S. m. pl. (Histoire ecclésiastique) sectaires qui parurent dans le christianisme au commencement du douzième siècle ; nous ne pouvons mieux tracer en peu de mots leur origine, leurs sentiments, et leurs persécutions, que d'après l'auteur philosophe de l'essai sur l'histoire générale.

Les horreurs, dit-il, qui se commirent dans les croisades ; les dissensions des papes et des empereurs, les richesses des monastères, l'abus que tant d'évêques faisaient de leur puissance temporelle, révoltèrent les esprits, et leur inspirèrent dès le commencement du douzième siècle, une secrète indépendance, et l'affranchissement de tant d'abus. Il se trouva donc des hommes dans toute l'Europe, qui ne voulurent d'autres lois que l'Evangile, et qui préchèrent à-peu-près les mêmes dogmes que les Protestants embrassèrent dans la suite. On les nommait Vaudais, parce qu'il y en avait beaucoup dans les vallées de Piémont ; Albigeais, à cause de la ville d'Albi ; Bons-hommes, par la régularité et la simplicité de leur conduite ; enfin Manichéens, nom odieux qu'on donnait alors en général à toutes sortes d'hérétiques. On fut étonné vers la fin de ce même siècle, que le Languedoc fût tout rempli de Vaudais.

Leur secte était en grande partie composée d'une bourgeoisie réduite à l'indigence, tant par le long esclavage dont on sortait à peine, que par les croisades en terre-sainte. Le pape Innocent III. délégua en 1198. deux moines de Citeaux pour juger les hérétiques, et nomma un abbé du même ordre pour faire à Toulouse les fonctions de l'évêque. Ce procedé indigna le comte de Foix et tous les seigneurs du pays, qui avaient déjà gouté les opinions des réformateurs, et qui étaient également irrités contre la cour de Rome. L'abbé de Citeaux parut avec l'équipage d'un prince ; ce qui ne contribua que davantage à soulever les esprits. Pierre de Castelnau, autre inquisiteur, fut accusé de se servir des armes qui lui étaient propres, en soulevant secrétement quelques voisins contre le comte de Toulouse, et en suscitant une guerre civîle ; cet inquisiteur fut assassiné en 1207, et le soupçon tomba sur le comte.

Le pape forma pour lors la croisade contre les Vaudais ou Albigeais ; on en sait les événements. Les croisés égorgèrent les habitants de la ville de Béziers, réfugiés dans une église ; on poursuivit par le fer et le feu les Vaudais qui osèrent se défendre ; au siege de Lavaur on fit prisonniers quatre-vingt gentils-hommes que l'on condamna tous à être pendus ; mais les fourches patibulaires étant rompues, on abandonna les captifs aux croisés qui les massacrèrent ; on jeta dans un puits la sœur du seigneur de Lavaur, et on brula autour du puits trois cent habitants qui ne voulurent pas renoncer à leurs opinions. Les évêques de Paris, de Lizieux, de Bayeux, étaient accouru au siege de Lavaur pour gagner des indulgences.

Rien n'est si connu des amateurs de recherches, que les vers provençaux sur les Vaudais de ce temps-là.

Que non volia maudir, ne jurar, ne mentir,

N'occir, ne avourar, ne prenre de altrui,

Ne stavengar de li suo ennemi,

Los dizons qu'és Vaudez, et los fezons morir.

Ces vers sont d'autant plus curieux, qu'ils nous apprennent les sentiments des Vaudais. Enfin la fureur de la croisade s'éteignit, mais la secte subsista toujours, faible, peu nombreuse, et cachée dans l'obscurité, pour renaître quelques siècles après, avec plus de force et d'avantage.

Ceux qui restèrent ignorés dans les vallées incultes qui sont entre la Provence et le Dauphiné, défrichèrent ces terres stériles, et par des travaux incroyables, les rendirent propres au grain et au pâturage. Ils prirent à cens les héritages des environs, et enrichirent leurs seigneurs. Ils furent pendant deux siècles dans une paix tranquille, qu'il faut attribuer uniquement à la lassitude de l'esprit humain, après qu'il s'est longtemps emporté au zèle affreux de la persécution.

Les Vaudais jouissaient de ce calme, quand les réformateurs de Suisse et d'Allemagne apprirent qu'ils avaient des frères en Languedoc, en Dauphiné, et dans les vallées de Piémont ; aussi-tôt ils leur envoyèrent des ministres, on appelait de ce nom les desservants des églises protestantes : alors ces Vaudais furent trop connus, et de nouveau cruellement persécutés, malgré leur confession de foi qu'ils dédièrent au roi de France.

Cette confession de foi portait qu'ils se croyaient obligés de rejeter le baptême des petits-enfants, parce qu'ils n'ont pas la foi ; de penser qu'il ne faut point adorer la croix, puisqu'elle avait été l'instrument de la passion de Jesus-Christ ; que dans l'eucharistie le pain demeurait pain après la consécration, et que l'on fait tort à Dieu quand l'on dit que le pain est changé au corps de Christ ; qu'ils ne reconnaissaient que deux sacrements, savoir le baptême et la cêne ; qu'ils ne priaient point pour les morts ; que le pape ni les prêtres n'ont point la puissance de lier et de délier ; qu'il n'y a d'autre chef de la foi que notre Sauveur ; qu'il est impie à tout homme sur la terre de s'attribuer ce privilège ; enfin qu'aucune église n'a le droit de maitriser les autres.

La réponse qu'on fit à cette confession de foi fut d'en traiter les sectateurs d'hérétiques obstinés, et de les condamner au feu. En 1540, le parlement de Provence décerna cette peine contre dix-neuf des principaux habitants du bourg de Mérindol, et ordonna que leurs bois seraient coupés, et leurs maisons démolies.

Les Vaudais effrayés députérent vers le cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, qui était alors dans son évêché. Cet illustre savant, vrai philosophe puisqu'il était humain, les reçut avec bonté et intercéda pour eux ; Langeai, commandant en Piémont, fit surseoir l'exécution ; François I. leur pardonna à condition qu'ils abjureraient ; on n'abjure guère une religion sucée avec le lait, et à laquelle on sacrifie les biens de ce monde ; leur résolution d'y persister irrita le parlement provençal, composé d'esprits ardents. Jean Meynier d'Oppede, alors premier président, le plus emporté de tous, continua la procédure.

Les Vaudais enfin s'attroupèrent ; d'Oppede aggrava leurs fautes auprès du roi, et obtint permission d'exécuter l'arrêt ; il fallait des troupes pour cette exécution ; d'Oppede, et l'avocat général Guerin, en prirent. Il parait évident que ces malheureux Vaudais, appelés par le déclamateur Maimbourg, une canaille revoltée, n'étaient point du tout disposés à la révolte, puisqu'ils ne se défendirent pas, et qu'ils se sauvèrent de tous côtés, en demandant miséricorde ; mais le soldat égorgea les femmes, les vieillards, et les enfants qui ne purent fuir assez tôt. On compta vingt-deux bourgs mis en cendres ; et lorsque les flammes furent éteintes, la contrée auparavant florissante, fut un désert aride. Ces exécutions barbares donnèrent de nouveaux progrès au calvinisme ; le tiers de la France en embrassa les sentiments. Essai sur l'hist. géner. tom. II. III. et IV. (D.J.)