(Théologie) transsubstantiatio, pris dans un sens général, signifie le changement d'une substance en une autre. Ainsi le changement de la verge de Moïse en serpent, des eaux du Nil en sang, de la femme de Loth en statue de sel, furent des transsubstantiations surnaturelles : mais le changement des aliments que nous prenons, en la substance de nos corps, n'est qu'une transubstantiation naturelle. Voyez SUBSTANCE.

TRANSUBSTANTIATION, dans un sens plus particulier, est la conversion ou le changement miraculeux qui se fait de toute la substance du pain en la substance du corps de Jesus-Christ, et de toute la substance du vin en celle de son sang, en vertu des paroles de la consécration dans le sacrement de l'eucharistie ; en sorte qu'il ne reste plus que les espèces ou apparences du pain et du vin, selon la doctrine de l'église romaine.

Ce mot fut introduit dans l'église au concîle de Latran en 1215, pour obvier aux équivoques des Manichéens de ce temps-là. Mais si l'expression était nouvelle, la chose qu'elle énonçait ne l'était pas, comme le remarque M. Bossuet.

Les Protestants rejettent unanimement le mot de transubstantiation, même les Luthériens, quoiqu'ils ne nient pas la présence réelle. Ils y ont substitué ceux d'impanation et de consubstantiation. Voyez IMPANATION et CONSUBSTANTIATION.

Les Calvinistes, les Zuingliens, les Anglicans et tous les autres prétendus réformés qui expliquent ces paroles de Jesus-Christ : Hoc est corpus meum, dans le sens figuré, abhorrent aussi le nom de transubstantiation. L'église romaine l'a conservé comme très-propre à exprimer le miracle qui s'opère dans l'eucharistie. Et pour prémunir ses enfants contre les fausses interprétations que les Sacramentaires donnent aux paroles de la consécration, elle a déclaré, dans le premier chapitre de la treizième session du concîle de Trente, que dans la transubstantiation le corps et le sang de notre seigneur Jesus-Christ se trouvent réellement, véritablement et substantiellement sous les espèces du pain et du vin. Le concîle ajoute que par le mot véritablement, il entend proprement, et non pas par signification, comme si l'eucharistie n'était autre chose que le signe du corps et du sang de Jesus-Christ ; que par le terme réellement, il entend de fait, et non pas seulement en figure ou une présence par la foi, comme si l'eucharistie n'était qu'une figure ou une représentation du corps et du sang de Jesus-Christ, et qu'on ne l'y reçut que par la foi ; et enfin, que par substantiellement, il entend en substance, et non en vertu ou par énergie. Ainsi le sens de vérité est opposé à celui de signe ; le sens de réalité à celui de figure ou de perception par la foi ; et celui de substance exclut le sens de vertu ou d'énergie.

Voilà ce qu'a décidé l'église sur ce point ; mais elle n'a pas interdit aux Théologiens et aux Philosophes la liberté d'imaginer des systèmes pour expliquer la manière dont le pain et le vin sont changés réellement au corps et au sang de Jesus-Christ, et comment les accidents du pain et du vin subsistent après la consécration, quoiqu'il n'y ait plus réellement ni pain ni vin. Nous allons donner l'analyse des différents systèmes qui ont paru sur ces deux questions, et nous indiquerons ce qu'il en faut penser.

Il y a trois systèmes différents sur la manière dont s'opère la transubstantiation : celui des Péripatéticiens, celui de M. Cally, et celui de M. Varignon.

1°. Les Péripatéticiens, en reconnaissant que toute la substance du pain et du vin est réellement changée en la substance du corps et du sang de Jesus-Christ, soutiennent que l'étendue actuelle du pain et du vin subsiste dans tout son entier. Le corps de Jesus-Christ selon eux, quoique réellement animé et organisé dans l'eucharistie, ne s'y trouve pas actuellement étendu. L'étendue du pain et du vin, suivant leurs principes, demeure après la consécration, et existe sans sujet d'inhésion. Ce système suppose qu'un corps en demeurant vrai corps, peut être dépouillé de son extension actuelle ; et que l'extension actuelle d'un corps peut subsister, quoique ce corps lui-même ne subsiste plus. Mais outre que ce principe est faux, cette hypothèse est contraire aux sentiments des pères qui reconnaissent dans l'eucharistie le même corps de Jesus-Christ, qui est né de la vierge Marie, qui a été crucifié, etc. Or qui peut concevoir un pareil corps sans étendue actuelle ? Enfin, l'étendue interne qu'ils supposent, par laquelle un corps est étendu, par rapport à lui-même, sans l'être par rapport aux corps qui l'environnent, est aussi insoutenable, que leur subsistance d'accidents sans sujet d'inhésion est imaginaire.

2°. M. Cally, professeur de Philosophie dans l'université de Caen, et disciple de Descartes, a prétendu que l'union réelle de l'âme et de la divinité de Jesus-Christ avec le pain et le vin eucharistiques, forment le corps de l'homme-Dieu présent sur nos autels. Suivant le principe de ce philosophe, toute matière, de quelqu'espèce qu'elle sait, est également suffisante pour constituer le corps de l'homme. Dès que l'âme humaine se trouve unie à une portion de matière quelle qu'elle puisse être ; il en résulte selon lui un homme proprement dit.

M. Nicole a réfuté solidement ce système dans sa LXXXIIIme. lettre. Mais il semble contraire à la foi de l'église, qui par le corps de Jesus-Christ présent sur nos autels, n'entend pas une nouvelle matière séparée et distinguée de celle qui compose le corps de Jesus-Christ dans le ciel, mais le même corps qu'il a pris dans le sein d'une vierge, qui a souffert pour nous, etc. ce que M. Cally n'explique point, en supposant que l'âme et la divinité de Jesus-Christ s'unissent au pain et au vin pour former son corps.

3°. M. Varignon, professeur de Mathématiques au collège Mazarin, et de l'académie royale des Sciences, admit en partie le système de M. Cally, et y ajouta du sien. Il admet une organisation réelle dans chacune des parties intérieures du pain et du vin, et se fonde ensuite sur ces principes. Il établit, 1° que la matière est divisible à l'infini ; qu'il n'est point de portion de matière, quelque petite qu'elle sait, qui ne puisse, par les divers arrangements de ses parties, devenir tel ou tel corps : fer, froment, pain, vin, os, chair, sang ; et qu'en conséquence il n'y a aucune espèce de corps qui par les différentes dispositions des parties qui le composent, ne puisse être converti en une autre espèce de corps. 2°. Il établit que la grandeur et la structure du corps sont absolument indifférentes à la nature de l'homme ; parce que les enfants, les pigmées et les géants sont également des hommes. 3°. Qu'un enfant qui est grand d'un pied, en venant au monde, et qui parvient ensuite à la grandeur de six pieds, est toujours le même homme ; et il conclut de cette maxime qu'un homme de six pieds peut être réduit à un pied, et même diminuer par degrés jusqu'à l'infini, sans cesser d'être le même homme et d'avoir le même corps. 4°. Il soutient que l'identité de la matière n'est pas nécessaire pour l'identité du corps : la raison qu'il en donne, est qu'il n'y a aucun homme, de quelque âge qu'il puisse être, qui ne soit censé avoir le même corps qu'il avait en naissant, quoiqu'il ne lui reste peut-être plus aucune portion de la matière qui composait son premier corps. Quelque diversité, ajoute-t-il, qu'il y ait dans le corps d'un homme, par rapport à la matière qui composait son corps dans l'enfance, et ce qui le compose dans la vieillesse, cette diversité n'empêche pas que ce ne soit toujours le même corps. L'unité et l'identité du corps ne se tirent pas de l'unité et de l'identité des parties qui le forment : elles puisent leur source, leur fondement, leur origine dans l'unité et l'identité d'ame. 5°. Il établit que l'homme n'est pas esprit seulement, mais un esprit joint à un corps. Ainsi pour constituer deux hommes, conclut-il, il faut deux corps et deux ames. Si plusieurs corps, ajoute-t-il, étaient animés par la même âme, ils ne formeraient pas plusieurs hommes ; ils n'en composeraient qu'un : et dès-lors il est clair que cet homme pourrait dans le même temps, sans être reproduit, se trouver en plusieurs lieux ; puisque les différents corps qu'il avait en différents pays et en différents lieux, seraient unis à une même âme.

Ces principes posés, voici de quelle manière M. Varignon entreprend de prouver la possibilité de la présence réelle, et d'éclaircir la nature de la transubstantiation. Dieu, dit-il, à la prononciation des paroles de la consécration, imprime sur chaque partie sensible de l'hostie le mouvement qu'il faut pour leur donner une nouvelle configuration propre au corps humain ; et dans le moment même de la formation de ces petits corps organisés, il joint à chacun d'eux l'âme de Jesus-Christ : chaque particule sensible du pain fait un tout, dont Dieu change l'arrangement et l'ordre intérieur. De ce changement qui se fait dans chacune des parties sensibles du pain résultent des os, de la chair, des artères, des veines et du sang qui forment un corps organisé semblable au nôtre, et que l'âme de Jesus-Christ vient animer. Dans ce système, chaque partie sensible du pain fait un seul corps individuel, qui se trouve le même dans chaque étendue sensible des particules de matière qui étaient pain avant la consécration : ces différentes particules de matière devenues le corps de Jesus-Christ peuvent être divisées les unes des autres, sans que l'âme qui leur est unie souffre pour cela aucune division. Il faut dire la même chose du corps humain, qui résulte de l'union de ces petites particules de matière à une même âme. Ce corps n'est sujet à aucune séparation des parties. Les différentes particules de pain qui deviennent intérieurement le corps de Jesus-Christ par la prononciation des paroles de la consécration, conservent toujours entr'elles le même ordre sensible, et le même arrangement qu'elles avaient lorsqu'elles étaient pain ; il n'est donc pas étonnant qu'ayant la même superficie, elles continuent à exciter en nous les mêmes sensations.

Ce système est sans doute ingénieux et soutenu dans toutes ses parties. Mais il ne s'en écarte pas moins de la foi catholique. Car 1°. celle-ci appelle l'eucharistie un mystère impénétrable à la raison humaine, et M. Varignon ne laisse dans l'eucharistie qu'un pur miracle, il en exclut le mystère. 2°. Elle enseigne que le corps de Jesus-Christ qui se trouve dans l'eucharistie, est le même qui est né d'une Vierge, qui a souffert, qui est ressuscité, &, selon M. Varignon, le corps de Jesus-Christ qui est sur l'autel, est formé dans l'instant de la matière du pain et du vin. 3°. La foi nous enseigne que Jesus-Christ n'a qu'un corps, et M. Varignon donne à Jesus-Christ autant de corps organisés qu'il y a de parties sensibles dans le pain. 4°. M. Varignon prétend qu'il n'y a que les parties intérieures du pain qui soient changées, et que les parties sensibles demeurent toujours les mêmes, puisqu'elles gardent toujours entr'elles la même situation et le même arrangement. Or cette partie seule de son système est directement opposée à la transubstantiation, qui, dans le sens défini par le concîle de Trente, est la conversion de toute la substance du pain au corps de Jesus-Christ, et de toute la substance du vin en son sang, c'est à-dire de toutes les parties, tant sensibles qu'intérieures.

Il y a divers systèmes pour expliquer quelle est la nature des espèces eucharistiques qui frappent nos sens après la transubstantiation, et pour fixer en quoi elles consistent. L'école en fournit trois, celui des Péripatéticiens, celui du P. Maignan, religieux minime, et celui de Rohault le cartésien.

1°. Les Péripatéticiens soutiennent que les apparences du pain et du vin sont quelque chose de réel qui subsiste hors de nous. Ils craient que ce sont des accidents absolus, qui existent sans aucun sujet d'inhésion ; quelques-uns même d'entr'eux vont jusqu'à dire qu'on ne peut nier l'existence de ces accidents sans blesser la foi.

On sent assez que ce système choque les notions les plus simples reçues parmi les philosophes, sur l'essence de la matière et des accidents, personne n'ayant jamais entendu par ce dernier terme que ce qui n'existe point de soi-même, et ce qui ne peut subsister sans être inhérent à un autre objet. L'autorité de saint Thomas et de quelques théologiens n'est pas suffisante pour ériger cette opinion en dogme. Il est également libre ou de la soutenir ou de la rejetter.

2°. Le père Maignan prétend que les apparences du pain et du vin ont pour sujet d'inhésion le corps même de Jesus-Christ, ou qu'elles existent dans notre âme : et voici comme il développe son système. On doit, dit-il, distinguer dans les corps deux sortes d'apparences. Il y en a qui appartiennent à la substance corporelle, comme le mouvement, la figure, la dureté, l'impénétrabilité ; et il y en a d'autres qui ne lui appartiennent pas, comme la couleur, la saveur, l'odeur. La première espèce d'apparence qui appartenait à la substance du pain, et qui l'affectait avant la consécration, demeure sans le pain après la consécration. Elles ont pour sujet d'inhésion le corps de Jesus-Christ, elles résident en lui, et elles y sont attachées. Le corps de l'Homme-Dieu prend la place du pain, et il est revêtu de toutes les apparences qui appartenaient à la substance du pain. Il est sujet au mouvement dont le pain était susceptible, il a la même figure, il peut être touché, il empêche le passage d'autres corps, et il résiste à l'effort des impressions corporelles. La seconde espèce d'apparence qui n'affectait pas la substance du pain avant la consécration, demeure sans le pain après la consécration. Elles n'existent pas dans le corps de Jesus-Christ, elles n'existent que dans notre âme, et n'ont pas d'autre sujet d'inhésion. Dieu, dit cet auteur, peut par lui-même et sans le secours d'aucune cause occasionnelle rendre présente à notre esprit la couleur et la saveur du pain, et c'est ce qu'il opère dans le sacrement de l'Eucharistie. Quoi qu'il n'y ait plus ni pain, ni vin après la consécration, Dieu remue par lui-même nos organes de la même manière que le pain et le vin les remuaient avant qu'ils fussent consacrés : l'ébranlement du nerf optique produit en nous la perception de la même couleur, et l'ébranlement de l'organe du goût produit également en nous la sensation de la même saveur. Dans le cours ordinaire de la nature, on ne peut avoir présentes aux yeux les apparences du pain et du vin, sans qu'il y ait réellement devant nos yeux du pain et du vin ; mais dans l'ordre surnaturel, Dieu peut exciter en nous la perception des apparences du pain et du vin, quoiqu'il n'y ait hors de nous ni pain ni vin ; et c'est précisément en ce point que consiste le miracle du sacrement de l'Eucharistie.

3°. M. Rohault établit les mêmes principes que le P. Maignan, pour expliquer quelle est la nature des accidents ou espèces eucharistiques après la consécration. Il distingue, comme lui, deux sortes d'apparences dans les corps : celles qui appartiennent à la substance même du corps, comme la figure, le mouvement ; et celles qui ne lui appartiennent pas, et qui ne l'affectent pas, comme la couleur, la saveur, l'odeur. Les apparences de la première espèce, dit M. Rohault, subsistent dans l'eucharistie après la consécration, et elles ont pour sujet d'inhésion le corps même de Jesus-Christ, parce que le corps de Jesus-Christ a pris la place du pain. Il faut raisonner tout autrement, ajoute-t-il, des apparences de la seconde espèce. Elles existent dans notre âme, quoiqu'il n'y ait plus ni pain ni vin, parce que Dieu excite en nous, indépendamment de la substance du pain et du vin, les mêmes impressions que le pain et le vin y excitaient avant qu'ils fussent consacrés. La différence qu'il y a entre le système du P. Maignan et celui de Rohault sur ce point est bien légère. Le premier soutient qu'il y a un vrai miracle dans la perception que l'on a des apparences du pain et du vin, même après la consécration, quoiqu'il n'y ait plus alors ni pain ni vin ; et M. Rohault au contraire prétend que cette perception est une suite naturelle des lois du mouvement que Dieu a établie. Voici en abrégé la méthode qu'il suit pour expliquer sa pensée. Toutes les sensations que nous avons à l'occasion des corps, viennent de l'impression qu'ils font sur nos sens par leur superficie. C'est de la différence de leur superficie que naissent les différentes impressions auxquelles nous sommes sujets, et c'est de ces différentes impressions que proviennent nos différentes sensations. Tous les corps qui ont la même superficie excitent en nous les mêmes impressions, et dès lors les mêmes sensations. Si le vin excite en nous une sensation que l'eau n'excite pas, c'est qu'il y a dans le vin un arrangement de parties de matière qui ne se trouve pas dans l'eau, et qui agit différemment sur nos organes. Tous les objets extérieurs n'agissent sur nos sens que par impulsion et par frappement, soit que cette impulsion et ce frappement viennent des corps mêmes, comme dans le toucher et dans le gout, soit qu'ils viennent par l'écoulement de quelques corpuscules, comme dans l'odorat, soit qu'ils viennent par le mouvement de l'air, comme l'ouïe, soit qu'ils viennent par l'agitation de la matière subtile, comme dans la vue. Il ne faut donc pas s'étonner, conclut M. Rohault, si le pain et le vin consacrés excitent en nous les mêmes impressions. Quoique substantiellement et réellement changés au corps et au sang de Jesus-Christ, leur superficie reste la même. Le corps de Jesus-Christ en est revêtu, et tout corps qui a la même superficie qu'un autre, doit exciter naturellement les mêmes sensations.

Ces deux sentiments qui sont à-peu-près les mêmes pour le fonds, ont cet avantage sur l'opinion des Péripatéticiens, qu'ils sont appuyés sur des principes solides et sur des notions communément reçues. On peut donc les soutenir d'autant plus que l'Eglise s'est contentée de décider, qu'après la transubstantiation les espèces ou accidents du pain et du vin subsistent sans rien définir sur la manière dont ils subsistent.