S. f. (Théologie) vient du verbe conterere, qui signifie broyer, briser. C'est une métaphore empruntée des corps, pour marquer l'état d'une âme que son repentir déchire et pénètre de la plus vive douleur : ce que les coups redoublés d'un marteau font sur le fer pour l'amollir, la douleur le fait, pour ainsi dire, sur l'âme pour la convertir.

Ce terme est affecté à la religion, pour exprimer le sentiment de l'âme qui revient de ses égarements, et qui passe de l'état du péché à celui de la grâce ; et il est consacré par le langage des Ecritures : Scindite corda vestra, Joèl, XIe vers. 13. Cor contritum et humiliatum Deus non despicies. Psaumes 50.

Le concîle de Trente, sess. 14. ch. IVe définit ainsi la contrition en général : Contritio est animi dolor ac detestatio de peccato commisso, cum proposito non peccandi de caetero ; définition qui convient à la contrition, telle qu'elle a été nécessaire dans tous les temps pour obtenir la remission des péchés. Mais sous la loi évangélique elle exige de plus le vœu de remplir tout ce qui est nécessaire pour recevoir dignement le sacrement de pénitence. C'est ce que les anciens scolastiques ont exprimé par cette définition rapportée dans S. Thomas, part. III. quest. j. art. 1. in corpor. Contritio est dolor de peccato assumptus, cum proposito confitendi et satisfaciendi.

Luther s'est étrangement écarté de ces notions, quand il a réduit la pénitence à cette maxime, optima poenitentia nova vita. Il prenait la partie pour le tout ; et selon lui, nulle contrition pour le passé, nulle nécessité de s'accuser de sa faute. Il était aisé de lui opposer une foule d'autorités, et entr'autres ces paroles de S. Augustin à Sévère, Ep. 63. Quasi non dolenda sint quae male gesta sunt, etiamsi quantum possunt, postea corrigantur. Et celles-ci du même père, serm. 351. Non sufficit mores in melius mutare et à factis malis recedere, nisi etiam de his quae facta sunt, satisfiat per poenitentiae dolorem, per humilitatis gemitum, per contriti cordis sacrificium. Le concîle de Trente, sess. 14. canon Ve a condamné expressément cette erreur de Luther.

Les conditions ou propriétés de la contrition en général sont qu'elle soit libre, surnaturelle, vraie et sincère, vive et véhémente.

Elle doit être libre ; c'est un acte de la volonté, et non un sentiment extorqué par les remords de la conscience, comme l'a enseigné Luther, qui a prétendu que la crainte des peines éternelles et la contrition, loin de disposer l'homme à la grâce, ne servaient qu'à le rendre hypocrite et pécheur de plus en plus : doctrine affreuse reprouvée par le concîle de Trente, sess. 14. canon Ve

Elle doit être surnaturelle, tant à raison de la grâce, sans le secours de laquelle on ne peut avoir de véritable contrition de ses péchés, qu'à raison du motif qui l'excite. Quelques casuistes relâchés ayant avancé que l'attrition conçue par un motif naturel, pourvu qu'il soit honnête, suffit dans le sacrement de pénitence, l'assemblée générale du clergé de France en 1700 censura cette proposition, comme hérétique.

La contrition doit être vraie et sincère : une contrition fausse, mais qu'on croirait vraie, ne serait nullement suffisante, ni pour recevoir la grâce du sacrement, ni pour recevoir le sacrement même.

Enfin elle doit être vive et véhémente, soit quant à l'appréciation, c'est-à-dire, quant à la disposition du cœur, de préférer Dieu à tout, et d'aimer mieux mourir que de l'offenser ; soit quant à l'intention ou à la vivacité du sentiment qui porte l'âme vers Dieu, et qui l'éloigne du péché ; soit quant à l'extension ou à l'universalité : car la contrition, pour être bonne, doit s'étendre à tous les péchés qu'on a commis, sans en excepter aucun.

La contrition est nécessaire pour le péché ; elle est de précepte. Mais quand ce précepte oblige-t-il ? C'est un point sur lequel l'Eglise n'a rien décidé. Le sentiment le plus sur dans la pratique, est qu'il faut détester le péché dès qu'on l'a commis, et s'en purifier le plutôt qu'il est possible par le sacrement de pénitence.

Voilà ce que la plus saine partie des Théologiens enseigne sur la contrition en général ; et il n'y a guère de partage d'opinions à cet égard, si ce n'est de la part des auteurs relâchés, dont les opinions ne font pas la loi.

Tous les Théologiens distinguent encore deux sortes de contrition ; l'une qu'ils appellent parfaite, et qui retient le nom de contrition ; l'autre imparfaite, et qu'ils nomment attrition.

La contrition parfaite est celle qui est conçue par le motif de l'amour de Dieu ou de la charité proprement dite ; et elle suffit pour reconcilier le pécheur avec Dieu, même avant la réception actuelle du sacrement de pénitence, mais toujours avec le vœu ou le désir de recevoir ce sacrement ; vœu ou désir que renferme la contrition parfaite. Ce sont les termes du concîle de Trente, sess. 14. ch. IVe

Selon le même concile, l'attrition ou la contrition imparfaite est une douleur et une détestation du péché, conçue par la considération de la laideur du péché, ou par la crainte des peines de l'enfer ; et le concîle déclare que, si elle exclut la volonté de pécher, et si elle renferme l'espérance du pardon, non-seulement elle ne rend point l'homme hypocrite et plus pécheur qu'il n'était (comme l'avait avancé Luther), mais qu'elle est même un don de Dieu et un mouvement du S. Esprit, qui n'habite pas encore à la vérité dans le pénitent, mais qui l'excite à se convertir. Le concîle ajoute que, quoique l'attrition par elle-même, et sans le sacrement de pénitence, ne puisse justifier le pécheur, elle le dispose cependant à obtenir la grâce de Dieu dans le sacrement de pénitence. Id. ibid. Voyez ATTRITION.

Il est bon d'observer ici d'après Estius et le P. Morin, que le terme d'attrition a été inconnu à la première antiquité, qu'il doit sa naissance aux scolastiques, et qu'on ne le trouve dans aucun écrit en matière de doctrine avant Alexandre de Halès, Guillaume de Paris, et Albert le grand ; c'est-à-dire qu'il a commencé à être usité après l'an 1220, un peu plus d'un siècle après l'origine de la théologie scolastique.

C'est surtout depuis le concîle de Trente qu'on a vivement disputé sur les limites qui séparent la contrition d'avec l'attrition : c'est ici que commencent les divisions théologiques. Les uns prétendent que le passage de l'attrition à la contrition se fait par des nuances imperceptibles, à peu-près comme dans la peinture on passe d'une couleur à l'autre ; que la contrition ne diffère de l'attrition que par la vivacité de la douleur, qui, pour mériter ce nom, doit être portée jusqu'à un certain degré connu de Dieu seul ; de sorte que ces deux sentiments d'un cœur repentant ne diffèrent entr'eux, que par le plus ou moins de douleur qui les accompagne. Les autres ne mesurent point leur différence par les degrés de douleur qui rendent ces deux sentiments plus ou moins vifs, mais par le motif qui s'unit à la douleur : si la crainte des peines de l'enfer, ou cette honte qui suit le péché, animent la douleur, dès-lors elle n'est qu'une simple attrition, quel que soit l'excès du sentiment qui pénétre l'âme. Mais ce motif est-il l'amour de Dieu ? dès-lors la douleur que cet amour échauffe devient contrition.

Ceux qui se déclarent pour le premier sentiment, reconnaissent que l'attrition est mêlée de quelqu'amour de Dieu ; et c'est en l'envisageant sous cet aspect, qu'ils soutiennent qu'elle suffit avec le sacrement pour nous reconcilier avec Dieu. Mais ils ne pensent pas tous de la même manière sur l'amour, Leur division a sa source dans le passage du concîle de Trente, où il est dit que la contrition parfaite justifie toujours le pécheur, même avant qu'il reçoive le sacrement, quoique cette reconciliation soit attachée au vœu de le recevoir. Voici le passage en original : Circa contritionem perfectam duo docet sacro-sancta synodus : primum contingère aliquando eam charitate perfectam esse, hominemque Deo reconciliare, priusquam sacramentum poenitentiae actu suscipiatur : alterum, reconciliationem hanc ipsi contritioni, sine sacramenti voto, quod in illâ includitur, non esse adscribendam.

Il est vrai que quelques théologiens rigoristes ont chicané sur cet adverbe aliquando qu'on lit dans le texte du concile, et qu'ils en ont inféré que la justification n'était point attachée à la contrition parfaite, mais qu'elle ne l'accompagnait que dans quelques circonstances, telle que serait celle où un homme prêt à expirer, sans pouvoir se procurer le sacrement, trouverait alors sa justification dans le seul sentiment d'un cœur contrit et humilié. Mais il est clair que ces théologiens n'ont nullement saisi le sens du concile, puisqu'il est évident par le texte même, que l'adverbe aliquando, dont ils se prévalent ici pour autoriser leur sentiment, tombe sur la contrition, qui rarement est parfaite dans ceux qui s'approchent du sacrement, et nullement sur la justification, qu'elle produit toujours indépendamment même du sacrement.

Ce passage a produit parmi ceux qui tiennent pour l'amour dans le sacrement de pénitence, deux sentiments opposés sur le motif qui constitue la contrition parfaite et la contrition imparfaite. Les uns font dépendre la perfection de la contrition des degrés de l'amour, et les autres de l'amour même dans quelque degré qu'il sait, plus ou moins parfait, suivant le motif qui l'anime. Les premiers ne reconnaissent qu'une sorte d'amour, qu'ils appellent charité, et ils prétendent qu'il ne justifie le pécheur avant le sacrement, que lorsqu'il est parvenu à un certain degré d'ardeur, que Dieu a marqué pour la justification, et sur lequel il ne lui a pas plu de nous instruire, pour nous tenir continuellement dans la crainte et dans le tremblement. Les autres, outre cet amour de charité, en admettent un autre qu'ils lui subordonnent, et qu'ils nomment amour d'espérance ou amour de concupiscence. Le premier, disent-ils, nous fait aimer Dieu pour lui-même ; le second nous le fait aimer pour notre propre bonheur, que nous ne trouvons, il est vrai, que dans la jouissance de cet Etre suprême : le premier, selon ces théologiens, tire de la noblesse de son motif la perfection qu'il communique à la contrition, et qui la rend justifiante, sans le secours du sacrement : le second au contraire anime l'attrition, et opére avec le sacrement.

On a accusé M. Tournely et M. Languet archevêque de Sens, d'avoir imaginé cette distinction des deux amours. Mais on en trouve des traces assez fortes dans S. Thomas, dont voici les paroles. Secunda secundae quest. 17. Spes et omnis appetitivus motus ex amore derivatur.... amor autem quidam est perfectus ; quidam imperfectus. Perfectus quidem amor est quo aliquis secundum se amatur.... imperfectus amor est quo quis aliquid amat non secundùm ipsum, sed ut illud bonum sibi proveniat, sicut homo amat rem quam concupiscit. Primus autem amor pertinet ad charitatem quae inhaeret Deo secundum se ipsum. Sed spes pertinet ad secundum amorem, quia ille qui sperat sibi aliquid obtinere intendit. Et ideo in viâ generationis spes est prior charitate.... Spes introducit ad charitatem, in quantum aliquis sperants remunerari à Deo, accenditur ad amandum Deum, et servandum preceptum ejus.

Ce système n'est donc pas d'imagination ; il est fondé. Mais voici probablement l'avantage qu'en ont voulu tirer le professeur de Sorbonne et l'archevêque de Sens, pour la consolation des âmes timorées. Ils marchaient entre deux écueils : d'un côté le concîle de Trente a reconnu que la contrition est parfaite, quand elle est animée par la charité proprement dite ; d'un autre il exige aussi-bien que le clergé de France assemblé en 1700, que ceux qui se disposent à recevoir les sacrements, et surtout celui de pénitence, commencent à aimer Dieu comme source de toute justice. Il faut donc pour l'attrition un amour distingué de la charité proprement dite, qui est le motif spécifique de la contrition parfaite. Or l'amour d'espérance est un véritable amour distingué de la charité proprement dite : donc il peut constituer l'attrition ; et cela d'autant mieux qu'en s'éloignant par-là du rigorisme qui exige la contrition parfaite, ils s'écartaient également du relâchement qui ne demande nul amour. Car les casuistes relâchés ayant avancé cette proposition : Attritio ex gehennae metu sufficit etiam sine ullâ Dei dilectione, l'assemblée du clergé de 1700 déclare : Neque vero satis adimpleri potest utrique sacramento necessarium vitae novae inchoandae ac servandi mandat a divina propositum, si poenitens primi ac maximi mandati, quo Deus toto corde diligitur, nullam cur am gerat. Le clergé exige donc aussi quelque amour : mais est-ce un amour de charité proprement dite, est-ce un amour d'espérance ? C'est ce que ni le concîle ni le clergé de France ne décident ; et il me semble que dans une pareille indécision des théologiens qui proposent un sentiment probable et éloigné des excès, sont beaucoup moins suspects que ceux qui, par prévention pour la doctrine outrée ou relâchée, demandent pour la reception du sacrement des dispositions angéliques, ou se contentent d'en admettre de purement humaines.

Passons maintenant au sentiment qui donne l'exclusion à l'amour dans l'attrition même qu'on prétend suffisante dans le sacrement de pénitence. Suarez, Canitolus, et Sanchez, ont reconnu que cette opinion n'était ni fort ancienne, ni fort commune ; mais elle a acquis depuis de nombreux partisans, entr'autres Filiutius, Azor, Tambourin, les PP. Pinthereau et Antoine Sirmond. Nous n'entrerons point à cet égard dans le détail des preuves et des raisons qu'ils ont employées, on peut les voir dans les Provinciales et dans les notes de Wendrock, ou mieux encore dans les écrits de ces casuistes. Nous ne rapporterons qu'un argument des attritionnaires, que nous réfuterons par un raisonnement fort simple.

Si pour obtenir le pardon de nos fautes, disent-ils, il nous est commandé d'aimer Dieu ; quel avantage nous autres Chrétiens, qui sommes les enfants, avons-nous sur les Juifs qui étaient les esclaves ? A quoi sert le sacrement de pénitence, s'il ne supplée pas au défaut de l'amour, et s'il ne nous décharge pas de l'obligation pénible d'aimer Dieu actuellement ?

Il est difficîle de concevoir comment la dispense d'aimer Dieu serait le privilège de la loi évangélique sur la loi judaïque, et comment cette dispense aurait été achetée de tout le sang de Jesus-Christ. On veut que le Juif qui vivait sous une loi plus caractérisée par la crainte que par l'amour, fût obligé d'aimer son Dieu ; et l'on dispensera de cette obligation le Chrétien qui vit sous une loi plus caractérisée par l'amour que par la crainte. Haec est, dit Saint Augustin (lib. contra adimant. Manich. cap. xvij.), haec est brevissima et apertissima differentia duorum testamentorum, timor et amor : illud ad veterem, hoc ad novum hominem pertinet. Ce que le même père explique ainsi dans son ouvrage, de morib. Ecclésiastesiae, c. xxviij. n°. 56. Quanquam utrumque (timor et amor) sit in utroque (Testamento), praevalet tamen in vetère timor, amor in novo. Or, selon les attritionnaires, ce n'est plus le Juif qui est esclave, mais le Chrétien ; puisque l'amour est fait pour le Juif, et la crainte pour le Chrétien. On nous a donc trompés, quand on nous a dit tant de fois que la crainte était l'apanage de la loi judaïque, comme l'amour est l'âme de la loi évangélique. Dans la théologie des attritionnaires, c'est tout le contraire. N'est-il donc pas plus conforme à la doctrine des pères et à la raison, de penser que le même sentiment qui justifie le Chrétien avec le sacrement, justifiait le Juif sans sacrement ? que tout l'avantage que le premier a sur le second, c'est que les grâces qui forment ce sentiment, coulent plus abondamment pour l'un que pour l'autre ; et que la rémission qui s'obtient par le ministère des clés est plus pleine et plus parfaite, que celle que méritait l'amour du Juif destitué de la vertu et de l'efficace du sacrement. Quoi qu'en disent quelques scolastiques, ils ne persuaderont jamais que Dieu ait exigé du Juif, pour se réconcilier avec lui, des dispositions plus parfaites qu'il n'en exige du Chrétien ; tandis que d'une main libérale il verse sur le dernier des grâces qu'il ne dispensait au premier qu'avec une espèce de réserve. Ne donnons point cet avantage aux Juifs, qu'ils aient l'amour pour partage, tandis que nous nous bornerons à être les esclaves de la crainte, qui, quelque bonne et chaste qu'on la suppose, est toujours inférieure à l'amour. Avec plus de grâces qu'eux, il nous conviendrait mal de ne pas autant aimer Dieu, pour obtenir le pardon de nos fautes. Cette facilité de l'obtenir, que les attritionnaires regardent comme une suite de la loi évangélique à laquelle nous appartenons, ne consiste pas précisément en ce que Dieu demande moins de nous que du Juif ; mais plutôt en ce qu'il nous accorde beaucoup plus de grâces qu'aux circoncis. Penser autrement, ce serait rabaisser le Christianisme au-dessous du Judaïsme même ; puisqu'une religion est d'autant plus parfaite, qu'elle ramène davantage à l'amour qui en fait toute la perfection : Non colitur Deus nisi amando, dit quelque part S. Augustin. Ce serait même outrager la justice de Dieu, puisqu'on supposerait qu'il exige plus de celui à qui il accorde moins. Donc s'il était ordonné au Juif d'aimer Dieu s'il voulait se reconcilier avec lui, il l'est peut être encore plus au Chrétien qui se trouve favorisé d'un plus grand nombre de grâces.

Mais si suivant les principes des attritionnaires le précepte de l'amour de Dieu n'oblige pas dans le moment même où le pécheur pénitent sollicite la clémence et la miséricorde divine ; dans quelle circonstance donc, dans quel temps, selon eux, ce précepte oblige-t-il ?

Il est bon de les entendre eux-mêmes sur cette matière. " Quand est-on obligé d'avoir affection actuellement pour Dieu, dit un d'entr'eux ? Suarez dit que c'en est assez si on l'aime avant l'article de la mort, sans déterminer aucun temps ; Vasquez, qu'il suffit encore à l'article de la mort ; d'autres, quand on reçoit le baptême ; d'autres, quand on est obligé d'être contrit ; d'autres, les jours de fête : mais notre père Castro Palao combat toutes ces opinions-là, et avec raison. Hurtado de Mendoza prétend qu'on y est obligé tous les ans, et qu'on nous traite bien favorablement encore de ne nous y obliger pas plus souvent. Mais notre père Coninck croit qu'on y est obligé en trois ou quatre ans ; et Filiutius dit qu'il est probable qu'on y est pas obligé à la rigueur tous les cinq ans. Et quand donc ? Il le remet au jugement des sages ". Ce sont les termes d'Escobar.

Un de ses confrères, le P. Antoine Sirmond, balance ainsi les divers sentiments des casuistes sur le précepte de l'amour de Dieu. " Saint Thomas dit qu'on est obligé d'aimer Dieu aussitôt après l'usage de raison : c'est un peu bientôt. Scotus chaque dimanche : sur quoi fondé ? D'autres quand on est griévement tenté : oui, en cas qu'il n'y eut que cette voie de fuir la tentation. Sotus, quand on reçoit un bienfait de Dieu : bon, pour l'en remercier. D'autres à la mort : c'est bien tard. Je ne crois pas non plus que ce soit à la réception de quelque sacrement ; l'attrition y suffit avec la confession, si on en a la commodité. Suarez dit qu'on y est obligé en un temps : mais en quel temps ? Il vous en fait juge, et il n'en sait rien. Or ce que ce docteur n'a pas su, je ne sai qui le sait.

Tels sont les excès où conduit le probabilisme ; et quand il n'aurait que ce seul défaut, d'avoir introduit dans la Théologie une opinion aussi monstrueuse que l'est celle qui, dépouillant l'attrition de l'amour, la rend suffisante pour le sacrement de pénitence, c'en serait assez pour l'exterminer de toutes les écoles.

Au reste ce serait une injustice criante que de penser ou de dire que les sentiments de ces particuliers soient la théologie unanime de la société dont ils étaient membres. Les plus célèbres théologiens de ce corps, Laynez, Claude le Jai, Salmeron, qui assistèrent au concîle de Trente, Canisius, Edmond Auger, Maldonat, le cardinal Tolet, le P. Peteau, etc. ont tous reconnu la nécessité de quelque amour, au moins commencé, joint à l'attrition, pour la rendre suffisante dans le sacrement de pénitence ; et ni Cheminais ni Bourdaloue, ne favorisent la morale relâchée. Voyez PROBABILISME.

On doit à la vérité ce témoignage aux Jansénistes, d'avoir assez bien vengé les droits de l'amour divin contre les principes relâchés de ces casuistes attritionnaires. Mais ces Jansénistes si fiers contre les Jésuites, quand il s'agit de l'amour de Dieu, n'ont-ils rien eux-mêmes à se reprocher sur cet article ? C'est ce qu'il faut examiner en peu de mots.

C'est un principe reçu dans la théologie des Jansénistes, qu'il n'y a que deux principes de nos actions, savoir l'amour de charité qui rapporte tout à Dieu, et l'amour de cupidité qui rapporte tout à nous-mêmes. De ce principe je conclus avec les Jansénistes, que toute action qui ne procede pas de la charité a nécessairement sa source dans la cupidité, qui l'infecte et la rend vicieuse. Un autre principe non moins intime, ni moins essentiel au système des Jansénistes ; c'est que toute grâce, quelque forme qu'elle prenne dans un cœur, est elle-même l'amour de charité, et qu'elle en teint, s'il est permis de parler ainsi, toutes les actions qu'elle nous fait produire. Or cette grâce, de l'aveu des Jansénistes, ne produit jamais en nous un amour de Dieu dominant sur celui des créatures, toutes les fois qu'elle se trouve aux prises avec une cupidité qui lui est supérieure en degrés. Voyez DELECTATION RELATIVE. D'un autre côté, elle produit toujours en nous un commencement d'amour de charité, quoiqu'inférieur en degrés à la cupidité ; parce que la grâce, dans leurs principes, agit toujours selon toute l'énergie de ses forces présentes. Voyez DELECTATION.

Cela posé, voici le raisonnement qu'on peut former contre les Jansénistes. Lorsque la grâce qui nous porte à l'amour de charité (c'est même la nature de toutes les grâces, dans le système des Jansénistes, puisqu'ils disent que dans la loi d'amour, elles ne coulent que pour enflammer tous les cœurs) ; lors donc que cette grâce tombe malheureusement sur une cupidité qui lui est supérieure en degrés, l'amour qu'elle produit dans un cœur est bien un véritable amour de charité, un amour surnaturel ; mais cet amour qu'elle allume est inférieur à l'amour des créatures, ouvrage de la cupidité, dans le même rapport et dans la même proportion que la grâce l'est à la cupidité : donc il peut y avoir un amour de charité, un amour surnaturel, qui pourtant ne domine pas dans le cœur sur celui des créatures. Or, demandera-t-on aux Jansénistes, le S. Esprit qui est l'auteur de tout ordre, peut-il nous inspirer un amour qui dans notre âme balancerait Dieu avec la créature ? Est-ce donc aimer Dieu d'un amour surnaturel, d'un amour que le S. Esprit allume lui-même, que d'aimer quelque chose plus que Dieu ? Un amour qui ne peut qu'être injurieux à Dieu, peut-il donc être son ouvrage ? J'aimerais autant qu'on me soutint qu'on peut avoir une foi surnaturelle, qui ne s'étende pas à tous les articles révélés, que de me dire qu'on peut avoir un amour surnaturel, qui ne place pas Dieu dans notre cœur au-dessus de toutes les créatures. C'est le sentiment de tous les théologiens orthodoxes, que tout véritable amour de Dieu est un amour de préférence ; ce que l'école exprime en ces termes, omnis verus Dei amor est appretiativè summus ? c'est-à-dire que le plus leger souffle de l'amour que le S. Esprit nous inspire, nous fait aimer Dieu plus que toutes les créatures. Tout autre amour est indigne de Dieu, et ne peut être l'ouvrage de la grâce.

Si vous demandez maintenant à un homme éclairé, et qui n'est ni entrainé par l'intérêt d'un corps, ni fasciné par l'esprit de parti, ce qu'il pense sur l'étendue du grand précepte de l'amour ; il vous répondra qu'il en pense ce que vous en pensez vous-même, pourvu que vous aimiez Dieu. Donnez-moi un cœur qui aime, vous dira-t-il, un cœur où domine l'amour de Dieu ; ce cœur ne pourra contenir au-dedans de lui-même l'amour qui le dévorera. Cet amour se diversifiera en une infinité de manières ; il prendra la forme des actions les plus indifférentes ; il se peindra dans mille objets qui échappent à ceux qui n'aiment pas ; il s'échauffera par les obstacles qui l'empêchent de se réunir avec le Dieu qui en allume les flammes. Mais, ajouterez-vous, en quel temps le cœur aimera-t-il ? On vous répondra avec la même impartialité : est-ce donc là un langage qu'on doive tenir à un cœur plein de son amour ? Etudions ses devoirs, non dans les livres des casuistes qui n'auraient jamais dû assujettir au calcul les actes d'amour envers Dieu, mais bien plutôt dans ceux que rend à son époux une femme vertueuse et fidèle, qui brule pour lui d'un feu chaste et légitime ; cet amour que la nature et le devoir allument dans deux cœurs est une image, quoiqu'imparfaite, de celui que le S. Esprit verse dans ceux qu'il se plait à enrichir de ses grâces.

Mais enfin, ajouterez-vous, quel est donc le sentiment le plus sur et le plus suivi sur la contrition et sur l'attrition ? Celui du clergé de France exprimé en ces termes : Haec duo imprimis ex sacrosanctâ synodo tridentinâ monenda et docenda esse duximus : primum ne quis putet in utroque sacramento (baptismi et poenitentiae) requiri ut praeviam contritionem eam, quae sit charitate perfecta, et quae cum voto sacramenti, antequam actio suscipiatur, hominem Deo reconciliet : alterum, ne quis putet in utroque sacramento securum se esse, si praeter fidei ac spei actus, non incipiat diligère Deum, tamquam omnis justitiae fontem ; d'où il s'ensuit que la contrition parfaite n'est pas une disposition nécessaire pour la reception du sacrement de pénitence, et que l'attrition est suffisante pourvu qu'elle soit accompagnée d'un commencement d'amour.

Cet amour commencé est-il un amour de charité ou un amour d'espérance ? Le concîle et l'assemblée de 1700, en se servant des termes incipiat diligère Deum, n'ont pas déterminé si c'est amour de charité ou d'amitié, si c'est amour de concupiscence ou d'espérance. Leur silence doit être la règle du nôtre. Pourrions-nous, sans la présomption la plus criminelle, nous flatter d'expliquer ce que l'église universelle et une portion distinguée de cette même Eglise n'ont pas jugé à propos de déclarer ? Nous n'ignorons pas que plusieurs théologiens ont prétendu expliquer ces oracles : mais comme le sentiment pour lequel ils ont pris parti d'avance est toujours celui auquel ils sont bien résolus d'adapter et de rapporter le sens des termes du concîle et de l'assemblée du clergé, nous laissons au lecteur intelligent le soin de peser leurs explications pour décider si elles sont aussi justes qu'ils se l'imaginent. Voyez Tournely, traité de la pénit. tom. I. quest. IVe et Ve et Witasse, traité de la pénit. quest. IIIe sect. 1. 2. 3. art. 1. 2. 3. etc. (G)