S. m. (Histoire ecclésiastique) quadragesima, temps de pénitence, pendant lequel on jeune quarante jours, pour se préparer à célébrer la fête de Pâque. Voyez JEUNE.

Anciennement dans l'église latine, le carême n'était que de trente-six jours. Dans le cinquième siècle, pour imiter plus précisément le jeune de quarante jours que Jesus-Christ souffrit au désert, quelques-uns ajoutèrent quatre jours ; et cet usage, a été suivi dans l'Occident, si l'on excepte l'église de Milan, qui a conservé l'ancien usage, de ne faire le carême que de trente-six jours.

Suivant S. Jérôme, S. Léon, S. Augustin, et plusieurs autres, le carême a été institué par les apôtres. Voici comment ils raisonnent. Tout ce que l'on trouve établi généralement dans toute l'Eglise, sans en voir l'institution dans aucun concile, doit passer pour un établissement fait par les apôtres : or tel est le jeune du carême. On n'en trouve l'institution dans aucun concîle ; au contraire, le premier concîle de Nicée, celui de Laodicée, aussi-bien que les PP. grecs et latins, surtout Tertullien, parlent du carême comme d'une chose générale et très-ancienne.

Calvin, Chemnitius, et les Protestants prétendent que le jeune du carême a été d'abord institué par une espèce de superstition, et par des gens simples qui voulurent imiter le jeune de Jesus-Christ. Ils prétendent prouver ce fait par un mot de S. Irénée, cité par Eusebe : preuve très-foible, ou pour mieux dire de nulle valeur, quand on a contre elle le témoignage constant de tous les autres pères, et la pratique de l'Eglise universelle.

D'autres disent que ce fut le pape Telesphore qui l'institua vers le milieu du second siècle ; d'autres conviennent que l'on observait à la vérité le carême dans l'église, c'est-à-dire un jeune de quarante jours avant Pâques, du temps des apôtres ; mais que c'était volontairement, et qu'il n'y eut de loi que vers le milieu du troisième siècle. Le précepte ecclésiastique quand il serait seul, formerait une autorité que les réformateurs auraient dû respecter, s'ils avaient moins pensé à introduire le relâchement dans les mœurs, que la réforme.

Les Grecs différent des Latins par rapport à l'abstinence du carême : ils le commencent une semaine plutôt, mais ils ne jeunent point les samedis comme les Latins, excepté le samedi de la semaine-sainte.

Les anciens moines latins faisaient trois carêmes ; le grand, avant Pâques ; l'autre, avant Noë, qu'on appelait de la S. Martin ; et l'autre de S. Jean Baptiste, après la Pentecôte, tous les trois de quarante jours.

Outre celui de Pâques, les Grecs en observaient quatre autres qu'ils nommaient les carêmes des apôtres, de l'Assomption, de Noë, et de la Transfiguration : mais ils les réduisaient à sept jours chacun ; les Jacobites en font un cinquième, qu'ils appellent de la pénitence de Ninive ; et les Maronites six, y ajoutant celui de l'exaltation de la Sainte-Croix.

Le huitième canon du concîle de Tolede ordonne que ceux qui, sans une nécessité évidente, auront mangé de la chair pendant le carême, n'en mangeront point pendant toute l'année, et ne communieront point à Pâques.

Quelques-uns prétendent que l'on jeune les quarante jours que dure le carême, en mémoire du déluge, qui dura autant de temps, d'autres, des quarante années pendant lesquelles les Juifs errèrent dans le désert ; d'autres veulent que ce soit en mémoire des quarante jours qui furent accordés aux Ninivites pour faire pénitence ; les uns, des quarante coups de fouets que l'on donnait aux malfaiteurs pour les corriger ; les autres, des quarante jours de jeune que Moyse observa en recevant la loi, ou des quarante jours que jeuna Elie, ou enfin des quarante jours de jeune qu'observa Jesus-Christ.

La discipline de l'Eglise s'est insensiblement relâchée sur la rigueur et la pratique du jeune pendant le carême. Dans les premiers temps, le jeune dans l'église d'Occident consistait à s'abstenir de viandes, d'œufs, de laitage, de vin, et à ne faire qu'un repas vers le soir : quelques-uns seulement prétendant que la volaille ne devait pas être un mets défendu, parce qu'il est dit dans la Genèse que les oiseaux avaient été crées de l'eau, aussi-bien que les poissons, se permirent d'en manger ; mais on réprima cet abus. Dans l'église d'Orient le jeune a toujours été fort rigoureux ; la plupart ne vivaient alors que de pain et d'eau avec des légumes. Avant l'an 800 on s'était déjà beaucoup relâché, par l'usage du vin, des œufs et des laitages. D'abord le jeune consistait à ne faire qu'un repas le jour, vers le soir après les vêpres ; ce qui s'est pratiqué jusqu'à l'an 1200 dans l'église latine. Les Grecs dinaient à midi, et faisaient collation d'herbe et de fruits vers le soir dès le sixième siècle. Les Latins commencèrent dans le treizième à prendre quelques conserves pour soutenir l'estomac, puis à faire collation le soir. Ce nom a été emprunté des religieux, qui après souper allaient à la collation, c'est-à-dire à la lecture des conférences des saints pères, appelées en latin collationes, après quoi on leur permettait de boire aux jours de jeune de l'eau ou un peu de vin, et ce leger rafraichissement se nommait aussi collation. Le diner des jours de carême ne se fit cependant pas tout-d'un coup à midi. Le premier degré de changement fut d'avancer le souper à l'heure de none, c'est-à-dire à trois heures après midi : alors on disait none, ensuite la messe, puis les vêpres, après quoi l'on allait manger. Vers l'an 1500, on avança les vêpres à l'heure de midi ; et l'on crut observer l'abstinence prescrite, en s'abstenant de viande pendant la quarantaine, et se réduisant à deux repas, l'un plus fort, et l'autre très-leger sur le soir. On joignait aussi au jeune du carême la continence, l'abstinence des jeux, des divertissements et des procès. Il n'est pas permis de marier sans dispense pendant le carême. Thomassin, traité historique et dogmatique des jeunes. (G)