétend qu'avant le peché d'Adam, l'homme n'avait point d'ame sensitive, ante lapsum Adae autem, non erat anima sensitiva in homine, de sede animae, pag. 178. L'ame sensitive est entrée avec la mort dans le corps de l'homme ; auparavant l'âme raisonnable et immortelle était seule chargée des fonctions de la vie, et elle avait à ses gages l'archée, qui depuis est passé au service de l'âme sensitive ; c'est pourquoi nous étions immortels, et les ténèbres de l'instinct ou de l'âme des brutes, n'avaient point encore obscurci nos facultés intellectuelles, neque intellectum belluinae tenebrae adhuc occuparant, (ibidem). Ensuite pour représenter de quelle manière l'homme, après le péché, fut doué de l'âme sensitive, il dit que cette âme fut produite dans l'homme, comme le feu est tiré du caillou, tanquam à silice ignis, (pag. 189. de duumviratu). Voilà sans-doute une philosophie qui ne saurait plaire à bien du monde ; mais tel est ce contraste frappant dans l'enthousiasme de ce grand homme, que tantôt il offre à son lecteur le spectacle lumineux de mille créations nouvelles, tantôt il disparait dans l'obscurité des hypothèses les plus hasardées et les plus puériles.

S'il faut se décider sur ces matières par le nombre et le poids des autorités, on sera porté à croire que la sensibilité ou l'âme sensitive est substantielle et non simplement formelle à l'animal ; cela posé, et en n'adoptant ces opinions qu'à titre de théories lumineuses, et à quelques égards même sublimes, il est à présumer que cette substance est un composé d'atomes subtils et légers comme ceux du feu, ou même qui seront tout de feu, non de ce feu grossier et destructeur, appelé feu élémentaire, mais une émanation d'un principe plus sublime, ou le feu intelligent, intelligens, des stoïciens.

Ces atomes ainsi animés, comme ceux de Démocrite, s'insinueront dans la texture de certaines parties du corps disposées à les admettre, en sorte qu'on pourrait se représenter l'assemblage distributif de ces atomes, comme un tout figuré ou modelé sur l'ensemble de ces mêmes parties : " Par-là, dit Bayle, on est à l'abri de l'objection foudroyante de Galien, lorsqu'il interprete ces paroles d'Hippocrate, si unum esset homo, non doleret, quia non foret undè doleret. " Voyez diction. de Bayle, vol. II. art. Epicure.

Du reste, on se recriera peut-être sur l'idée de cette figure que nous affectons, d'après Willis, à l'âme sensitive ; mais ce ne sera, si l'on veut, qu'une métaphore qui parait en quelque façon justifiée par ce qui se manifeste du principe sensitif dans les passions. C'est en effet le relief de cette âme qui semble varier celui du corps sous des caractères relatifs aux affections qu'elle éprouve ; souvent même ces caractères restent représentés sur certaines parties, quelques moments après la mort ; ce qui rend presque applicables à des êtres réels, les expressions figurées des historiens et des poètes, comme par exemple, le relictae in vultibus minae de Florus, lib. I. et le e morto anco minaccia, du Tasse, etc.

De tout ce que nous venons de dire il suit, qu'on peut regarder le sentiment dans les animaux, comme une passion physique ou de la matière, sans qu'il soit besoin, pour rendre raison des spasmes affreux que peut causer un stimulus même leger, de recourir à l'âme spirituelle qui juge, ou qui estime les sensations, comme le prétend Stahl. Vid. Theor. ver. tom. II. capit. de sensibilitate. On connait cette histoire de Galien ; ce grand homme raconte qu'étant tombé dangereusement malade, et entendant que deux assistants de ses amis s'entretenaient de quelque mauvais signe qu'ils venaient de reconnaître en lui, il s'écria qu'on y prit bien garde, qu'il était menacé du délire, et demanda qu'on lui fit des remèdes en conséquence ; cet exemple est remarquable, il n'en est point qui établisse mieux la distinction des deux âmes dans l'homme, savoir la raisonnable, et la sensitive, et les différentes fonctions de chacune ; l'âme sensitive de Galien malade, est occupée du mal qu'elle ressent dans ses organes, et de tout le danger qui menace le corps, elle en est troublée, ce trouble, cette affection se manifeste au dehors par des palpations involontaires ; l'âme raisonnable parait au contraire indifférente à cet état de passion du corps, ou de l'âme sensitive, elle attend qu'on l'en avertisse, etc. Galien remarque même que tel était dans ces moments, l'état assuré de son âme, que sa raison n'avait rien perdu de son assiette ordinaire, ut rationalis facultas non vacillaret. Vid. de locis affectis, lib. IV. cap. IIe Charter. tom. II. On sent les conséquences qui résultent de ce que nous venons de rapporter, contre les prétentions trop absolues des stahliens.

Ainsi le plaisir et la douleur seront, en fait de sensation, comme les données ou les deux sensations élémentaires dont le mode, le ton, s'il est permis de le dire, est originairement conçu dans l'âme sensitive ; ce sera la base ou la gamme de toutes les autres sensations qu'on pourrait appeler secondaires, et dont l'ordre, la série existe nécessairement dans des relations infinies, tirées de l'habitude des individus ou de la variété des espèces.

C'est donc une condition inséparable de l'état d'animal, que celle de percevoir ou de sentir matériellement, comme on dit, ou dans sa substance. L'ame raisonnable peut sans-doute ajouter à ces sensations par des circonstances morales ; mais encore une fois ces circonstances n'appartiennent point à l'animal considéré comme tel, et il est même probable qu'elles n'ont point lieu chez plusieurs.

Restera toujours cette différence notable entre l'homme et la brute, que dans le premier la sensibilité ou l'animalité est dirigée ou modérée par un principe spirituel et immortel qui est l'âme de l'homme, et que dans la brute elle tient à un être moins parfait et périssable appelé instinct ou âme des bêtes. Voyez AME. Les payens eux-mêmes ont reconnu cette distinction bienfaisante, qu'il a plu au Créateur d'établir en faveur de l'homme ; bestiis autem sensum et motum dedit, et cum quoddam appetitu accessum ad res salutares, à pestiferis recessum, homini hoc ampliùs quod addidit rationem qua regerentur animi appetitus qui tùm remitterentur, tum continerentur. C'est dans ces termes que Cicéron en parle d'après les Stoïciens. Voyez de natura deorum, lib. II. §. 34.

Jusqu'ici, nous ne nous sommes occupés de la sensibilité, que comme d'un objet purement métaphysique, ou en ne la prenant que du côté spéculatif. Voyons maintenant ce que l'observation nous apprend de son influx sur l'économie animale, et parcourons-en pour cet effet, les principaux phénomènes.

Sensibilité dans l'embryon. Il parait en résumant un grand nombre d'expériences, que l'embryon saisi dans ce point de petitesse où l'imagination est obligée de suppléer à la faiblesse des sens ; il parait, dis-je, que l'embryon ne représente dans cet état, qu'un cylindre nerveux d'une tenuité presqu'infinie, nageant ou se mouvant dans un fluide muqueux. Or ce cylindre est déjà sensible, puisqu'il se meut et se contracte par l'effet des stimulants. Voyez Harvée, exercitat. 57.

S'il est permis de se livrer aux conjectures dans des matières d'une si grande obscurité, apparemment que la première étincelle de l'âme sensitive aura pénétré les premiers atomes de ce cylindre dans l'instant précis de son animation, ou même aura porté dans cette matière le caractère d'animalité requis pour que l'âme raisonnable puisse s'y unir ; ce qui revient au sentiment de Willis, qui croit que cette particule ignée préexiste dans le cylindre.

Ce cylindre qu'on pourrait dès-lors appeler indifféremment fibre animale ou atome animal, doué de l'âme spirituelle dans l'homme, s'accrait de plus en plus, en s'appropriant les molécules du fluide qui l'environne ; il se couvre d'asperités et jette de toutes parts de petits rameaux dont il trace les délinéaments des parties, conformément au type imprimé par le Créateur. Enfin tous les organes se développent sous l'activité des rejetons de ce premier et unique nerf, qui travaillent de différentes façons le mucus de sa nature très-ductîle pour s'en construire, comme autant de domiciles.

Cependant la masse du principe sensitif ou de l'âme sensitive identifiée avec l'atome animal, augmente en proportion de la masse de ce dernier qu'elle anime ; il en émane de tous côtés comme autant de filets sensitifs, d'irradiations qui suivent les rameaux nerveux dans le développement des parties : d'où il est clair que la combinaison de toutes ces émanations de l'âme sensitive répandues avec les rameaux nerveux dans les organes, doit y établir autant de centres de sensibilité dont l'influx sera plus ou moins étendu relativement au département de l'organe, plus ou moins vif, suivant la disposition des parties nerveuses de cet organe, laquelle peut varier par beaucoup de circonstances.

Le cœur sera vraisemblablement un de ces premiers centres ou foyers, qui une fois mis en jeu, continuera d'attirer ou de rejeter par son activité, l'humeur qui y aborde ; de-là mille petits ruisseaux qui, comme autant de colonnes liquides dirigées par quelques filaments nerveux, et suivant les résistances, se répandront par tout le corps pour former le système vasculaire, et se mouleront en allant et venant sans-cesse par les mêmes endroits, des canaux dans le tissu muqueux.

Mais tout ce qui ne vient pas originairement du cylindre nerveux ou n'est pas de sa nature, ne pouvant être disposé pour admettre la sensibilité, se convertit en un organe général et passif appelé tissu cellulaire ou corps muqueux, dont le principal usage est de contenir les sucs aqueux du corps, de renforcer les productions de la fibre animale, ou d'en modifier la sensibilité, &c.

Voilà à-peu-près tout ce qu'on peut présumer de la sensibilité dans l'état de simple ébauche où se trouve l'embryon ; ce tableau, tout imparfait qu'il est, ne laisse pourtant pas que de renfermer des vérités très-importantes qu'on peut se représenter par autant de corollaires.

1°. On voit que la sensibilité ou l'âme sensitive est une avec la vie de l'animal, qu'elle nait avec elle, et est inhérente à la substance du nerf ou des parties nerveuses, à l'exclusion de toutes les autres substances du corps.

2°. Que le nerf doit composer essentiellement l'animal en tant qu'être sensible ou vivant : car ce que nous avons appelé tissu cellulaire n'appartient pas plus à l'animal proprement dit, que la terre n'appartient à la plante qui y vegete ; ce n'est-là que l'écorce, l'enveloppe de l'animal, la terre dans laquelle la plante nerveuse se plait à vivre ; en sorte que l'homme physique n'est à cet égard que le squelete nerveux, s'il est permis de s'exprimer ainsi, animé de la sensibilité et plongé ou niché dans différents tas de matière muqueuse, plus ou moins compacte, suivant la nature des organes ; ce qui revient à-peu-près à la comparaison qu'Isaac fait de l'homme à un arbre renversé dont le cerveau est la racine, ex libris Galeno adscriptis, pag. 45.

3°. Les nerfs formant et la base et l'essence de tous les organes, il est clair que toute partie du corps doit être douée plus ou moins de sentiment, ou de sensibilité, de mouvement ou de mobilité. Les seules parties purement muqueuses sont insensibles et immobiles, ou du moins n'ont-elles qu'un sentiment et un mouvement empruntés du nerf ; car leur disposition au desséchement et à l'adhérence propre à tous les corps muqueux, ne doit pas être confondue avec la faculté animale ou vitale propre au nerf, etc.

Cette sensibilité générale des parties est d'une vérité constante en Médecine. Hippocrate avait déjà remarqué que toutes les parties de l'animal étaient animées, animantur animalium omnes partes. Elles ont, dit Montagne, des passions propres qui les éveillent et les endorment. Voyez Essais, liv. I. c. xx. Lucrèce s'en explique plus positivement encore dans son poème.

Sensus jungitur omnis

Visceribus, nervis, venis quaecumque videmus,

Mollia mortali consistère corpore creta,

Lib. I. de rerum nat.

4°. L'activité de l'âme sensitive étant une propriété inséparable de cette âme, et comme son archée, et la sensibilité se mesurant elle-même sur la disposition des parties nerveuses, combien n'en doit-il pas résulter de modifications ou de nuances de sensibilité et de mobilité, conséquemment au plus ou au moins de corps muqueux qu'il peut y avoir dans une partie, et aux autres variétés de l'organisation ? De-là peuvent se déduire les différents gouts et appétits des nerfs, ainsi que leurs différents usages ; pourquoi, par exemple, le son qui frappe les nerfs de l'oreille y cause un sentiment qu'il ne saurait produire sur l'oeil, et que la lumière fait sur celui-ci une sensation qu'elle ne saurait faire sur l'autre ? Pourquoi de même l'estomac ne peut supporter le tartre émétique qui ne fait rien sur l'oeil, tandis que l'huîle qui est insupportable aux parties sensibles de ce dernier organe, ne fait aucune impression sur l'estomac ? Enfin, pourquoi tel organe est plus mobîle que sensible, tel autre au contraire plus sensible que mobile, etc. toutes ces différences dérivant naturellement de cette spécification d'organisation, il est donc bien inutîle de créer des nerfs de plusieurs sortes, comme le font ceux qui d'après Erasistrate, en veulent pour le sentiment, et d'autres pour le mouvement, sans penser que le même nerf réunit nécessairement les deux propriétés, et qu'elles sont encore une fois absolument dépendantes et inséparables l'une de l'autre.

Sensibilité dans le foetus. L'embryon ayant acquis toutes ses formes au point de donner l'ensemble ou la figure entière de l'animal, le foetus en un mot, renferme dans ses parties l'appareil économique de la vie ou de la sensibilité ; il vit par conséquent, néanmoins cette vie du foetus ne peut guère être qu'empruntée dès qu'il lui manque plusieurs circonstances qu'il ne saurait trouver que hors du ventre de la mère, pour exercer toutes les branches de la sensibilité. Il n'y aura donc que quelques centres, comme le cœur et certains autres organes préposés à la nutrition et à l'accroissement du foetus, qui, aidés de l'impression de la vie de la mère, exerceront actuellement le sentiment. Tout le reste de la sensibilité attendra que l'animal jouisse de la lumière pour se developper sous l'impression des agens externes, et établir le concours des fonctions d'où dépend la vie générale, ou la vie proprement dite. Voyez ce qu'en dit l'illustre auteur de l'idée de l'homme physique et moral.

Sensibilité dans l'état naturel de l'homme, ou par rapport à la Physiologie. Dans le temps marqué par la nature, le foetus éprouve l'effet puissant d'une sensibilité étrangère qui le met au jour. Il est d'abord frappé du nouvel air qui l'environne, et on sent quelles révolutions doit éprouver la sensibilité pour que la convenance ou le rapport des températures s'établisse entr'elle et ce fluide.

Cette première impression de l'air excite surtout la flamme vitale dans les poumons, comme par une espèce de ventilation ; cette action se communique à plusieurs autres centres dont les forces et l'activité se déployant, tout s'anime, tout se meut dans ce nouvel homme, et la sensibilité jouissant de presque tous ses droits, ouvre le cercle des phénomènes de la vie.

1°. La disposition et la situation favorables des organes influant sur leur insensibilité, il arrive qu'il y en a qui doivent paraitre avoir différents mouvements et sentiments, et plus ou moins de mouvement et de sentiment, suivant qu'ils sont plus ou moins à portée des impressions externes. Voilà le fondement et l'origine des cinq sens qui radicalement se réduisent à un, c'est-à-dire le tact.

2°. Mais comme, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut en parlant de la formation, il se trouve dans le corps différents centres ou foyers de sensibilité qu'on pourrait évaluer par une plus grande ou une moindre combinaison de filaments nerveux ou de substance nerveuse, et peut-être encore par la circonstance d'avoir été les premiers jouissants de la sensibilité, il suit que les principaux de ces centres doivent absorber à eux seuls presque toute l'activité de l'âme sensitive. Tels sont, suivant des observations aisées à faire, la tête, le cœur ou la région précordiale, l'estomac ou la région épigastique, où reviennent très-bien les divisions que les anciens avaient faites des fonctions en animales, vitales et naturelles, lesquelles se soutiennent réciproquement les unes les autres, en se volant ou se prêtant mutuellement de leur activité ; ce qui parait visiblement dans le sommeil. Ces trois fameux centres seront donc comme le triumvirat ou le trépié de la vie, et cette circulation d'activité établira la marche des fonctions qui, suivant Hippocrate même, abeunt in circulum.

Ainsi, pour nous en tenir aux principales de ces fonctions, qu'on peut regarder comme les modèles de toutes les autres, la digestion, ou ce qu'elle a d'animal ou de propre au corps vivant, dépend de la sensibilité singulière de l'estomac, de son appétit particulier au moyen duquel il désire et retient les aliments qui lui plaisent, et cette sensibilité qui veille sans-cesse s'oppose en même temps ou du-moins se refuse à ce que l'estomac se remplisse au-delà de ce qu'il faut, etc.

Nous verrons également les secrétions et les excrétions dépendre de cette sensibilité qui augmente le ressort de chaque organe sécrétoire, y occasionne une sorte de spasme ou d'érection qui constitue l'essence de ces deux fonctions, de même que le goût ou l'appétit particulier des nerfs de l'organe constitue le choix qu'il fait des humeurs secrétoires. Voyez ce que nous en disons au mot SECRETIONS.

Les effets de la sensibilité se manifestent encore mieux par l'histoire du flux menstruel chez les femmes ; ces évacuations, on a beau dire, ne sauraient s'expliquer mécaniquement, et il faut toujours avoir recours à la prodigieuse sensibilité de l'utérus, à ce centre qui se reveille et s'assoupit périodiquement, et dont tout le monde connait le grand influx sur l'économie animale.

La fonction du cœur et du système vasculaire est également dû. à l'activité de ce principe sensitif, qui en se portant tantôt plus vers les parties qui font comme l'écorce du corps, et tantôt plus vers celles qui en font le centre, établit entr'elles un antagonisme qui explique tout le jeu de la circulation. Vous trouverez qu'il en est de même de la respiration, c'est-à-dire, que son mécanisme consiste dans l'action alternative des parties sensibles de ces organes, principalement dans celle du diaphragme, qu'Hippocrate et de bonnes observations mettent avec le cœur au nombre des parties éminemment sensibles : cor imprimis et diaphragma sentiunt, dit ce père de la Médecine, de morbo sacro, sect. IIIe pag. 309. Voyez encore l'idée de l'homme physique et moral.

Les opérations de l'âme ne tiennent pas moins à la sensibilité. Le plaisir, le chagrin, toutes les passions semblent se peindre dans le centre remarquable formé dans la région épigastrique par quantité de plexus nerveux ; et certes il n'est point de combinaison difficile, d'attention bien forte, point d'effort de mémoire, qu'au préalable l'estomac et tout le centre épigastrique ne soient comme pressés d'un sentiment de mal-aise qui dénote l'action de ces organes. C'est une affaire de sentiment pour qui veut l'observer.

Ainsi dans le plaisir, l'âme sensitive agréablement émue dans le principal de ses centres, semble vouloir s'élargir, s'amplifier pour présenter plus de surface à la perception. Cette intumescence, s'il est permis de le dire, de l'âme sensible, répand dans toutes les parties le sentiment agréable d'un surcrait d'existence ; tous les organes montés au ton de cette sensation, s'embellissent, et l'animal, entrainé par la douce violence faite aux bornes ordinaires de son être, ne veut plus, ne sait plus que sentir, etc.

Dans le chagrin au contraire, ou dans la tristesse, l'âme sensitive se retire de plus en plus vers le noyau du corps dont elle laisse languir les fonctions ; mais si la passion Ve jusqu'à la terreur, c'est alors une irruption soudaine de l'âme vers ce noyau où vous diriez qu'elle se comprime tant qu'elle peut pour se garantir des perceptions : bientôt cependant revenue à elle-même, elle se débande en portant à la circonférence du corps les humeurs qu'elle y avait concentrées avec elle, et si quelque partie qui, durant sa retraite, n'avait point l'exercice du sentiment, a été offensée, elle ne manque pas de reconnaître le dommage, et de se jeter avec une plus ou moins grande quantité d'humeurs et de force dans cette partie pour le réparer, etc. Or cette collection d'humeurs, de forces et de sensibilité, ne peut se faire sans douleur ; et il y a même tout lieu de penser qu'elle en est la cause matérielle.

La théorie des centres de l'âme sensitive et des transports de son activité, facilite encore l'explication de beaucoup d'autres phénomènes, comme par exemple, celle des tempéraments qui, suivant nos principes, peuvent être regardés comme le résultat des modifications imprimées à certains organes par un surcrait de sensibilité et d'action habitué à ces organes ; enfin celle des différentes habitudes des individus, dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cet article, et qui ne sont pas assurément un objet à négliger dans l'étude de l'économie animale, etc.

Il faut donc considérer la sensibilité dans l'état naturel de l'homme comme un être qui ne cherche, qui ne respire que sentiment et mouvement, dont la nature est la même dans tous les sujets ; mais dont les effets varient conséquemment à la disposition ou à l'indisposition des organes, à qui seule on doit imputer les ataxies apparentes de l'exercice de cette âme sensible ; c'est en même temps, comme nous l'avons vu, par les transports de son activité d'un organe à l'autre, qu'elle se procure les différentes sensations, et détermine les différents appétits qui constituent et aiguillonnent notre existence ; en quoi se trouve confirmée cette vérité de tous les siècles, savoir, que vivre, c'est proprement sentir.

Sensibilité dans l'état contre nature, ou par rapport à la Pathologie. La sensibilité, suivant tout ce que nous venons d'exposer, étant distribuée par doses à toutes les parties organiques du corps, chaque organe sent ou vit à sa manière, et le concours ou la somme de ces vies particulières fait la vie en général, de même que l'harmonie, la symétrie et l'arrangement de ces petites vies fait la santé.

Mais lorsque cette distribution et cette action économique de la sensibilité se trouvent dérangées à un certain point par l'indisposition des nerfs ou des parties organiques, ce dérangement est l'état qu'on appelle de maladie, ou la maladie même, laquelle se borne pour l'ordinaire à ce dérangement, sans y supposer la destruction du principe sensitif.

Néanmoins cette destruction arrive quelquefois lorsque l'intensité des causes nuisibles venant à éloigner ou à suspendre trop longtemps la présence ou l'exercice de la sensibilité dans une partie, cette partie vient à se corrompre physiquement, comme dans la gangrene ; ainsi par le progrès de cette corruption, la maladie amène la mort, qui consiste dans un changement du corps animal en corps physique. Voilà donc pourquoi l'animal meurt, c'est qu'il cesse d'avoir dans la contexture de ses parties la disposition qui y fixait ou entretenait la flamme sensitive qui en faisait un être vivant ; voilà pourquoi les parties des animaux morts de mort violente possèdent pendant quelque temps un reste de vie ou de sensibilité, parce que les filaments nerveux de ces parties n'ont pas encore reçu le coup mortel que leur porte seulement le commencement de corruption physique ou de putréfaction qui est directement opposée à la vie.

Ce phénomène de la palpitation des chairs et des viscères observé de tous les temps, aperçu même par les bouchers, est également attribué à un reste du feu sensitif par de très-grands et très-anciens philosophes. Voyez Cicéron, de natura deorum. C'est-là cette prétendue divinité que cherchaient dans les entrailles des animaux les aruspices des anciens, et dont les volontés étaient annoncées par une variété singulière dans les mouvements des fibres.

Maintenant ce fond de vie ou de sensibilité donné à chaque individu, ce foyer général qui cherche toujours à s'étendre et à durer jusqu'à la mort naturelle, c'est la nature, mot sacré en Médecine, et qu'on comprend mieux qu'on ne peut l'expliquer.

La nature donc prise comme nous la prenons, tend toujours à la santé, ou bien la dose ou la quantité de sensibilité une fois donnée au nerf, tend toujours à se répandre dans les différentes parties de ce nerf ; c'est ce qu'on remarque évidemment dans les phénomènes du sommeil ; on voit donc que le sommeil qui suspend la plupart des fonctions par le transport de toute l'activité de l'âme sensitive dans quelques centres, se détruit insensiblement de lui-même en restituant aux parties le surcrait de sensibilité qu'avaient reçu ces autres : mais ce qui est remarquable, c'est qu'il met un certain temps à se disposer, à durer, et à se détruire. Il en est de même dans toutes les maladies qui ont leurs temps, leur marche et leurs périodes qu'il faut respecter, comme autant de pas sacrés que fait la nature vers le mieux être, ou le rétablissement de l'individu, etc.

Des maladies, ou des anomalies dans l'exercice de la sensibilité. Les unes dépendent des impressions vicieuses des concepts morbifiques, pour employer l'expression de van Helmont, reçus originairement par les substances animées du principe sensitif, et qu'on doit soupçonner dans les individus mal constitués ; ce sont les maladies nécessaires, et qu'on ne peut pas plus ôter, qu'on ne peut remettre un bras lorsqu'il a été emporté.

D'autres maladies sont les suites presque nécessaires de la marche de la vie, les phénomènes des différents âges qu'Hippocrate avait déjà observés, qu'il faut laisser s'user à mesure que l'individu se renforce, et qu'on ne peut pas plus guérir qu'on ne peut d'un vieillard faire un enfant, ou d'un enfant faire un vieillard. Ce sont les efforts de l'âme sensitive qui travaille à développer ou à établir quelque centre ; van Helmont eut dû allumer quelque foyer nécessaire pour équilibrer les différents départements actifs de l'âme sensitive, et complete r l'ensemble des vies qui forme la vie générale de l'animal. Tel est, par exemple, ce fameux centre dont le développement constitue la puberté, développement qui est quelquefois annoncé par des révolutions effrayantes dans la machine.

Enfin il y a des maladies accidentelles, passageres, fondées sur la présence ou l'action de quelque cause qui indispose le nerf ou l'organe, et interrompt l'activité de l'âme sensitive dans sa marche. Ce sont les maladies qui sont du domaine de l'art, à condition que leurs causes soient amovibles, ou puissent être emportées par des remèdes appropriés.

Les parties sensibles du corps pouvant, au moyen de la propriété du sentiment, discerner plus ou moins les différentes qualités de la cause des maladies, ce discernement en varie les phénomènes ; mais il est des maladies d'autant plus funestes, que leur type particulier est de ne pas en avoir, dumoins de régulier, de marcher à la faveur d'un calme trompeur ; la raison en est qu'elles sont d'ordinaire occasionnées par des espèces de miasmes ou êtres morbifiques, entia morbosa, qui frappent d'engourdissement et de stupeur les parties sensibles, et enchainent l'exercice de la sensibilité dans quelques-uns de ses principaux districts. L'effet de l'opium nous donne un exemple de ces maladies. Communément cependant, telle est la qualité de la cause morbifique qu'elle sollicite la sensibilité de la fibre animale dont les secousses, les efforts, l'accélération des mouvements font ce qu'on appelle la fièvre.

Qu'est-ce donc que la fièvre ? un élan, un sursaut général de l'âme sensitive qui agite violemment les nerfs et les parties nerveuses, et s'irrite toute entière par une sensation fausse ou contraire aux sensations ordinaires ; c'est-là cette disconvenance, ce dérangement dans la disposition des principes dont parle Lucrèce, et qui fait que les humeurs n'ont plus un goût qui se rapporte au sentiment naturel des parties, ni les parties un ton convenable à l'élaboration ordinaire des humeurs :

Quippe ubi cui febris, bili superante, coorta est,

Aut aliâ ratione aliqua est vis excita morbi,

Perturbatur ibi totum jam corpus, et omnes

Commutantur ibi positurae principiorum :

Fit priùs ad sensum ut quae corpora conveniebant

Nunc non conveniant ; et caetera sint magis apta

Quae penetrata queunt sensum progignere acerbum.

lib. IV. de rer. natur.

Ainsi dans la fièvre humorale, la fibre animale se fronce sous l'action de cette cause irritante, ses productions se hérissent, s'il est permis de le dire, ainsi que les pattes d'un insecte qu'on inquiete ; cependant toute la sensibilité semble se jeter avec ses forces sur les fonctions vitales, c'est-à-dire sur le cœur et le système vasculaire, et négliger entièrement les autres fonctions ; les humeurs sont entrainées de la circonférence au centre, à-peu-près comme nous l'avons Ve arriver dans la terreur ; le corps pâlit et frissonne, et cet état violent dure jusqu'à ce que par l'abord d'un fluide sain qui est le produit de cette commotion générale, le fluide de l'aether soit invisqué au point de ne plus causer la même sensation aux parties nerveuses ; d'où vient que pour lors ces parties se relâchent, etc. et comme le plus souvent cette cause réside dans les premières voies ou aux environs, on sent jusqu'où peuvent aller quelquefois les spasmes, les constrictions des productions nerveuses de ce fameux centre, dont les suites trop ordinaires sont le reflux du sang dans certaines parties, des engorgements de viscères, des stases d'humeurs, etc. sources funestes de tant de maladies.

Il en est de même de la fièvre qu'on appelle nerveuse. C'est toujours l'irritation de l'âme sensitive, un spasme des organes qui en resserre toutes les voies excrétoires, et qui peut être occasionné, ou par une cause matérielle qui a pénétré fort avant dans la substance de ces organes, et qui y adhere opiniâtrement, ou par une indisposition vicieuse que l'habitude, et les passions même, sont capables de donner aux nerfs, etc.

On voit dans cette légère image de toutes les fièvres et de toutes les maladies, que la sensibilité est toujours le même principe qui agit dans ce cas, comme il agit dans la santé, c'est-à-dire, relativement aux dispositions des parties organiques ; mais ce qui mérite une considération particulière, on a dû s'apercevoir que ce principe s'irritant plus ou moins, et augmentant ses forces suivant les résistances et les variations qu'éprouve dans ses qualités la cause morbifique, il n'est pas possible de vouloir adapter les lois mécaniques à de pareils phénomènes.

En continuant d'après cette considération, et se rappelant ce que nous avons dit des trois temps marqués dans le sommeil, on trouvera qu'il arrive dans le cours de la maladie aux parties sensibles autant d'époques remarquables qui sont les phases des maladies, savoir l'irritation, dont nous avons déjà parlé, la coction et l'excrétion.

La coction est donc encore l'ouvrage de la sensibilité, du moins en partie. C'est elle qui dispose les nerfs de manière à les faire contribuer à ce travail des humeurs qu'on pourrait assez bien comparer à la maturation des fruits.

Les crises ou l'excrétion ne sont aussi qu'un appareil extraordinaire de toute l'âme sensitive prête à livrer combat, comme le disent les anciens, ou bien les efforts brusques et redoublés de toutes les parties sensibles, pour le rétablissement de l'exercice oeconomique de la sensibilité, et l'expulsion des matières qui l'embarrassent ou qui lui sont nuisibles. Ces trois phases, ces trois états, vous les trouverez dans toutes les maladies, et le médecin sage n'a rien de mieux à faire qu'à observer ces trois temps, et à détourner les accidents qui les empêchent de s'écouler. Pour cet effet on ne saurait trop étudier la sémeïotique des anciens, et les connaissances non moins utiles que peut fournir la doctrine des modernes sur le pouls. Voyez POULS.

Nous ne pouvons ici que donner des généralités ; l'inflammation qu'est-elle autre chose qu'un nouveau centre de sensibilité qui s'établit autour de quelque obstacle contre lequel il semble que l'âme sensitive dresse ou érige les vaisseaux de la partie, qui admettent alors plus de sang, en même temps que la vibration des fibrilles nerveuses rayonne l'obstacle ? Or cet obstacle c'est le noyau inflammatoire qu'accompagnent la douleur, la tension, la tumeur, la rougeur, etc. Telle est l'épine de van Helmont, image simple qui rend la nature, et qui par-là mérite d'être le modèle de toutes les théories de ce genre. Voyez INFLAMMATION.

L'irritation des parties sensibles explique également les causes des bonnes et des mauvaises suppurations. Il est tout naturel de penser qu'une partie irritée jusqu'à un certain point ne saurait bien préparer les sucs qui y abordent, puisqu'elle n'est plus au ton naturel de la vie, et que ces sucs de plus en plus viciés par l'état des solides, ajoutent encore à cette irritation ; mais une fois ce ton restitué à la partie, son action sur les humeurs est telle qu'elles en deviennent de plus en plus douces et assimilables à sa substance : ce qui produit insensiblement la cicatrice, etc.

Enfin, quant à ce qui regarde les médicaments, on est prévenu sans-doute que le gout, la disposition particulière, et l'irritation des organes en conséquence de leur sensibilité, doit en spécifier les vertus et diriger les effets : ce qui renferme l'explication de ce qu'on appelle la vertu élective des remèdes, c'est-à-dire, pourquoi, par exemple, les cantharides affectent constamment les voies urinaires, l'émétique affecte l'estomac, etc.

La théorie des centres, de leurs départements et de la circulation des forces de l'âme sensitive, donne en même temps la raison qui fait qu'un médicament à peine avalé emporte sur le champ un mal de tête, etc. Elle explique encore les admirables effets des vésicatoires, des ustions, des sinapismes, des ventouses et autres semblables remèdes si vantés par les vrais maîtres de l'art, dont toute l'action consiste à établir des centres artificiels dans la partie sur laquelle on les applique, et d'y attirer une dérivation salutaire de sensibilité, de forces et d'humeurs.

Consultez sur tout ceci les différents ouvrages de M. Bordeu, médecin des facultés de Montpellier et de Paris.

Il résulte de l'idée que nous venons de donner de l'oeconomie animale, que tout étant borné dans le corps à l'activité de cette âme sensible, tant dans l'état de santé que dans l'état de maladie, et la marche de toutes les fonctions, soit dans l'état naturel, soit dans l'état de maladie, étant marquée par des temps et des périodes qui doivent nécessairement avoir leurs cours, et qu'on ne peut changer, il en résulte, dis-je, que les secours qu'on a à espérer des remèdes, se réduisent à bien peu de chose. Il n'est que trop vrai en effet que la plupart des remèdes ne tiennent pas ce que des enthousiastes leur font promettre, quoiqu'en fait de médicaments, il faut avouer qu'il s'en trouve qui maniés par un médecin habile, et combinés avec une diete convenable, font quelquefois des merveilles ; mais ces remèdes sont en très-petit nombre ; et quant à la saignée, on peut ajouter, 1°. que dans beaucoup de maladies aiguës la matière morbifique résidant dans le tissu spongieux ou cellulaire des parties, les saignées dont l'indication est le plus ordinairement fondée chez les modernes sur la théorie de la circulation, ne saurait entrer dans le traitement de ces maladies ; 2°. le corps animal étant un composé de solides et de fluides, qui sont les uns à l'égard des autres dans une réciprocité absolue de besoins et d'utilité, on peut en inférer que des saignées multipliées dans une maladie doivent être aux fluides ce que la mutilation est aux solides. En vain prétendrait-on justifier l'abus de ce remède par des théories et des exemples, en imaginant même d'avoir à combattre dans les humeurs une dépravation qui équivaudrait à l'état de gangrene dans les parties solides d'un membre ; l'on ne voit pas à quoi serviraient quelques poêlettes de sang, le vice gangreneux étant supposé infecter toute la masse des fluides. Ce n'est pas cependant que la saignée ne produise d'admirables effets, lorsqu'elle est placée à-propos, par exemple, au commencement des maladies aiguës ou dans le temps d'irritation, suivant la pratique des anciens, dans la suppression des règles et d'autres hémorrhagies habituelles, dans certaines douleurs vives, dans une chaleur, une lourdeur excessive du corps, etc. Mais dans tous ces cas même il n'est permis d'user de ce remède que très-modérément, parcâ manu, à titre d'adjuvant, adjuvants, et jamais à titre de curatif, comme lorsqu'on applique des émolliens sur un abscès pour en aider la maturation, qu'on fait des scarifications à une partie, qu'on emploie les vésicatoires, etc. Car le corps est le même à l'intérieur qu'à l'extérieur. Voyez là-dessus un excellent ouvrage intitulé, les abus de la saignée démontrés, &c.

Effets particuliers de la sensibilité. Nous croyons avoir suffisamment établi l'influx admirable du principe sensitif dans les trois états de la vie, de la santé et de la maladie. Il est pourtant encore des dispositions ou affections nerveuses singulières qui, comme autant de bizarreries dans la sensibilité, augmentent son histoire de quelques autres phénomènes.

Ces dispositions ou affections nerveuses tenant, suivant nos principes, à des concepts dans l'âme sensitive, nous en reconnaissons, comme dans l'histoire des maladies, d'originaires et d'accidentels, qui peuvent se rapporter plus ou moins aux trois états dont nous venons de parler. On doit placer parmi les premiers quelques antipathies, sympathies, et autres incommodités dont il n'est pas toujours prudent d'entreprendre la curation, étant identifiées avec la vie, et comme autant de constitutions irrégulières. Ainsi Pline rapporte d'après Valere Maxime, que le poète Antipater sidonien avait la fièvre chaque année, le jour de sa naissance. Voyez hist. natur. lib. VII. pag. 407. Schenckius fournit de pareils exemples dans le livre VI. de ses observat. médic. On a Ve des personnes qui ont eu habituellement la fièvre durant toute leur vie, et qui n'ont pas laissé que de parvenir à une vieillesse très-avancée ; tel a été l'illustre Mecène.

Quant aux concepts accidentels, il y en a qu'on peut regarder comme de fortes habitudes nerveuses dégénérées en tempéraments, et qu'il faut traiter avec la même circonspection que les premiers. D'autres sont dû. aux impressions fâcheuses de quelque maladie grave qui a été mal jugée, ou interrompue dans sa marche, ou reconnaissent pour cause quelqu'autre accident : ceux-ci admettent le plus souvent les secours de l'art. Kaaw Boèrhaave raconte " qu'un vieillard nommé Monroo, par une sympathie contractée depuis l'enfance, ne pouvait regarder personne dont il ne fût obligé d'imiter tous les mouvements corporels ; ce pantomime singulier portait l'imitation jusqu'à rendre scrupuleusement les plus légers mouvements des yeux, des lèvres, des mains, des pieds, etc. Il se couvrait et se découvrait la tête, suivant qu'il le voyait faire aux autres, avec une liberté et une facilité surprenantes ; lorsqu'on essayait de lui ôter l'usage d'une main, tandis qu'il gesticulait de l'autre, il se débattait avec des efforts extraordinaires, et la raison qu'il en donnait, c'est qu'il y était forcé par la douleur qu'il ressentait au cerveau et au cœur. Enfin ce pauvre homme, en conséquence de son incommodité, n'allait jamais dans les rues que les yeux bandés ; et lorsqu'il lui arrivait de s'entretenir avec ses amis, c'était en observant la précaution de leur tourner le dos. " Voyez Kaaw Boèrhaave de impetum faciente, seu enormon Hippocrat. pag. 345. On peut consulter sur les autres affections accidentelles tous les livres de pratique. Voyez encore le synop. medic. de Allen, tom. I. pag. 12, où il est parlé d'un théologien nommé Bulgin, au territoire de Sommerset, lequel fut attaqué à l'âge de 34 ans, d'une fièvre intermittente quotidienne qui lui dura tout le reste de sa vie, c'est-à-dire, 60 ans encore, n'étant mort qu'à l'âge de 94. Locke fait encore mention dans son ouvrage admirable sur l'entendement humain, d'un homme qui ayant été parfaitement guéri de la rage par une opération extrêmement sensible, se reconnut obligé toute sa vie à celui qui lui avait rendu ce service, qu'il regardait comme le plus grand qu'il put jamais recevoir ; mais malgré tout ce que la reconnaissance et la raison pouvaient lui suggérer, il ne put jamais souffrir la vue de l'opérateur ; son image lui rappelait toujours l'idée de l'extrême douleur qu'il avait endurée par ses mains, idée qu'il ne lui était pas possible de supporter, tant elle faisait de violentes impressions sur son esprit ; nous dirons, nous, sur son âme sensitive. Voyez Locke, pag.

Qui ne sait combien les charmes de la musique sont puissants sur certains sujets ? Qui ne connait pas l'effet de la beauté sur l'âme sensitive ? Enfin qui ne s'est pas quelquefois senti épris de prédilection ou d'intérêt, à la simple vue, pour une personne plutôt que pour une autre qui avait plus de droits, suivant la raison, à nos sentiments ? Tout cela est une disposition dans les organes, une affaire de goût dans l'âme sensitive qui s'affecte de telle ou telle manière, sans qu'on s'en doute : ce sont-là les nœuds secrets qui nous lient, qui nous entraînent vers les objets, et que les Péripatéticiens n'avaient pas tant de tort de mettre au rang de leurs qualités occultes.

Les habitudes particulières à certains organes ou districts de la sensibilité offrent encore des variétés remarquables ; telle personne, par exemple, ne saurait passer l'heure accoutumée des repas, sans ressentir tous les tourments de la faim ; tel autre s'endort et se réveille constamment à la même heure tous les jours ; les sécrétions et excrétions se font dans certains tempéraments régulièrement dans le même ordre, etc. et certes il y aurait beaucoup de danger pour ces personnes ainsi coutumières, à s'écarter de ces habitudes qui sont devenues chez elle une seconde nature, suivant l'axiome vulgaire. Les temps des paroxysmes dans certaines maladies sont également subordonnés aux mêmes lois d'habitude de la part de la sensibilité ; nous croyons inutîle d'en rapporter des exemples.

Mais si ces habitudes constantes sont communément des déterminations invincibles pour l'exercice de la sensibilité dans les organes ; il est aussi des cas où par la raison des contraires ces habitudes anéantissent absolument cet exercice dans ces mêmes organes. Un chevalier romain (Julius Viator) datait l'abstinence dans laquelle il vivait, de toute boisson, d'une maladie chronique dans le traitement de laquelle les médecins lui avaient interdit entièrement le boire.

Cette habitude des organes Ve plus loin encore, puisqu'elle se proroge au-delà de la vie ; on a Ve des viperes à qui on avait coupé la tête et enlevé les entrailles, on a vu, dis-je, ces troncs de viperes aller se cacher sous un amas de pierres où l'animal avait coutume de se réfugier. Voyez Perrault, essai phys. Boyle rapporte que les mouches s'accouplent et font des œufs, après qu'on leur a coupé la tête. Rien de si commun que des exemples de cette nature.

De-là peut être encore ce mouvement animal toujours fondé sur l'habitude de notre sensibilité, renouvellée par son instinct en présence d'un objet qui nous est cher, et qu'un changement dans les traits déguise à nos habitudes intellectuelles ; telle est la situation d'une mère tendre en présence d'un fils qu'elle ne reconnait pas encore, et vers lequel cependant son âme sensitive semble vouloir s'envoler : situation qu'on attribue d'ordinaire à ce qu'on appelle la force du sang. Ainsi Mérope, après avoir interrogé le jeune inconnu qu'on lui a amené, s'écrie :

.... Hélas ! tandis qu'il m'a parlé,

Sa voix m'attendrissait, tout mon cœur s'est troublé.

Cresfonte... ô ciel !... j'ai cru... que j'en rougis de honte !

Qui j'ai cru démêler quelques traits de Cresfonte.

Act. II. scen. II.

La théorie des convulsions, des spasmes, etc. ne présente pas moins de singularités dont l'explication découle naturellement de la même source, c'est-à-dire, des affections des parties nerveuses, en conséquence de leur sensibilité, sans qu'il soit besoin de recourir à des desséchements et aridités des nerfs, ou à des stimulus causés par des acrimonies. Car enfin, si le premier cas avait lieu, un vieillard, ainsi que l'observe van Helmont, devrait être tout raccourci par un spasme continuel. Voyez de lithiasi. Et dans le second, c'est-à-dire, dans le système des acrimonies, tous les viscères devraient s'en ressentir ; les plus délicats surtout, ou les plus mols, comme le cerveau, seraient anéantis de spasmes ou de contractures ; mais au contraire on voit bien souvent que ces spasmes n'affectent qu'un seul organe, ou partie même de cet organe : ainsi dans quelques angines on remarque qu'il n'y a qu'un côté de la gorge de pris ; dans les hydropisies, ou les ictères commençans, avant même qu'il y ait le moindre signe d'épanchement dans le bas-ventre, il arrive quelquefois de ces contractures dans un seul côté du ventre, et en conséquence des duretés de ce même côté, souvent encore il s'est Ve oedemes de tout le côté droit du corps, occasionnés par une affection au foie. Les paralysies, quelles singularités n'offrent-elles pas en ce genre ? Il semble que le corps soit divisé naturellement en deux parties qui se rencontrent ou se joignent dans le milieu ou dans l'axe. Voyez Bordeu, recherches sur le pouls. Il arrive encore que la sensibilité plus ou moins agacée dans certains endroits des productions nerveuses que dans d'autres, peut faire çà et là, dans le même organe, de petits points de constriction qui laisseront entr'eux des espaces, si vous voulez, comme des mailles ; ces particularités se rencontrent plus ordinairement dans l'estomac ; on a également Ve sur des pleurétiques la plèvre détachée en certains endroits de la surface des côtes ; sans-doute que ces décolements de la plèvre se trouvaient dans les points qui répondent aux fibrilles nerveuses distribuées dans cette toîle celluleuse. Stahl parle encore de quelques spasmes qui se bornent à la cage de la poitrine, etc. Mais, ce qui n'est pas moins digne de notre attention, il se trouve de ces spasmes particuliers qui sont périodiques. Hoffman remarque avec étonnement, que dans quelques coliques néphretiques, la cause de la douleur, c'est-à-dire le calcul, étant continuellement présente dans les reins, ces coliques ne reprennent dans la plupart des calculeux que par intervalles, comme si la sensibilité abandonnait et reprenait alternativement certaines parties. Nous disions donc bien que chaque organe a sa vie, ses gouts et ses passions qui lui sont propres, indépendamment de tout ce qui peut lui revenir de son consensus avec les autres organes, propria vivit quadra ; il peut donc se faire une contracture particulière et spontanée dans une partie, par les seules facultés de cette partie, qui s'irritera sous une cause que nous ne spécifions point, mais qui sera vraisemblablement de la nature de celles qui produisent des sensations désagréables, ou tout simplement l'habitude.

Néanmoins il n'est pas toujours besoin d'un sentiment contre nature, ou de douleur dans une partie, pour la faire contracter ; il lui suffit d'un léger malaise, ou d'un instant de disposition singulière dans ses nerfs : par exemple, le scrotum ne se contracte-t-il pas sans douleur ? et n'en est-il pas de même des intestins, qui, semblables à un animal logé dans un autre animal, se jettent d'un côté et d'autre du bas-ventre avec de grands mouvements, et même avec une espèce de rugissement ?

Les passions peuvent encore être les causes occasionnelles de ces spasmes particuliers ; et si l'on considère les différents organes qui concourent à former le centre épigastrique, les gros vaisseaux qui s'y trouvent, et dont les tuniques sont presque toutes nerveuses, il sera aisé de se représenter les accidents qui peuvent résulter des fréquentes secousses portées à ce centre ; car vraisemblablement il est de ces organes, qui à raison de leur plus grande sensibilité, doivent retenir les impressions spastiques plus longtemps que les autres, ou chez lesquels ces impressions doivent comme se résoudre et s'incorporer, s'il est permis d'ainsi parler, avec la substance nerveuse d'où l'on est conduit naturellement à reconnaître la cause de beaucoup de maladies chroniques, des tumeurs, et entr'autres du flux hémorrhoïdal ; sur lequel Stahl nous a laissé de si belles choses en théorie et en pratique. Voyez Stahl, théor. pathol. sect. II. pag. 161 et seq. Voyez encore le mot HEMORRHOÏDES.

Ici revient ce que nous avons dit de la circulation ou des transports des forces du principe sensitif, qui se cantonnent quelquefois dans un centre, en absorbant la somme d'activité des autres centres qui correspondent à celui-ci ; ce qui peut même se faire par un acte de volonté, comme on le raconte du colonel Townshend, chez qui le mouvement du cœur était presqu'arbitraire, comme il l'est dans quelques animaux. Vid. Lister. de cochleis et limacibus, pag. 38.

C'est ainsi qu'un homme absorbé dans une profonde méditation, ne vit, pour ainsi dire, que de la tête ; tel était le cas d'Archimède, lorsque le soldat de Marcellus lui donna le coup de la mort ; celui de François Viete dans les deux jours qu'il passa, sans s'apercevoir, à l'explication d'une lettre écrite en chiffres ; et vraisemblablement encore celui de beaucoup de personnes qui se trouvent dans des états contre nature, tels que les mélancholiques, les maniaques, certains fous, etc. qui paraissent plus ou moins insensibles. C'est ce que van Helmont a très-bien observé, contigit namque, dit-il, si forsitan spiritus iste (c'est-à-dire, anima sensitiva), ob profundas speculationes vel insaniam occupetur, quod corpus dolorem non sentiat, famem, frigora, sitim. de lithiasi, cap. ix. pag. 52. Il rapporte à ce sujet, dans le même chapitre, l'exemple d'un malfaiteur, qui éluda plusieurs fois les tourments de la question, en avalant, quelques instants avant de la subir, un morceau d'ail, et buvant par-dessus un coup d'eau-de-vie ; mais enfin sa petite provision étant consumée, le malheureux fut obligé d'avouer ses crimes par le sentiment des tortures.

Tous ces phénomènes rentrent, comme on voit, dans la théorie que nous avons d'abord établie sur les centres et leur influx ; théorie qui, outre les exemples extraordinaires déjà rapportés, est confirmée journellement sous nos yeux par ce qui arrive aux épileptiques, aux goutteux, etc. dont les paroxysmes paraissent constamment déterminés par une émotion préalable dans quelque centre.

De la même théorie peuvent se déduire les sensations que rapportent les personnes mutilées au membre qu'elles n'ont plus ; car un centre quelconque portant vraisemblablement en lui comme l'empreinte ou l'archetipe en raccourci de tout son département, il est à présumer que l'irradiation sensitive destinée au membre amputé, se renouvelle quelquefois par l'habitude ou autres accidents, et produit la sensation affectée à l'existence du membre. On expliquera également, par ces principes, les causes de la régénération des os ; on trouvera toujours que c'est dans un de ces centres qu'il faut chercher l'agent plastique, qui est le même et dans la formation des os, et dans leur régénération.

Nous avons Ve que la terreur était capable d'éclipser, pour quelque temps, la sensibilité ; il faut en dire autant d'une douleur extraordinaire, qui en cela ne diffère point des extases procurées par la joie et par le plaisir ; les excès étant les points par où se touchent tous les contraires, ces grandes joies et ces grandes douleurs peuvent également aller jusqu'à la destruction de la sensibilité, c'est-à-dire, jusqu'à la mort : cela s'est Ve plus d'une fais.

La sensibilité peut se trouver bien souvent si fort exaltée dans certains sujets chatouilleux, qu'on ne saurait même les menacer de les approcher sans les jeter dans des convulsions. Mais rien qui manifeste tant ces variétés et excès négatifs et positifs de l'âme sensible, que la plupart des maladies, telles que la rage, le chorea sancti viti, certaines manies, les suites de la morsure ou de la piqûre de certains animaux, comme la vipere, la tarentule, les effets de quelques remèdes ou poisons, etc. la lepre, les différentes espèces d'apoplexie, de paralysie, etc. les affections vaporeuses, le pica, le malacia, etc. En voilà déjà trop sur cette matière.

Sensibilité dans les différents âges, les différents sexes, etc. L'homme est sans contredit l'animal qui doit posséder la sensibilité au plus haut degré. Il peut en effet passer pour le chef-d'œuvre des âmes sensitives ou animales, par l'arrangement merveilleux de ses parties et la prodigieuse quantité de nerfs qui entrent dans leur construction. Disposé par la nature à la connaissance des choses dont le concours fait ce qu'on appelle éducation, il est étonnant avec quelle facilité ses organes se plient sous les habitudes de l'instruction et des exemples ; au contraire il faut des soins infinis, des peines extrêmes pour faire sur les organes d'une brute une impression assez profonde pour lui inculquer les documents les plus faciles ; cependant on a des exemples d'une sagacité merveilleuse dans quelques animaux, comme le chien, le singe, etc. et même quelques poissons, comme les murenes si chères, à ce qu'on prétend, aux Romains, par la circonstance de reconnaître la voix de leurs maîtres, etc.

Parmi les hommes, les enfants, et après eux les personnes du sexe, sont ceux qui sont le plus éminemment sensibles, ce qui est une suite de la souplesse, la fraicheur et la ténuité des lames du tissu muqueux, toujours plus compacte dans les adultes, et parmi ces derniers plus dans les hommes que dans les femmes. Cet excès de sensibilité des enfants sur les adultes, explique les causes des fréquentes convulsions et spasmes qui les agitent à la moindre maladie, à la moindre passion. De célèbres praticiens ont très-bien observé que cet excès même chez les enfants, en les rendant plus souvent malades, les garantissait de beaucoup d'autres plus graves maladies qui affectent les adultes, parce que chez ces derniers les voies qui mènent à la sensibilité étant moins faciles ou plus longues, la cause du mal avait plus de temps pour s'établir ou se fortifier.

Quant aux femmes, leur constitution approche beaucoup, comme on sait, de celle des enfants ; les passions sont chez elles extrêmement plus vives en général que chez les hommes. Leur grande sensibilité, dont un des principaux centres est l'utérus, les jette aussi dans des maladies que la nature semblait avoir affecté uniquement aux femmes, mais dont le luxe et la mollesse ont fait présent aux hommes : je veux parler des vapeurs.

Enfin, comme l'enfance est le premier terme de la sensibilité dans l'homme, de même l'âge adulte en peut passer pour le moyen ; d'où les effets de la flamme sensitive vont en diminuant sous la quantité de mucus qui empâte les nerfs, et qui devient de jour en jour plus compacte, jusqu'à la vieillesse qui est la dernière époque de cette flamme sensitive qui luit à peine dans les organes les plus essentiels à la vie. Ainsi, par la raison des contraires, le vieillard se rapproche de plus en plus de l'état imparfait par où a commencé son être ; rien n'est en même temps si vrai, comme le dit Macrobe, savoir que dans les animaux, l'usage de l'âme s'affoiblit à mesure que le corps devient plus dense. In animalibus hebescit usus animae densitate corporis. Macrob. in somn. Cicer. lib. I. cap. XIVe Voilà encore pourquoi le tissu muqueux étant en moindre quantité et densité dans quelques personnes maigres, elles sont si sensibles, et qu'au-contraire celles qui ont les lames de ce tissu bien serrées et bien battues, sont ce qu'on appelle dures, robustes, etc. Les lames du tissu cellulaire du lion, par exemple, sont presque tendineuses, suivant l'observation de M. d'Aubenton.

Sensibilité par rapport aux qualités de l'air et à l'impression de quelques autres corps externes. L'air est à l'égard de la sensibilité comme un médicament dont elle distingue et évalue les bonnes et les mauvaises qualités à l'avantage ou au préjudice du corps. Voyez AIR.

Il semble que les méthodiques soient partis de ce principe dans l'attention extrême qu'ils avaient à ménager les impressions de l'air, etc. à leurs malades conformément à la nature des maladies. Le docteur Arbuthnot a fort bien remarqué que cette considération doit nécessairement entrer dans le traitement des fièvres aiguës : en effet on sent combien les parties sensibles occupées entre les effets de la maladie, et l'action continuelle de l'air peuvent être utilement ou défavorablement émues par l'impression de ce fluide. L'air chaud ou froid, par exemple, de quelle influence n'est-il pas sur l'opération des remèdes, en évaporant, ou en concentrant l'activité de l'âme sensible ?

L'observation apprend que l'air natal est quelquefois un très-grand remède ; mais il peut se faire aussi qu'il produise des révolutions funestes, lorsqu'on vient à le respirer après une longue absence. Ces réconciliations de l'air natal avec la sensibilité individuelle, sont pour elle une épreuve pareille à celle de la naissance, et dont les parties nerveuses d'une personne âgée ne s'accommodent pas aisément.

C'est une tradition fort ancienne et fort répandue dans nos provinces méridionales, que l'air vif est aussi funeste aux personnes attaquées de la poitrine, que l'air gras leur est salutaire ; la raison physique qu'on en donne n'est rien moins que satisfaisante : car il parait que les phtisiques sont pour le moins en aussi grand nombre à Paris, où l'air passe pour être fort gras, que dans les contrées du royaume où l'air est très-vif. Il faut croire que le moral, dans les grandes villes où la tyrannie des passions est portée à l'excès, influe encore plus que l'air sur cette indisposition des parties sensibles qui produit in recessu un vice spécial dans les poumons.

On dit encore assez communément que les plaies de la tête sont plus dangereuses à Paris qu'à Montpellier, et que les plaies des jambes sont réciproquement plus dangereuses dans cette dernière ville que dans la capitale. Nous doutons fort que les personnes de l'art qui sont pour l'affirmative, aient là-dessus devers elles une raison suffisante d'expérience. Cette question qui, en 1749, lors de la dispute d'une chaire vacante à Montpellier, fut donnée à traiter par MM. les professeurs de cette faculté à un des contendants, n'a pas même été décidée dans les thèses de celui-ci. Quoi qu'il en sait, on pourrait concevoir que l'action de la sensibilité produisit des effets également mauvais et sur les plaies des organes continuellement enveloppés d'un air épais, froid et humide, qui concentre la transpiration de la tête, occasionne de fréquentes céphalalgies, etc. et sur des plaies d'un autre organe exposé aux influences d'un air vif et en quelques endroits salé, aux exhalaisons d'un terroir sec, aride et brulant une partie de l'année, qui doivent causer un relâchement, une raréfaction singulière à la substance des parties les plus à portée des impressions du sol, surtout chez les paysans ou le bas peuple qui Ve dans ces provinces les jambes nues la moitié de l'année. On pourrait donc présumer que ces différentes impressions de l'air sont autant de préparations funestes pour ces organes, indépendamment des raisons tirées de la différence des climats, du régime de vivre, etc. qui influent tant, comme on sait, sur le bon état de quelques principaux centres de la sensibilité, dont l'action influe tant, à son tour, sur les plaies.

Il est des auteurs qui prétendent que les émanations que peuvent fournir les corps des personnes fraiches et vigoureuses, des jeunes nourrices, par exemple, qu'on fait coucher avec d'autres personnes exténuées de maladies, ou absolument épuisées d'excès ou de vieillesse ; que ces émanations, dis-je, produisent sur ces derniers sujets des effets admirables : les médecins de David se servirent de ce moyen pour réchauffer la vieillesse du prophète roi, et Forestus, auteur respectable, rapporte qu'un jeune homme qui était dans le dernier degré du marasme, fut parfaitement guéri par le même remède. Si ces faits sont vrais, c'est une nouvelle acquisition au domaine de la sensibilité. La modification que peut imprimer à l'athmosphère animale du vieillard ou du malade, la chaleur exhalée du corps sain, est perçue par l'âme sensitive. Or il faut se rappeler que cette perception suppose une augmentation, une direction plus expresse, suivant Stahl, du ton ou des forces des nerfs, laquelle aidée vraisemblablement encore, dans le cas présent, de tout ce que l'imagination peut prêter aux sens, comme cela est observé à l'article lait, voyez LAIT, occasionnera un changement favorable dans l'économie animale.

Du reste, cette théorie nous parait préférable à celle de l'insinuation des corpuscules déliés tenuissima exhalantia à-travers le corps du malade. En effet, de quelle utilité pourraient être des corpuscules qui ne sont que les débris, ramenta, ou les parties usées de nos humeurs, et qui par conséquent ne sont plus propres à notre substance ? D'ailleurs ne voit-on pas que sans admettre de ces insinuations, la température de l'air produit seule des effets pareils à ceux de certains poisons sur les animaux ! On en a une preuve convainquante dans les symptômes observés sur le chien, que le docteur Boèrhaave exposa à la chaleur d'une raffinerie de sucre, et dans ce qui arrive aux animaux qu'on soumet aux expériences de la machine du vide.

Dans les endroits où il y a des mines, des volcans, etc. dans le voisinage des marais, des camps, des hôpitaux, des grottes, comme celle du chien au royaume de Naples, qui exhalent des moufétes, etc. l'air ne peut que faire des impressions funestes sur le corps, ou plutôt sur les organes de la sensibilité. L'événement des prisons de Newgate à Londres, est encore tout récent. L'explication de ces phénomènes et de tant d'autres sur lesquels il ne nous est pas possible de nous étendre, Ve d'elle-même, pour peu qu'on veuille suivre la chaîne de nos principes.

Toutes les parties du corps qui vivent d'une dose de sensibilité, doivent participer en proportion du goût ou de l'instinct que nous reconnaissons dans l'âme sensitive, c'est une vérité déjà établie ; mais cette propriété se manifestera toujours mieux dans les parties où la sensibilité se trouve sans-cesse irritée par l'indisposition ou la maladie de ces mêmes parties. Voilà pourquoi le poumon des asthmatiques, l'oeil d'un opthalmique, etc. discernent si bien les bonnes ou les mauvaises qualités de l'air, surtout s'il est chargé de vapeurs âcres ou humides.

La peau, cette toîle nerveuse qui forme un organe général, et dont l'action contrebalance celle des organes intérieurs, la peau est encore éminemment douée de cet instinct ; Harvée appuyé de quelques expériences qu'il hasarda sur lui-même, s'explique positivement sur ce point. Quin caro etiam ipsa, dit-il, venenatum à non venenato facilè distinguit, ideoque constringit sese et densatur, unde tumores phlegmonodes excitantur ut videre est in ictibus apum, culicis, aranei, etc. exercitatio 57. pag. 259. Van Helmont avait déjà parlé de ce discernement de l'âme sensitive, qu'il appelle en quelques endroits internam thymosim facultatis sensitivae. Voyez le chap. ix. de lithiasi, qu'Harvée semble avoir copié en quelques endroits.

En combinant toutes ces propriétés de la peau ou de sa sensibilité si étroitement liée à celle des autres organes, on voit d'un coup d'oeil en quoi consiste l'action des topiques, par ex. de l'opium et de quelques poisons appliqués extérieurement ; celle des parties volatiles de quelques purgatifs, par lesquelles il s'est Ve des personnes réellement purgées, celle surtout du mercure employé en frictions que nous croyons bien moins estimée par l'introduction de ce minéral dans le torrent des humeurs, que par son passage à-travers le tissu cellulaire dont il désobstrue et élargit les cellules de l'une à l'autre, en étendant ses feuillets, et par les petits étranglements ou stimulus qu'il cause aux vaisseaux capillaires, ou à leurs fibrilles nerveuses, d'où nait une petite fièvre dépuratoire. Voyez là-dessus une dissertation sur l'usage des eaux de Bareges, et du mercure pour les écrouelles, etc. qui a remporté un prix à l'académie royale de Chirurgie en 1752, par M. de Bordeu. On verra sur quoi sont fondés les succès merveilleux des bains, surtout des froids dans les fièvres ardentes, que quelques malades entrainés par le seul instinct de la sensibilité, se sont procuré si avantageusement ; enfin les bons effets de toutes les ressources de la gymnastique qui consistent à renouveller, à varier agréablement, ou à multiplier l'énergie de la sensibilité, et dont les anciens tiraient un si grand parti. Mais, nous le répétons, il ne faut jamais perdre de vue les dispositions particulières où peuvent se trouver les parties sensibles en conséquence de l'habitude, ou de quelqu'autre circonstance, et qui font autant d'exceptions à la règle générale. Telle est l'observation de M. Spon, médecin de Lyon, rapportée dans le journal des savants du mois de Janvier 1684, au sujet d'une fille qui ne pouvait vivre que dans l'hôtel-dieu, et qui ne manquait jamais d'être attaquée de la fièvre, lorsqu'elle se retirait à la ville, et qu'elle respirait un air plus pur. Il croit en Pensilvanie un arbre empoisonné, que les Anglais nomment poisontree, dont le maniment, ou la vapeur apportée par le vent, cause des accidents étranges à certaines personnes, et ne fait rien sur d'autres. On voit bien souvent des maladies contagieuses attaquer les personnes qui s'observent le plus, tandis que celles qui approchent sans ménagement des malades, n'en reçoivent aucune incommodité. Il est quelquefois arrivé, au rapport de Kircker de peste, sect. II. cap. IIIe pag. 139, que la peste n'a gagné que les riches ou les nobles, et a épargné le bas peuple ou les pauvres. On ne finirait pas de rapporter de pareils exemples.

Sensibilité par rapport aux influences des astres. Les plus célèbres médecins, tant anciens que modernes, se sont occupés de l'influence des astres sur le corps humain. On sait tout ce qu'Hippocrate en a dit dans ses ouvrages, notamment dans celui de aère, locis et aquis qui n'est pas supposé. Voyez encore ce que Galien a écrit sur cette matière, lib. III. Prorrheticor. Il est tout simple en effet, en consultant l'action des différentes planètes sur la nôtre, par ex. le flux et le reflux des eaux de la mer, l'altération que reçoivent certaines plantes du lever et du coucher des astres, etc. d'imaginer les changements que de pareilles causes peuvent apporter à notre frêle machine, qu'on sait d'ailleurs être si sensible.

Les différents poids de l'athmosphère qui varient sous les différents aspects des astres, donnent la raison de plusieurs phénomènes extraordinaires qu'on remarque dans le corps humain. La surface du corps d'un adulte supporte ordinairement, suivant des calculs très-bien faits, un poids d'environ 35 mille livres. La totalité de ce poids correspond, à-peu-près, au degré 28 de l'ascension du mercure dans le baromètre ; ce rapport ainsi établi, on observe que la variation d'une ligne au baromètre, à compter de cette gradation fixe du mercure, en est une de cent livres et au-delà, dans le plus ou dans le moins, pour le corps humain. Ces variations sont ordinairement plus sensibles vers le temps des équinoxes et des solstices, et par conséquent leurs effets sur l'âme sensitive plus remarquables. On n'a, pour se convaincre de cette vérité, qu'à jeter les yeux sur l'histoire ancienne et moderne des épidémies. L'écoulement des menstrues dans les femmes, beaucoup d'autres évacuations encore, soit périodiques, soit critiques, tout cela est plus ou moins soumis à l'influence des astres sur les corps sublunaires. Les livres sont pleins de faits singuliers, dans lesquels cette cause céleste intervient toujours pour quelque chose ; c'est ainsi qu'on prétend avoir Ve des personnes être privées de la parole durant le jour, et ne la recouvrer que le soir. L'observation de Baillou au sujet de la dame de Varades, est connue de tout le monde ; de même que celle que rapporte le docteur Rich. Mead, d'un enfant qui habitait sur les bords de la Tamise, et qui était attaqué de convulsions, dont les paroxysmes étaient réglés sur le flux et le reflux de la mer. Charles Pison avait déjà Ve un cas à peu-près semblable, hist. nat. lib. I. pag. 24. Maurice Hoffman parle d'une jeune fille épileptique âgée de 14 ans, dont le ventre croissait et décroissait conformément aux différentes phases de la lune. Voyez observ. 161. miscell. cur. dec. II. ann. 6. Ceux qui se plaisent au merveilleux de ce genre, pourront consulter les auteurs que nous avons cités, en outre la dissertation de Fred. Hoffman de siderum influxu in corpora humana, et celle de M. Sauvages, célèbre professeur en médecine de la faculté de Montpellier, qui a pour titre : de astrorum influxu in hominem, Monspelii 1757. Ils trouveront dans tous ces ouvrages de quoi se satisfaire. Voyez INFLUENCE DES ASTRES.

L'action des corps célestes sur l'âme sensitive, se manifeste surtout dans les maladies aiguës, ainsi que nous l'apprenons de tous les bons observateurs ; ils nous recommandent encore de faire la plus grande attention aux changements des temps, des saisons, etc. l'effet de beaucoup de remèdes étant subordonné à ces influences, qui décident ordinairement de la plus grande ou de la moindre sensibilité des organes. Praecipuè verò maximae anni, temporum mutationes observandae sunt, ut nequè medicamentum purgans lubenter exhibeamus, nequè partes circà ventrem uramus aut secemus antè dies decem, aut etiam plures. Hippocrate, foès. de aere, locis et aquis, pag. 288. §. 10. Il serait bien à désirer que la plupart des médecins voulussent méditer sur ce passage du père de la médecine ; ils verraient qu'il n'est pas indifférent de savoir placer un médicament dans un temps plutôt que dans un autre, de le suspendre ou de le supprimer, même tout à fait, dans quelques circonstances ; mais cette science est le fruit de l'observation, et l'observation est dure, rebutante. Des connaissances purement traditionnelles, une routine qui formule toujours, qui court toujours, qui n'exige qu'un peu d'habitude ou de mémoire, tout cela doit naturellement paraitre préférable, parce qu'il est plus commode ; d'où il arrive que les larges avenues de cette médecine suffisent à peine à la foule qui s'y jete, que toutes sortes de gens viennent s'y confondre, tandis au contraire qu'on distingue à peine quelques génies choisis dans les sentiers pénibles qui mènent au sanctuaire de l'art.

Les variations des vents tiennent de trop près à l'action des astres, pour ne pas mériter les mêmes considérations, quant à la sensibilité. Hippocrate prétend que dans les changements des vents les enfants sont très-sujets à l'épilepsie. Voyez lib. VI. et lib. II. epidem. Les impressions des vents du nord et du sud sur l'âme sensitive, ont cela de commun avec les influences des saisons, qu'elles sont spécifiées par les maladies que chacun de ces vents occasionne en particulier. L'instinct sensitif Ve même jusqu'à s'apercevoir du changement prochain d'un vent en un autre vent ; de sorte qu'il y a beaucoup de malades ou de personnes à incommodités, qui à cet égard pourraient passer pour d'excellents baromètres. Enfin, l'âme sensitive de certains animaux n'est pas exemte non plus que celle des hommes, des effets de ces variations : Virgile nous apprend que les corbeaux, par exemple, en sont notablement affectés. Voyez le livre I. des Georgiques.

Verùm ubi tempestas et coeli mobilis humor

Mutavère vices et Jupiter humidus austris

Densat, erant quae rara modò et quae densa relaxat,

Vertuntur species animorum, et pectora motus,

Nunc alios, alios, dùm nubila ventus agebat.

Tels sont en général les effets de l'influx des astres sur l'âme sensible, et dont l'observation avait porté les anciens à soumettre divers organes à différentes planètes. Leurs prétentions à cet égard étaient assurément outrées : mais nous leur opposons le même excès dans notre indifférence sur des matières les plus faites pour exciter notre zèle par la gloire et l'avantage qui en reviendraient à l'art.

Sensibilité par rapport aux climats. Cette matière est tellement liée aux précédentes, que nous aurions dû les confondre ensemble, sans la crainte de déroger à l'ordre que nous avons suivi dès le commencement ; il n'est pas douteux que les climats n'influent pour beaucoup sur la sensibilité. Les différentes températures dans un même climat variant la disposition et le tissu de nos parties, quelle prodigieuse différence ne doit-il pas y avoir dans les effets de la sensibilité par rapport aux individus d'un climat, comparés à ceux d'un autre climat ? Voyez CLIMAT, Médecine. C'est en ce sens qu'on pourrait compter des nuances de sensibilité, comme on en compte de la couleur des peuples depuis le nord jusqu'à la ligne ; en sorte qu'un habitant de ces dernières contrées, comparé avec un lapon, donnera presque une idée des contrastes en sensibilité : mais en évaluant ainsi les tempéraments de sensibilité par les différentes latitudes, on n'en doit jamais séparer l'idée physique d'avec l'idée morale ; car nous croyons pouvoir nous dispenser d'observer ici, Ve la publicité du livre immortel de l'Esprit des lois, combien les usages, les coutumes des pays, etc. méritent de considérations dans l'estimation des facultés sensitives. Il est encore plus important de ne pas perdre de vue cette activité originale de l'âme sensible, qui est la même dans tous les individus d'une même espèce, et qui ne saurait éprouver des variétés que dans ses organes ; un observateur exact aura tôt ou tard occasion de s'en convaincre. C'est ainsi qu'Hippocrate a observé que les crises avaient lieu dans l'île de Thase, qui est voisine de la Thrace, aussi-bien que dans l'île de Cos ; deux îles dont les climats sont tout différents ; et des observations modernes ont enfin constaté que les crises étaient à-peu-près les mêmes dans tous les climats. Il en est, dit Hippocrate (car les vues supérieures de ce grand homme se sont portées sur tout) ; il en est des constitutions des individus, comme de la nature du sol qu'ils habitent ; les animaux, les plantes, et quelques autres productions de la terre, ont donc à cet égard une entière conformité de sort entr'eux ; cela n'a pas besoin de preuves.

On peut encore juger de cette influence des climats sur les effets de la sensibilité, par les affections corporelles qu'on éprouve dans des pays d'une température différente de la natale. Il se trouve, par exemple, des montagnards qui ne sauraient habiter des villes situées dans des plaines ; dans quelques-uns même un pareil séjour développe le germe de beaucoup de maladies, comme les écrouelles, que l'air de la montagne retenait dans un état d'inertie. Il faut ajouter que les mœurs et la qualité des aliments, qui sont autant de créatures des climats, peuvent contribuer encore à ce développement. Ceci analysé et suivi, donnera la raison des maladies endémiques, de la différence des vertus dans les mêmes remèdes ; et de plusieurs autres objets de cette nature, sur lesquels on ne doit pas s'attendre à trouver ici un plus long détail.

Nous nous sommes trop étendus sur cette matière, pour passer sous silence un système qu'on peut regarder comme une branche égarée de l'âme sensitive, qui cherche à se rejoindre à son tronc, dont réellement elle ne peut pas plus être séparée, que l'effet ne peut l'être de la cause. Nous voulons parler du nouveau système de l'irritabilité, sur lequel la réputation méritée de son auteur (M. le baron de Haller), ses talents continuellement employés à des travaux utiles pour l'art, demandent que nous entrions dans quelques discussions qui mettent le lecteur à portée d'asseoir un jugement sur ce système.

Pour cet effet, nous allons voir ce que cette irritabilité, qu'il serait peut-être mieux d'appeler de son ancien nom d'irritation, ainsi que nous l'avons observé à l'article SECRETION (Voyez ce mot) ; nous allons voir, dis-je, ce qu'elle a d'essentiel en soi, pour en autoriser les réflexions qu'elle nous donnera lieu de faire, en la considérant dans le nouveau système.

L'irritabilité n'est autre chose que la mobilité ou contractilité dont il a été question au commencement de cet article, et que nous avons dit être une des deux actions comprises dans l'exercice de la sensibilité ; c'est toujours l'expression du sentiment ; mais une expression violente, attendu qu'elle est le produit de la sensibilité violemment irritée par des stimulus ; aussi est-elle quelquefois désignée sous le nom même de stimulus chez les Physiologistes, ou sous celui de fibre motrice, etc. On ne saurait douter qu'elle n'ait été connue de tous les temps : les plus anciens poètes, à commencer par Homère (Voyez le VIII. livre de l'Odyssée), parlent en plusieurs endroits de leurs ouvrages, de chairs palpitantes, de membres à-demi animés, semi-animis artus.... Elisi trepident sub dentibus artus, fait dire Ovide au géant Polyphème. Voyez les Métamorphoses. Or qui pourrait méconnaître la contractilité ou l'irritabilité moderne à cette palpitation, à ce tremblotement de chairs, sous des dents qui les déchirent ? Nous avons Ve que de très-grands philosophes avaient même été jusqu'à expliquer la cause de cette palpitation par un reste de flâme sensitive ou de feu vital. Cicéron, d'après Cléanthes le stoïcien, l'avance positivement du cœur fraichement arraché de la poitrine d'un animal. Voyez de natur. deor. lib. II. Pline dit encore à l'occasion des insectes, nihil intùs, nisi admodum paucis intestinum implicatum ; itaque divulsis praecipua vivacitas et partium palpitatio, quia quaecunque est ratio vitalis, illa non certis inest membris, sed toto in corpore. Natur. histor. lib. XI. Il est à présumer que l'usage des sacrifices avait appris aux anciens tout ce qu'on peut raisonnablement savoir sur cette matière. Le couteau égaré du victimaire en blessant quelque organe considérable, devait souvent y produire des mouvements extraordinaires qui n'échappaient sans-doute point à des personnes si intéressées à les observer. Les philosophes et médecins de ces premiers temps avaient conçu, d'après ces phénomènes, les grandes idées qu'ils nous ont transmises sur le principe qui anime les corps : mais ils ne croyaient pas (leur philosophie était en ce point au niveau de leur âme, dont on ne cessera d'admirer l'élévation), ils ne croyaient pas qu'on dû. employer le manuel des expériences à creuser plus avant dans les mystères les plus profonds de la nature. Les Chinois chez qui les découvertes les plus nouvelles pour nous ont des dates si anciennes, observent dans l'acupuncture des règles et des précautions qui ne permettent pas de douter qu'ils n'aient acquis depuis longtemps beaucoup de lumières sur les effets de la sensibilité des parties ; il parait même que les plus grandes vues de leur pratique s'y rapportent directement : " A la Chine on pique au ventre dans les suffocations de la matrice, dans les coliques, dans la dyssenterie, etc. On y pique une femme enceinte, lorsque le foetus se mouvant avec trop de violence, avant que le temps de l'accouchement soit venu, cause à la mère des douleurs si excessives, qu'elle est en danger de sa vie : en ce cas, on y pique même le foetus, afin qu'étant effrayé par cette ponction, il cesse de se remuer, etc. ". Willelmi ten Rhine M. d' trans-isalano da ventriensis mantissa schematica de acupunctura. Enfin, dans le dernier siècle, quelques modernes déterminés ou par une simple curiosité d'érudition, ou par des vues plus particulières, se sont exercés à appliquer divers stimulants à différentes parties du corps, et ont approprié les phénomènes de cette irritation factice à des théories. Tel a été un van Helmont, dont les paroles à ce sujet méritent d'être rapportées : animadverti, dit-il, nimirùm sedulò contracturam in uno quoque propè modum dolore ; adeò ut oblato laedente occasionali, statim pars laeva velut per crampum contracta, corrugataque dolorem manifestet suum. Voyez de lithiasi, cap. ix. p. 66. Tels ont été Harvée, voyez à l'article SECRETION, Swammerdam, Glisson, Peyer ; voyez Bohnius, Baglivi, et autres, dont il est fait mention dans les observations du docteur Robert Whitt, sur l'irritabilité, page 263.

Après tout ce que nous venons d'exposer, il est évident 1°. que l'irritabilité en ce qu'elle a de réel et d'essentiel, était connue des anciens ; 2°. qu'il faut dater de plus d'un siècle les premiers travaux qui ont concouru à la fondation de la méthode systématique qu'on nous présente aujourd'hui. Tout lecteur impartial en jugera sans-doute de même, et il est bien étonnant que M. Tissot, d'ailleurs si louable par l'attachement qu'il témoigne pour le célèbre M. de Haller, veuille nous persuader que c'est véritablement M. de Haller qui a découvert et mis dans tout son jour l'irritabilité, p. 11. du discours préliminaire à la traduction des mémoires sur l'irritabilité et la sensibilité.

Il parait donc qu'on ne peut trouver à M. de Haller des droits sur l'irritabilité, que dans la partie systématique dont, à la vérité, il a excessivement étendu et défriché en beaucoup d'endroits, le terrain déjà manié avec économie par Glisson et quelques autres. Si c'est-là une propriété que M. Tissot reclame en faveur de son illustre maître, nous convenons qu'on ne saurait la lui refuser. Les limites respectives ainsi réglées, parcourons cette nouvelle édition, s'il est permis de le dire, du territoire systématique de l'irritabilité, que nous venons reconnaître appartenir à M. de Haller.

M. de Haller établit d'abord sa théorie sur un appareil effrayant de ses propres expériences et de celles de quelques-uns de ses disciples. Conduit, comme il l'annonce lui-même, par l'envie de contribuer à l'utilité du genre humain, il n'est point d'instrument de douleur, point de stimulus qu'il n'ait employé à varier les tourments d'un nombre infini d'animaux qui ont été soumis à ses recherches, pour en arracher des preuves en faveur de la vérité. Il résulte des travaux de cet homme célèbre une division des parties du corps en parties sensibles, insensibles, irritables, aïrritables, et en parties qu'on pourrait appeler mixtes, c'est-à-dire, qui sont tout-à-la-fais sensibles et irritables. Son traducteur, M. Tissot, a même porté ses soins pour la commodité du lecteur, jusqu'à dresser une table dans laquelle chaque partie du corps humain est rangée d'après l'une des propriétés énoncées dont on a fait autant de classes ; ainsi, par exemple, le cerveau, les nerfs, les muscles, etc. sont dans la classe des sensibles ; les membranes tant celles qui enveloppent les viscères, que celles des articulations, la dure-mère, les ligaments, le périoste, etc. dans la classe des insensibles, le diaphragme, l'estomac, les intestins, etc. dans celle des irritables ; les nerfs, l'épiderme, les artères, les veines, le tissu cellulaire dans les aïrritables ; enfin dans la classe des mixtes, on trouve un peu de tout, c'est-à-dire, les parties qui ont des nerfs, des fibres musculeuses, le cœur, le canal alimentaire, etc. Ce petit précis doit nous suffire pour découvrir manifestement les usurpations faites sur l'âme sensitive par l'irritabilité dont M. de Haller prétend faire un être absolument distinct et indépendant.

Nous ne pensons pas devoir employer de nouvelles raisons à réfuter le paradoxe de M. de Haller : après celle que nous avons donné de l'indivisibilité de ces deux effets de l'âme sensible, il est assurément tout naturel de penser que les agens employés à irriter une partie, n'étant, par leur action, que cause occasionnelle de sa mobilité, il faut nécessairement que cette action soit perçue ou sentie par la partie, et qui plus est, appropriée au sentiment de cette même partie ; et quelle autre puissance animale que la sensibilité pourra être le juge des corps sensibles appliqués à un corps vivant ? Le tact qu'est-il, sinon le satellite universel de l'âme sensitive ? Il semble que cela n'a pas besoin d'une plus grande démonstration. Voyez encore l'exercitation 57 d'Harvée.

Quant au plus ou au moins de sensibilité que M. de Haller a reconnu dans les différents organes, c'est, avons-nous dit, une suite nécessaire de leur organisation qui est comme spécifiée dans chacune d'eux par une quantité de tissu cellulaire, et la manière dont ce tissu y est employé, par leur consensus avec les organes voisins, par leur situation, et une multitude infinie d'autres circonstances qu'on peut se représenter. Du reste, on doit se rappeler que tous ces organes sont essentiellement formés par les nerfs ; et à l'égard des membranes, elles sont pour la plupart ou d'une substance toute nerveuse, ou animée en quelques endroits par des rameaux nerveux plus ou moins clairsemés, qui s'étendent dans le tissu même de la membrane, ou qui rampent sur ses vaisseaux ; nous en avons pour preuve l'inflammation qui y survient quelquefois. Les membranes du foetus que M. de Haller donne pour irritables sur la simple autorité de Lups, reçoivent vraisemblablement des nerfs du cordon ombilical, ainsi que le soupçonne M. Whitt.

Une erreur non moins considérable encore, et contre laquelle nous croyons qu'on ne saurait être assez prévenu, c'est la faculté aïrritable que M. de Haller accorde au tissu cellulaire, en sorte que ce qu'il y a de vraiment actif dans le corps humain, est confondu avec ce qu'il y a de passif. Nous avons assez clairement exposé, en parlant de la formation, ce qui est purement physique d'avec ce qui est animal dans le corps, pour faire sentir l'inconvénient qu'il y aurait à ne pas distinguer ces deux choses, lorsqu'on expose les parties des animaux à l'action des acides, ou de tel autre agent. Encore une fais, tout ce qui est susceptible d'irritation est dépendant du principe vital ou sensitif. Or on ne saurait reconnaître dans le tissu cellulaire qu'une disposition au desséchement, et à l'adhérence qui lui est commune avec tous les corps muqueux, et un mouvement emprunté de l'action des parties sensibles, etc. ainsi, placer dans une classe de propriétés le nerf au même rang que le tissu cellulaire, c'est y placer l'être à côté du néant. Toutes ces raisons s'opposent encore d'elles-mêmes à ce que le signe de l'irritabilité soit dans le gluten de nos parties, ainsi que le prétend M. de Haller : il y a plus ; ce savant auteur semble se contredire lui-même dans cette prétention ; car toutes nos parties étant liées par ce gluten, toutes devraient être susceptibles d'irritabilité, comme le remarque M. Whitt ; cependant dans le système de M. de Haller, la plupart sont privées de cette faculté.

C'est en vain qu'on voudrait argumenter des expériences de M. de Haller pour défendre son système. Cet appareil imposant de faits, quelqu'exacts, quelque vrais qu'ils puissent être, ne saurait subsister, pour peu qu'on fasse d'attention à la variété des dispositions dont l'âme sensitive est si fort susceptible, et qui doit nécessairement entraîner celle des produits dans les mêmes procédés et les mêmes circonstances appliquées aux individus d'une même espèce. Voilà la source de cette contradiction qui se trouve entre les expériences de M. de Haller, et les mêmes expériences répétées par MM. Bianchi, Lorri, Lecat, Regis, Robert Whitt, Tandon, habîle anatomiste de Montpellier, et quelques autres. Aussi ces considérations n'ont-elles point échappé à M. Whitt ; il en a tiré autant d'arguments victorieux contre M. de Haller. Voyez les observations sur la sensibilité et l'irritabilité, etc. à l'occasion du mémoire de M. de Haller ; et ce qu'il y a de plus heureux, lorsqu'on a des adversaires de la plus grande réputation à combattre, Hippocrate lui a fourni les premières et les plus fortes armes dans cet aphorisme ; savoir, que de deux douleurs dans différents endroits du corps la plus forte l'emporte sur la moindre : duobus doloribus simul obortis, non in eodem loco, vehementior obscurat alterum. Aphoris. lib. II. n °. 46. Cette maxime est confirmée par l'expérience journalière. Une piquure qui cause une douleur vive fait cesser le hoquet, etc. on ne doit donc pas s'étonner, dit M. Whitt, " qu'après la section des parties plus sensibles, les animaux qu'ouvrait M. de Haller ne donnassent aucun signe de douleur, quand il blessait des parties qui l'étaient moins. "

Lorsqu'on blessera le cœur à un chien après avoir ouvert la poitrine, l'irritation de ce viscère sera toujours moindre, par la plus grande douleur qu'aura d'abord excitée cette ouverture. D'ailleurs, ne serait-il pas nécessaire, comme on l'a déjà dit, pour bien constater l'irritation du cœur, d'appliquer les stimulus dans l'intérieur même des ventricules ? Et en ce cas, pourrait-on compter sur le résultat d'une expérience qui parait susceptible de tant d'inconvénients ? La théorie des centres et des transports de l'activité de l'âme sensible, nous a fourni plusieurs autres exemples du risque qu'il y a de s'en imposer à soi-même dans les épreuves sur les animaux ; tel est celui du malfaiteur dont nous avons parlé d'après van Helmont ; l'observation d'Hoffman sur le retour périodique des coliques néphrétiques, etc. Bianchi a remarqué dans ses vivi-sections l'absence et le retour de la sensibilité, dans l'intervalle de quelques moments, sur une même partie, etc. La crainte dont les animaux sont susceptibles aussi-bien que les hommes, influe singulièrement sur l'exercice de la sensibilité, comme nous l'avons vu. Mais jusqu'où n'iront pas les effets de cette passion sous les couteaux d'un dissecteur ? Voyez de contractilitate et sensibilit. thèses aliquot. D. D. Francisco de Bordeu, Monspelii, etc.

On doit faire encore la plus grande attention au consensus de la peau avec les parties internes, et à celui de tous les organes entr'eux ; par exemple, si après avoir irrité les parties de la région épigastrique, vous portez le stimulus sur une extrémité, ou sur une partie quelconque qui peut être du département de ce centre, la sensibilité que la première irritation aura, pour ainsi dire, toute transportée dans ce foyer général, ne saurait se trouver en assez grande activité dans la partie que vous irritez en second lieu, pour répondre aux agens que vous y employez. Autre exemple du consensus ; dans l'ouverture d'un chien vivant, après avoir fait plusieurs incisions au diaphragme, on a Ve le mésentère suivre les mouvements des lambeaux de ce muscle, et s'élever en forme de gerbe, en entrainant le reste des intestins qui n'étaient pas sortis par l'ouverture. Voyez l'idée de l'homme physique et moral, p. 205. Combien d'observateurs ont vainement tenté d'irriter le mésentère faute de cette attention au consensus de la partie avec le diaphragme ? etc. L'antagonisme des périostes interne et externe entr'eux et avec la peau, les prolongements, les connexions de la dure-mère avec les téguments de la tête et de certains endroits de la face, etc. ne sont-ils pas d'une considération essentielle dans les expériences qui se font dans la vue de reconnaître la sensibilité de ces parties ? Ajoutez à ces raisons l'impression de l'air externe sur une partie mise entièrement à nud, suivant la méthode que prescrit M. de Haller, page 108 de son mémoire, l'altération graduelle qu'elle éprouve dans la dissection par le progrès de la solution de continuité, etc. la différence qu'il doit y avait entre la sensibilité des animaux et celle de l'homme, il se trouvera qu'il n'y a pas moyen de poser aucun principe sur de pareilles expériences.

L'ulcère fait plus encore sur une partie que les blessures ou les déchirures récentes, il est certain que les humeurs viciées d'une vieille plaie ou d'une vieille tumeur, considérées dans les diverses espèces de dépravation qu'elles peuvent avoir, altéreront considérablement l'organisation d'un tendon ou de tel autre organe, et des parties adjacentes comme la peau, le périoste, etc. dont le bon état de chacun contribue, ainsi qu'il est bien aisé de le penser, à l'exercice de l'âme sensitive. C'est comme un poison qui détruit sourdement le tissu organique qui constituait dans ces parties leur aptitude à la sensibilité ; cette altération peut encore moins se révoquer en doute lorsqu'il y a eu précédemment des escharres. Il n'est donc pas étonnant que le tendon ne se soit pas trouvé sensible dans quelques observations qu'on a communiquées à M. de Haller, ou dans celles qu'il peut avoir fait lui-même ; et que MM. Zimm et Mekel aient trouvé la dure-mère insensible dans un homme à qui la carie avait ouvert le crâne.

Nous ne saurions suivre plus loin M. de Haller dans le détail de son système ; M. Whitt l'a fait pour nous dans l'ouvrage dont nous avons parlé, et dont nous ne pouvons ici que recommander la lecture. En attendant, ce petit nombre de réflexions pourra faire connaître combien les expériences les mieux faites sont insuffisantes pour avancer dans la connaissance d'une matière, dont les objets délicats se dénaturent ou disparaissent sous la main qui cherche à les travailler ; c'est-là un caractère de réprobation attaché à toutes les tentatives humaines de ce genre ; parvenu après de grands efforts aux objets qui paraissent toucher le plus immédiatement la nature, l'observateur le plus heureux se trouve n'avoir que quelques pouces de terrain au-dessus des autres, avantage qui ne peut lui servir qu'à découvrir une plus grande distance du point où il est à celui où il se flattait d'être, et qu'il doit désespérer de pouvoir jamais atteindre. " Combien de choses, disait Séneque, se meuvent dans les ombres d'un secret impénétrable, et dont la connaissance nous sera éternellement dérobée " ? L. annaei Senecae, natur. quaest. lib. VII. Il faut donc nous contenter de quelques formes fugitives que la nature, comme un Prothée qu'on ne saurait forcer, veut bien de temps en temps se laisser surprendre ; et celui-là aura vraiment attrapé le but qui réussira à le mieux saisir. Article de M. FOUQUET, docteur en médecine de la faculté de Montpellier.