S. f. (Anatomie) Le mot dissection pris dans son sens particulier, se dit d'une opération d'Anatomie par laquelle on divise, au moyen de differents instruments propres à cet effet, les parties solides des corps animés dans des cadavres propres à ces usages, pour les considérer chacune à part : d'où il suit que la dissection a deux parties ; la préparation qui doit suivre l'examen, et la séparation. L'examen est une recherche exacte et une étude réfléchie de tout ce qui appartient aux différentes parties du corps humain. Cet examen a pour objet la situation de ces parties, leur figure, leur couleur, leur grandeur, leur surface, leurs bords, leurs angles, leur sommet, leur division, leur connexion, leur tissu, leur structure, leur distinction, leur nombre, etc. Voyez ANATOMIE.

Le but des dissections est différent, suivant les différentes personnes qui les pratiquent, les unes ne cherchant qu'à s'instruire, et d'autres à porter plus loin les connaissances acquises sur les parties solides. La fin des dissections doit être, ou de se procurer des moyens plus surs pour connaître les maladies, ou au moins d'entendre mieux le jeu et la mécanique des parties solides que l'on disseque. La dissection considérée sous ces deux points de vue, demande différentes connaissances sur l'état le plus ordinaire des parties, sur les variétés dont elles sont susceptibles, les espèces de monstruosités dans lesquelles elles dégénèrent, la manière dont elles sont affectées dans les maladies.

Avant qu'on eut autant disséqué qu'on a fait jusqu'à présent, il fallait de nécessité fouiller au hasard dans les cadavres, non-seulement pour connaître la structure des corps animés, mais encore pour s'assurer du désordre que les maladies avaient produit dans les différentes parties qu'elles avaient particulièrement affectées. Aujourd'hui que la description des parties est pour ainsi dire portée à son dernier degré de perfection, qu'on est instruit d'un grand nombre de variétés et de monstruosités dont les parties sont susceptibles, qu'on sait la manière dont différentes maladies peuvent les changer, les altérer, les bouleverser ; rien ne serait plus avantageux pour ceux qui sont obligés par état de faire des dissections, que d'être bien instruits, avant que de s'y livrer, de l'histoire complete des parties solides, soit qu'on la leur fit de vive voix, comme cela devrait se pratiquer chez les démonstrateurs en Anatomie, soit par le moyen de bons traités, de figures exactes, de préparations bien faites, etc. ils auraient alors en bien peu de temps des connaissances, qu'ils n'acquièrent qu'à la longue et imparfaitement par les voies ordinaires. L'Anatomie pour celui qui l'apprend, ne demande que de bons yeux, de l'attention, et de la mémoire, pour celui qui l'enseigne, de l'acquis, de la méthode, et de la simplicité. Raconter ce qu'il y a de plus certain et de mieux connu sur les parties solides ; le faire voir autant qu'il est possible sur des cadavres frais, surtout lorsqu'il est question de la situation et de la figure des parties, ou sur des préparations lorsqu'il n'en veut donner qu'une idée générale ou en développer la structure ; faire sur les animaux vivants les expériences nécessaires pour indiquer ce qu'il y a de connu sur le rôle particulier que chaque partie solide joue dans les corps animés ; indiquer au juste le terme précis des connaissances où on est arrivé, et les moyens que l'on croirait propres à les porter plus loin, etc. voilà ce que devrait faire un démonstrateur en Anatomie. Les usages, les actions, les fonctions des parties, ont des choses communes qui tiennent à des principes généraux, qu'il serait bien plus facîle de développer et de faire entendre quand une fois toutes les parties et leur enchainement seraient bien connus. Les corps animés étant une espèce de cercle dont chaque partie peut être regardée comme le commencement, ou être prise pour la fin, ces parties se répondent, et elles tiennent toutes les unes aux autres. Comment peut on donc supposer, lorsqu'après avoir fait la description d'une partie, on entre dans de grands détails sur ses usages, ses fonctions, ses maladies ; comment peut-on, dis-je, supposer que tous ces usages, ces maladies, puissent être bien entendus de ceux qui n'ont tout au plus qu'une idée fort vague de l'ensemble des parties ? C'est-là ce qui m'a fait toujours penser qu'il serait bien plus avantageux pour le bien de la société, qu'il y eut dans les différents hôpitaux des disséqueurs assez instruits, pour bien préparer toutes les parties ensemble et séparément, sur différents cadavres, et qu'il fût permis à tous ceux qui sont obligés par état, ou que la curiosité porterait à s'instruire, d'aller dans ces endroits, après s'être rempli la mémoire de ce qu'il y a à remarquer sur chaque partie, voir développer ces parties sous leurs yeux, observer par eux-mêmes et reconnaître des vérités, qui par ce moyen leur deviendraient plus familières, c'en serait même assez pour ceux qui ne cherchent point à approfondir ; et je crois qu'ils pourraient se dispenser de travailler eux-mêmes à ces dissections, à moins encore qu'ils ne se destinassent à exercer les opérations chirurgicales, la dissection bien entendue pouvant être un moyen d'acquérir plus de dextérité. En effet, comment peut-on supposer que plusieurs personnes puissent toutes ensemble, comme cela se pratique dans les démonstrations qui se font en public ou en particulier, prendre des idées bien précises sur la figure, la situation, les connexions, le tissu, la structure des parties qu'elles peuvent à peine apercevoir, et qu'on ne leur fait voir que dérangées ; puisqu'il est des parties qu'on ne peut bien découvrir qu'avec de bons yeux, et même lorsqu'on en est près, et que d'ailleurs le gros des parties, ce qu'il y a de plus extérieur, la figure, la situation, sont nécessairement bouleversées dans les préparations dont on se sert pour ces démonstrations ? Ces connaissances générales peuvent avoir leur utilité, pour passer à de plus particulières ; mais sont-elles nécessaires pour y arriver ? C'est ce dont je ne suis point persuadé : l'art de guérir exige tant de connaissances particulières, qu'on ne peut trop s'attacher à abreger les moyens de les acquérir.

Les anciens médecins, pourrait-on dire, quoique peu versés dans ces sortes de dissections, en ont-ils été moins bons guérisseurs ? et même ceux qui de nos jours se sont plus attachés et qui ont suivi de plus près ces dissections, en ont-ils mieux réussi dans la pratique de la Médecine ? Voilà deux difficultés que nous ne pouvons nous arrêter à résoudre ici ; elles demandent trop de discussion, et cela nous conduirait trop loin : les bons juges au reste ne doutent point que toutes choses d'ailleurs égales, ceux qui connaissent mieux le corps humain ne soient plus à portée d'en apercevoir les dérangements : plus cette connaissance est portée loin, plus ces dérangements deviennent sensibles. Ce qu'il y a de constant, c'est que dans les premiers temps de la Médecine, les dissections n'étaient pas assez fréquentes ni assez bien pratiquées, pour qu'on puisse dire qu'elles aient beaucoup influé sur la perfection de la Médecine de ces temps ; aussi est-elle bien défectueuse de ce côté ; et si les anciens médecins ont été regardés et le sont encore de nos jours, comme d'excellents observateurs, la facilité qu'il y aurait à faire voir l'accord de leurs actions, avec ce qu'il y a de connu sur les différentes parties de cet accord, en constaterait la vérité, en ferait apercevoir les défauts, et jusqu'où ces médecins auraient pu aller avec ce genre d'observations, s'ils avaient eu les connaissances nécessaires.

Quoique la coutume d'embaumer les corps morts fût très-ancienne chez les Egyptiens, qu'ils fussent pour cela obligés de les ouvrir, et qu'ils eussent conséquemment occasion d'observer la position de certaines parties ; la dissection grossière qu'ils faisaient de ces corps n'a nullement rapport à celle dont il est question ici ; et on ne peut dire que cette espèce de dissection ait beaucoup contribué à la perfection de leur médecine : il y a cependant tout lieu de présumer qu'Esculape l'égyptien devait en avoir quelques connaissances plus particulières, puisque, comme quelques-uns l'ont cru, toute sa médecine se réduisait presqu'à la chirurgie, et que Podalire et Machaon ses deux fils qui accompagnaient Agamemnon à la guerre de Troie, furent d'un grand secours à l'armée, parce qu'ils guérissaient les blessures en se servant du fer et des médicaments. D'ailleurs, s'il est vrai que Podalire ait pratiqué la saignée, il n'est guère probable qu'il se soit exposé à ouvrir des vaisseaux qu'il ne connaissait pas.

Esculape ayant été mis au rang des dieux, on lui bâtit des temples : toute la Médecine passa en même temps entre les mains des Asclépiades, et ces Asclépiades ont passé pour de grands anatomistes. Voyez ANATOMIE. Dans le temps, dit Galien, que la Médecine était toute renfermée dans la famille des Asclépiades, les pères enseignaient l'Anatomie à leurs enfants, et les accoutumaient dès l'enfance à disséquer des animaux ; en sorte que cela passant de père en fils comme par une tradition manuelle, il était inutîle d'écrire comment cela se faisait, etc. Il parait avec tout cela qu'ils n'ont pas poussé la dissection bien loin. Hippocrate un de leurs descendants, qui est le premier qui nous ait laissé quelqu'écrit sur l'Anatomie, en a traité si superficiellement, qu'il y a tout lieu de présumer qu'il ne s'y était pas beaucoup appliqué. Ce qu'il y a de constant, c'est qu'avant Erasistrate et Hérophile, on n'avait pas disséqué de corps humains comme ils le firent ; et c'est aux connaissances que leur procurèrent les dissections, qu'ils dû.ent sans-doute une grande partie des succès qu'ils eurent dans la pratique de la Médecine ; c'est ce que confirme assez l'histoire de ces deux grands médecins.

Dans quelqu'état qu'ait été la dissection jusqu'à Galien, il est sur que ses écrits sur les administrations anatomiques sont les premiers qui soient parvenus jusqu'à nous, ceux de Dioclès n'y étant pas arrivés. Il composa d'abord ces administrations pour Boètius consul romain, qui l'en pria avant son départ de Rome où il avait appris de lui l'Anatomie. Galien lui donna effectivement un traité en deux livres, et quelques autres ouvrages : mais comme dans la suite Galien ne put recouvrer cette copie ni celle qu'il avait à Rome, il en composa de nouveau quinze autres livres, dont nous ne connaissons que neuf. Thomas Bartholin dit cependant qu'il y a une traduction en arabe des six autres. L'ordre que suit Galien est admirable ; et s'il n'a pas toute l'exactitude qu'on pourrait désirer ; c'est au temps qu'il faut s'en prendre : du reste on peut le regarder comme le premier qui ait rompu la glace ; et Vésale sans Galien n'eut probablement pas été un aussi grand anatomiste.

On trouve dans la plupart des anatomistes qui ont écrit depuis Galien jusqu'à Vésale, des énoncés généraux sur la manière de découvrir les parties ; car c'était là leur façon de l'enseigner : après avoir découvert telle partie et l'avoir ôtée, on en découvre telle autre, etc. Voyez Mundini, Massa, Carpi, Alexander, Benedictus, etc. Il serait à souhaiter qu'on s'assujettit à cette méthode plus qu'on ne fait de nos jours ; car c'est la plus essentielle pour la pratique de la Médecine.

Vésale, ce génie formé pour se frayer de nouvelles routes, en dégageant, pour ainsi dire, la description des parties de la manière de les découvrir, a ajouté dans son ouvrage, à la fin de la description de chaque partie, la manière de s'y prendre pour la devoiler par le moyen de la dissection. C'est aussi ce qu'a fait Charles Etienne, et ce qu'aurait probablement fait Eustachi, s'il eut donné lui-même l'explication de ses planches anatomiques.

On a dans la suite reconnu si unanimement l'utilité de l'Anatomie, qu'on imagina différents moyens de découvrir les parties, soit par rapport à leur ensemble, leur structure, leur action, etc. par le moyen des injections, de la transfusion, des ligatures, des microscopes, de différentes préparations, etc. Voyez les articles INJECTION, TRANSFUSION, MICROSCOPE, PREPARATION. C'est sans-doute à cette émulation que sont dû. les différents traités qui parurent dans la suite sur la dissection : la brieve collection de l'administration anatomique d'Ambraise Paré ; la manière de préparer le cerveau par Varole, Sylvius, Willis, Duncan, Hebenstreit ; ce qu'ont dit Carcanus, Hilden, Halicot, sur la dissection des parties dans leur traité d'Anatomie ; le manual of dissection d'Alexandre Read ; le bon traité de Lyser sur la manière de disséquer les cadavres humains ; l'excellent ouvrage de Cassebohm sur la manière de disséquer, imprimé en allemand à Berlin en 1746 ; ce qu'a dit M. Lieutaud sur la manière de préparer les différentes parties, dans ses essais d'Anatomie ; ce qu'en a rapporté Mischer, dans ses institutions anatomiques ; l'anthropotomie, ou l'art de disséquer toutes les parties solides du corps humain, de les préparer, de les conserver préparées, etc. avec figures, à Paris, chez Briasson, 1750 ; nous conseillons ce dernier ouvrage comme le plus complet en ce genre, et nous y renvoyons pour y trouver ce qui concerne le manuel de la dissection, la manière de préparer chaque partie, etc. (L)