ou PHILOSOPHIE DE PLATON, (Histoire, Philosophie) de toutes les sectes qui sortirent de l'école de Socrate, aucune n'eut plus d'éclat, ne fut aussi nombreuse, ne se soutint aussi longtemps que le Platonisme. Ce fut comme une religion que les hommes professèrent depuis son établissement, sans interruption, jusqu'à ces derniers temps. Elle eut un sort commun avec le reste des connaissances humaines ; elle parcourut les différentes contrées de l'Asie, de l'Afrique et de l'Europe, y entrant à mesure que la lumière y poignait, et s'en éloignant à mesure que les ténèbres s'y reformaient. On voit Platon marcher d'un pas égal avec Aristote, et partageant l'attention de l'univers. Ce sont deux voix également éclatantes qui se font entendre l'une dans l'ombre des écoles, l'autre dans l'obscurité des temples. Platon conduit à sa suite l'éloquence, l'enthousiasme, la vertu, l'honnêteté, la décence et les grâces. Aristote a la méthode à sa droite, et le syllogisme à sa gauche : il examine, il divise, il distingue, il dispute, il argumente, tandis que son rival semble prophétiser.

Platon naquit à Oegine : il fut allié par Ariston son père à Codrus, et par sa mère Périctioné à Solon. Le septième de Thargelion de la 87e olympiade, jour de sa naissance, fut dans la suite un jour de fête pour les Philosophes. Ses premières années furent employées aux exercices de la Gymnastique, à la pratique de la Peinture, et à l'étude de la Musique, de l'Eloquence et de la Poésie dithyrambique, épique et tragique : mais ayant comparé ses vers avec ceux d'Homère, il les brula et se livra tout entier à la Philosophie.

On dit qu'Apollon, épris de la beauté de sa mère Périctioné, habita avec elle, et que notre philosophe dut le jour à ce dieu. On dit qu'un spectre se reposa sur elle, et qu'elle conçut cet enfant sans cesser d'être vierge. On dit qu'un jour Ariston et sa femme sacrifiant aux muses sur le mont Hymette, Périctioné déposa le jeune Platon entre des myrtes, où elle le retrouva environné d'un essaim d'abeilles, dont les unes voltigeaient autour de sa tête et les autres enduisaient ses lèvres de miel. On dit que Socrate vit en songe un jeune cigne s'échapper de l'autel qu'on avait consacré à l'Amour dans l'académie, se reposer sur ses genoux, s'élever dans les airs, et attacher par la douceur de son chant les oreilles des hommes et des dieux ; et que lorsqu' Ariston présenta son fils à Socrate, celui-ci s'écria : Je reconnais le cigne de mon songe. Ce sont autant de fictions que des auteurs graves n'ont pas rougi de débiter comme des vérités, et qu'il y aurait peut-être du danger à contredire, si Platon était le fondateur de quelque système religieux adopté.

Il s'attacha dans sa jeunesse à Cratîle et à Héraclite. Socrate, sous lequel il étudia pendant huit ans, lui reconnut bientôt ce goût pour le syncrétisme, ou cette espèce de philosophie qui cherchant à concilier entr'elles des opinions opposées, les adultère et les corrompt. Voyez l'article SYNCRETISME.

Il n'abandonna point son maître dans la persécution. Il se montra au milieu de ses juges ; il entreprit son apologie ; il offrit sa fortune pour qu'il fût sursis à sa condamnation : mais ceux qui lui avaient fermé la bouche par leurs clameurs lorsqu'il se défendait, rejettèrent ses offres, et Socrate but la ciguè.

La mort de Socrate laissa la douleur et la terreur parmi les Philosophes. Ils se réfugièrent à Megare chez le dialecticien Euclide, où ils attendirent un temps moins orageux. De-là Platon passa en Egypte, où il visita les prêtres ; en Italie, où il s'initia dans la doctrine de Pithagore ; il vit à Cyrene le géomètre Théodore, il ne négligea aucun moyen d'augmenter ses connaissances. De retour dans Athènes il ouvrit son école : il choisit un gymnase environné d'arbres, et situé sur les confins d'un fauxbourg ; ce lieu s'appelait l'académie ; on lisait à l'entrée, , on n'est point admis ici sans être géomètre.

L'académie était voisine du Céramique. Là il y avait des statues de Diane, un temple, et les tombeaux de Thrasibule, de Périclès, de Chabrias, de Phormion, et de ceux qui étaient morts à Marathon, et des monuments de quelques hommes qui avaient bien mérité de la république, et une statue de l'Amour, et des autels consacrés à Minerve, à Mercure, aux Muses et Hercule, et à Jupiter, surnommé , et les trois grâces, et l'ombre de quelques platanes antiques. Platon laissa cette partie de son patrimoine en mourant à tous ceux qui aimeraient le repos, la solitude, la méditation et le silence.

Platon ne manqua pas d'auditeurs. Speusippe, Xénocrate et Aristote assistèrent à ses leçons. Il forma Hyperide, Lycurgue, Démosthène et Isocrate. La courtisanne Lasthénie de Mantinée fréquenta l'académie ; Axiothée de Phliase s'y rendait en habit d'homme. Ce fut un concours de personnes de tout âge, de tout état, de tout sexe, et de toute contrée. Tant de célébrité ne permit pas à l'envie et à la calomnie de rester assoupies : Xénophon, Antisthène, Diogène, Aristippe, Aeschine, Phédon s'élevèrent contre lui, et Athénée s'est plu à transmettre à la postérité les imputations odieuses dont on a cherché à flétrir la mémoire de Platon ; mais une ligne de son ouvrage suffit pour faire oublier et ses défauts, s'il en eut, et les reproches de ses ennemis. Il semble qu'il soit plus permis aux grands hommes d'être mécans. Le mal qu'ils commettent passe avec eux ; le bien qui résulte de leurs ouvrages dure éternellement ; ils ont affligé leurs parents, leurs amis, leurs concitoyens, leurs contemporains, je le veux, mais ils continuent d'instruire et d'éclairer l'univers. J'aimerais mieux Bacon grand auteur et homme de bien ; mais s'il faut opter, je l'aime mieux encore grand homme et fripon, qu'homme de bien et ignoré : ce qui eut été le mieux pour lui et pour les siens, n'est pas le mieux pour moi : c'est un jugement que nous portons malgré nous. Nous lisons Homère, Virgile, Horace, Cicéron, Milton, le Tasse, Corneille, Racine, et ceux qu'un talent extraordinaire a placés sur la même ligne, et nous ne songeons guère à ce qu'ils ont été. Le méchant est sous la terre, nous n'en avons plus rien à craindre ; ce qui reste après lui de bien, subsiste et nous en jouissons. Voilà des lignes vraies que j'écris à regret, car il me plairait bien davantage de troubler le grand homme qui vit tranquille sur sa malfaisance, que de l'en consoler par l'oubli que je lui en promets ; mais après tout, cette éponge des siècles fait honneur à l'espèce humaine.

Platon fut un homme de génie, laborieux, continent et sobre, grave dans son discours et dans son maintien, patient, affable ; ceux qui s'offensent de la liberté avec laquelle son banquet est écrit, en méconnaissent le but ; et puis il n'est pas moins important pour juger les mœurs que pour juger les ouvrages, de remonter aux temps et de se transporter sur les lieux ; nous sommes moins ce qu'il plait à la nature qu'au moment où nous naissons.

Il s'appliqua toute sa vie à rendre la jeunesse instruite et vertueuse. Il ne se mêla point des affaires publiques. Ses idées de législation ne quadraient pas avec celles de Dracon et de Solon : il parlait de l'égalité de fortune et d'autorité qu'il est difficîle d'établir, et peut-être impossible de conserver chez un peuple. Les Arcadiens, les Thébains, les Cyrénéens, les Syracusains, les Crétais, les Eléens, les Pyrrhéens, et d'autres qui travaillaient à réformer leurs gouvernements l'appelèrent ; mais trouvant ici une répugnance invincible à la communauté générale de toutes choses, de la férocité, de l'orgueil, de la suffisance, trop de richesses, trop de puissance, des difficultés de toute espèce, il n'alla point, il se contenta d'envoyer ses disciples. Dion, Pithon et Héraclide qui avaient puisé dans son école la haine de la tyrannie, en affranchirent le premier la Sicile, les deux autres la Thrace. Il fut aimé de quelques souverains. Les souverains ne rougissaient pas alors d'être philosophes. Il voyagea trois fois en Sicîle ; la première, pour connaître l'île et voir la chaudière de l'Etna ; la seconde, à la sollicitation de Denis et des Pythagoriciens qui avaient esperé que son éloquence et sa sagesse pourraient beaucoup sur les esprits ; ce fut aussi l'objet de la troisième visite qu'il fit à Denis. De retour dans Athènes, il se livra tout entier aux Muses et à la Philosophie. Il jouit d'une santé constante et d'une longue vie, récompense de sa frugalité ; il mourut âgé de 81 ans, la première de la cent huitième olympiade. Le perse Mithridate lui éleva une statue, Aristote un autel : on consacra par la solennité le jour de sa naissance, et l'on frappa des monnaies à son effigie. Les siècles qui se sont écoulés, n'ont fait qu'accroitre l'admiration qu'on avait pour ses ouvrages. Son style est moyen entre la prose et la poésie ; il offre des modèles en tout genre d'éloquence : celui qui n'est pas sensible aux charmes de ses dialogues, n'a point de gout. Personne n'a su établir le lieu de la scène avec plus de vérité, ni mieux soutenir ses caractères. Il a des moments de l'enthousiasme le plus sublime. Son dialogue de la sainteté est un chef-d'œuvre de finesse ; son apologie de Socrate en est un de véritable éloquence. Ce n'est pas à la première lecture qu'on saisit l'art et le but du banquet : il y a plus à profiter pour un homme de génie dans une page de cet auteur, que dans mille volumes de critique. Homère et Platon attendent encore un traducteur digne d'eux : il professa la double doctrine. Il est difficile, dit-il dans le Timée, de remonter à l'auteur de cet univers, et il serait dangereux de publier ce qu'on en découvrirait. Il vit que le doute était la base de la véritable science ; aussi tous ses dialogues respirent-ils le scepticisme. Ils en ressemblent d'autant plus à la conversation : il ne s'ouvrit de ses véritables sentiments qu'à quelques amis. Le sort de son maître l'avait rendu circonspect ; il fut partisan jusqu'à un certain point du silence pythagorique ; il imita les prêtres de l'Egypte, les mortels les plus taciturnes et les plus cachés. Il est plus occupé à refuter qu'à prouver, et il échappe presque toujours à la malignité du lecteur à l'aide d'un grand nombre d'interlocuteurs qui ont alternativement tort et raison. Il appliqua les Mathématiques à la Philosophie ; il tenta de remonter à l'origine des choses, et il se perdit dans ses spéculations ; il est souvent obscur ; il est peut-être moins à lire pour les choses qu'il dit que pour la manière de le dire, ce n'est pas qu'on ne rencontre chez lui des vérités générales d'une Philosophie profonde et vraie. Parle-t-il de l'harmonie générale. de l'univers, celui qui en fut l'auteur emprunterait sa langue et ses idées.

De la Philosophie de Platon. Il disait :

Le nom de sage ne convient qu'à Dieu, celui de philosophe suffit à l'homme.

La sagesse a pour objet les choses intelligibles ; la science, les choses qui sont relatives à Dieu et à l'âme quand elle est séparée du corps.

La nature et l'art concourent à former le philosophe.

Il aime la vérité dès son enfance, il a de la mémoire et de la pénétration, il est porté à la tempérance, il se sent du courage.

Les choses sont ou intelligibles ou actives, et la science est ou théorique ou pratique.

Le philosophe qui contemple les intelligibles imite l'Etre suprême.

Ce n'est point un être aisif ; il agira, si l'occasion s'en présente.

Il saura prescrire des lais, ordonner une république, apaiser une sédition, amender la vieillesse, instruire la jeunesse.

Il ne néglige ni l'art de parler, ni celui d'arranger ses pensées.

Sa dialectique aidée de la géométrie l'élevera au premier principe, et déchirera le voîle qui couvre les yeux des barbares.

Platon dit que la dialectique est l'art de diviser, de définir, d'inférer et de raisonner ou d'argumenter.

Si l'argumentation est nécessaire, il l'appelle apodectique ; si elle est probable, épichérématique ; si imparfaite ou inthimématique, réthorique ; si fausse, sophismatique.

Si la philosophie contemplative s'occupe des êtres fixes, immobiles, constants, divins, existants par eux-mêmes, et causes premières des choses, elle prend le nom de Théologie ; si les astres et leurs révolutions, le retour des substances à une seule, la constitution de l'univers sont des objets, elle prend celui de Philosophie naturelle ; si elle envisage les propriétés de la matière, elle s'appelle Mathématique.

La philosophie pratique est ou morale, ou domestique, ou civîle ; morale, quand elle travaille à l'institution des mœurs ; domestique, à l'économie de la famille ; civile, à la conservation de la république.

De la dialectique de Platon. La connaissance de la vérité nait de la sensation, quoiqu'elle n'appartienne point à la sensation, mais à l'esprit ; c'est l'esprit qui juge.

L'esprit ou l'entendement a pour objet les choses simples, intelligibles par elles-mêmes, constantes ou qui sont telles qu'on les conçoit, ou les choses sensibles, mais qui échappent à l'organe ou par leur petitesse, ou par leur mobilité qui sont en vicissitude ou inconstantes ; et il y a science et opinion ; science des premières, opinion des secondes.

La sensation est une affectation de l'âme conséquente à quelque impression faite sur le corps.

La mémoire est la permanence de la forme reçue dans l'entendement en conséquence de la sensation.

Si le témoignage de la mémoire se confirme par celui de la sensation, il y a opinion ; s'ils se contredisent, il y a erreur.

L'ame humaine est une table de cire, où la nature imprime son image ; la pensée est l'entretien de l'âme avec elle-même ; le discours est l'énonciation extérieure de cet entretien.

L'intelligence est l'acte de l'entendement appliqué aux premiers objets intelligibles.

L'intelligence comprend ou les intelligibles qui lui sont propres et qui étaient en elle, et elle les comprend avant que l'âme fût unie au corps, ou les mêmes objets, mais après son union avec le corps, alors l'intelligence s'appelle connaissance naturelle.

Cette connaissance naturelle constitue la reminiscence qu'il ne faut pas confondre avec la mémoire ; la mémoire est des choses sensibles ; la reminiscence est des intelligibles.

Entre les objets intelligibles, il y en a de premiers, comme les idées ; de secondaires, comme les attributs de la matière, ou les espèces qui n'en peuvent être séparées. Pareillement entre les objets sensibles, il y en a de premiers, comme la blancheur, et les autres abstraits ; de secondaires, comme le blanc, et les autres concrets.

L'entendement ne juge point des objets intelligibles premiers, sans cette raison qui fait la science. C'est de sa part un acte simple, une appréhension pure et sans discours. Le jugement des objets intelligibles secondaires suppose la même raison et le même acte, mais moins simple ; et il y a intelligence.

Le sens ne juge point des objets sensibles premiers ou secondaires, sans cette raison qui fait l'opinion ; le jugement des concrets la suppose ainsi que le jugement des abstraits ; mais il y a sensation.

On est à ce qu'il y a de vrai et de faux dans la spéculation ; à ce qu'il y a de propre et d'étranger aux actions, dans la pratique.

C'est la raison innée du beau et du bon, qui rend le jugement pratique : cette raison innée est comme une règle dont nous faisons constamment l'application pendant la vie.

Le dialecticien s'occupera d'abord de l'essence de la chose, ensuite de ses accidents.

Il commencera par définir, diviser, resoudre ; puis il inférera et raisonnera.

Qu'est-ce que la division ? C'est la distribution d'un genre en espèces, d'un tout en parties, d'accidents en sujets, de sujets en accidents. On ne parvient à la notion de l'essence, que par ce moyen.

Qu'est-ce que la définition ? Comment se fait-elle ? En partant du genre, passant à la différence la plus prochaine, et descendant de-là à l'espèce.

Il y a trois sortes de résolutions : l'une qui remonte des sensibles aux intelligibles ; une seconde qui procede par voie de démonstration ; une troisième par voie de supposition.

Il faut que l'orateur connaisse l'homme, les différences de l'espèce humaine, les formes diverses de l'énonciation, les motifs de persuasion, et les avantages des circonstances : c'est-là ce qui constitue l'art de bien dire.

Il ne faut pas ignorer la manière dont le sophisme prend le caractère de la vérité.

La connaissance des mots et la raison de la dénomination ou l'étimologie ne sont pas étrangères à la dialectique.

De la philosophie contemplative de Platon, et premièrement de sa théologie. Il ne se fait rien de rien.

Il y a deux causes des choses, l'une dont elles sont ; l'autre par laquelle elles sont. Celle-ci est Dieu ; l'autre est la matière. Dieu et la matière sont éternels et également indépendants, quant à leur essence, à leur existence.

La matière est infinie en étendue et en durée.

La matière n'est point un corps ; mais tous les corps sont d'elle.

Il y a dans la matière une force aveugle, brute, nécessaire, innée, qui la meut témérairement, et dont elle ne peut être entièrement dépouillée. C'est un obstacle que Dieu même n'a pu surmonter. C'est la raison pour laquelle il n'a pas fait ce que l'on conçoit de mieux. De-là, tous les défauts et tous les maux. Le mal est nécessaire ; il y en a le moins qu'il est possible.

Dieu est un principe de bonté opposé à la méchanceté de la matière. C'est la cause par laquelle tout est ; c'est la source des êtres existants par eux-mêmes, spirituels et parfaits ; c'est le principe premier ; c'est le grand ouvrier ; c'est l'ordinateur universel.

Il est difficîle à l'entendement de s'élever jusqu'à lui. Il est dangereux à l'homme de divulguer ce qu'il en a conçu.

On peut démontrer évidemment son existence et ses attributs.

Elle se manifeste à celui qui s'interroge lui-même, et à celui qui jette quelques regards attentifs sur l'univers.

Dieu est une raison incorporelle qu'on ne saisit que par la pensée.

Il est libre, il est puissant, il est sage, il dispose de la matière, autant que l'essence de celle-ci le permet.

Il est bon ; un être bon est inaccessible à l'envie : il a donc voulu que tout fût bon ; qu'il n'y eut de mal que celui qu'il ne pouvait empêcher.

Qu'est-ce qui l'a dirigé dans l'ordination du monde ? Un exemplaire éternel qui était en lui, qui y est, et qui ne change point.

Cet exemplaire éternel, cette raison première des choses, cette intelligence contient en elle les exemplaires, les raisons et les causes de toutes les autres : ces exemplaires sont éternels par eux-mêmes, immanens ; et les modèles de l'essence des choses passageres et changeantes.

Lorsque Dieu informa la matière, lorsqu'il voulut que le monde fût, il y plaça une âme.

Il y a des dieux incréés ; il y en a de produits.

Ceux-ci ne sont par leur nature ni éternels, ni immortels, ni indissolubles ; mais ils durent et dureront toujours par un acte de la volonté divine qui les conserve et qui les conservera.

Il y a des démons dont la nature est moyenne entre celle des dieux et de l'homme.

Ils transmettent ce qui est de Dieu à l'homme, et ce qui est de l'homme à Dieu. Ils portent nos prières et nos sacrifices en haut ; ils descendent en bas les grâces et les inspirations.

L'Etre éternel, les dieux au-dessous de lui, mais éternels comme lui ; les dieux produits, les démons, les hommes, les animaux, les êtres matériels, la matière, le destin, voilà la chaîne universelle.

De la physique de Platon. Rien ne se fait sans cause.

L'ouvrier a en soi le modèle de son ouvrage ; il a les yeux sur ce modèle en travaillant : il en réalise l'idée.

Puisque le monde est, il est par quelque principe.

C'est un grand automate.

Il est un, parce qu'il est tout.

Il est corporel, visible et tangible ; mais on ne voit rien sans feu, on ne touche point sans solidité. Il n'y a point de solidité sans terre : Dieu produisit donc d'abord le feu et la terre, ensuite l'eau qui servit de moyen d'union entre la terre et le feu.

Puis il anima la masse.

L'ame ordonna, la masse obéit, la masse fut sensible. L'ame diffuse échappa aux sens : on ne la conçut que par son action.

Il voulut que l'âme du monde fût éternelle ; que la masse du monde fût éternelle ; que le composé de l'âme et de la masse fût éternel. Mais comment attacha-t-il l'éternité à un tout produit et répugnant par sa nature, à cet attribut ? Ce fut par une image mobîle de la durée que nous appelons le temps. Il tira cette image de l'éternité qui est une, et il en revêtit le monde.

Les corps ont de la profondeur : la profondeur est composée de plans ; les plans se résolvent tous en triangle : les élements sont donc triangulaires.

La plus solide des figures, c'est le cube. La terre est cubique ; le feu est pyramidal ; l'air est en octaédre ; l'eau en icosaédre.

Les figures, les nombres, les mouvements, les puissances furent coordonnées de la manière la plus convenable à la nature de la matière.

Le mouvement est un : il appartient à la grande intelligence ; il se distribue en sept espèces.

Le mouvement ou la révolution circulaire du monde est un effet de la présence du mouvement en tout et par tout.

Le monde a ses périodes. A la consommation de ces périodes, il revient à son état d'origine, et la grande année recommence.

La lune, le soleil et le reste des astres ont été formés pour éclairer la terre et mesurer la durée.

L'orbe au-dessus de la terre est celui de la lune. L'orbe au-dessus de la lune est celui du soleil.

Un orbe général les emporte tous d'un commun mouvement, tandis qu'ils se meuvent chacun en des sens contraires au mouvement général.

Cette terre qui nous nourrit est suspendue par le pôle. C'est le séjour de la lumière et des tenèbres. C'est la plus ancienne des divinités produites dans la profondeur du ciel.

La cause première abandonna la production des animaux aux dieux subalternes. Ils imitèrent sa vertu génératrice : elle avait engendré les dieux ; les dieux engendrèrent les animaux.

De-là Platon descend à la formation des autres corps. Voyez LE TIMEE.

De l'âme selon Platon : ou de sa psychologie. Dieu ayant abandonné la formation de l'homme aux dieux subalternes, il versa dans la masse générale ce germe immortel, divin, qui devait en être extrait, et anima l'être destiné à connaître la justice, et à offrir des sacrifices.

Ce germe fut infecté par son union avec la matière. De-là, l'origine du mal moral, les passions, les vices, les vertus, la douleur, les châtiments, les peines et les récompenses à venir.

L'ame a trois parties différentes, et chacune de ces parties a son séjour ; une partie incorruptible placée dans la tête, une partie concupiscente placée dans le cœur, une partie animale placée entre le diaphragme et l'ombilic. Celle-ci préside aux fonctions animales ; la précédente aux passions, la supérieure à la raison.

L'ame est immortelle. Elle est le principe du mouvement : elle se meut, et meut le reste. Elle est l'élément de la vie ; elle s'occupe des choses permanentes, éternelles, immortelles, analogues à sa nature : elle se rappelle les connaissances qu'elle avait avant que d'être unie au corps.

Avant que de les enfermer dans ce sépulcre, il a dit que si elles obéissaient fidèlement aux lois de la nécessité et du destin auxquels il les soumettait, elles seraient un jour récompensées d'un bonheur sans fin.

Voyez ce qu'il dit de la formation du corps dans le dialogue que nous avons dejà cité.

Platon regardait les Mathématiques, comme la source la plus propre à accoutumer l'homme aux généralités et aux abstractions, et à élever des choses sensibles aux choses intelligibles.

Il s'en manquait beaucoup qu'il méprisât l'Astronomie et la Musique ; mais la perfection de l'entendement et la pratique de la vertu étaient toujours le dernier terme auquel il les rapportait. Ce fut un théosophe par excellence.

De la philosophie pratique de Platon, et premièrement de sa morale. Dieu est le souverain bien.

La connaissance et l'imitation du souverain bien est la plus grande félicité de l'homme.

Ce n'est que par l'âme que l'homme peut acquérir quelque similitude avec Dieu.

La beauté, la santé, la force, les richesses, les dignités ne sont des biens que par l'usage qu'on en fait : ils rendent mauvais ceux qui en abusent.

La nature a doué de certaines qualités sublimes ceux qu'elles a destinés à la condition de philosophe. Ils seront un jour assis à la table des dieux : c'est-là qu'ils connaitront la vérité, et qu'ils riront de la folie de ceux qui se laissent jouer par des simulacres.

Il n'y a de bon que ce qui est honnête.

Il faut préférer à tout la vertu, parce que c'est une chose divine : elle ne s'apprend point, Dieu la donne.

Celui qui sait être vertueux, sait être heureux au milieu de l'ignominie, dans l'exil, malgré la mort et ses terreurs.

Donnez tout à l'homme, excepté la vertu, vous n'aurez rien fait pour son bonheur.

Il n'y a qu'un grand précepte, c'est de s'assimiler à Dieu.

On s'assimîle à Dieu par degrés, et le premier, c'est d'imiter les bons génies, et d'avoir leur prudence, leur justice et leur tempérance.

Il faut être persuadé de la matière actuelle de sa condition, et regarder le corps comme une prison dont l'âme tirée par la mort, passera à la connaissance de la nature essentielle et vraie, si l'homme a été heureusement né, s'il a reçu une éducation, des mœurs, des sentiments conformes à la loi générale, et s'il a pratiqué les maximes de la sagesse.

L'effet nécessaire de ces qualités sera de le séparer des choses humaines et sensibles, et de l'attacher à la contemplation des intelligibles.

Voilà la préparation au bonheur : on y est initié par les mathématiques.

Les pas suivants consistent à dompter ses passions, et à s'accoutumer à la tâche du philosophe, ou l'exercice de la vertu.

La vertu est la meilleure et la plus parfaite affection de l'âme qu'elle embellit, et où elle assied la constance et la fermeté, avec l'amour de la vérité dans la conduite et les discours, seul ou avec les autres.

Chaque vertu a sa partie de l'âme à laquelle elle préside ; la prudence préside à la partie qui raisonne ; la force, à la partie qui s'irrite ; la tempérance, à la partie qui désire.

La prudence est la connaissance des biens, des maux et des choses qui tiennent le milieu : la force est l'observation légitime d'un decret doux ou pénible ; la tempérance est l'assujettissement des passions à la raison. La justice est une harmonie particulière de ces trois vertus, en conséquence de laquelle chaque partie de l'âme s'occupe de ce qui lui est propre, de la manière la plus conforme à la dignité de son origine : la raison commande, et le reste obéit.

Les vertus sont tellement enchainées entr'elles, qu'on ne peut les séparer : celui qui péche est déraisonnable, imprudent et ignorant. Il est impossible que l'homme soit en même temps prudent, intempérant et pusillanime.

Les vertus sont parfaites ; elles ne s'augmentent et ne se diminuent point : c'est le caractère du vice.

La passion est un mouvement aveugle de l'âme frappée d'un objet bon ou mauvais.

Les passions ne sont pas de la partie raisonnable, aussi naissent-elles et passent-elles malgré nous.

Il y a des passions sauvages et féroces ; il y en a de douces.

La volupté, la douleur, la colere, la commisération, sont du nombre de ces dernières ; elles sont de la nature de l'homme ; elles ne commencent à être vicieuses qu'en devenant excessives.

Les passions sauvages et féroces ne sont pas dans la nature ; elles naissent de quelque dépravation particulière : telle est la misantropie.

Dieu nous a rendu capables de plaisir et de peine.

Il y a des peines de corps, des peines d'ame, des peines injustes, des peines outrées, des peines raisonnables, des peines mesurées, des peines contraires au bien, et d'autres qui lui sont conformes.

L'amitié est une bienveillance réciproque qui rend deux êtres également soigneux l'un du bonheur de l'autre ; égalité qui s'établit et qui se conserve par la conformité des mœurs.

L'amour est une espèce d'amitié.

Il y a trois sortes d'amour ; un amour honteux et brutal, qui n'a d'objet que la volupté corporelle ; un amour honnête et céleste, qui ne regarde qu'aux qualités de l'âme ; un amour moyen qui se propose la jouissance de la beauté de l'âme et du corps.

De la politique de Platon. Les fonctions des citoyens dans la république, semblables à celles des membres du corps, se réduiront à la garder, à la défendre et à la servir. Les gardiens de la république veillent et commandent ; ses défenseurs prennent les armes et se battent ; ses serviteurs sont répandus dans toutes les autres professions.

La république la plus heureuse est celle où le souverain philosophe connait le premier bien.

Les hommes vivront misérables, tant que les philosophes ne régneront pas, ou que ceux qui règnent privés d'une sorte d'inspiration divine, ne seront pas philosophes.

La république peut prendre cinq formes différentes ; l'aristocratie, où un petit nombre de nobles commande ; la timocratie, où l'on obéit à des ambitieux ; la démocratie, où le peuple exerce la souveraineté ; l'oligarchie, où elle est confiée à quelques-uns ; la tyrannie ou l'administration d'un seul, la plus mauvaise de toutes.

Si l'administration peche, il faut la corriger ; c'est l'usage d'un nombre d'hommes de tout âge et de toute condition, dont les différents intérêts se balanceront.

L'usage commun des femmes ne peut avoir lieu que dans une république parfaite.

La vertu de l'homme politique consiste à diriger ses pensées et ses actions au bonheur de la république.

Des successeurs de Platon. Ceux qui succédèrent à Platon ne professèrent point tous rigoureusement sa doctrine. Sa philosophie souffrit différentes altérations, qui distinguèrent l'académie en ancienne, moyenne, nouvelle et dernière. L'ancienne fut de vrais Platoniciens, au nombre desquels on compte Speusippe, Xénocrate, Polemon, Cratès et Crantor. La moyenne, de ceux qui retinrent ses idées, mais qui élevèrent la question de l'imbécillité de l'entendement humain, et de l'incertitude de nos connaissances, parmi lesquels on nomme Arcésilaus, Lacyde, Evandre et Egesine. La nouvelle, qui fut fondée par Carnéade et Clitomaque, et qui se divisa dans la suite en quatrième et cinquième ; celle-ci sous Philon et Charmide, celle-là sous Antiochus.

De l'académie première ou ancienne, ou des vrais Platoniciens. De Speusippe. Ce philosophe occupa la chaire de Platon son oncle ; ce fut un homme d'un caractère doux ; il prit plus de goût pour Lasthenie et pour Axiothée ses disciples, qu'il ne convenait à un philosophe valétudinaire. Un jour qu'on le portait à l'académie sur un brancard, il rencontra Diogène, qui ne répondit à son salut qu'en lui reprochant la honte de vivre dans l'état miserable où il était. Frappé de paralysie, il se nomma pour successeur Xénocrate. On dit qu'il mourut entre les bras d'une femme. Il exigea un tribut de ses auditeurs. Il aima l'argent. Il avait composé des poèmes ; on les lui faisait réciter en le payant, quoiqu'ils fussent peu conformes aux bonnes mœurs. Au reste on peut rabattre de ces imputations odieuses, qui n'ont d'autres garands que le témoignage de Denis de Syracuse, qui avait haï, persécuté et calomnié Platon, et qui peut-être n'en usa pas avec plus d'équité pour Speusippe, parent de Platon, ennemi de la tyrannie, et ami de Dion, que les terreurs de Denis tenaient en exil. Aristote acheta les ouvrages de Speusippe trois talents, somme exorbitante, mais proportionnée apparemment au mérite qu'il y attachait, ou à la haine qu'il portait au Platonisme, sorte de philosophie qu'il avait médité d'éteindre à quelque prix et par quelque moyen que ce fût. Speusippe s'occupa à remarquer ce que les Sciences avaient de commun, à les rapprocher, et à les éclairer les unes par les autres. Il marcha sur les traces de Pythagore ; il distingua les objets en sensibles et en intellectuels, et il comparait les sens aux doigts expérimentés d'une joueuse de flute. Du reste il pensa sur le bonheur, sur la vérité, sur la vertu et la république, comme Platon, dont il différa moins par les idées que par l'expression.

Xenocrate naquit dans le cours de la 95e olympiade ; il eut l'intelligence lente et pesante. Platon le comparait à un âne paresseux qui avait besoin d'éperons ; et Aristote à un cheval fougueux à qui il fallait un mors. Il avait les mœurs dures, l'extérieur rebutant, et son maître lui répétait sans cesse de sacrifier aux grâces. Il se comparait lui-même à un vase dont le col était étroit, qui recevait difficilement, mais qui retenait bien. Il montra bien à la cour de Denis qu'il était capable d'attachement et de reconnaissance, en disant avec hardiesse au tyran, qu'on ne disposait point de la tête de Platon sans avoir auparavant disposé de celle de Xénocrate. Il se conforma rigoureusement à la discipline et à la doctrine de l'académie ; il représenta Platon par la pureté de ses mœurs et la gravité de son maintien et de ses discours. Telle fut l'opinion qu'on eut de sa véracité, qu'appelé en témoignage, les juges le dispensèrent du serment. Envoyé en ambassade à Philippe de Macédoine, les présents de ce souverain ne le tentèrent point, et il refusa constamment de conférer avec lui secrètement. Il servait utilement sa patrie en d'autres circonstances non moins importantes, sans qu'il en coutât rien à son intégrité. Il remit à Alexandre la plus grande partie des cinquante talents qu'il lui fit offrir. Il n'est pas surprenant après ces marques de désintéressement qu'il fût pauvre, et qu'il ne se trouvât pas en état de payer le tribut qu'on exigeait dans Athènes de ceux qui voyageaient ; mais il l'est beaucoup que faute de payement des Athéniens, dont il avait si bien mérité l'estime, l'aient vendu, et qu'il n'ait été rendu à la partie que par la bienfaisance de Démétrius de Phalere, qui le racheta. Phryné, qui avait fait gageure avec quelques jeunes libertins qu'elle le corromprait ; eut perdu la haute opinion qu'elle avait de ses charmes, le préjugé qu'elle avait conçu de la faiblesse de Xénocrate, et la somme qu'elle avait déposée ; mais elle retira son argent, en disant qu'elle s'était engagée à émouvoir un homme, mais non une statue. Il fallait que celui qui résistait à Phryné fût ou passât pour impuissant. On crut de Xénocrate qu'il s'était assuré de lui-même, en se détachant des organes destinés à la volupté, longtemps avant que de passer la nuit à côté de la célèbre courtisanne. Les enfants même le respectaient dans les rues, et sa présence suspendait leurs jeux. Ce fut un homme silencieux. Il disait qu'il s'était quelquefois repenti d'avoir parlé, jamais de s'être tu. Il se distingua par sa clémence, sa sobriété, et toutes les vertus qui caractérisent l'homme de bien et le philosophe. Il vécut de longues années sans aucun reproche. Il éloigna de son école comme un vase sans ses anses, celui qui ignorait la Géométrie, l'Astronomie et la Musique. Il définit la Rhétorique comme Platon. Il divisa la Philosophie en Logique, Physique et Morale. Il prétendit qu'il fallait commencer la Dialectique par le traité des mots. Il distingua les objets en sensibles, intelligibles et composés, et la connaissance en science, sensation et opinion. Il rapporta sa doctrine des dieux à celle des nombres, à la monade ou l'unité qu'il appela dieu, au nombre deux, dont il fit une divinité femelle, et à l'impair, qui fut Jupiter. Il admit des puissances subalternes, tels que le ciel et les astres ; et des démons diffus dans toute la masse de l'univers, et adorés parmi les hommes sous les noms de Junon, de Neptune, de Pluton et Cérès. Selon lui, l'âme qui se meut d'elle-même fut un nombre. Il imagina trois denses différents ; il composa les étoiles et le soleil de feu, et d'un premier dense ; la lune d'un air particulier et d'un second dense ; et la terre, d'air et d'eau, et d'un troisième dense. L'ame ne fut susceptible ni de densité ni de rareté. Il disait, tout ce qui est, est ou bien ou mal, ou indifférent ; la vertu est préférable à la vie, le plus grand des biens, etc. Il mourut âgé de 82 ou 84 ans.

Polemon fut un de ces agréables débauchés, dont la ville d'Athènes fourmillait. Un jour qu'il sortait au lever du soleil de chez une courtisanne avec laquelle il avait passé la nuit, ivre d'amour et de vin, les cheveux épars, les pieds chancelans, ses vétements en désordre, la poitrine nue, ses brodequins tombans et à moitié détachés, une couronne en lambeaux, et placée irrégulièrement sur sa tête, il aperçut la porte de l'école de Xénocrate ouverte ; il entra, il s'assit, il plaisanta le philosophe et ses disciples. Les idées qu'on avait là du bonheur, quadraient peu avec celles d'un jeune homme qui aurait donné sa vie pour un verre de vin de Chio et un baiser de sa maîtresse. Xénocrate ne se déconcerta point ; il quitta le sujet dont il entretenait ses auditeurs, et se mit à parler de la modestie et de la tempérance. D'abord la gravité du philosophe abattit un peu la pétulance du jeune libertin ; bientôt elle le rendit attentif. Polemon se tut, écouta, fut touché, rougit de son état, et on le vit, à mesure que le philosophe parlait, embarrassé, se baisser furtivement, rajuster son brodequin, ramener ses bras nuds sous son manteau, et jeter loin de lui sa couronne. Depuis ce moment il professa la vie la plus austère ; il s'interdit l'usage du vin ; il s'exerça à la fermeté, et il réussit au point que, mordu à la jambe par un chien enragé, il conserva sa tranquillité au milieu d'une foule de personnes que cet accident avait rassemblées, et qui en étaient frappées de terreur. Il aima la solitude autant qu'il avait aimé la dissipation. Il se retira dans un petit jardin, et ses disciples se bâtirent des chaumières autour de la sienne. Il fut chéri de son maître et de ses disciples, et honoré de ses concitoyens. Il forma Crantor, Cratès le stoïcien, Zénon et Arcesilaus. Sa philosophie fut pratique. Il faut plus agir, disait-il, que spéculer ; vivre selon la nature ; imiter Dieu ; étudier l'harmonie de l'univers, et l'introduire dans sa conduite. Il mourut de phtisie dans un âge fort avancé.

Cratès l'athénien succéda à Polemon son maître et son ami. Jamais deux hommes ne furent unis d'un lien plus solide et plus doux que ceux-ci. Ils eurent les mêmes gouts, les mêmes études, les mêmes exercices, les mêmes amusements, les mêmes sentiments, les mêmes vertus, les mêmes mœurs ; et quand ils moururent, ils furent enfermés dans un même tombeau. Cratès écrivit de la philosophie, composa des pièces de théâtre, et laissa des harangues. Arcésilaus et Bion le boristhenite, se distinguèrent dans son école. Il y eut plusieurs philosophes de son nom, avec lesquels il ne faut pas le confondre.

Crantor occupa l'académie après Polemon. Il fut philosophe et poète dramatique. Son ouvrage de luctu eut beaucoup de réputation. Ciceron nous en a transmis les idées principales dans son livre de la consolation. Sa doctrine ne différa guère de celle de Platon. Il disait : la vie de l'homme est un long tissu de miseres que nous nous faisons à nous-mêmes, ou auxquelles la nature nous a condamnés. La santé, la volupté et les richesses sont des biens, mais d'un prix fort différent. L'absence de la douleur est un avantage qui coute bien cher : on ne l'obtient que de la férocité de l'âme ou de la stupeur du corps. L'académie ancienne ou première finit à Crantor.

De l'académie moyenne. Arcesilaus ou Arcesilas en est le fondateur. Il naquit la première année de la cent seizième olympiade ; il apprit les Mathématiques sous Autolique, la Musique, sous Xanthe, la Géométrie sous Hipponique, l'art Oratoire et la Poésie sous différents maîtres ; enfin la Philosophie dans l'école de Théophraste, qu'il quitta pour entendre Aristote, qu'il quitta pour entendre Polemon. Il professa dans l'académie après la mort de Crantor. Ce fut un homme éloquent et persuasif. Il ménageait peu le vice dans ses disciples, cependant il en eut beaucoup. Il les aima ; il les secourut dans le besoin. Sa philosophie ne fut pas austère. Il ne se cacha point de son goût pour les courtisannes Théodorie et Philete. On lui reproche aussi le vin et les beaux garçons. A en juger par la constance qu'il montra dans ses douleurs de la goutte, il ne parait pas que la volupté eut amolli son courage. Il vécut loin des affaires publiques, renfermé dans son école. On lui fait un crime de ses liaisons avec Hieroclès. Il mourut en délire âgé de 75 ans. Il excita la jalousie de Zenon, d'Hyeronimus le péripatéticien, et d'Epicure. La philosophie académique changea de face sous Arcesilas. Pour se former quelqu'idée de cette révolution, il faut se rappeler :

1. Que les Académiciens n'admettaient aucune science certaine des choses sensibles ou de la matière, être qui est dans un flux et un changement perpétuel ; d'où ils inféraient la modestie dans les assertions, les précautions contre les préjugés, l'examen, la patience et le doute.

2. Qu'ils avaient la double doctrine, l'ésoterique et l'exotérique ; qu'ils combattaient les opinions des autres philosophes dans leurs leçons publiques, mais qu'ils n'exposaient leurs propres sentiments que dans le particulier.

3. Qu'au temps ou Socrate parut, Athènes était infectée de sophistes, et que Socrate ne trouva pas de meilleurs moyens de détromper ses concitoyens de ces hommes vains, que d'affecter l'ignorance et le doute, que de les interroger sur ce qu'il savait mieux qu'eux, que de les embarrasser, et que de les couvrir de ridicule.

4. Que ce doute affecté de Socrate, devint dans quelques-uns de ses disciples le germe d'un doute réel, sur les sens, sur la conscience et sur l'expérience, trois témoignages auxquels Socrate en appelait sans cesse.

5. Qu'il en résulta une sorte de philosophie incommode, inquisitive, épineuse, qui fut enseignée principalement dans les écoles dialectiques, mégariques et érétriaques, où la fureur de disputer pour et contre subsista très-longtemps.

6. Que Platon, homme d'un goût sain, d'un grand jugement, d'un génie élevé et profond, sentit bientôt la frivolité de ces disputes scolastiques, se tourna vers des objets plus importants, et songea à rappeler dans l'usage de la raison une sorte de sobriété, distinguant entre les objets de nos réflexions ceux qu'il nous était permis de bien connaître, et ceux sur lesquels nous ne pouvions jamais qu'opiner.

7. Qu'au temps d'Arcesilas, de Xénocrate et d'Aristote, il s'éleva une école nouvelle où l'on combattait tous les systèmes connus, et où l'on élevait sur leurs débris la doctrine de la faiblesse absolue de l'entendement humain, et de l'incertitude générale de toutes nos connaissances.

8. Qu'au milieu de cette foule de sectes opposées, la philosophie de Platon commença à souffrir quelque altération ; que le silence sur la doctrine ésoterique avait été mal gardé ; que ce qu'on en avait laissé transpirer était brouillé et confus dans les esprits, et qu'on pensa qu'il fallait mieux desaprendre ceux qui étaient mal instruits, que d'instruire ceux qu'on ne trouverait peut-être pas assez dociles.

Voilà ce qui détermina Arcesilas à revenir à la méthode de Socrate, l'ignorance affectée, l'ironie et le doute. Socrate l'avait employée contre les sophistes ; Arcesilas l'employa contre les sémi-philosophes platoniciens ou autres. Il dit donc :

Principes de la philosophie d'Arcesilas. On ne peut rien savoir, si ce n'est la chose que Socrate s'était réservée, c'est qu'on ne sait rien ; encore cette chose-là même est-elle incertaine.

Tout est caché à l'homme ; il ne voit rien ; il ne conçoit rien. Il ne faut donc ni s'attacher à aucune école, ni professer aucun système, ni rien affirmer, mais se contenir et se garantir de cette témérité courante, avec laquelle on assure les choses les plus inconnues, on débite comme des vérités les choses les plus fausses.

Il n'y a rien de plus honteux dans un être qui a de la raison, que d'assurer et d'approuver avant que d'avoir entendu et compris.

Un philosophe peut s'élever contre tous les autres, et combattre leurs opinions par des raisons au moins aussi fortes que celles qu'ils avancent en preuves.

Le sens est trompeur. La raison ne mérite pas qu'on la croie.

Le doute est très-raisonnable quant aux questions de la Philosophie ; mais il ne faut pas l'étendre aux choses de la vie.

D'où l'on voit qu'un académicien de l'académie moyenne, ou un sceptique, diffèrent très-peu ; qu'il n'y a pas un cheveu de différence entre le système de Pirrhon et celui d'Arcesilas ; qu'Arcesilas ne permettait pas qu'on appliquât ses principes à la justice, au bien, au mal, aux mœurs, et à la société ; mais qu'il les regardait seulement comme des instruments très-incommodes pour l'orgueil dogmatique des sophistes de son temps.

Lacyde de Cyrene embrassa la doctrine d'Arcesilas. Il était établi dans les jardins de l'académie la quatrième année de la cent trente-quatrième olympiade. Il y professa pendant vingt-cinq ans. Il eut peu de disciples. On l'abandonna pour suivre Epicure. On préféra le philosophe qui préchait la volupté de l'âme et des sens à celui qui décriait la lumière de l'une et le témoignage des autres ; et puis il n'avait ni cette éloquence, ni cette subtilité, ni cette vigueur avec laquelle Arcesilas avait porté le trouble parmi les dialectiques, les stoïciens et les dogmatiques. Lacyde céda sa place à ses deux disciples, Télecle et Evandre. Evandre eut pour successeur Egesine de Pergame, et celui-ci Carnéade, qui fut le chef de l'académie nouvelle.

De l'académie nouvelle, ou troisième, quatrième et cinquième. Les Athéniens furent un peuple folâtre, où les poètes ne perdaient aucune occasion de jeter du ridicule sur les philosophes, où les philosophes s'occupaient à faire sortir l'ignorance des poètes, et à les rendre méprisables, et où le reste de la nation les prenait les uns et les autres au mot, et s'en amusait ; de-là cette multitude de mauvais contes qu'Athénée et Diogène de Laerce, et ceux qui ont écrit devant et après eux de l'histoire littéraire de la Grèce, nous ont transmis. Il faut convenir qu'une philosophie qui ravalait l'homme au-dessous de la bête, en le dépouillant de tous les moyens de connaître la vérité, était un sujet excellent de plaisanterie pour des gens aisifs et mécans.

Carnéade naquit la troisième année de la cent quarante et unième olympiade. Il étudia la dialectique sous le stoïcien Diogène ; aussi disait-il quelquefois dans la dispute : ou je vous tiens, ou Diogène me rendra mon argent. Il fut un de ceux que les Athéniens envoyèrent à Rome à l'occasion du sac d'Orope. Son éloquence était rapide et violente ; celle de Critolaus solide et forte ; celle de Diogène sobre et modeste. Ces trois hommes parlèrent devant les Romains et les étonnèrent. Carnéade disputa de la justice pour et contre en présence de Galba et de Caton le censeur ; et Ciceron dit des raisons que Carnéade opposa à la notion du juste et de l'injuste, qu'il n'ose se promettre de les détruire, trop heureux s'il parvient à les émousser et à rassurer les lois et l'administration publique dont le philosophe grec a ébranlé les fondements. Quoi qu'il en sait, Carnéade fut un imprudent. Son sujet était mal choisi ; et il n'était pas à présumer que les graves magistrats romains supportassent un art qui rendrait problématiques les vérités les plus importantes. Comment Caton le censeur eut-il la patience d'écouter celui qui accusait de fausseté la mesure intérieure des actions ? ce Carnéade fut un homme terrible.

Il réunit en même temps la subtilité, la force, la rapidité, l'abondance, la science, la profondeur ; en un mot toutes les qualités avec lesquelles on dispose d'un auditeur. Ses principes différèrent peu de ceux d'Arcésilas. Selon lui :

Nous n'avons aucun moyen incontestable de reconnaître la vérité, ni la raison, ni les sens, ni l'imagination ; il n'y a rien ni en nous ni hors de nous qui ne nous trompe.

Il n'y a aucun objet qui affecte deux hommes de la même manière, ou le même homme en deux moments différents.

Aucun caractère absolu de vérité, ni relatif à l'objet, ni relatif à l'affection.

Comment s'en rapporter à une qualité aussi inconstante que l'imagination ?

Point d'imagination sans la sensation, point de raison sans l'imagination. Mais si le sens trompe, si l'imagination est infidèle, ou s'ils disent vrai, et qu'il n'y ait aucun moyen certain de s'assurer des cas où ils ne trompent pas, que penser de la raison ?

Tous les axiomes de Carnéade se réduisent à décrier la mémoire, l'imagination, les sens et la raison.

D'où il s'ensuit que la doctrine de l'académie moyenne fut à-peu-près la même que celle de l'académie nouvelle.

Et que l'académie différait du pirrhonisme, en ce qu'elle laissait au philosophe la vraisemblance et l'opinion. L'académicien disait, videre mihi videor, et le pirrhonien, nihil videre mihi videor.

Carnéade ne reconnaissait point l'existence des dieux ; mais il soutenait contre les stoïciens que tout ce qu'ils en débitaient était vague et incertain.

Il raisonnait de la même manière sur le destin. Il démontrait qu'il y a des choses en notre puissance ; d'où il concluait la fausseté de la concaténation générale, et l'impossibilité même pour Apollon de rien prédire des actions de l'homme.

Il faisait consister le bonheur à imiter la nature, à suivre ses conseils, et à jouir de ses présents.

Le carthaginois Clitomaque succéda à Carnéade ; il entra dans l'académie la deuxième année de la cent soixante-deuxième olympiade, et l'occupa environ trente ans. Celui-ci fut tout à fait pirrhonien ; il ne laissa pas même au philosophe le choix entre les choses plus ou moins vraisemblables. Il fit une énigme également inexplicable de l'homme et de la nature. Il décria et l'observation, et l'expérience, et la dialectique qu'il comparait à la lune qui croit et décroit.

Philon étudia plusieurs années sous Clitomaque. Charmidas lui succéda, et l'académie cessa à Anthiochus l'Ascalonite.

Les académies première, moyenne et nouvelle, eurent des sectateurs chez les Romains. Voyez l'article PHILOSOPHIE DES ROMAINS.

Le Platonisme se renouvella sous les empereurs. On nomme parmi ces nouveaux Platoniciens Thrasîle de Mende, qui vécut sous les règnes d'Auguste et de Tibere ; Théon de Smyrne ; Alcinous ; l'hermaphrodite ou l'eunuque Favorinus, qui se distingua sous Trajan et sous Adrien, parce qu'étant gaulois, il parla grec ; eunuque il fut accusé d'adultère, rival en philosophie de l'empereur, il conserva la liberté et sa vie ; Calvisius Taurus qui parut du temps d'Antonin le Pieux ; Lucius Apulée l'auteur du conte de l'âne d'or ; Atticus, qui fut contemporain de l'empereur philosophe Marc-Aurele Antonin ; Numenius d'Apamée, Maxime de Tyr, sous Commode, Plutarque et Galien.

Ce fut alors que le Platonisme engendra l'Eclectisme. Voyez l'article ECLECTISME, Philosophie.

Le Christianisme commençait à s'établir. Voyez aux articles PHILOSOPHIE DE JESUS-CHRIST, DES APOTRES ET DES PERES, quel fut le sort du Platonisme dans l'Eglise.

Cette philosophie s'éteignit ainsi que toutes les autres connaissances, et ne se renouvella qu'au temps où les Grecs passèrent en Italie. Le premier nom que l'on trouve parmi les restaurateurs de la doctrine de Platon, est celui de George Gemistus Plitho ; il vivait à la cour de Michel Paleologue, douze ans avant le concîle de Florence, qui fut tenu sous Eugène IV. l'an 1438, et auquel il assista avec Théodore Gaza et Bessarion. Il écrivit un livre des lois que le patriarche de Constantinople Gennade, fit bruler après la mort de l'auteur.

Bessarion fut disciple de Gemistus, et sectateur du Platonisme. La vie de Gemistus et de Bessarion appartient plus à l'histoire de l'Eglise qu'à celle de la Philosophie.

Mais personne dans ce temps ne fut plus sincérement platonicien que Marsille Ficin. Il naquit à Florence en 1433. Il professa publiquement la philosophie. Il forma Ange Politien, Arétin, Cabalcante, Calderin, Mercat, et d'autres. Il nous a laissé une traduction de Platon, si maigre, si seche, si dure, si barbare, si décharnée, qu'elle est à l'original, comme ces vieux barbouillages de peinture que les amateurs appellent des croutes, sont aux tableaux du Titien ou de Raphael.

Jean Pic de la Mirandole, qui encouragea ses contemporains à l'étude de Platon, naquit en 1436. Celui-ci connut tout ce que les Latins, les Grecs, les Arabes et les Juifs avaient écrit de la Philosophie. Il sçut presque toutes les langues. L'amour de l'étude et du plaisir abrégèrent ses jours. Il mourut avant l'âge de trente-deux ans.

Alors la Philosophie prit une nouvelle face. Voyez l'article de la PHILOSOPHIE en général.

PLATONISME, subst. m. (Théologie) ce terme désigne, en Théologie, la doctrine de Platon et des Platoniciens, d'après laquelle les Anti-trinitaires prétendent que le dogme de la Trinité a été transporté dans le Christianisme. Il importe de les entendre parler eux-mêmes pour être en état de les combattre : voici donc en abrégé la manière dont ils établissent leur opinion.

On peut, disent-ils, ramener au dogme chrétien de la Trinité l'idée de Platon touchant les trois principes qu'il semble enseigner. Les philosophes payens n'ont point agité de question plus importante que celle de savoir si le monde est éternel ; mais après de longues méditations, les plus sages d'entr'eux conclurent de la contemplation de l'univers, qu'il n'y avait qu'un être tout sage et tout puissant qui put avoir construit un ouvrage si admirable. Platon était de ce nombre ; ne concevant pas que l'origine du monde fût dû. à la rencontre fortuite des atômes, il comprit que c'était la production d'une profonde sagesse. Mais comme il appréhendait le sort de Socrate, il enveloppa cette vérité sous des fictions, et n'osant s'opposer à l'erreur publique, il personnifia la Raison du créateur, sa Sagesse, sa Puissance, et en fit des divinités, pour ne pas choquer l'opinion regnante de la pluralité des dieux ; en un mot, gêné par la superstition des peuples, il feignit adroitement, pour philosopher en sûreté, une généalogie de dieux, un père, un fils engendré, et un troisième dieu issu du père et du fils.

Cette philosophie orientale jeta naturellement dans l'erreur les premiers chrétiens qui prirent à la lettre une chose purement allégorique. Ils cherchaient à tirer avantage de toutes les paroles des Payens, et dans cette vue ils leur donnaient souvent une interprétation forcée. L'équivoque des mots peut souvent faire illusion à ceux qui n'y réfléchissent pas assez. Il est surtout très-aisé de se tromper dans l'explication de la doctrine de Platon, qui n'est pas claire et distincte, soit que ce philosophe ait voulu être allégorique et mystérieux politiquement, soit qu'il n'ait pas été bien éclairé lui-même sur les idées qu'il fallait se former de la divinité.

Il est arrivé de sa doctrine, ajoutent les Anti-trinitaires, que quelques pères entendant mal ce qu'il a dit du second dieu, terme par lequel Platon n'entendait sans doute autre chose que le monde créé par la sagesse et la toute-puissance de Dieu, ils l'ont expliquée du verbe proféré et poussé au-dehors. De-là sont venus leurs termes de génération et prolation ; concevant qu'il y a eu un temps auquel le père n'était point père, et que le fils a commencé à être fils. Ils se sont aussi persuadés que Platon avait connu trois personnes ou trois hypostases de la divinité, et ils ont porté dans le Christianisme ces idées de l'école de Platon.

Il est vrai que les premiers pères n'étaient point à l'égard de la Trinité dans le sentiment où fut l'Eglise après le concîle de Nicée. Ils confondaient tellement la doctrine de l'Ecriture avec celle de Platon, qu'il est bien difficîle de séparer leurs subtilités platoniciennes d'avec le Christianisme ; cherchant à ajuster la philosophie avec la religion, ils gâtaient l'une et l'autre. Ils voulaient éblouir les Philosophes, en leur montrant le Christianisme dans Platon, et il est arrivé de-là, disent encore les Anti-trinitaires, que le Platonisme, qui ne devait être que l'ornement de la religion, en devint insensiblement le fond.

On voit, ajoutent les Sociniens, que les pères n'ont pas tous attaché une signification constante et uniforme aux mêmes termes ; et l'on ne doit pas s'en étonner, puisqu'on ne s'accorde pas encore aujourd'hui sur le sens qu'on doit leur donner. Les uns en voulant sauver la Trinité, ont laissé échapper l'unité ; les autres en concevant trois personnes de la Trinité comme trois substances distinctes, semblent constituer trois dieux séparés. D'autres pour éviter cette erreur n'ont regardé la dénomination des trois personnes que comme des modes et des attributs. Quand on demande, dit S. Augustin, ce que c'est que les trois personnes, on manque de termes pour les exprimer. On a pourtant dit trois personnes, parce qu'il ne faut pas demeurer muet.

Nous ne sommes ici que simples historiens, ce qui est une chose aisée ; mais la réfutation du sentiment des Anti-trinitaires, et la discussion de tous les passages qu'ils alleguent pour le soutenir, est trop au-dessus de nos forces pour que nous osions l'entreprendre ; notre crainte est d'autant mieux fondée, que d'habiles gens prétendent que le P. Baltus lui-même, n'a pas aussi bien réussi qu'il serait à désirer dans son examen critique de cette matière. Je le blâmerais en mon particulier des termes injurieux qu'il emploie contre ses adversaires, parce qu'on ne tire jamais aucun avantage des injures, et qu'elles gâtent au contraire la défense d'une bonne cause.

Il faut donc joindre au père Baltus Pierre Poiret, dans ses Opera posthuma, et Jean Frédéric Méyer dans sa Dissertation de , qui ont travaillé fortement à réfuter le Platonisme prétendu dévoilé par les Antitrinitaires. D'un autre côté Samuel Crellius a entrepris la défense de ses confrères dans son Artemonii initium Evangelii sancti Joannis illustratum, imprimé à Londres en deux volumes in-8°. C'est par la lecture de tous les ouvrages que je viens de citer, que les critiques se trouveront en état d'approfondir exactement la question délicate du Platonisme, que les Antitrinitaires prétendent s'être glissée dans la religion chrétienne.

Je ne dois pas oublier d'ajouter, que M. Leclerc est un de ceux qui, dans ces derniers temps, s'est déclaré avec plus d'habileté en faveur de ce sentiment, comme il parait par la lecture de son Ars critica, et par celle de plusieurs tomes de ses Journaux, par exemple, dans sa Bibliothèque universelle, tom. IV. tom. X. et tom. XVIII. dans sa Bibliothèque choisie, tom. XIII. dans sa Bibliothèque ancienne et moderne, tom. V. et dans les Prolegomenes de son Historia ecclesiastica. C'est aussi lui qui, vraisemblablement a fait imprimer en 1700, in-8°. le livre de M. Souverain intitulé le Platonisme dévoilé, ou Essai sur le verbe platonicien ; mais c'est Daniel Zwickerus, écrivain socinien, qui s'est attaché le premier à établir que les premiers écrivains chrétiens ont tiré la Trinité et le ou verbe, des écrits de Platon mal entendus. (D.J.)