S. m. (Histoire de la Philologie) espèce d'athéisme philosophique, qui consistait à dire que tout ce qu'il y a dans l'univers n'est autre chose que la matière, ou des qualités de la matière. Les anciens naturalistes, aussi bien que ceux qui ont suivi Démocrite, ont tiré tout de la matière mue par hazard. La différence qu'il y avait entre eux, c'est que ceux qui étaient dans les sentiments de Démocrite, se servaient de la supposition des atomes pour rendre raison des phénomènes ; au lieu que les hylopathiens se servaient des formes et des qualités ; mais dans le fond c'était une même hypothèse d'athéisme, quoique sous différentes formes ; et l'on peut nommer les uns athées atomistes, les autres Hylopathiens pour les distinguer. Aristote fait Thalés auteur de cette opinion ; mais de bons garants représentent les sentiments de Thalés d'une autre manière, et disent formellement qu'il admettait une divinité qui avait tiré toutes choses de la matière fluide, et qu'il croyait l'âme immortelle. Il semble que l'on n'a rapporté si diversement le sentiment de Thalés, que parce qu'il n'avait laissé aucuns écrits ; car Anaximandre est celui qui a le premier écrit sur les matières de philosophie. C'est plutôt à celui-ci qu'à Thalés, qu'il faut imputer l'origine de l'athéisme des hylopathiens. Il disait que la matière première était je ne sais quoi d'infini, qui recevait toutes sortes de formes et de qualités, sans reconnaître aucun autre principe qui la gouvernât. Il fut suivi de quantité d'athées, entr'autres d'Hyppon surnommé l'athée, jusqu'à ce que Anaxagore arrêta ce torrent d'athéisme dans la secte ïonique, en établissant une intelligence pour principe de l'univers.

Pour Thalés il est justifié par Ciceron, Diogène Laèrce, Clément d'Alexandrie. Aristote lui-même, dans son traité de l'âme, dit que Thalés a cru que tout était plein de dieux. Il y a donc toute apparence qu'il n'a parlé de Thalés comme du chef des athées Hylopathiens, que parce que ses disciples l'étaient en effet, et qu'il a jugé du sentiment de ce philosophe par ceux de ses sectateurs. C'est ce qui est souvent arrivé et qui a fait tort à la mémoire des fondateurs des sectes, qui ont eu de meilleurs sentiments que leurs disciples. On devait penser que les philosophes ne se gênaient pas si fort, qu'ils ne recherchassent et qu'ils ne soutinssent autre chose que les sentiments de leurs maîtres, et qu'ils y ajoutaient souvent du leur, soit que cela se fit par voie d'explication ou de conséquence, ou même de nouvelles découvertes qu'ils mêlaient avec les opinions de leurs prédécesseurs. On a fait encore plus de tort aux sectes anciennes, en attribuant à tous ceux d'une secte les sentiments de chacun des particuliers qui faisaient profession de la suivre. Qui peut néanmoins douter que, dans une secte un peu nombreuse, il ne put y avoir grande diversité de sentiments, quand même on supposerait que tous les membres s'accordaient à l'égard des principes généraux ? On en use de même, pour le dire en passant, dans des recherches de plus grande conséquence que celle des opinions des philosophes payens ; par exemple, quand on trouve dans deux ou trois rabbins cabalistes quelques propositions que l'on croit avoir intérêt de soutenir, on dit, en termes généraux, que c'est-là l'ancienne cabale et même les sentiments de toute l'église judaïque, qui n'en avait apparemment jamais oui parler. Quand deux ou trois pères ont dit quelque chose, on soutient hardiment que c'est-là l'opinion de tout leur siècle, duquel il ne nous reste peut-être que ces seuls écrivains-là, dont on ne sait point si les ouvrages reçurent l'applaudissement de tout le monde, ou s'ils furent fort connus. Il serait à souhaiter qu'on parlât moins affirmativement, surtout des points particuliers et des conséquences éloignées, et qu'on ne les attribuât directement qu'à ceux dans les écrits desquels on les trouve. J'avoue que l'histoire des sentiments de l'antiquité n'en paraitrait pas si complete , et qu'il faudrait parler en doutant, beaucoup plus souvent qu'on ne le fait communément ; mais en se conduisant autrement, on s'expose au danger de prendre des conjectures fausses et incertaines pour des vérités reconnues et indubitables. Le commun des gens de lettres ne s'accommode pas des expressions suspendues, non plus que le peuple. Ils aiment les affirmations générales et universelles, et le ton hardi d'un docteur fait dans leur esprit le même effet que l'évidence. Revenons de cette digression. Il est certain que le vulgaire a toujours été un fort mauvais juge de ces matières, et qu'il a condamné comme athées des gens qui croyaient une divinité, seulement parce qu'ils n'approuvaient pas certaines opinions ou quelques superstitions de la théologie populaire. Par exemple, quoique Anaxagore de Clazomene fût après Thalés le premier de la secte ïonique, qui reconnut, pour principe de l'univers, un esprit infini, neanmoins on le traitait communément d'athée, parce qu'il disait que le soleil n'était qu'un globe de feu, et la lune qu'une terre ; c'est-à-dire, parce qu'il niait qu'il y eut des intelligences attachées à ces astres, et par conséquent que ce fussent des divinités. On accusa de même Socrate d'athéisme, quoiqu'on n'entreprit, dans le procès qu'on lui fit, de prouver autre chose contre lui, sinon qu'il croyait que les dieux qu'on adorait à Athènes n'étaient pas de véritables dieux. C'est pour cela encore que l'on traitait d'athées les chrétiens pendant les premiers siècles, parce qu'ils rejetaient les dieux du paganisme. Au contraire le peuple a souvent regardé de véritables athées, comme des gens persuadés de l'existence d'une divinité, seulement parce qu'ils observaient la forme extérieure de la religion, et qu'ils se servaient des manières de parler usitées.