(Philosophie et Logique métaphysique) c'est l'assemblage de plusieurs qualités, dont les unes subsistent toujours entr'elles, et les autres peuvent se séparer pour faire place à de nouvelles. Sous ce point de vue, rien n'est si simple que l'idée de la substance dont on a tant disputé, et dont on disputera encore, sans pouvoir rien dire de plus clair sur sa nature.
L'on veut donner un nom à cet assemblage de qualités ; pour cela l'on néglige celles qui varient d'un moment à l'autre ; l'on ne porte son attention que sur les plus durables. Elles deviennent pour le commun des hommes essentielles à l'être, ou plutôt à l'assemblage désigné sous le nom général de substance, et l'on les appelle elles-mêmes souvent mal-à-propos les substances, et mieux les attributs essentiels, tandis que les autres qualités qui varient, qui peuvent être ou n'être pas dans cet assemblage, ne sont regardées que comme des manières d'être que l'on appelle modes. Voyez l'article
MODES. Mais les Philosophes, ou ceux qui cherchent à donner un sens plus resserré aux mots, ayant remarqué que parmi ces qualités durables de la substance il y en a de si essentielles, qu'elles ne se séparent jamais, et qu'elles sont même si inhérentes que l'on ne peut en concevoir la séparation, sans comprendre que l'être en serait non-seulement changé, mais entièrement détruit ; ils ont réservé le nom de substance, à désigner l'assemblage de ces qualités premières, essentiellement inséparables ; et quant aux autres qui sont durables, mais qui cependant peuvent être retranchées sans que les premières soient anéanties, ils les ont nommées substances modifiées. Un exemple qui indiquerait toute la gradation des qualités d'une substance, servirait aussi à expliquer ce que l'on peut dire de plus simple sur ce sujet. Jettons les yeux sur un fleuve ; nous verrons une vaste étendue d'eau qui résiste, mais faiblement, au toucher, qui est pesante, liquide, transparente, sans couleur, sans gout, sans odeur, et en mouvement. Si tout-à-coup ce corps venait à perdre sa transparence, et à se colorer d'un gris sale, ou d'un gris noir ; pour un si léger changement, nous ne lui donnerions pas un nouveau nom, nous dirions seulement que le fleuve se trouble, qu'il charrie ; lors même qu'il acquérerait quelque gout, quelque odeur, ce serait toujours un fleuve. Mais s'il venait à perdre son mouvement, à rester pour toujours en repos, ce changement nous paraitrait plus considérable, parce qu'alors ce fleuve deviendrait semblable à ces amas d'eau, que l'on nomme lacs ou étangs ; ce ne serait plus un fleuve, mais seulement de l'eau, un lac. Si ensuite la rigueur du froid agissait, nous ne savons trop comment, sur cet amas d'eau, et lui faisait perdre sa liquidité, il perdrait aussi son nom d'eau et deviendrait glace. L'été suivant, exposée aux ardeurs du soleil, cette eau quitterait, pour ainsi dire, sa pesanteur, elle s'éleverait dans l'air en vapeur ; on ne la nommerait plus eau, mais vapeur, brouillard, nuage. Cependant dans tous ces changements elle a conservé son étendue, cette résistance que les Physiciens appellent impénétrabilité ; aussi a-t-elle toujours été corps. Mais si elle venait à perdre cette étendue, cette impénétrabilité, que lui resterait-il ? Rien du tout ; car nous ne concevons ni la pesanteur, ni la fluidité, ni le mouvement sans étendue impénétrable. Aussi cette destruction de l'étendue et de l'impénétrabilité n'arrive point ; ces qualités sont tout autrement durables que les autres, il n'est aucune force dans la nature qui puisse les produire ou les détruire, c'est pourquoi leur assemblage prend le nom propre de la substance. Le corps, c'est-à-dire l'étendue impénétrable est une substance ; mais la vapeur, la glace, l'eau, le fleuve sont ici des substances modifiées.
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