S. f. (Grammaire et Philosophie) c'est la représentation artificielle d'un objet. La nature aveugle n'imite point ; c'est l'art qui imite. Si l'art imite par des voix articulées, l'imitation s'appelle discours, et le discours est oratoire ou poétique. Voyez ELOQUENCE et POESIE. S'il imite par des sons, l'imitation s'appelle musique. Voyez l'article MUSIQUE. S'il imite par des couleurs, l'imitation s'appelle peinture. Voyez l'article PEINTURE. S'il imite avec le bois, la pierre, le marbre, ou quelqu'autre matière semblable, l'imitation s'appelle sculpture. Voyez l'article SCULPTURE. La nature est toujours vraie ; l'art ne risquera donc d'être faux dans son imitation que quand il s'écartera de la nature, ou par caprice ou par l'impossibilité d'en approcher d'assez près. L'art de l'imitation en quelque genre que ce sait, a son enfance, son état de perfection, et son moment de décadence. Ceux qui ont créé l'art, n'ont eu de modèle que la nature. Ceux qui l'ont perfectionné, n'ont été, à les juger à la rigueur, que les imitateurs des premiers ; ce qui ne leur a point ôté le titre d'hommes de génie ; parce que nous apprécions moins le mérite des ouvrages par la première invention et la difficulté des obstacles surmontés, que par le degré de perfection et l'effet. Il y a dans la nature des objets qui nous affectent plus que d'autres ; ainsi quoique l'imitation des premiers soit peut-être plus facîle que l'imitation des seconds, elle nous intéressera davantage. Le jugement de l'homme de goût et celui de l'artiste sont bien différents. C'est la difficulté de rendre certains effets de la nature, qui tiendra l'artiste suspendu en admiration. L'homme de goût ne connait guère ce mérite de l'imitation ; il tient trop au technique qu'il ignore : ce sont des qualités dont la connaissance est plus générale et plus commune, qui fixeront ses regards. L'imitation est rigoureuse ou libre ; celui qui imite rigoureusement la nature en est l'historien. Voyez HISTOIRE. Celui qui la compose, l'exagère, l'affoiblit, l'embellit, en dispose à son gré, en est le poète. Voyez POESIE. On est historien ou copiste dans tous les genres d'imitation. On est poète, de quelque manière qu'on peigne ou qu'on imite. Quand Horace disait aux imitateurs, ô imitatores servum pecus, il ne s'adressait ni à ceux qui se proposaient la nature pour modèle, ni à ceux qui marchant sur les traces des hommes de génie qui les avaient précédés, cherchaient à étendre la carrière. Celui qui invente un genre d'imitation est un homme de génie. Celui qui perfectionne un genre d'imitation inventé, ou qui y excelle, est aussi un homme de génie. Voyez l'article suivant.

IMITATION, s. f. (Poésie, Rhétor.) on peut la définir, l'emprunt des images, des pensées, des sentiments, qu'on puise dans les écrits de quelqu'auteur, et dont on fait un usage, soit différent, soit approchant, soit en enchérissant sur l'original.

Rien n'est plus permis que d'user des ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde ; ce n'est point un crime de les copier ; c'est au contraire dans leurs écrits, selon Quintilien, qu'il faut prendre l'abondance et la richesse des termes, la variété des figures, et la manière de composer : ensuite, ajoute cet orateur, on s'attachera fortement à imiter les perfections que l'on voit en eux ; car on ne doit pas douter qu'une bonne partie de l'art ne consiste dans l'imitation adroitement déguisée.

Laissons dire à certaines gens que l'imitation n'est qu'une espèce de servitude qui tend à étouffer la vigueur de la nature ; loin d'affoiblir cette nature, les avantages qu'on en tire ne servent qu'à la fortifier. C'est ce que M. Racine a prouvé solidement dans un mémoire agréable, dont le précis décorera cet article.

Stésychore, Archiloque, Hérodote, Platon, ont été des imitateurs d'Homère, lequel vraisemblablement n'a pu lui-même, sans imitation de ceux qui l'ont précédé, porter tout d'un coup la Poésie à son plus haut point de perfection. Virgile n'écrit presque rien qu'il n'imite ; tantôt il suit Homère, tantôt Théocrite, tantôt Hésiode, et tantôt les poètes de son temps ; et c'est pour avoir eu tant de modèles, qu'il est devenu un modèle admirable à son tour.

J'avoue qu'il n'est pas impossible que des hommes plus favorisés du ciel que les autres, s'ouvrent d'eux-mêmes un chemin nouveau, et y marchent sans guides ; mais de tels exemples sont si merveilleux, qu'ils doivent passer pour des prodiges.

En effet, le plus heureux génie a besoin de secours pour croitre et se soutenir ; il ne trouve pas tout dans son propre fonds. L'ame ne saurait concevoir ni enfanter une production célèbre, si elle n'a été comme fécondée par une source abondante de connaissances. Nos efforts sont inutiles, sans les dons de la nature ; et nos efforts sont imparfaits si l'on n'accompagne ces dons, si l'imitation ne les perfectionne.

Mais il ne suffit pas de connaître l'utilité de l'imitation ; il faut savoir encore quelles règles on doit suivre pour en retirer les avantages qu'elle est capable de procurer.

La première chose qu'il faut faire est de se choisir un bon modèle. Il est plus facîle qu'on ne pense de se laisser surprendre par des guides dangereux ; on a besoin de sagacité pour discerner ceux auxquels on doit se livrer. Combien Séneque a-t-il contribué à corrompre le goût des jeunes gens de son temps et du nôtre ? Lucain a égaré plusieurs esprits qui ont voulu l'imiter, et qui ne possédaient pas le feu de son éloquence. Son traducteur entrainé comme les autres, a eu la folle ambition de lui dérober la gloire du style ampoulé.

Il ne faut pas même s'attacher tellement à un excellent modèle, qu'il nous conduise seul et nous fasse oublier tous les autres écrivains. Il faut comme une abeille diligente, voler de tous côtés, et s'enrichir du suc de toutes les fleurs. Virgile trouve de l'or dans le fumier d'Ennius ; et celui qui peint Phèdre d'après Euripide, y ajoute encore de nouveaux traits que Séneque lui présente.

Le discernement n'est pas moins nécessaire pour prendre dans les modèles qu'on a choisis les choses qu'on doit imiter. Tout n'est pas également bon dans les meilleurs auteurs ; et tout ce qui est bon ne convient pas également dans tous les temps et dans tous les lieux.

De plus, ce n'est pas assez que de bien choisir ; l'imitation doit être faite d'une manière noble, généreuse et pleine de liberté. La bonne imitation est une continuelle invention. Il faut, pour ainsi dire, se transformer en son modèle, embellir ses pensées, et par le tour qu'on leur donne, se les approprier, enrichir ce qu'on lui prend, et lui laisser ce qu'on ne peut enrichir. C'est ainsi que la Fontaine imitait, comme il le déclare nettement.

Mon imitation n'est point un esclavage :

" Je n'emploie que l'idée, les tours et les lois que nos maîtres suivaient eux-mêmes ".

Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence,

Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,

Je l'y transporte, et veux qu'il n'ait rien d'affecté,

Tâchant de rendre mien, cet air d'antiquité.

Malherbe, par exemple, montre comment on peut enrichir la pensée d'un autre, par l'image sous laquelle il représente les vers si connus d'Horace, pallida mors aequo pulsat pede, pauperum tabernas, regumque turres.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,

Est sujet à ses lois ;

Et la garde qui veille aux barrières du louvre,

N'en défend pas nos rais.

Sophocle fait dire au malheureux Ajax, lorsqu'étant prêt de mourir, il trouve son fils :