ÉVANGILE DE SAINT ou SELON SAINT, (Théologie) livre canonique du nouveau-Testament, contenant l'histoire de la vie de Jesus-Christ écrite par saint Matthieu, apôtre et l'un des quatre évangélistes. Voyez APOTRE et ÉVANGELISTE.

Saint Matthieu était fils d'Alphée, galiléen de naissance, juif de religion et publicain de profession. Les autres évangélistes l'appellent simplement Levi qui était son nom hébreu, pour lui il se nomme toujours Matthieu, qui était apparemment le nom qu'on lui donnait dans sa profession de publicain qu'il quitta pour suivre Jesus-Christ. Voyez PUBLICAIN.

Cet apôtre écrivit son évangîle en Judée avant que d'en partir, pour aller prêcher dans la province qui lui avait été assignée, que quelques-uns croient être le pays des Parthes et d'autres l'Ethiopie ; les fidèles de la Palestine l'ayant prié de leur laisser par écrit ce qu'il leur avait enseigné de vive voix. On ajoute que les apôtres l'en sollicitèrent aussi, et qu'il l'écrivit vers l'an 41 de l'ère vulgaire, huit ans après la résurrection de Jesus-Christ, comme le marquent tous les anciens manuscrits grecs, quoique plusieurs écrivains, et entr'autres saint Irenée, assurent que cet évangîle ne fut composé que pendant la prédication de saint Pierre et de saint Paul à Rome, ce qui revient à l'an 61 de l'ère commune.

L'opinion la plus générale est que cet ouvrage fut d'abord écrit en syriaque, c'est-à-dire, en hébreu de ce temps-là, mêlé de syriaque et de chaldéen pour le fonds de la langue, mais dont les caractères étaient hébreux : chaldaico syroque sermone, sed hebraicis litteris scriptum, dit saint Jérome, lib. III. adv. Pelag. cap. j. et il fut longtemps en usage parmi les Juifs convertis au christianisme : mais les Chrétiens n'ayant pas conservé ce dépôt avec assez de fidélité, et ayant osé y faire quelques additions, d'ailleurs les Ebionites l'ayant notablement altéré, il fut abandonné par les églises orthodoxes qui s'attachèrent à l'ancienne version grecque, faite sur l'hébreu ou syriaque peu de temps après saint Matthieu. Du temps d'Origène, l'évangîle hébreu des Chrétiens hébraïsans ne passait déjà plus pour authentique, tant il avait été altéré, cependant il demeura assez longtemps dans sa pureté entre les mains des Nazaréens, auxquels saint Jérome ne reproche point comme aux Ebionites de l'avoir corrompu. Au reste le vrai évangîle hébreu de saint Matthieu ne subsiste plus, que l'on sache, en aucun endroit. Car ceux que Sébastien Munster et du Tillet ont fait imprimer sont modernes, et traduits en hébreu sur le latin ou sur le grec. Quelques modernes comme Grotius, M. Huet, et Mille dans ses prolégomenes, ont avancé que l'évangîle syriaque de saint Matthieu, qui est imprimé à part et dans les polyglottes, était le texte original ; mais ceux qui l'ont examiné avec plus de soin remarquent que cette traduction est faite sur le grec.

La version grecque de cet évangîle qui passe aujourd'hui pour l'original, a été faite dès les temps apostoliques. Quant à la traduction latine, on convient qu'elle est faite sur le grec, et n'est guère moins ancienne que la grecque même, mais l'auteur de l'une et de l'autre est inconnu.

Quelques modernes comme Erasme, Calvin, Ligfoot, Witaker, Schmith, Casaubon, le Clerc, etc. soutiennent que saint Matthieu écrivit en grec, et que ce que l'on dit de son prétendu original hébreu est faux et mal-entendu. Car, disent-ils, les Peres comme Origène, saint Epiphane et saint Jérome, n'en parlent pas d'une manière uniforme ; ils le citent, mais sans lui donner autant d'autorité qu'ils auraient dû faire si c'eut été un original. Si l'on en avait eu cette idée, l'aurait-on laissé périr dans l'Eglise ? Si saint Matthieu avait écrit en hébreu, trouverait-on dans son ouvrage l'interprétation des noms hébreux en grec ? Y citerait-il l'Ecriture, comme il la cite, suivant les Septante ? La langue grecque était alors commune dans tout l'Orient, dans tout l'Empire, à Rome même, puisque saint Paul écrit en grec aux Romains, saint Pierre et saint Jacques écrivent dans la même langue aux Juifs dispersés en Orient, et saint Paul aux Hébreux de la Palestine. Enfin, pendant que tous les autres auteurs du nouveau-Testament ont écrit en grec, pourquoi veut-on que saint Matthieu seul ait écrit en hébreu ?

Mais ces raisons ne sont pas sans réplique. Car 1°. les anciens témoignent que saint Matthieu avait écrit en hébreu, et ils le disent pour avoir Ve et consulté cet évangîle écrit en cette langue. Si leur témoignage n'est pas uniforme, c'est qu'il y avait deux sortes d'évangîle attribué à saint Matthieu : l'un pur et entier, dont ils ont parlé avec estime ; l'autre altéré, qu'ils ont jugé faux et apocryphe. 2°. On convient que la langue grecque était vulgaire en Palestine, mais il n'en est pas moins vrai que le commun du peuple y parlait ordinairement hébreu, c'est-à-dire un langage mêlé de chaldaique et de syriaque. Saint Paul ayant été arrêté dans le temple, harangua la multitude en hébreu, act. XXI. . 4. 3°. Les noms hébreux, expliqués en grec dans saint Matthieu, prouvent que le traducteur est grec et l'original hébreu. 4°. Saint Matthieu ne cite que dix passages de l'ancien-Testament, dont sept sont plus approchants du texte hébreu que de la version des Septante, et les trois autres ne paraissent conformes aux Septante que parce que dans ces passages les Septante eux-mêmes sont conformes au texte hébreu. 5°. La perte de l'original ne détruit pas la preuve de son existence, les églises l'abandonnèrent insensiblement parce que les Ebionites le corrompaient, le grec qui était demeuré pur fut conservé et regardé comme seul authentique. Voilà pourquoi l'on négligea l'hébreu, mais s'ensuit-il de-là qu'il n'ait pas existé ? 6°. Quoique les autres Apôtres aient écrit en grec aux Juifs de la Palestine, et à ceux qui étaient dispersés en Orient, on n'en saurait conclure que saint Matthieu n'ait pas écrit en hébreu pour ceux de la Palestine qui parlaient l'hébreu vulgaire plus communément que le grec. Enfin, on ne prétend pas que saint Matthieu ait absolument été obligé d'écrire en hébreu, mais il s'agit de savoir s'il y a écrit. Or c'est un fait attesté par tous les anciens dont plusieurs ont Ve son original et ont été très-capables d'en juger, comme Origène, Eusebe, saint Jérome. Oppose-t-on des conjectures à des faits attestés ? Il parait donc constant que l'évangîle de saint Matthieu a été primitivement écrit en hébreu vulgaire.

Le but de saint Matthieu dans son évangîle a été, selon le vénérable Pierre Damien, de montrer que Jesus-Christ était le Messie. Pour cela il montre par ses miracles qu'il est le Christ, que Marie sa mère est Vierge, que Jesus-Christ n'est point venu pour détruire la loi, mais pour l'accomplir, et que ses miracles vraiment divins sont des preuves incontestables de sa mission. On remarque dans saint Matthieu une assez grande différence dans l'arrangement des faits depuis le chap. iv. Ve 22. jusqu'au chap. xiv. Ve 13. d'avec l'ordre que suivent les autres évangélistes, mais cela ne préjudicie en rien à la vérité de ces faits. On a attribué à saint Matthieu quelques ouvrages apocryphes, comme le livre de l'enfance de Jesus-Christ, condamné par le pape Gelase, une liturgie éthiopienne, et l'évangîle selon les Hébreux dont se servaient les Ebionites, c'est-à-dire, un évangîle altéré dont le fonds était de saint Matthieu, mais non les parties surajoutées. Calmet, dictionn. de la Bible, tom. III. pag. 646 et suiv.