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Catégorie : Métallurgie
S. m. (Ordre encyclopédique, Entendement, Raison, Philosophie ou Science, Science de la nature, Chimie, Métallurgie, Argent) c'est un des métaux que les Chimistes appellent parfaits, précieux et nobles. Il est blanc quand il est travaillé ; fin, pur, ductîle ; se fixe au feu comme l'or, et n'en diffère que par le poids et la couleur.

On trouve quelquefois de l'argent pur formé naturellement dans les mines : mais ce métal, ainsi que tous les autres métaux, est pour l'ordinaire mêlé avec des matières étrangères. L'argent pur des mines est le plus souvent dans les fentes des rochers ; il est adhérent à la pierre, et on est obligé de l'en détacher : mais quelquefois le courant des rivières, la chute des pierres, l'impétuosité des vents, entraînent des morceaux d'argent au pied des rochers, où il est mêlé avec les sables et les terres. Ces morceaux d'argent n'ont pas toujours la même forme ; les uns sont en grains de différentes grosseurs ; il y en a de petits qui sont posés les uns sur les autres ; il y en a de très-gros ; par exemple, celui que Worm disait avoir été tiré des mines de Norvege, et peser 130 marcs.

L'argent en cheveux est par filaments si déliés et si fins, qu'on ne peut mieux le comparer qu'à des cheveux, à des fils de soie, ou à un flocon de laine qui serait parsemé de points brillans. L'argent en filets est en effet composé de fils si bien formés, qu'on croirait qu'ils auraient été passés à la filière. L'argent en végétation ressemble en quelque sorte à un arbrisseau : on y remarque une tige qui jette de part et d'autre des branches ; et ces branches ont des rameaux : mais il ne faut pas imaginer que les proportions soient bien observées dans ces sortes de végétations. Les rameaux sont aussi gros que les branches, et la tige n'est pas marquée comme devrait l'être un tronc principal. L'argent en feuilles est assez ressemblant à des feuilles de fougère ; on y voit une côte qui jette de part et d'autre des branches, dont chacune a aussi de petites branches latérales. L'argent en lames est aisé à reconnaître ; il est étendu en petites plaques simples, unies et sans aucune forme de feuillage.

Les mines d'argent les plus ordinaires sont celles où l'argent est renfermé dans la pierre : les particules métalliques sont dispensées dans le bloc, et la richesse de la mine dépend de la quantité relative et de la grosseur de ces particules au volume du bloc. Dans ces sortes de mines, l'argent est de sa couleur naturelle : mais dans d'autres il parait de différentes couleurs, qui dépendent des matières avec lesquelles il est mêlangé. Il est ici noir, roux ; ailleurs d'un beau rouge, d'une substance transparente, et d'une forme approchante de celle des crystallisations des pierres précieuses ; de sorte qu'à la première vue on le prendrait plutôt pour du rubis que pour de la mine d'argent. On l'appelle mine d'argent rouge.

Il y a des mines d'argent dans les quatre parties du monde : l'Europe n'en manque pas, et la France n'en est pas tout à fait privée, quoiqu'il y ait des contrées plus riches en cela qu'elle ne l'est. Au reste on peut juger de ce qu'elle possède en mines d'argent par l'état suivant.

Dans la généralité de Paris et île de France, en plusieurs endroits et au milieu des masses de sable jaune et rougeâtre, il y a des veines horizontales de mine de fer imparfaite, qui tiennent or et argent : on en trouve à Géroncourt, Marine, Grizy, Berval, et autres villages au-delà de Pontaise, route de Beauvais, qui donnent aux essais depuis 450 jusqu'à 1000 grains de fin, dont moitié et davantage est en or, et le reste en argent : mais il est difficîle d'en séparer ces deux métaux dans la fonte en grand. A Geninville, demi-lieue ou environ par-delà Magny, route de Rouen ; à deux lieues de Notre-Dame-la-Desirée ; près Saint-Martin-la-Garenne, et à quatre lieues de Meulan, il y a plusieurs indices de mine d'argent. On y fit faire en 1729 un puits de 15 pieds de profondeur et d'autant de large, à 20 pieds de la route du moulin de ce lieu. Suivant la tradition du pays, la mine n'est pas à plus de 15 pieds de profondeur. Ce puits est actuellement rempli d'eau. En Hainault, on dit qu'il y a une mine d'argent à Chimai. En Lorraine il y a plusieurs mines d'argent : celle de Lubine dans la Lorraine-Allemande, donne de l'argent et du cuivre. Le filon a plus de 2 pieds d'épaisseur. La mine de la Croix a des filons qui donnent du plomb, du cuivre, et de l'argent. Les mines de Sainte-Marie au village de Sainte-Croix, et à celui de Lusse dans la prevôté de Saint-Diez, sont de cuivre tenant argent. Nous donnerons à l'article CUIVRE les procédés par lesquels on travaille ces mines, et on obtient ces métaux séparés. Il y a au Val-de-Lièvre plusieurs mines d'argent, de cuivre, et d'autres métaux. A Chipaul, des mines d'argent, de fer, et d'autres métaux. Au Val-de-Sainte-Marie : 1°. une mine d'argent naturel qui se trouve immédiatement au-dessus de la pyrite, ce qui est très-rare : 2°. une mine d'argent rouge, mêlée avec la mine de cuivre, ce qui est aussi fort rare. A Sainte-Marie-aux-Mines, plusieurs mines de cuivre tenant argent ; d'autres mines de plomb tenant argent ; quelques filons de mine d'argent rouge, de mine d'argent vitrée, éparpillée dans un beau quartz.

En Alsace, à Giromagny, et au Puy, dans la haute Alsace, il y a une mine d'argent et une mine de cuivre dont on a tiré 1600 marcs pesant en argent, et 24 milliers en cuivre : mais la dépense égalant presque le profit, elles ont été abandonnées. Voyez à l'article ACIER ce qu'il faut penser des mines d'Alsace et de leur exploitation. Il y a actuellement dans un canton appelé vulgairement Phenigtorne, et dans un autre appelé le canton de Saint-Pierre, deux mines d'argent qui s'exploitent. Celle de Theitz-gran, considérable en 1733, et fort riche, s'est enfoncée et remplie d'eau. Il y a mine d'argent à Haunette-le-haut, appelée Guefchaff : elle contenait aussi du cuivre ; les guerres l'ont fait abandonner. Au village de Stembach proche Sernay, dans le Val-de-Saint-Amand-de-Thurn, et à Saint-Nicolas près Rougemont, il y a deux mines de cuivre tenant argent, et de plomb tenant argent, aussi abandonnées à cause des guerres. On a repris depuis quelques années le travail de celles de Stembach qui sont de plomb.

En Franche-Comté, selon Dunod, Histoire du comté de Bourgogne, tome II. pag. 434. il y a trois mines d'argent ouvertes dans ce comté ; savoir, deux de Charquemont dans le Mont-Jura : mais elles sont abandonnées depuis quelques années ; une mine d'argent près la Ville de Lons-le-Saunier, qu'on dit abondante. En Dauphiné, haut et bas Briançonais, depuis Valence à deux lieues de Tournon, on voit le long des rivages du Rhône un bon nombre de paysans occupés à séparer les paillettes d'or et d'argent : ils y gagnent 30 ou 40 sous par jour. On n'en trouve ordinairement que depuis Valence jusqu'à Lyon. A l'Hermitage, au-dessus de Tain et vis-à-vis Tournon, il y a une mine d'or et argent ; Chambon dit, p. 77 de sa Physique, qu'il en a tiré par ses essais ; que la mine est heureusement située, et qu'elle mérite attention. A la Gardette, lieu dépendant de la communauté de Villar-Edmont, une mine dont les essais ont donné or et argent.

En Provence, au territoire d'Yeres, une mine de cuivre tenant argent et un peu d'or. A Barjoux, une mine d'or et une mine d'argent. Au territoire du Luc, diocese de Fréjus, une mine d'argent. A Verdaches, près de la ville de Digne, une mine de cuivre tenant or et argent. Dans le Vélai, le Vivarais, le Gévaudan, et les Cevennes, à la montagne d'Esquières près le village d'O en Vélai, une mine d'argent. Près de Tournon, six mines de plomb tenant argent. A Lodeve près des Cevennes et au pied des montagnes, une mine de cuivre qui tient argent. A une lieue de Mende, paraisse de Bahours, mine de plomb tenant argent. Le filon du puits de Saint-Louis rend à l'essai trente-deux livres et demie de plomb et sept onces et un denier d'argent. Le filon du puits Saint-Pierre pris au hasard, ne donne que cinq livres douze onces de plomb, et trois gros deux deniers huit grains d'argent. Le filon qui est au côté de la fontaine du village, donne en plomb treize livres et demie, et en argent une once sept gros un denier. Le filon du puits Saint-Français donne en plomb trente-neuf livres, et en argent neuf onces cinq gros un denier. A Espagnac, une mine qui donne trente-trois en plomb, et huit onces d'argent par quintal de plomb. A Montmirat, à trois lieues de Florac, mine de plomb qui donne quatre-vingts pour cent, et tient un peu d'argent. A l'Escombet, à quatre lieues de Mende, mine de plomb qui donne trente-trois par cent ; ce plomb tient deux onces d'argent par quintal.

En Languedoc et en Rouergue ; la mine d'argent de la Canette, sur la montagne noire, près de cette vallée. A Lanet dans le même canton, en 1660, le filon qui était à fleur de terre avait plus d'un pied ; sept quintaux de son minéral donnaient un quintal de cuivre et quatre marcs d'argent. On a trouvé à Avéjan des roignons de mine de plomb qu'on a nommés extrafilons, couverts de terre fort humide. Dans une ancienne ouverture, il y avait deux filons qui se réunissaient dans le roc jusqu'à quatre taises de profondeur ; cette mine donne par quintal dix onces d'argent : on en fit tirer deux cens quintaux, qui rendirent deux cens cinquante marcs d'argent. A Meux-des-Barres, petite ville de la vallée de Cambellon, une mine d'argent. On trouve dans le mas de Cabardes, sous la montagne noire, des marcassites qu'on a dit autrefois tenir beaucoup d'argent. Dans le diocese de Beziers, anciens travaux des Romains découverts en 1746 et 1747, aux lieux de Ceilhes, Avenès, Dié, Lunas et Boussagues, il y a des mines de plomb et de cuivre riches en argent. Près de la Vaouste, comté d'Alais, une mine de plomb tenant argent.

Dans le Roussillon, au territoire de Pratz-de-Mouilhou, une mine de cuivre nommée les billots, ou de Sainte-Marie, tenant argent. A deux cens pas de la précédente, un autre filon dit le minier de Saint-Louis, tenant argent. Au même territoire, le lieu appelé Saint-Salvador, à une lieue et demie de distance, autres filons semblables aux précédents. Près de la Vaill, mine de cuivre tenant argent, en deux filons voisins. Dans la viguerie de Conflent, au territoire de Balleistin, col de la Galline, mine d'argent et de cuivre, filon de quatre pieds. Au Puich-des-Mores, même terroir, filon de cuivre tenant argent. Au terroir de Saint Colgat, mine d'argent, filon d'un travers de doigt dans une roche bleuâtre. Dans la même paraisse d'Escarro, mine d'argent et cuivre, au lieu nommé Lopla-de-Gaute. Un filon de cuivre et argent à la gauche des étangs. A la Cama, mine de cuivre et argent, filon de trois pieds. Au territoire d'Estouere, derrière le col de la Galline, mine de cuivre et argent. Dans la Cerdagne française, vallée de Carol, au lieu nommé Pedreforte, une mine d'argent. Au village de Mezours, à quelques lieues de Perpignan, filons riches en argent, cuivre et plomb. Dans le ventre de la montagne, entre l'est et le sud, il y a des morceaux de ce minéral cuivreux, qui donnent à l'essai depuis quatre jusqu'à neuf onces d'argent.

Dans le comté de Foix, de Couserants ; les mines de S. Pau, où les Espagnols venaient en 1600 fouiller furtivement, et emportaient de la mine d'argent très-riche : on s'en plaignit à Henri IV. qui y mit ordre.

A Alsen, mine d'argent. A Cabanes, trois mines d'argent. A Cardazet, une mine d'argent. Les minières de l'Aspic sont des mines de plomb tenant argent. A Cousson, mine d'argent qui tient or. A Desastie, mine d'argent. Dans la montagne de Montroustand, une mine d'argent. A Lourdat ou Londat, une mine d'argent. Plusieurs mines dans la vallée d'Uston, environnées de montagnes, dont les principales sont celles de Byros, de Peyrenere, de Carbonere, d'Argentère, de Balougne, de l'Arpaint, de la Fonta, de Martera, de Peyrepetuse, toutes riches en argent. La montagne de Riviere-nord est riche en mine de cuivre tenant or et argent. Dans la montagne d'Argentère, mines d'argent en abondance. Dans la montagne de Montarisse, reste des anciens travaux des Romains, on trouve une mine d'argent abondante. Dans la montagne de Gerus, une mine de plomb tenant argent et or, dont le filon est gros comme la cuisse Près la bastide de Seron, les mines d'argent et cuivre de Meras et de Montegale découvertes en 1749.

Comminges, à cinq lieues d'Aspech et hors de Portet, dans la montagne de Chichais, mine d'argent tenant or. Dans l'Asperges, montagne de la vallée d'Arboust, mine de plomb tenant argent. Dans la vallée de Luchon, voisine de celle d'Ayron, entre les montagnes de Lys, de Gouveilh, et de Barousse, une mine de plomb tenant argent. Dans la petite ville de Lege, une mine de plomb tenant argent. Dans la montagne de Souquette, mine de plomb et d'argent tenant or. Goveiran, montagne voisine du comté de Comminges, remplie de mines d'argent. A Goveilh, entre les vallées de Loron, de l'Arboust et de Barouges, auprès d'un château royal de Henri IV. deux riches mines de plomb tenant argent. La vallée de l'Esquière est abondante en mines de plomb tenant argent ; un seul homme peut en tirer deux quintaux par jour. Dans la montagne du Lys, plusieurs mines de plomb tenant argent.

Dans le Béarn, la mine de cuivre de Bielle, à cinq lieues de Laruns, vallée d'Osseau, tient un peu d'argent. Dans là basse-Navarre, dans la montagne d'Agella, plusieurs mines de plomb tenant argent. Dans la montagne d'Avadet, une mine de plomb tenant argent.

Dans les Pyrénées ; dans la montagne de Machicot, mine de cuivre tenant un peu d'argent ; le filon parait couper la montagne. Dans la montagne de Malpestre, plusieurs filons de mines de cuivre tenant argent. Dans la montagne de Ludents, une mine de plomb tenant argent. Dans les montagnes de Portuson, mines de plomb et d'argent. Dans celles de Baraava, du côté de l'Espagne, mine de plomb, d'argent, et d'azur de roche. Dans celle de Varan ou Varen, au pied de laquelle est la petite contrée nommée Zazan, mine de plomb tenant un trentième d'argent. Dans la montagne de la Coumade, mine de plomb tenant argent. Dans la montagne de Bouris, plusieurs mines de cuivre, de plomb, d'argent et d'azur. Dans la montagne Saint-Bertrand, deux mines de cuivre tenant argent. A Pladeres, montagne du côté de l'Espagne, mines de plomb abondantes et tenant argent. A une lieue de Lordes, aux Pyrénées, une mine d'argent. En Auvergne, à Rouripe, près de la montagne du Pui, une mine d'argent. Dans l'Angoumais, à Manet près Montbrun, une mine d'antimoine où il se trouve de l'argent. Dans le Nivernais, une mine d'argent fort riche, au village de Chitri sur Yonne ; en un an elle a rendu onze cens marc d'argent, et environ cent milliers de plomb : elle fut trouvée en fouillant les fondements d'une grange. En Touraine, auprès de l'abbaye de Noyers, une mine de cuivre tenant argent. Dans le Berry il y a quelques mines d'argent, mais elles sont négligées. En Bretagne dans la petite forêt nommée le buisson de la Roche-Marest, une mine d'argent. Près de la petite ville de Lavion, une autre mine d'argent. Ce détail est tiré de M. Hélot, tom I. de la fonte des mines et des fonderies, traduit de l'Allemand de Schlutter.

La mine d'argent de Salfeberyt en Suède, est ouverte par trois larges bouches, semblables à des puits dont on ne voit point le fond. La moitié d'un tonneau soutenu d'un câble, sert d'escalier pour descendre dans ces abîmes, au moyen d'une machine que l'eau fait mouvoir. La grandeur du péril se conçoit aisément : on est à moitié dans un tonneau, où l'on ne porte que sur une jambe. On a pour compagnon un satellite noir comme nos forgerons, qui entonne tristement une chanson lugubre, et qui tient un flambeau à la main. Quand on est au milieu de la descente, on commence à sentir un grand froid. On entend les torrents qui tombent de toutes parts ; enfin après une demi-heure, on arrive au fond du gouffre ; alors la crainte se dissipe ; on n'aperçoit plus rien d'affreux, au contraire tout brille dans ces régions souterraines. On entre dans un salon soutenu par des colonnes d'argent ; quatre galeries spatieuses y viennent aboutir. Les feux qui servent à éclairer les travailleurs, se répètent sur l'argent des voutes et sur un clair ruisseau qui coule au milieu de la mine. On voit là des gens de toutes les nations ; les uns tirent des chariots ; les autres roulent des pierres, arrachent des blocs ; tout le monde a son emploi : c'est une ville souterraine. Il y a des cabarets, des maisons, des écuries, des chevaux ; mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est un moulin-à-vent qui Ve continuellement dans cette caverne, et qui sert à élever les eaux.

Les mines d'argent les plus riches et les plus abondantes sont en Amérique, surtout dans le Potosi qui est une des provinces du Pérou. Les filons de la mine étaient d'abord à une très-petite profondeur dans la montagne du Potosi. Peu-à-peu on a été obligé de descendre dans les entrailles de la montagne ; pour suivre les filons ; à présent les profondeurs sont si grandes, qu'il faut plus de quatre cens marches pour atteindre le fond de la mine. Les filons se trouvent à cette profondeur de la même qualité qu'ils étaient autrefois à la surface ; la mine est aussi riche ; elle parait être inépuisable ; mais le travail en devient de jour en jour plus difficîle ; il est même funeste à la plupart des ouvriers par les exhalaisons qui sortent du fond de la mine, et qui se répandent même au-dehors ; il n'y en a aucun qui puisse supporter un air si pernicieux plus d'un jour de suite ; il fait impression sur les animaux qui paissent aux environs. Souvent on rencontre des veines métalliques qui rendent des vapeurs si pernicieuses, qu'elles tuent sur le champ ; on est obligé de les refermer aussi-tôt, et de les abandonner : presque tous les ouvriers sont perclus, quand ils ont travaillé pendant un certain temps de leur vie. On serait étonné si l'on savait à combien d'Indiens il en a couté la vie, depuis que l'on travaille dans ces mines, et combien il en périt encore tous les jours. La mine d'argent, quoique dans le même filon, n'est pas toujours de la même couleur et de la même qualité : on lui donne au Pérou le noms de minerai ; s'il est blanc ou gris, mêlé de taches rouges ou blanchâtres, on l'appelle plata-blancha ; c'est le plus riche et le plus facîle à exploiter. On trouve du minerai noir comme du mâchefer que l'on nomme plomo-ronco. Il y a une autre sorte de minerai noir, auquel on a donné le nom de bossicler, parce qu'il devient rouge lorsqu'on le frotte contre du fer, après l'avoir mouillé. Le minerai appelé zoroche, brille comme du talc, quoiqu'il semble argenté, on en retire peu d'argent : le paco est d'un rouge jaunâtre, en petits morceaux fort mous ; il est peu riche ; le minerai verd appelé cobrisso, est presque friable ; on y découvre à l'oeil des particules d'argent : mais il est très-difficîle de les en retirer. Enfin il y a dans la mine de Catamito au Potosi, un minerai appelé arannea, composé de fils d'argent pur ; c'est ce que nous avons appelé mine d'argent en filets. Les filons sont toujours plus riches dans leur milieu que sur leurs bords : mais l'endroit le plus abondant est celui où deux filons se croisent et se traversent. Les deux premières mines du Potosi furent ouvertes en 1545 ; on appela l'une Rica, et l'autre Diego centeno. La première était élevée au-dessus de la terre, en forme de crête de coq, de la hauteur d'une lance, ayant trois cens pieds de longueur et 13 de largeur. Cette mine était si riche, qu'il y avait presque la moitié d'argent pur jusqu'à 50 ou 60 brasses de profondeur, où elle commença un peu à changer. Au reste on regarde comme un grand accroissement à la richesse des mines, d'être placées proche des rivières, à cause de l'avantage des moulins propres à broyer la mine. A Lipes et au Potosi même, il faut bien abandonner dix marcs par chaque quintal, pour acquitter la dépense ; au lieu qu'au Tanara, il n'en coute pas plus de cinq. On ne trouve les mines d'argent les plus riches, que dans les endroits froids de l'Amérique. La température du Potosi est si froide, qu'autrefois les femmes Espagnoles ne pouvaient y accoucher ; elles étaient obligées d'aller à 20 ou 30 lieues au-delà, pour avoir un climat plus doux : mais aujourd'hui elles accouchent aussi aisément au Potosi, que les Indiennes naturelles du pays. Au pied de la montagne du Potosi est la ville du même nom, qui est devenue fameuse par les grandes richesses que l'on a tirées de la montagne ; il y a dans cette ville plus de soixante mille Indiens, et dix mille Espagnoles. On oblige les paroisses des environs de fournir tous les ans un certain nombre d'Indiens pour travailler aux mines ; c'est ce qu'on appelle la mita : la plupart mènent avec eux leurs femmes et leurs enfants, et tous partent avec la plus grande répugnance. Cette servitude ne dure qu'une année, après laquelle ils sont libres de retourner à leurs habitations ; il y en a plusieurs qui les oublient, et qui s'habituent au Potosi, qui devient ainsi tous les jours plus peuplé. Les mines du Potosi sont les moins dangereuses ; cependant sans l'herbe du Paraguai que les mineurs prennent en infusion comme nous prenons le thé, ou qu'ils mâchent comme du tabac, il faudrait bien-tôt les abandonner. Les mines du Potosi et de Lipes conservent toujours leur réputation ; cependant on en a découvert d'autres depuis quelques années qui passent pour plus riches : telles sont celles d'Oruvo à 8 lieues d'Arica, et celles d'Ollacha, près de Cusco, qu'on a découvertes en 1712.

Pour rentrer encore un moment dans notre continent, il y a, à ce qu'on dit, en Saxe et dans le pays d'Hanovre, beaucoup de mines d'argent : on trouva à Hartz un morceau d'argent si considérable, qu'étant battu, on en fit une table où pouvaient s'asseoir vingt-quatre personnes.

Les mines les plus riches, après la mine naturelle, sont les mines d'argent corné ; elles cedent sous le marteau comme fait le plomb, et elles se laissent couper comme de la corne ; elles contiennent de l'arsenic. La couleur de ces mines est noirâtre ; et plus elles sont noirâtres, plus elles sont riches : il y en a de si riches qu'elles donnent cent quatre-vingts marcs d'argent par quintal ; c'est-à-dire par cent livres de mine ; de sorte qu'il n'y a que dix livres de déchet, sur chaque quintal de mine. Il y en a qui n'est ni si facîle à couper ni si noire, et elle donne cent soixante marcs d'argent par quintal : ces mines sont fort aisées à fondre, pourvu qu'on les ait séparées des pierres qui y sont souvent jointes, et pourvu qu'elles ne soient pas mêlées de cobalth, qui est ordinairement ferrugineux. Les mines d'argent noires sont rarement seules ; elles se trouvent presque toujours avec la blende et avec le misprekel, qui est une espèce de cobalth ou mine arsénicale. On a beaucoup de peine à les séparer ; ce qui rend la mine difficîle à fondre : ces mines noires d'argent se trouvent quelquefois mêlées avec les mines de plomb à gros grains : mais les unes et les autres sont fort traitables.

La mine d'argent rouge est la plus riche, après la mine cornée. Il y a de plusieurs sortes de mines d'argent rouge ; il y en a qui sont en grappes de raisin ; il y en a de transparentes, d'autres qui ne le sont pas ; il y en a de noires avec des taches rouges ; il y en a de dures, compactes, et rouges comme du cinabre ; ce sont de toutes les mines rouges d'argent les plus riches ; elles donnent depuis 90 jusqu'à 100 marcs d'argent par quintal. Celles qui sont comme de la suie, tachetées de rouge, donnent vingt marcs par quintal. Cette mine se trouve ordinairement dans les montagnes arides. Les mines rouges se trouvent quelquefois dans des pierres dures, qui paraissent à la vue peintes de couleur de sang. Ces pierres sont ou de quartz, ou de la pierre à fusil, que les mineurs appellent pierre cornée, à cause de sa ressemblance avec la corne de cheval coupée.

Les mines blanches et grises donnent jusqu'à 20 marcs d'argent par quintal. On trouve dans des souterrains de ces mines blanches qui ne donnent qu'un marc par quintal ; c'est ce qu'on nomme fausse apparence.

Pour retirer l'argent du minerai qui le contient, on commence par le casser en morceaux assez petits, pour être moulus et broyés sous des pilons de fer qui pesent jusqu'à deux cens livres, et qui pour l'ordinaire sont mis en mouvement par le moyen de l'eau. On passe le minerai réduit en poudre par un crible de fer ou de cuivre, et on le pétrit avec de l'eau pour en faire une pâte qu'on laisse un peu dessécher ; puis on la pétrit de rechef avec du sel marin ; enfin on y jette du mercure, et on la pétrit une troisième fois pour incorporer le mercure avec l'argent ; c'est-là ce qu'on appelle amalgame. Huit ou dix jours suffisent pour la faire dans les lieux tempérés : mais dans les pays froids il faut quelquefois un mois ou six semaines. On jette la pâte dans des lavoirs pour en séparer la terre : ces lavoirs consistent en trois bassins qui sont sur le courant d'un ruisseau qui entraîne la terre, lorsqu'elle a été délayée dans chaque bassin. Pour faciliter l'opération, on agite continuellement la pâte avec les pieds, afin que quand l'eau sort claire des bassins, il ne reste au fond que de l'argent et du mercure amalgamés ensemble ; c'est ce qu'on appelle pigne. On tâche de tirer le mercure qui n'est pas uni à l'argent, en pressant la pigne, en la battant fortement, ou en la foulant dans une presse ou moule. Il y a des pignes de différentes grosseurs et de différentes pesanteurs ; ordinairement elles contiennent de l'argent pour le tiers de leur poids ; le mercure fait les deux autres tiers. On pose la pigne sur un trépié, au-dessous duquel est un vase rempli d'eau ; on couvre le tout avec de la terre en forme de chapiteau, que l'on environne de charbons ardents. L'action du feu fait sortir le mercure de la pigne ; il se sublime, et ensuite il retombe dans l'eau où il se condense. Les intervalles que le mercure occupait dans la pigne restent vides ; ce n'est plus qu'une masse d'argent poreuse et légère, en comparaison de son volume.

On peut encore tirer l'argent de la mine de la manière suivante : on commence par la casser, et quelquefois on la lave pour en séparer la partie pierreuse qui s'est réduite en poussière ; on la calcine ensuite pour en chasser le soufre et l'arsenic ; c'est ce qu'on appelle rotir la mine ; puis on la relave pour en ôter la poudre calcinée. La mine étant ainsi préparée, on la fait fondre avec du plomb ou avec de la litharge, ou avec des têtes de coupelles qui ont servi : on emploie à cet effet le plomb granulé, quand le travail est petit. Plus la mine est difficîle à fondre, plus on y met de plomb ; on met jusqu'à seize ou vingt parties de plomb pour une partie de mine. Cette opération se nomme scorifier. Les scories sont composées du plomb qui se vitrifie avec la pierre, et avec ce qui n'est point or ou argent dans la mine ; et ce qui est métal tombe dessous en régule. Si ce régule parait bien métallique, on le passe à la coupelle ; s'il est encore mêlé de scories, s'il est noir, on le fait refondre avec un peu de verre de plomb.

Pour séparer l'argent du mercure avec lequel il est amalgamé, on a un fourneau qui a une ouverture au sommet ; on couvre cette ouverture d'une espèce de chapiteau de terre de forme cylindrique, qu'on peut laisser ou enlever à discrétion. Quand on a mis dans le fourneau la masse d'argent et le mercure, et qu'on a appliqué le couvercle et allumé le feu, le vif- argent s'élève en forme de vapeurs, et s'attache au chapiteau, d'où on le retire pour le faire servir une seconde fais.

Lorsque l'argent est bien purifié, qu'on en a ôté, autant qu'il est possible, toute la matière étrangère, soit métallique ou autre, qui pourrait y être mêlée, on dit qu'il est de douze deniers ; c'est-là l'expression dont on se sert pour désigner le titre de l'argent le plus pur, et sans aucun mélange ni alliage : mais s'il s'y en trouve, on déduit le poids du mélange du poids principal, et le reste marque le titre de l'argent. Le denier est de 24 grains ; ainsi lorsque sur le poids de douze deniers il y a douze grains de mélange, le titre de l'argent est onze deniers douze grains, et ainsi des autres exemples.

Pour monter le titre de l'argent en le raffinant, on s'y prend de la manière suivante. On met une coupelle ou une tête à rougir au feu, ensuite on y met le plomb. Quand le plomb est fondu et bien clair, on y ajoute une quantité d'argent proportionnée ; savoir, une livre de plomb pour quatre à cinq onces d'argent. On met quelquefois davantage de plomb, lorsque l'argent a beaucoup d'alliage. A mesure que ces deux métaux se fondent ensemble, le cuivre, qui auparavant était mêlé avec l'argent, s'en Ve en fumée, ou sort avec l'écume et la litharge. Le plomb s'évapore de même, et il ne reste dans la coupelle que l'argent, qui est au degré de finesse qui lui convient. Voyez LITHARGE, AFFINAGE, COUPELLE, COUPELET.

Indépendamment de la manière de raffiner l'argent avec le plomb, il y en a une autre qui se fait avec le salpetre. Voyez RAFFINER et AFFINAGE. Mais toutes ces méthodes sont incommodes et ennuyeuses ; ce qui a donné lieu à M. Homberg de chercher à abreger cette opération, et il y a réussi. Sa méthode consiste à calciner l'argent avec moitié de sa pesanteur ordinaire ; et après avoir fondu le tout ensemble, d'y jeter à différentes fois une certaine quantité de limaille d'acier. Par cette opération le soufre abandonne l'argent pour se joindre au fer, et l'un et l'autre se convertissent en écume qui nage sur l'argent ; et on trouve au fond du creuset le métal purifié.

L'argent, en Chimie, s'appelle luna, lune : on en fait differentes préparations, principalement une teinture. Pour avoir la teinture d'argent, dissolvez des plaques d'argent minces dans l'esprit-de-nitre, et jetez cette dissolution dans un autre vase plein d'eau de sel ; par ce moyen l'argent se précipite aussi-tôt en une poudre blanche qu'on lave plusieurs fois dans l'eau de fontaine. On met cette poudre dans un matras, et on jette par-dessus de l'esprit-de-vin rectifié et du sel volatil d'urine : on laisse digérer le tout sur un feu modéré pendant quinze jours ; durant ce temps l'esprit-de-vin contracte une belle couleur bleu-céleste. Cette couleur lui vient du cuivre ; car il y a environ deux gros de cuivre pour l'alliage sur chaque marc d'argent, et l'argent monnoyé en a plus que celui de vaisselle. Ceux qui ignorent la Chimie jettent le reste ; et ceux qui font usage de cette teinture de lune, l'emploient contre l'épilepsie, l'apoplexie, la paralysie, et la plupart des maladies de la tête, comme l'hydropisie de cerveau. Mais toutes les préparations d'argent en général sont suspectes, sans en excepter les pilules de Boyle, composées de sels de l'argent et du nitre : quoiqu'on les adoucisse avec trois fois autant de sucre, elles ne laissent pas d'être corrosives et d'affoiblir l'estomac ; elles ne conviennent qu'à l'extérieur, pour ronger et guérir les parties attaquées d'ulcères invétérés.

On peut convertir l'argent en crystal par le moyen de l'esprit-de-nitre, et c'est ce qu'on appelle improprement vitriol d'argent. Voyez CRYSTAL.

La pierre infernale d'argent n'est rien autre chose que le crystal d'argent fondu dans un creuset à une chaleur modérée, et ensuite jetée dans des moules de fer.

Lorsqu'on verse dans une dissolution d'argent faite par l'eau-forte de l'esprit-de-sel, ou du sel commun fondu dans de l'eau, l'argent se précipite en une poudre qu'on nomme chaux d'argent. Cette chaux d'argent se fond aisément au feu ; elle s'y dissipe si le feu est fort : et si au contraire le feu est médiocre, et qu'on ne l'y laisse pas longtemps, la chaux d'argent se change en une masse qui est un peu transparente, et qu'on peut couper comme de la corne : dans cet état on la nomme lune cornée. Voyez LUNE CORNEE.

On peut conjecturer sur ce qui précède, que la manière de séparer l'argent d'avec la terre de mine, est la même que celle dont on sépare l'or de la mine, c'est-à-dire par le moyen du vif-argent ; avec cette différence que pour l'argent on ajoute sur 50000 liv. pesant de mine, mille livres de sel de roche ou de quelqu'autre sel naturel. Voyez la description au long de cette curieuse opération, à l'article OR.

L'argent est après l'or le métal le plus fixe. Kunckel ayant laissé pendant un mois de l'argent bien pur en fonte dans un feu de verrerie, trouva après ce temps qu'il n'avait diminué que d'une soixante-quatrième partie. Haston de Claves exposa de même de l'argent dans un fourneau de verrerie ; et l'ayant laissé deux mois dans cet état, il le trouva diminué d'un douzième, et couvert d'un verre couleur de citron. On ne peut douter que cette diminution ne provint de la matière qui s'était séparée et vitrifiée à la surface de l'argent ; et on peut assurer que ce verre n'est point un argent dont les principes aient été détruits par le feu : c'est plutôt un composé de cuivre, de plomb, et d'autres matières étrangères qui se trouvent presque toujours dans l'argent.

L'argent est moins ductîle que l'or, il l'est plus qu'aucun des autres métaux. Voyez DUCTILITE. Le pouce cube d'argent pese six onces cinq gros et vingt-six grains. Nous venons de considérer l'argent comme métal ou comme production de la nature, nous allons maintenant le considérer comme monnaie.

ARGENT est dans notre langue un terme générique sous lequel sont comprises toutes les espèces de signes de la richesse courants dans le commerce ; or, argent monnoyé, monnaies, billets de toute nature, etc. pourvu que ces signes soient autorisés par les lois de l'état. L'argent, comme métal, a une valeur, comme toutes les autres marchandises ; mais il en a encore une autre, comme signe de ces marchandises. Considéré comme signe, le prince peut fixer sa valeur dans quelques rapports, et non dans d'autres ; il peut établir une proportion entre une quantité de ce métal, comme métal, et la même quantité comme signe ; fixer celle qui est entre divers métaux employés à la monnaie ; établir le poids et le titre de chaque pièce, et donner à la pièce de monnaie la valeur idéale, qu'il faut bien distinguer de la valeur réelle, parce que l'une est intrinseque, l'autre d'institution ; l'une de la nature, l'autre de la loi. Une grande quantité d'or et d'argent est toujours favorable, lorsqu'on regarde ces métaux comme marchandise ; mais il n'en est pas de même lorsqu'on les regarde comme signes, parce que leur abondance nuit à leur qualité de signe, qui est fondée sur la rareté. L'argent est une richesse de fiction ; plus cette opulence fictice se multiplie, plus elle perd de son prix, parce qu'elle représente moins : c'est ce que les Espagnols ne comprirent pas lors de la conquête du Mexique et du Pérou.

L'or et l'argent étaient alors très-rares en Europe. L'Espagne, maîtresse tout-d'un-coup d'une très-grande quantité de ces métaux, conçut des espérances qu'elle n'avait jamais eues. Les richesses représentatives doublèrent bientôt en Europe, ce qui parut en ce que le prix de tout ce qui s'acheta fut environ du double ; mais l'argent ne put doubler en Europe, que le profit de l'exploitation des mines, considéré en lui-même, et sans égard aux pertes que cette exploitation entraîne, ne diminuât du double pour les Espagnols, qui n'avaient chaque année que la même quantité d'un métal qui était devenu la moitié moins précieux. Dans le double de temps l'argent doubla encore, et le profit diminua encore de la moitié ; il diminua même dans une progression plus forte : en voici la preuve que donne l'auteur de l'Esprit des Lais, tom. II. pag. 48. Pour tirer l'or des mines, pour lui donner les préparations requises et le transporter en Europe, il fallait une dépense quelconque. Sait cette dépense comme 1 est à 64. Quand l'argent fut une fois doublé, et par conséquent la moitié moins précieux, la dépense fut comme 2 à 64, cela est évident ; ainsi les flottes qui apportèrent en Espagne la même quantité d'or, apportèrent une chose qui réellement valait la moitié moins, et coutait la moitié plus. Si on suit la même progression, on aura celle de la cause de l'impuissance des richesses de l'Espagne. Il y a environ deux cens ans que l'on travaille les mines des Indes. Sait la quantité d'argent qui est à-présent dans le monde qui commerce, à la quantité qui y était avant la découverte, comme 32 à 1, c'est-à-dire qu'elle ait doublé cinq fais, dans deux cens ans encore la même quantité sera à celle qui était avant la découverte, comme 64 à 1, c'est-à-dire qu'elle doublera encore. Or à-présent cinquante quintaux de minerai pour l'or, donnent quatre, cinq et six onces d'or ; et quand il n'y en a que deux, le mineur ne retire que ses frais. Dans deux cens ans, lorsqu'il n'y en aura que quatre, le mineur ne tirera aussi que ses frais : il y aura donc peu de profit à tirer sur l'or. Même raisonnement sur l'argent, excepté que le travail des mines d'argent est un peu plus avantageux que celui des mines d'or. Si l'on découvre des mines si abondantes qu'elles donnent plus de profit, plus elles seront abondantes, plutôt le profit finira. Si les Portugais ont en effet trouvé dans le Brésil des mines d'or et d'argent très-riches, il faudra nécessairement que le profit des Espagnols diminue considérablement, et le leur aussi. J'ai oui déplorer plusieurs fais, dit l'auteur que nous venons de citer, l'aveuglement du conseil de François premier, qui rebuta Christophe Colomb qui lui proposait les Indes. En vérité, continue le même auteur, on fit peut-être par imprudence une chose bien sage. En suivant le calcul qui précède sur la multiplication de l'argent en Europe, il est facîle de trouver le temps où cette richesse représentative sera si commune qu'elle ne servira plus de rien ; mais quand cette valeur sera réduite à rien, qu'arrivera-t-il ? précisément ce qui était arrivé chez les Lacédémoniens lorsque l'argent ayant été précipité dans la mer, et le fer substitué à sa place, il en fallait une charretée pour conclure un très-petit marché. Ce malheur sera-t-il donc si grand ? et croit-on que quand ce signe métallique sera devenu, par son volume, très-incommode pour le commerce, les hommes n'aient pas l'industrie d'en imaginer un autre ? Cet inconvénient est de tous ceux qui peuvent arriver, le plus facîle à réparer. Si l'argent est également commun par-tout, dans tous les royaumes ; si tous les peuples se trouvent à-la-fais obligés de renoncer à ce signe, il n'y a point de mal : il y a même un bien, en ce que les particuliers les moins opulents pourront se procurer des vaisselles propres, saines et solides. C'est apparemment d'après ces principes, bons ou mauvais, que les Espagnols ont raisonné, lorsqu'ils ont défendu d'employer l'or et l'argent en dorure et autres superfluités ; on dirait qu'ils ont craint que ces signes de la richesse ne tardassent trop longtemps à s'anéantir à force de devenir communs.

Il s'ensuit de tout ce qui précède, que l'or et l'argent se détruisant peu par eux-mêmes, étant des signes très-durables, il n'est presque d'aucune importance que leur quantité absolue n'augmente pas, et que cette augmentation peut à la longue les réduire à l'état des choses communes qui n'ont du prix qu'autant qu'elles sont utiles aux usages de la vie, et par conséquent les dépouiller de leur qualité représentative, ce qui ne serait peut-être pas un grand malheur pour les petites républiques ; mais pour les grands états c'est autre chose, car on conçoit bien que ce que j'ai dit plus haut est moins mon sentiment, qu'une manière frappante de faire sentir l'absurdité de l'ordonnance des Espagnols sur l'emploi de l'or et de l'argent en meubles et étoffes de luxe. Mais si l'ordonnance des Espagnols est mal raisonnée, c'est qu'étant possesseurs des mines, on conçoit combien il était de leur intérêt que la matière qu'ils en tiraient s'anéantit et devint peu commune, afin qu'elle en fût d'autant plus précieuse ; et non précisément par le danger qu'il y avait que ce signe de la richesse fût jamais réduit à rien à force de se multiplier : c'est ce dont on se convaincra facilement par le calcul qui suit. Si l'état de l'Europe restait durant encore deux mille ans exactement tel qu'il est aujourd'hui, sans aucune vicissitude sensible ; que les mines du Pérou ne s'épuisassent point et pussent toujours se travailler, et que par leur produit l'augmentation de l'argent en Europe suivit la proportion des deux cens premières années, celle de 32 à 1, il est évident que dans dix-sept à dix-huit cens ans d'ici l'argent ne serait pas encore assez commun pour ne pouvoir être employé à représenter la richesse, car si l'argent était deux cens quatre-vingts-huit fois plus commun, un signe équivalent à notre pièce de vingt-quatre sous, devrait être deux cens quatre-vingts-huit fois plus grand, ou notre pièce de vingt-quatre sous n'équivaudrait alors qu'un signe de deux cens quatre-vingts-huit fois plus petit. Mais il y a deux cens quatre-vingts-huit deniers dans notre pièce de vingt-quatre sous ; donc notre pièce de vingt-quatre sous ne représenterait alors que le denier ; représentation qui serait à la vérité fort incommode, mais qui n'anéantirait pas encore tout à fait dans ce métal la qualité représentative. Or dans combien de temps pense-t-on que l'argent devienne deux cens quatre-vingts-huit fois plus commun, en suivant le rapport d'accroissement de 32 à 1 par deux cens ans ? dans 1800 ans, à compter depuis le moment où l'on a commencé à travailler les mines, ou dans 1600 ans, à compter d'aujourd'hui ; car 32 est neuf fois dans 288, c'est-à-dire que dans neuf fois deux cens ans la quantité d'argent en Europe sera à celle qui y était quand on a commencé à travailler les mines, comme 288 à 1. Mais nous avons supposé que dans ce long intervalle de temps, les mines donneraient toujours également ; qu'on pourrait toujours les travailler ; que l'argent ne souffrait aucun déchet par l'usage, et que l'état de l'Europe durerait tel qu'il est sans aucune vicissitude ; suppositions dont quelques-unes sont fausses, et dont les autres ne sont pas vraisemblables. Les mines s'épuisent ou deviennent impossibles à exploiter par leur profondeur. L'argent décheait par l'usage, et ce déchet est beaucoup plus considérable qu'on ne le pense ; et il surviendra nécessairement dans un intervalle de 2000 ans, à compter d'aujourd'hui, quelques-unes de ces grandes révolutions dans lesquelles toutes les richesses d'une nation disparaissent presqu'entièrement, sans qu'on sache bien ce qu'elles deviennent : elles sont, ou fondues dans les embrasements, ou enfoncées dans le sein de la terre. En un mot, qu'avons-nous aujourd'hui des trésors des peuples anciens ? presque rien. Il ne faut pas remonter bien haut dans notre histoire, pour y trouver l'argent entièrement rare, et les plus grands édifices bâtis pour des sommes si modiques, que nous en sommes aujourd'hui tout étonnés. Tout ce qui subsiste d'anciennes monnaies dispersées dans les cabinets des antiquaires, remplirait à peine quelques urnes : qu'est devenu le reste ? il est anéanti ou répandu dans les entrailles de la terre, d'où les socs de nos charrues font sortir de temps en temps un Antonin, un Othon, ou l'effigie précieuse de quelqu'autre empereur. On trouvera ce que l'on peut désirer de plus sur cette matière à l'article MONNOIE. Nous ajouterons seulement ici que nos Rois ont défendu, sous des punitions corporelles et confiscations, à quelques personnes que ce fût, d'acheter de l'argent monnoyé, soit au coin de France ou autre, pour le déformer, altérer, refondre ou recharger, et que l'argent monnoyé ne paye point de droit d'entrée, mais qu'on ne peut le faire sortir sans passeport.

Argent blanc, se dit de toute monnaie fabriquée de ce métal. Tout notre argent blanc est aujourd'hui écus de six francs, écus de trois livres, pièces de vingt-quatre sous, pièces de douze, et pièces de six.

Argent fin, se dit de l'argent à douze deniers, ou au titre le plus haut auquel il puisse être porté.

Argent bas ou bas argent, se dit de celui qui est plus de six deniers au-dessous du titre de l'argent monnoyé.

Argent faux, se dit de tout ce qui est fait de cuivre rouge, qu'on a couvert à plusieurs fois par le feu, de feuilles d'argent.

Argent tenant or, se dit de l'or qui a perdu son nom et sa qualité pour être allié sur le blanc, et au-dessous de dix-sept karats.

Argent de cendrée ; c'est ainsi qu'on appelle une poudre de ce métal, qui est attachée aux plaques de cuivre mises dans de l'eau-forte, qui a servi à l'affinage de l'or, après avoir été mêlée d'une portion d'eau de fontaine ; cet argent est estimé à douze deniers.

Argent-le-roi ; c'est celui qui est au titre auquel les ordonnances l'ont fixé pour les ouvrages d'Orfèvres et de Monnoyeurs. Par l'article 3 de l'édit de Henri II. roi de France, il fut défendu de travailler de l'argent qui ne fût à onze deniers douze grains de fin au remède de deux grains ; aujourd'hui on appelle argent-le-roi celui qui passe à la monnaie et dans le commerce, à cinquante livres un sou onze deniers, et qui est au titre de onze deniers dix-huit grains de fin.

Argent en pâte, se dit de l'argent prêt à être mis en fonte dans le creuset. V. le commencement de cet article.

Argent en bain, se dit de celui qui est en fusion actuelle.

Argent de coupelle ; c'est celui qui est à onze deniers vingt-trois grains.

Argent en lame ; c'est l'argent trait, aplati entre deux rouleaux, et disposé à être appliqué sur la soie par le moyen du moulin, ou à être employé tout plat dans les ornements qu'on fait à plusieurs ouvrages brodés, brochés, etc. Voyez FLEUR D'OR.

Argent trait ; c'est celui qu'on a réduit à n'avoir que l'épaisseur d'un cheveu, en le faisant passer successivement par les trois trous d'une filière.

Argent filé ou fil d'argent ; c'est l'argent en lame employé, et appliqué sur la soie par le moyen du moulin.

Argent en feuille ou battu ; c'est celui que les Batteurs d'or on réduit en feuilles très-minces, à l'usage des Argenteurs et Doreurs. Voyez BATTEUR D'OR, BATTRE, OR.

Argent en coquille, se dit des rognures même de l'argent en feuilles ou battu ; il est employé par les Peintres et les Argenteurs.

Argent fin fumé, se dit de l'argent fin, soit trait, soit en lame, soit filé, soit battu, auquel on a tâché de donner la couleur de l'or en l'exposant à la fumée ; cette fraude est défendue sous peine de confiscation entière et deux mille livres d'amende, voyez pour l'intelligence de tous ces articles, TIRER, BATTRE, FILER L'OR.

Argent à la grosse ; c'est la même chose qu'argent mis à la grosse aventure.

Argent de permission ; c'est ainsi qu'on nomme l'argent de change dans la plupart des Pays-Bas François ou Autrichiens : cet argent est différent de l'argent courant. Les cent florins de permission valent huit cens florins et un tiers courant ; c'est à cette mesure que se réduisent toutes les remises qu'on fait en pays étrangers.

Argent, en Droit, s'entend toujours de l'argent monnoyé.

Argent, se dit, en Blason, de la couleur blanche dans toute armoirie. Les barons et nobles l'appellent en Angleterre blanche perle ; les princes, lune ; et les héraults disent que sans or et sans argent, il n'y a point de bonnes armoiries. L'argent s'exprime, en Gravure d'armoiries, en laissant le fond tel qu'il est, tout uni et sans hachure.




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