(Métaphysique) La question qui concerne l'âme des bêtes, était un sujet assez digne d'inquiéter les anciens philosophes ; il ne parait pourtant pas qu'ils se soient fort tourmentés sur cette matière, ni que partagés entr'eux sur tant de points différents, ils se soient fait de la nature de cette âme un prétexte de querelle. Ils ont tous donné dans l'opinion commune, que les brutes sentent et connaissent, attribuant seulement à ce principe de connaissance plus ou moins de dignité, plus ou moins de conformité avec l'âme humaine ; et peut-être se contentant d'envelopper diversement, sous les savantes ténèbres de leur style énigmatique, ce préjugé grossier, mais trop naturel aux hommes, que la matière est capable de penser. Mais quand les philosophes anciens ont laissé en paix certains préjugés populaires, les modernes y signalent leur hardiesse. Descartes suivi d'un parti nombreux, est le premier philosophe qui ait osé traiter les bêtes de pures machines : car à peine Gomesius Pereira, qui le dit quelque temps avant lui, mérite-t-il qu'on parle ici de lui, puisqu'il tomba dans cette hypothèse par un pur hasard, et que selon la judicieuse réflexion de M. Bayle, il n'avait point tiré cette opinion de ses véritables principes. Aussi ne lui fit-on l'honneur, ni de la redouter, ni de la suivre, pas même de s'en souvenir ; et ce qui peut arriver de plus triste à un novateur, il ne fit point de secte.

Descartes est donc le premier que la suite de ses profondes méditations ait conduit à nier l'âme des bêtes, paradoxe auquel il a donné dans le monde une vogue extraordinaire. Il n'aurait jamais donné dans cette opinion, si la grande vérité de la distinction de l'âme et du corps, qu'il a le premier mise dans son plus grand jour, jointe au préjugé qu'on avait contre l'immortalité de l'âme des bêtes, ne l'avait forcé, pour ainsi dire, à s'y jetter. L'opinion des machines sauvait deux grandes objections ; l'une contre l'immortalité de l'âme, l'autre contre la bonté de Dieu. Admettez le système des automates, ces deux difficultés disparaissent : mais on ne s'était pas aperçu qu'il en venait bien d'autres du fond du système même. On peut observer en passant que la philosophie de Descartes, quoi qu'en aient pu dire ses envieux, tendait toute à l'avantage de la religion ; l'hypothèse des machines en est une preuve.

Le Cartésianisme a toujours triomphé, tant qu'il n'a eu en tête que les âmes matérielles d'Aristote, que ces substances incomplete s tirées de la puissance de la matière, pour faire avec elles un tout substantiel qui pense et qui connait dans les bêtes. On a si bien mis en déroute ces belles entités de l'école, que je ne pense pas qu'on s'avise de les reproduire jamais : ces fantômes n'oseraient soutenir la lumière d'un siècle comme le nôtre ; et s'il n'y avait pas de milieu entr'eux et les automates cartésiens, on serait obligé d'admettre ceux-ci. Heureusement depuis Descartes, on s'est aperçu d'un troisième parti qu'il y avait à prendre ; et c'est depuis ce temps que le ridicule du système des automates s'est développé. On en a l'obligation aux idées plus justes qu'on s'est faites, depuis quelque temps, du monde intellectuel. On a compris que ce monde doit être beaucoup plus étendu qu'on ne croyait, et qu'il renferme bien d'autres habitants que les anges, et les âmes humaines ; ample ressource pour les Physiciens, par-tout où le mécanisme demeure court, en particulier quand il s'agit d'expliquer les mouvements des brutes.

En faisant l'exposé du fameux système des automates, tâchons de ne rien omettre de ce qu'il a de plus spécieux, et de représenter en raccourci toutes les raisons directes qui peuvent établir ce système. Elles se réduisent à ceci ; c'est que le seul mécanisme rendant raison des mouvements des brutes, l'hypothèse qui leur donne une âme est fausse, par cela même qu'elle est superflue. Or c'est ce qu'il est aisé de prouver, en supposant une fois ce principe, que le corps animal a déjà en lui-même, indépendamment de l'âme, le principe de sa vie et de son mouvement : c'est de quoi l'expérience nous fournit des preuves incontestables.

1°. Il est certain que l'homme fait un grand nombre d'actions machinalement, c'est-à-dire sans s'en apercevoir lui-même, et sans avoir la volonté de les faire ; actions que l'on ne peut attribuer qu'à l'impression des objets et à une disposition primitive de la machine, où l'influence de l'âme n'a aucune part. De ce nombre sont les habitudes corporelles, qui viennent de la réitération fréquente de certaines actions, à la présence de certains objets ; ou de l'union des traces que diverses sensations ont laissées dans le cerveau ; ou de la liaison d'une longue suite de mouvements, qu'on aura réitérés souvent dans le même ordre, soit fortuitement, soit à dessein. A cela se rapportent toutes les dispositions acquises par l'art. Un musicien, un joueur de luth, un danseur, exécutent les mouvements les plus variés et les plus ordonnés tout ensemble, d'une manière très-exacte, sans faire la moindre attention à chacun de ces mouvements en particulier : il n'intervient qu'un seul acte de la volonté par où il se détermine à chanter ou jouer un tel air, et donne le premier branle aux esprits animaux ; tout le reste suit régulièrement sans qu'il y pense. Rapportez à cela tant d'actions surprenantes des gens distraits, des somnambules, etc. dans tous ces cas les hommes sont autant d'automates.

2°. Il y a des mouvements naturels tellement involontaires, que nous ne saurions les retenir, par exemple, ce mécanisme admirable qui tend à conserver l'équilibre, lorsque nous nous baissons, lorsque nous marchons sur une planche étroite, etc.

3°. Les gouts et les antipathies naturelles pour certains objets, qui dans les enfants précèdent le discernement et la connaissance, et qui quelquefois dans les personnes formées surmontent tous les efforts de la raison, ont leur fondement dans le mécanisme, et sont autant de preuves de l'influence des objets sur les mouvements du corps humain.

4°. On sait combien les passions dépendent du degré du mouvement du sang et des impressions réciproques que produisent les esprits animaux sur le cœur et sur le cerveau, dont l'union par l'entremise des nerfs est si étroite. On sait combien les impressions du dehors peuvent exciter ces passions, ou les fortifier, en tant qu'elles sont de simples modifications de la machine. Descartes, dans son traité des passions, et le P. Malebranche, dans sa morale, expliquent d'une manière satisfaisante le jeu de la machine à cet égard ; et comment, sans le secours d'aucune pensée, par la correspondance et la sympathie merveilleuse des nerfs et des muscles, chacune de ces passions, considérée comme une émotion toute corporelle, répand sur le visage un certain air qui lui est propre, est accompagné du geste et du maintien naturel qui la caractérise, et produit dans tout le corps des mouvements convenables à ses besoins et proportionnés aux objets.

Il est aisé de voir où doivent aboutir toutes ces réflexions sur le corps humain, considéré comme un automate existant indépendamment d'une âme ou d'un principe de sentiment et d'intelligence : c'est que si nous ne voyons faire aux brutes que ce qu'un tel automate pourrait exercer en vertu de son organisation, il n'y a, ce semble, aucune raison qui nous porte à supposer un principe intelligent dans les brutes, et à les regarder autrement que comme de pures machines, n'y ayant alors que le préjugé qui nous fasse attacher au mouvement des bêtes les mêmes pensées qui accompagnent en nous des mouvements semblables.

Rien ne donne une plus juste idée des automates cartésiens, que la comparaison employée par M. Regis, de quelques machines hydrauliques que l'on voit dans les grottes et dans les fontaines de certaines maisons des grands, où la seule force de l'eau déterminée par la disposition des tuyaux, et par quelque pression extérieure, remue diverses machines. Il compare les tuyaux des fontaines aux nerfs ; les muscles, les tendons, etc. sont les autres ressorts qui appartiennent à la machine ; les esprits sont l'eau qui les remue ; le cœur est comme la source, et les cavités du cerveau sont les regards. Les objets extérieurs, qui par leur présence agissent sur les organes des sens des bêtes, sont comme les étrangers qui entrant dans la grotte, selon qu'ils mettent le pied sur certains carreaux disposés pour cela, font remuer certaines figures ; s'ils s'approchent d'une Diane, elle fuit et se plonge dans la fontaine ; s'ils s'avancent davantage, un Neptune s'approche, et vient les menacer avec son trident. On peut encore comparer les bêtes, dans ce système, à ces orgues qui jouent différents airs par le seul mouvement des eaux : il y aura de même, disent les Cartésiens, une organisation particulière dans les bêtes que le Créateur y aura produite, et qu'il aura diversement réglée dans les diverses espèces d'animaux, mais toujours proportionnément aux objets, toujours par rapport au grand but de la conservation de l'individu et de l'espèce. Rien n'est plus aisé que cela au suprême ouvrier, à celui qui connait parfaitement la disposition et la nature de tous ces objets qu'il a créés. L'établissement d'une si juste correspondance ne doit rien couter à sa puissance et à sa sagesse. L'idée d'une telle harmonie parait grande et digne de Dieu : cela seul, disent les Cartésiens, doit familiariser un philosophe avec ces paradoxes si choquans pour le préjugé vulgaire, et qui donnent un ridicule si apparent au Cartésianisme sur ce point.

Une autre considération en faveur du Cartésianisme, qui parait avoir quelque chose d'éblouissant, est prise des productions de l'art. On sait jusqu'où est allée l'industrie des hommes dans certains machines : leurs effets sont inconcevables, et paraissent tenir du miracle dans l'esprit de ceux qui ne sont pas versés dans la mécanique. Rassemblez ici toutes les merveilles dont vous ayez jamais oui parler en ce genre, des statues qui marchent, des mouches artificielles qui volent et qui bourdonnent, des araignées de même fabrique qui filent leur toile, des oiseaux qui chantent, une tête d'or qui parle, un pan qui joue de la flute : on n'aurait jamais fait l'énumération, même à s'en tenir aux généralités de chaque espèce, de toutes ces inventions de l'art qui copie si agréablement la nature. Les ouvrages célèbres de Vulcain, ces trépiés qui se promenaient d'eux-mêmes dans l'assemblée des dieux ; ces esclaves d'or, qui semblaient avoir appris l'art de leur maître, qui travaillaient auprès de lui, sont une sorte de merveilleux qui ne passe point la vraisemblance ; et les dieux qui l'admiraient si fort, avaient moins de lumières apparemment que les Mécaniciens de nos jours. Voici donc comme nos philosophes cartésiens raisonnent. Réunissez tout l'art et tous les mouvements surprenans de ces différentes machines dans une seule, ce ne sera encore que l'art humain : jugez ce que produira l'art divin. Remarquez qu'il ne s'agit pas d'une machine en idée que Dieu pourrait produire : le corps de l'animal est incontestablement une machine composée de ressorts infiniment plus déliés que ne seraient ceux de la machine artificielle, où nous supposons que se réunirait toute l'industrie répandue et partagée entre tant d'autres que nous avons vues jusqu'ici. Il s'agit donc de savoir si le corps de l'animal étant, sans comparaison, au-dessus de ce que serait cette machine, par la délicatesse, la variété, l'arrangement, la composition de ses ressorts, nous ne pouvons pas juger, en raisonnant du plus petit au plus grand, que son organisation peut causer cette variété de mouvements réguliers que nous voyons faire à l'animal ; et si, quoique nous n'ayons pas à beaucoup près là-dessus une connaissance exacte, nous ne sommes pas en droit de juger qu'elle renferme assez d'art pour produire tous ces effets. De tout cela le Cartésien conclut que rien ne nous oblige d'admettre dans les bêtes une âme qui serait hors d'œuvre, puisque toutes les actions des animaux ont pour dernière fin la conservation du corps, et qu'il est de la sagesse divine de ne rien faire d'inutile, d'agir par les plus simples voies, de proportionner l'excellence et le nombre des moyens à l'importance de la fin ; que par conséquent Dieu n'aura employé que des lois mécaniques pour l'entretien de la machine, et qu'il aura mis en elle-même, et non hors d'elle, le principe de sa conservation et de toutes les opérations qui y tendent. Voilà le plaidoyer des Cartésiens fini : voyons ce qu'on y répond.

Je mets en fait que si l'on veut raisonner sur l'expérience, on démonte les machines cartésiennes ; et que posant pour fondement les actions que nous voyons faire aux bêtes, on peut aller de conséquence en conséquence, en suivant les règles de la plus exacte Logique, jusqu'à démontrer qu'il y a dans les bêtes un principe immatériel, lequel est cause de ces actions. D'abord il ne faut pas chicaner les Cartésiens sur la possibilité d'un mécanisme qui produirait tous ces phénomènes. Il faut bien se garder de les attaquer sur ce qu'ils disent de la fécondité des lois du mouvement, des miraculeux effets du mécanisme, de l'étendue incompréhensible de l'entendement divin, et sur le parallèle qu'ils font des machines que l'art des hommes a construites, avec le merveilleux infiniment plus grand que le Créateur de l'univers pourrait mettre dans celles qu'il produirait. Cette idée féconde et presqu'infinie des possibilités mécaniques, des combinaisons de la figure et du mouvement, jointe à celle de la sagesse et de la puissance du Créateur, est comme le fort inexpugnable du Cartésianisme. On ne saurait dire où cela ne mène point ; et certainement quiconque a tant-sait-peu consulté l'idée de l'être infiniment parfait, prendra bien garde à ne nier jamais la possibilité de quoi que ce sait, pourvu qu'il n'implique pas contradiction.

Mais le Cartésien se trompe, lorsque partant de cette possibilité qu'on lui accorde, il vient argumenter de cette manière : Puisque Dieu peut produire des êtres tels que mes automates, qui nous empêchera de croire qu'il les a produits ? Les opérations des brutes, quelqu'admirables qu'elles nous paraissent, peuvent être le résultat d'une combinaison de ressorts, d'un certain arrangement d'organes, d'une certaine application précise des lois générales du mouvement ; application que l'art divin est capable de concevoir et de produire : donc il ne faut point attribuer aux bêtes un principe qui pense et qui sent, puisque tout peut s'expliquer sans ce principe : donc il faut conclure qu'elles sont de pures machines. On fera bien alors de lui nier cette conséquence, et de lui dire : Nous avons certitude qu'il y a dans les bêtes un principe qui pense et qui sent ; tout ce que nous leur voyons faire, conduit à un tel principe : donc nous sommes fondés à le leur attribuer, malgré la possibilité contraire qu'on nous oppose. Remarquez qu'il s'agit ici d'une question de fait ; savoir, si dans les bêtes un tel principe existe ou n'existe point. Nous voyons les actions des bêtes, il s'agit de découvrir quelle en est la cause ; et nous sommes astraints ici à la même manière de raisonner dont les Physiciens se servent dans la recherche des causes naturelles, et que les Historiens emploient quand ils veulent s'assurer de certains événements. Les mêmes principes qui nous conduisent à la certitude sur les questions de ce genre, doivent nous déterminer dans celle-ci.

La première règle, c'est que Dieu ne saurait nous tromper. Voici la seconde : la liaison d'un grand nombre d'apparences ou d'effets réunis avec une cause qui les explique, prouve l'existence de cette cause. Si la cause supposée explique tous les phénomènes connus, s'ils se réunissent tous à un même principe, comme autant de lignes dans un centre commun ; si nous ne pouvons imaginer d'autre principe qui rende raison de tous ces phénomènes, que celui-là, nous devons tenir pour indubitable l'existence de ce principe. Voilà le point fixe de certitude au-delà duquel l'esprit humain ne saurait aller ; car il est impossible que notre esprit demeure en suspens, lorsqu'il y a raison suffisante d'un côté, et qu'il n'y en a point de l'autre. Si nous nous trompons malgré cela, c'est Dieu qui nous trompe, puisqu'il nous a faits de telle manière, et qu'il ne nous a point donné d'autre moyen de parvenir à la certitude sur de pareils sujets. Si les bêtes sont de pures machines, Dieu nous trompe : cet argument est le coup fatal à l'hypothèse des machines.

Avouons-le d'abord : si Dieu peut faire une machine qui, par la seule disposition de ses ressorts, exécute toutes les actions surprenantes que l'on admire dans un chien ou dans un singe, il peut former d'autres machines qui imiteront parfaitement toutes les actions des hommes : l'un et l'autre est également possible à Dieu, et il n'y aura dans ce dernier cas qu'une plus grande dépense d'art ; une organisation plus fine, plus de ressorts combinés, seront toute la différence. Dieu, dans son entendement infini, renfermant les idées de toutes les combinaisons, de tous les rapports possibles de figures, d'impressions et de déterminations de mouvement, et son pouvoir égalant son intelligence, il parait clair qu'il n'y a de différence dans ces deux suppositions, que celle des degrés du plus et du moins, qui ne changent rien dans le pays des possibilités. Je ne vois pas par où les Cartésiens peuvent échapper à cette conséquence, et quelles disparités essentielles ils peuvent trouver entre le cas du mécanisme des bêtes qu'ils défendent, et le cas imaginaire qui transformerait tous les hommes en automates, et qui réduirait un Cartésien à n'être pas bien sur qu'il y ait d'autres intelligences au monde que Dieu et son propre esprit.

Si j'avais affaire à un Pyrrhonien de cette espèce, comment m'y prendrais-je pour lui prouver que ces hommes qu'il voit ne sont pas des automates ? Je ferais d'abord marcher devant moi ces deux principes : 1°. Dieu ne peut tromper : 2°. la liaison d'une longue chaîne d'apparences, avec une cause qui explique parfaitement ces apparences, et qui seule me les explique, prouve l'existence de cette cause. La pure possibilité ne prouve rien ici, puisque qui dit possibilité qu'une chose soit de telle manière, pose en même temps possibilité égale pour la manière opposée. Vous m'alléguez qu'il est possible que Dieu ait fabriqué des machines semblables au corps humain, qui par les seules lois du mécanisme parleront s'entretiendront avec moi, feront des discours suivis, écriront des livres bien raisonnés. Ce sera Dieu dans ce cas qui, ayant toutes les idées que je reçais à l'occasion des mouvements divers de ces êtres que je crois intelligens comme moi, fera jouer les ressorts de certains automates, pour m'imprimer ces idées à leur occasion, et qui exécutera tout cela lui seul par les lois du mécanisme. J'accorde que tout cela est possible ; mais comparez un peu votre supposition avec la mienne. Vous attribuez tout ce que je vois à un mécanisme caché, qui vous est parfaitement inconnu ; vous supposez une cause dont vous ne voyez assurément point la liaison avec aucun des effets, et qui ne rend raison d'aucune des apparences : moi je trouve d'abord une cause dont j'ai l'idée, une cause qui réunit, qui explique toutes ces apparences : cette cause, c'est une âme semblable à la mienne. Je sai que je fais toutes ces mêmes actions extérieures que je vois faire aux autres hommes, par la direction d'une âme qui pense, qui raisonne, qui a des idées, qui est unie à un corps, dont elle règle comme il lui plait les mouvements. Une âme raisonnable m'explique donc clairement des opérations pareilles que je vois faire à des corps humains qui m'environnent. J'en conclus qu'ils sont unis comme le mien à des âmes raisonnables. Voilà un principe dont j'ai l'idée, qui réunit et qui explique avec une parfaite clarté les phénomènes innombrables que je vais.

La pure possibilité d'une autre cause dont vous ne me donnez point l'idée, votre mécanisme possible, mais inconcevable, et qui ne m'explique aucun des effets que je vais, ne m'empêchera jamais d'affirmer l'existence d'une âme raisonnable qui me les explique, ni de croire fermement que les hommes avec qui je commerce, ne sont pas de purs automates. Et prenez-y garde, ma croyance est une certitude parfaite, puisqu'elle roule sur cet autre principe évident, que Dieu ne saurait tromper : et si ce que je prends pour des hommes comme moi, n'étaient en effet que des automates, il me tromperait ; il ferait alors tout ce qui serait nécessaire pour me pousser dans l'erreur, en me faisant concevoir d'un côté une raison claire des phénomènes que j'aperçais, laquelle n'aurait pourtant pas lieu, tandis que de l'autre il me cacherait la véritable.

Tout ce que je viens de dire s'applique aisément aux actions des brutes, et la conséquence Ve toute seule. Qu'apercevons-nous chez elles ? des actions suivies, raisonnées, qui expriment un sens, et qui représentent les idées, les désirs, les intérêts, les desseins de quelqu'être particulier. Il est vrai qu'elles ne parlent pas ; et cette disparité entre les bêtes et l'homme, vous servira tout au plus à prouver qu'elles n'ont point, comme lui, des idées universelles ; qu'elles ne forment point de raisonnements abstraits. Mais elles agissent d'une manière conséquente : cela prouve qu'elles ont un sentiment d'elles-mêmes, et un intérêt propre, qui est le principe et le but de leurs actions ; tous leurs mouvements tendent à leur utilité, à leur conservation, à leur bien-être. Pour peu qu'on se donne la peine d'observer leurs allures, il parait manifestement une certaine société entre celles de même espèce, et quelquefois même entre les espèces différentes ; elles paraissent s'entendre, agir de concert, concourir au même dessein : elles ont une correspondance avec les hommes ; témoin les chevaux, les chiens, etc. on les dresse, ils apprennent ; on leur commande, ils obéissent ; on les menace, ils paraissent craindre ; on les flatte, ils caressent à leur tour. Bien plus, car il faut mettre ici à l'écart les merveilles de l'instinct, nous voyons ces animaux faire des actions spontanées, où parait une image de raison et de liberté, d'autant plus qu'elles sont moins uniformes, plus diversifiées, plus singulières, moins prévues, accommodées sur le champ à l'occasion présente.

Vous, Cartésien, m'alléguez l'idée vague d'un mécanisme possible, mais inconnu et inexplicable pour vous et pour moi : voilà, dites-vous, la source des phénomènes que vous offrent les bêtes. Et moi j'ai l'idée claire d'une autre cause ; j'ai l'idée d'un principe sensitif : je vois que ce principe a des rapports très-distincts avec tous les phénomènes en question, et qu'il explique et réunit universellement tous ces phénomènes. Je vois que mon âme, en qualité de principe sensitif, produit mille actions et remue mon corps en mille manières, toutes pareilles à celles dont les bêtes remuent le leur dans des circonstances semblables. Posez un tel principe dans les bêtes, je vois la raison et la cause de tous les mouvements qu'elles font pour la conservation de leur machine : je vois pourquoi le chien retire sa patte quand le feu le brule, pourquoi il crie quand on le frappe, etc. ôtez ce principe, je n'aperçais plus de raison, ni de cause unique et simple de tout cela. J'en conclus qu'il y a dans les bêtes un principe de sentiment, puisque Dieu n'est point trompeur, et qu'il serait trompeur, au cas que les bêtes fussent de pures machines, puisqu'il me représenterait une multitude de phénomènes ; d'où résulte nécessairement dans mon esprit l'idée d'une cause qui ne serait point : donc les raisons qui nous montrent directement l'existence d'une âme intelligente dans chaque homme, nous assurent aussi celle d'un principe immatériel dans les bêtes.

Mais il faut pousser plus loin ce raisonnement, pour en mieux comprendre toute la force. Supposons dans les bêtes, si vous le voulez, une disposition de la machine d'où naissent toutes leurs opérations surprenantes ; croyons qu'il est digne de la sagesse divine de produire une machine qui puisse se conserver elle-même, et qui ait au-dedans d'elle, en vertu de son admirable organisation, le principe de tous les mouvements qui tendent à la conserver ; je demande à quoi bon cette machine ? pourquoi ce merveilleux arrangement de ressorts ? pourquoi tous ces organes semblables à ceux de nos sens ? pourquoi ces yeux, ces oreilles, ces narines, ce cerveau ? c'est, dites-vous, afin de régler les mouvements de l'automate sur les impressions diverses des corps extérieurs : le but de tout cela, c'est la conservation même de la machine. Mais encore, je vous prie, à quoi bon dans l'univers des machines qui se conservent elles-mêmes ? Ce n'est point à nous, dites-vous, de pénétrer les vues du Créateur, et d'assigner les fins qu'il se propose dans chacun de ses ouvrages. Mais s'il nous les découvre ces vues par des indices assez parlans, n'est-il pas raisonnable de les reconnaître ? Quoi ! n'ai-je pas raison de dire que l'oreille est faite pour ouir, et les yeux pour voir ; que les fruits qui naissent du sein de la terre sont destinés à nourrir l'homme ; que l'air est nécessaire à l'entretien de sa vie, puisque la circulation du sang ne se ferait point sans cela ? Nierez-vous que les différentes parties du corps animal soient faites par le Créateur pour l'usage que l'expérience indique ? Si vous le niez, vous donnez gain de cause aux athées.

Je vais plus avant : les organes de nos sens, qu'un art si sage, qu'une main si industrieuse a façonnés, ont-ils d'autres fins dans l'intention du Créateur, que les sensations mêmes qui s'excitent dans notre âme par leur moyen ? Doutera-t-on que notre corps ne soit fait pour notre âme, pour être à son egard un principe de sensation et un instrument d'action ? Et si cela est vrai des hommes, pourquoi ne le serait-il pas des animaux ? Dans la machine des animaux, nous découvrons un but très-sage, très-digne de Dieu, but vérifié par notre expérience dans des cas semblables ; c'est de s'unir à un principe immatériel, et d'être pour lui source de perception et instrument d'action ; voilà une unité de but ; auquel se rapporte cette combinaison prodigieuse de ressorts qui composent le corps organisé ; ôtez ce but, niez ce principe immatériel, sentant par la machine, agissant sur la machine, et tendant sans cesse par son propre intérêt à la conserver, je ne vois plus aucun but d'un si admirable ouvrage. Cette machine doit être faite pour quelque fin distincte d'elle ; car elle n'est point pour elle-même, non plus que les roues de l'horloge ne sont point faites pour l'horloge. Ne répliquez pas, que comme l'horloge est construite pour marquer les heures, et qu'ainsi son usage est de fournir aux hommes une juste mesure du temps, il en est de même des bêtes ; que ce sont les machines que le Créateur a destinées à l'usage de l'homme. Il y aurait en cela une grande erreur ; car il faut soigneusement distinguer les usages accessoires, et pour ainsi dire étrangers des choses, d'avec leur fin naturelle et principale. Combien d'animaux brutes, dont l'homme ne tire aucun usage, comme les bêtes féroces, les insectes, tous ces petits êtres vivants dont l'air, l'eau, et presque tous les corps sont peuplés ! Les animaux qui servent l'homme, ne le font que par accident ; c'est lui qui les dompte, qui les apprivoise, qui les dresse, qui les tourne adroitement à ses usages. Nous nous servons des chiens, des chevaux, en les appliquant avec art à nos besoins, comme nous nous servons du vent pour pousser les vaisseaux, et pour faire aller les moulins. On se méprendrait fort de croire que l'usage naturel du vent et le but principal que Dieu se propose en produisant ce météore, soit de faire tourner les moulins, et de faciliter la course des vaisseaux ; et l'on aura beaucoup mieux rencontré, si l'on dit que les vents sont destinés à purifier et à rafraichir l'air. Appliquons ceci à notre sujet. Une horloge est faite pour montrer les heures, et n'est faite que pour cela ; toutes les différentes pièces qui la composent sont nécessaires à ce but, et y concourent toutes : mais y a-t-il quelque proportion entre la délicatesse, la variété, la multiplicité des organes des animaux, et les usages que nous en tirons, que même nous ne tirons que d'un petit nombre d'espèces, et encore de la plus petite partie de chaque espèce ? L'horloge a un but distinct d'elle-même : mais regardez bien les animaux, suivez leurs mouvements, voyez-les dans leur naturel, lorsque l'industrie des hommes ne les contraint en rien, et ne les assujettit point à nos besoins et à nos caprices, vous n'y remarquez d'autre vue que leur propre conservation. Mais qu'entendez-vous par leur conservation ? est-ce celle de la machine ? Votre réponse ne satisfait point ; la pure matière n'est point sa fin à elle-même ; encore moins le peut-on dire d'une portion de matière organisée ; l'arrangement d'un tout matériel a pour but autre chose que ce tout ; la conservation de la machine de la bête, quand son principe se trouverait dans la machine même, serait moyen et non fin : plus il y aurait de fine mécanique dans tout cela, plus j'y découvrirais d'art, et plus je serais obligé de recourir à quelque chose hors de la machine, c'est-à-dire à un être simple, pour qui cet arrangement fût fait, et auquel la machine entière eut un rapport d'utilité. C'est ainsi que les idées de la sagesse et de la véracité de Dieu, nous mènent de concert à cette conclusion générale que nous pouvons désormais regarder comme certaine. Il y a une âme dans les bêtes, c'est-à-dire un principe immatériel uni à leur machine, fait pour elle, comme elle est faite pour lui, qui reçoit à son occasion différentes sensations, et qui leur fait faire ces actions qui nous surprennent, par les diverses directions qu'elle imprime à la force mouvante dans la machine.

Nous avons conduit notre recherche jusqu'à l'existence avérée de l'âme des bêtes, c'est-à-dire, d'un principe immatériel joint à leur machine. Si cette âme n'était pas spirituelle, nous ne pourrions nous assurer si la nôtre l'est ; puisque le privilège de la raison et toutes les autres facultés de l'âme humaine, ne sont pas plus incompatibles avec l'idée de la pure matière, que l'est la simple sensation, et qu'il y a plus loin de la matière raffinée, subtilisée, mise dans quelque arrangement que ce puisse être, à la simple perception d'un objet, qu'il n'y a de cette perception simple et directe aux actes réfléchis et au raisonnement.

D'abord il y a une distinction essentielle entre la raison humaine et celle des brutes. Quoique le préjugé commun aille à leur donner quelque degré de raison, il n'a point été jusqu'à les égaler aux hommes. La raison des brutes n'agit que sur de petits objets, et agit très-foiblement, cette raison ne s'applique point à toutes sortes d'objets comme la nôtre. L'ame des brutes sera donc une substance qui pense, mais le fonds de sa pensée sera beaucoup plus étroit que celui de l'âme humaine. Elle aura l'idée des objets corporels qui ont quelque relation d'utilité avec son corps : mais elle n'aura point d'idées spirituelles et abstraites ; elle ne sera point susceptible de l'idée d'un Dieu, d'une religion, du bien et du mal moral, ni de toutes celles qui sont si bien liées avec celles-là, qu'une intelligence capable de recevoir les unes est nécessairement susceptible des autres. L'ame de la bête ne renfermera point non plus ces notions et ces principes sur lesquels on bâtit les sciences et les arts. Voilà beaucoup de propriétés de l'âme humaine qui manquent à celle de la bête : mais qui nous garantit ce défaut ? l'expérience : avec quelque soin que l'on observe les bêtes, de quelque côté qu'on les tourne, aucune de leurs actions ne nous découvre la moindre trace de ces idées dont je viens de parler ; je dis même celles de leurs actions qui marquent le plus de subtilité et de finesse, et qui paraissent plus raisonnées. A s'en tenir à l'expérience, on est donc en droit de leur refuser toutes ces propriétés de l'âme humaine. Direz-vous avec Bayle, que de ce que l'âme des brutes emprisonnée qu'elle est dans certains organes, ne manifeste pas telles et telles facultés, telles et telles idées, il ne s'ensuit point du tout qu'elle ne soit susceptible de ces idées, et qu'elle n'ait pas ces facultés ; parce que c'est peut-être l'organisation de la machine qui les voîle et les enveloppe ? A ce ridicule peut-être, dont le bon sens s'irrite, voici une réponse décisive. C'est une chose directement opposée à la nature d'un Dieu bon et sage, et contraire à l'ordre qu'il suit invariablement, de donner à la créature certaines facultés, et de ne lui en permettre pas l'exercice, surtout si ces facultés, en se déployant, peuvent contribuer à la gloire du Créateur et au bonheur de la créature. Voici un principe évidemment contenu dans l'idée d'un Dieu souverainement bon et souverainement sage, c'est que les intelligences qu'il a créées, dans quelque ordre qu'il les place, à quelque économie qu'il lui plaise de les soumettre (je parle d'une économie durable et réglée selon les lois générales de la nature), soient en état de le glorifier autant que leur nature les en rend capables, et soient en même temps mises à portée d'acquérir le bonheur dont cette nature est susceptible. De-là il suit qu'il répugne à la sagesse et à la bonté de Dieu, de soumettre des créatures à aucune économie qui ne leur permette de déployer que les moins nobles de leurs facultés, qui leur rende inutiles celles qui font les plus nobles, et par conséquent les empêche de tendre au plus haut point de félicité où elles puissent atteindre. Telle serait une économie qui bornerait à de simples sensations des créatures susceptibles de raisonnement et d'idées claires, et qui les priverait de cette espèce de bonheur que procurent les connaissances évidentes et les opérations libres et raisonnables, pour les réduire aux seuls plaisirs des sens. Or l'âme des brutes, supposé qu'elle ne différât point essentiellement de l'âme humaine, serait dans le cas de cet assujettissement forcé qui répugne à la bonté et à la sagesse du Créateur, et qui est directement contraire aux lois de l'ordre. C'en est assez pour nous convaincre que l'âme des brutes n'ayant, comme l'expérience le montre, aucune connaissance de la divinité, aucun principe de religion, aucunes notions du bien et du mal moral, n'est point susceptible de ces notions. Sous cette exclusion est comprise celle d'un nombre infini d'idées et de propriétés spirituelles. Mais si elle n'est pas la même que celle des hommes, quelle est donc sa nature ? Voici ce qu'on peut conjecturer de plus raisonnable sur ce sujet, et qui soit moins exposé aux embarras qui peuvent naître d'ailleurs.

Je me représente l'âme des bêtes comme une substance immatérielle et intelligente : mais de quelle espèce ? Ce doit être, ce semble, un principe actif qui a des sensations, et qui n'a que cela. Notre âme a dans elle-même, outre son activité essentielle, deux facultés qui fournissent à cette activité la matière sur laquelle elle s'exerce. L'une, c'est la faculté de former des idées claires et distinctes sur lesquelles le principe actif ou la volonté agit d'une manière qui s'appelle réflexion, jugement, raisonnement, choix libre : l'autre, c'est la faculté de sentir, qui consiste dans la perception d'une infinité de petites idées involontaires, qui se succedent rapidement l'une à l'autre, que l'âme ne discerne point, mais dont les différentes successions lui plaisent ou lui déplaisent, et à l'occasion desquelles le principe actif ne se déploie que par désirs confus. Ces deux facultés paraissent indépendantes l'une de l'autre : qui nous empêcherait de supposer dans l'échelle des intelligences, au-dessous de l'âme humaine, une espèce d'esprit plus borné qu'elle, et qui ne lui ressemblerait pourtant que par la faculté de sentir ; un esprit qui n'aurait que cette faculté sans avoir l'autre, qui ne serait capable que d'idées indistinctes, ou de perceptions confuses ? Cet esprit ayant des bornes beaucoup plus étroites que l'âme humaine, en sera essentiellement ou spécifiquement distinct. Son activité sera resserrée à proportion de son intelligence : comme celle-ci se bornera aux perfections confuses, celle-là ne consistera que dans des désirs confus qui seront relatifs à ces perceptions. Il n'aura que quelques traits de l'âme humaine ; il sera son portrait en raccourci. L'ame des brutes, selon que je me la figure, aperçoit les objets par sensation ; elle ne réfléchit point ; elle n'a point d'idée distincte ; elle n'a qu'une idée confuse du corps. Mais qu'il y a de différence entre les idées corporelles que la sensation nous fait naître, et celles que la bête reçoit par la même voie ! Les sens font bien passer dans notre âme l'idée des corps : mais notre âme ayant outre cela une faculté supérieure à celle des sens, rend cette idée toute autre que les sens ne la lui donnent. Par exemple, je vois un arbre, une bête le voit aussi : mais ma perception est toute différente de la sienne. Dans ce qui dépend uniquement des sens, peut-être que tout est égal entre elle et moi : j'ai cependant une perception qu'elle n'a pas ; pourquoi ? parce que j'ai le pouvoir de réfléchir sur l'objet que me présente ma sensation. Dès que j'ai Ve un seul arbre, j'ai l'idée abstraite d'arbre en général, qui est séparée dans mon esprit de celle d'une plante, de celle d'un cheval et d'une maison. Cette vue que l'entendement se forme d'un objet auquel la sensation l'applique, est le principe de tout raisonnement ; qui suppose réflexion, vue distincte, idées abstraites des objets, par où l'on voit les rapports et les différences, et qui mettent dans chaque objet une espèce d'unité. Nous croyons devoir aux sens des connaissances qui dépendent d'un principe bien plus noble, je veux dire de l'intelligence qui distingue, qui réunit, qui compare, qui fournit cette vue de discrétion ou de discernement. Dépouillons donc hardiment la bête des privilèges qu'elle avait usurpés dans notre imagination. Une âme purement sensitive est bornée dans son activité, comme elle l'est dans son intelligence ; elle ne réfléchit point ; elle ne raisonne point ; à proprement parler, elle ne choisit point non plus ; elle n'est capable ni de vertus ni de vices, ni de progrès autres que ceux que produisent les impressions et les habitudes machinales. Il n'y a pour elle ni passé ni avenir ; elle se contente de sentir et d'agir ; et si ses actions semblent lui supposer toutes les propriétés que je lui refuse, il faut charger la pure mécanique des organes de ces trompeuses apparences.

En réunissant le mécanisme avec l'action d'un principe immatériel et soi-mouvant, dès-lors la grande difficulté s'affoiblit, et les actions raisonnées des brutes peuvent très-bien se réduire à un principe sensitif joint avec un corps organisé. Dans l'hypothèse de Descartes, le mécanisme ne tend qu'à la conservation de la machine ; mais le but et l'usage de cette machine est inexplicable, la pure matière ne pouvant être sa propre fin, et l'arrangement le plus industrieux d'un tout matériel ayant nécessairement de sa conservation d'autre raison que lui-même. D'ailleurs de cette réaction de la machine, je veux dire de ces mouvements excités chez elle, en conséquence de l'impression des corps extérieurs, on n'en peut donner aucune cause naturelle ni finale. Par exemple, pour expliquer comment les bêtes cherchent l'aliment qui leur est propre, suffit-il de dire, que le picotement causé par certain suc acre aux nerfs de l'estomac d'un chien, étant transmis au cerveau, l'oblige de s'ouvrir vers les endroits les plus convenables, pour faire couler les esprits dans les muscles des jambes ; d'où suit le transport de la machine du chien vers la viande qu'on lui offre ? Je ne vois point de raison physique qui montre que l'ébranlement de ce nerf transmis jusqu'au cerveau doit faire refluer les esprits animaux dans les muscles qui produisent ce transport utîle à la machine. Quelle force pousse ces esprits précisément de ce côte-là ? Quand on aurait découvert la raison physique qui produit un tel effet, on en chercherait inutilement la cause finale. La machine insensible n'a aucun intérêt, puisqu'elle n'est susceptible d'aucun bonheur ; rien, à proprement parler, ne peut être utîle pour elle.

Il en est tout autrement dans l'hypothèse du mécanisme réuni avec un principe sensitif ; elle est fondée sur une utilité réelle, je veux dire, sur celle du principe sensitif, qui n'existerait point s'il n'y avait point de machine à laquelle il fût uni. Ce principe étant actif, il a le pouvoir de remuer les ressorts de cette machine, le Créateur les dispose de manière qu'il les puisse remuer utilement pour son bonheur, l'ayant construit avec tant d'art, que d'un côté les mouvements qui produisent dans l'âme des sentiments agréables tendent à conserver la machine, source de ces sentiments ; et que d'un autre côté les désirs de l'âme qui répondent à ces sentiments, produisent dans la machine des mouvements insensibles, lesquels en vertu de l'harmonie qui y règne, tendent à leur tour à la conserver en bon état, afin d'en tirer pour l'âme des sensations agréables, La cause physique de ces mouvements de l'animal si sagement proportionnés aux impressions des objets, c'est l'activité de l'âme elle-même, qui a la puissance de mouvoir les corps ; elle dirige et modifie son activité conformément aux diverses sensations qu'excitent en elle certaines impressions externes, dès qu'elle y est involontairement appliquée ; impressions qui, selon qu'elles sont agréables ou affligeantes pour l'âme, sont avantageuses ou nuisibles à la machine. D'autre côté à cette force, toute aveugle qu'elle est, se trouve soumis un instrument si artistement fabriqué, que d'une telle suite d'impressions que fait sur lui cette force aveugle, résultent des mouvements également réguliers et utiles à cet agent.

Ainsi tout se lie et se soutient : l'âme, en tant que principe sensitif, est soumise à un mécanisme qui lui transmet d'une certaine manière l'impression des objets du dehors ; en tant que principe actif, elle préside elle-même à un autre mécanisme qui lui est subordonné, et qui n'étant pour elle qu'instrument d'action, met dans cette action toute la régularité nécessaire. L'ame de la bête étant active et sensitive tout ensemble, reglant son action sur son sentiment, et trouvant dans la disposition de sa machine, et de quoi sentir agréablement, et de quoi exécuter utilement, et pour elle, et pour le bien des autres parties de l'univers, est le lien de ce double mécanisme ; elle en est la raison et la cause finale dans l'intention du Créateur.

Mais pour mieux expliquer ma pensée, supposons un de ces chef-d'œuvres de la mécanique où divers poids et divers ressorts sont si industrieusement ajustés, qu'au moindre mouvement qu'on lui donne, il produit les effets les plus surprenans et les plus agréables à la vue ; comme vous diriez une de ces machines hydrauliques dont parle M. Regis, une de ces merveilleuses horloges, un de ces tableaux mouvants, une de ces perspectives animées : supposons qu'on dise à un enfant de presser un ressort, ou de tourner une manivelle, et qu'aussi-tôt on aperçoive des décorations superbes et des paysages riants ; qu'on voie remuer et danser plusieurs figures, qu'on entende des sons harmonieux, etc. cet enfant n'est-il pas un agent aveugle par rapport à la machine ? Il en ignore parfaitement la disposition, il ne sait comment et par quelles lois arrivent tous ces effets qui le surprennent ; cependant il est la cause de ces mouvements ; en touchant un seul ressort, il a fait jouer toute la machine ; il est la force mouvante qui lui donne le branle. Le mécanisme est l'affaire de l'ouvrier qui a inventé cette machine pour le divertir ; ce mécanisme que l'enfant ignore est fait pour lui, et c'est lui qui le fait agir sans le savoir. Voilà l'âme des bêtes : mais l'exemple est imparfait ; il faut supposer qu'il y ait quelque chose à ce ressort d'où dépend le jeu de la machine, qui attire l'enfant, qui lui plait et qui l'engage à le toucher. Il faut supposer que l'enfant s'avançant dans une grotte, à peine a-t-il appuyé son pied sur un certain endroit où est un ressort, qu'il parait un Neptune qui vient le menacer avec son trident ; qu'effrayé de cette apparition, il fuit vers un endroit où un autre ressort étant pressé, fasse survenir une figure plus agréable, ou fasse disparaitre la première. Vous voyez que l'enfant contribue à ceci, comme un agent aveugle, dont l'activité est déterminée par l'impression agréable ou effrayante que lui cause certains objets. L'ame de la bête est de même, et de-là ce merveilleux concert entre l'impression des objets et les mouvements qu'elle fait à leur occasion. Tout ce que ces mouvements ont de sage et de régulier est sur le compte de l'intelligence suprême qui a produit la machine, par des vues dignes de sa sagesse et de sa bonté. L'ame est le but de la machine ; elle en est la force mouvante ; réglée par le mécanisme, elle le règle à son tour. Il en est ainsi de l'homme à certains égards, dans toutes les actions, ou d'habitude, ou d'instinct : il n'agit que comme principe sensitif, il n'est que force mouvante brusquement déterminée par la sensation : ce que l'homme est à certains égards, les bêtes le sont en tout ; et peut-être que si dans l'homme le principe intelligent et raisonnable était éteint, on n'y verrait pas moins de mouvements raisonnés, pour ce qui regarde les biens du corps, ou, ce qui revient à la même chose, pour l'utilité du principe sensitif qui resterait seul, que l'on n'en remarque dans les brutes.

Si l'âme des bêtes est immatérielle, dit-on, si c'est un esprit comme notre hypothèse le suppose, elle est donc immortelle, et vous devez nécessairement lui accorder le privilège de l'immortalité, comme un apanage inséparable de la spiritualité de sa nature. Sait que vous admettiez cette conséquence, soit que vous preniez le parti de la nier, vous vous jetez dans un terrible embarras. L'immortalité de l'âme des bêtes est une opinion trop choquante et trop ridicule aux yeux de la raison même, quand elle ne serait pas proscrite par une autorité supérieure, pour l'oser soutenir sérieusement. Vous voilà donc réduit à nier la conséquence, et à soutenir que tout être immatériel n'est pas immortel : mais dès-lors vous anéantissez une des plus grandes preuves que la raison fournisse pour l'immortalité de l'âme. Voici comme l'on a coutume de prouver ce dogme : l'âme ne meurt pas avec le corps, parce qu'elle n'est pas corps, parce qu'elle n'est pas divisible comme lui, parce qu'elle n'est pas un tout tel que le corps humain, qui puisse périr par le dérangement ou la séparation des parties qui le composent. Cet argument n'est solide, qu'au cas que le principe sur lequel il roule le soit aussi ; savoir, que tout ce qui est immatériel est immortel, et qu'aucune substance n'est anéantie : mais ce principe sera réfuté par l'exemple des bêtes ; donc la spiritualité de l'âme des bêtes ruine les preuves de l'immortalité de l'âme humaine. Cela serait bon si de ce raisonnement nous concluions l'immortalité de l'âme humaine : mais il n'en est pas ainsi. La parfaite certitude que nous avons de l'immortalité de nos âmes ne se fonde que sur ce que Dieu l'a révélée : or la même révélation qui nous apprend que l'âme humaine est immortelle, nous apprend aussi que celle des bêtes n'a pas le même privilège. Ainsi quoique l'âme des bêtes soit spirituelle, et qu'elle meure avec le corps, cela n'obscurcit nullement le dogme de l'immortalité de nos âmes, puisque ce sont là deux vérités de fait dont la certitude a pour fondement commun le témoignage divin. Ce n'est pas que la raison ne se joigne à la révélation pour établir l'immortalité de nos âmes : mais elle tire ses preuves d'ailleurs que de la spiritualité. Il est vrai qu'on peut mettre à la tête des autres preuves la spiritualité ; il faut aguerrir les hommes contre les difficultés qui les étonnent ; accoutumés, en vertu d'une pente qui leur est naturelle, à confondre l'âme avec le corps ; voyant du moins, malgré leur distinction, qu'il n'est pas possible de ne pas sentir combien le corps a d'empire sur l'âme, à quel point il influe sur son bonheur et sur sa misere, combien la dépendance mutuelle de ces deux substances est étroite ; on se persuade facilement que leur destinée est la même ; et que puisque ce qui nuit au corps blesse l'âme, ce qui détruit le corps doit aussi nécessairement la détruire. Pour nous munir contre ce préjugé, rien n'est plus efficace que le raisonnement fondé sur la différence essentielle de ces deux êtres, qui nous prouve que l'un peut subsister sans l'autre. Cet argument n'est bon qu'à certains égards, et pourvu qu'on ne le pousse que jusqu'à un certain point. Il prouve seulement que l'âme peut subsister après la mort ; c'est tout ce qu'il doit prouver : cette possibilité est le premier pas que l'on doit faire dans l'examen de nos questions ; et ce premier pas est important. C'est avoir fait beaucoup que de nous convaincre que notre âme est hors d'atteinte à tous les coups qui peuvent donner la mort à notre corps.

Si nous réfléchissons sur la nature de l'âme des bêtes, elle ne nous fournit rien de son fonds qui nous porte à croire que sa spiritualité la sauvera de l'anéantissement. Cette âme, je l'avoue, est immatérielle ; elle a quelque degré d'activité et d'intelligence, mais cette intelligence se borne à des perceptions indistinctes ; cette activité ne confiste que dans des désirs confus, dont ces perceptions indistinctes sont le motif immédiat. Il est très-vraisemblable qu'une âme purement sensitive, et dont toutes les facultés ont besoin, pour se déployer, du secours d'un corps organisé, n'a été faite que pour durer autant que ce corps : il est naturel qu'un principe uniquement capable de sentir, un principe que Dieu n'a fait que pour l'unir à certains organes, cesse de sentir et d'exister, aussi-tôt que ces organes étant dissous, Dieu fait cesser l'union pour laquelle seule il l'avait créé. Cette âme purement sensitive n'a point de facultés qu'elle puisse exercer dans l'état de séparation d'avec son corps : elle ne peut point croitre en félicité, non plus qu'en connaissance, ni contribuer éternellement, comme l'âme humaine, à la gloire du Créateur, par un progrès éternel de lumières et de vertus. D'ailleurs, elle ne réfléchit point, elle ne prévait, ni ne désire l'avenir, elle est toute occupée de ce qu'elle sent à chaque instant de son existence ; on ne peut donc point dire que la bonté de Dieu l'engage à lui accorder un bien dont elle ne saurait se former l'idée, à lui préparer un avenir qu'elle n'espère ni ne désire. L'immortalité n'est point faite pour une telle âme ; ce n'est point un bien dont elle puisse jouir ; car pour jouir de ce bien, il faut être capable de réflexion, il faut pouvoir anticiper par la pensée sur l'avenir le plus reculé ; il faut pouvoir se dire à soi-même, je suis immortel, et quoi qu'il arrive, je ne cesserai jamais d'être, et d'être heureux.

L'objection prise des souffrances des bêtes, est la plus redoutable de toutes celles que l'on puisse faire contre la spiritualité de leur âme : elle est d'un si grand poids, que les Cartésiens ont cru la pouvoir tourner en preuve de leur sentiment, seule capable de les y retenir, malgré les embarras insurmontables où ce sentiment les jete. Si les brutes ne sont pas de pures machines, si elles sentent, si elles connaissent, elles sont susceptibles de la douleur comme du plaisir ; elles sont sujettes à un déluge de maux, qu'elles souffrent sans qu'il y ait de leur faute, et sans l'avoir mérité, puisqu'elles sont innocentes, et qu'elles n'ont jamais violé l'ordre qu'elles ne connaissent point. Où est en ce cas la bonté, où est l'équité du Créateur ? Où est la vérité de ce principe, qu'on doit regarder comme une loi éternelle de l'ordre ? Sous un Dieu juste, on ne peut être miserable sans l'avoir mérité. Mais ce qu'il y a de pis dans leur condition, c'est qu'elles souffrent dans cette vie sans aucun dédommagement dans une autre, puisque leur âme meurt avec le corps ; et c'est ce qui double la difficulté. Le père Malebranche a fort bien poussé cette objection dans sa défense contre les accusations de M. de la Ville.

Je répons d'abord que ce principe de S. Augustin, savoir, que sous un Dieu juste on ne peut être misérable sans l'avoir mérité, n'est fait que pour les créatures raisonnables, et qu'on ne saurait en faire qu'à elles seules d'application juste. L'idée de justice, celle de mérite et de démérite, suppose qu'il est question d'un agent libre, et de la conduite de Dieu à l'égard de cet agent. Il n'y a qu'un tel agent qui soit capable de vice et de vertu, et qui puisse mériter quoi que ce sait. La maxime en question n'a donc aucun rapport à l'âme des bêtes. Cette âme est capable de sentiment ; mais elle ne l'est ni de raison, ni de liberté, ni de vice, ni de vertu ; n'ayant aucune idée de règle, de loi, de bien ni de mal moral, elle n'est capable d'aucune action moralement bonne ou mauvaise. Comme chez elle le plaisir ne peut être récompense, la douleur n'y peut être châtiment : il faut donc changer la maxime, et la réduire à celle-ci ; savoir, que sous un Dieu bon aucune créature ne peut être nécessitée à souffrir sans l'avoir mérité : mais loin que ce principe soit évident, je crois être en droit de soutenir qu'il est faux. L'ame des brutes est susceptible de sensations, et n'est susceptible que de cela : elle est donc capable d'être heureuse en quelque degré. Mais comment le sera-t-elle ? c'est en s'unissant à un corps organisé ; sa constitution est telle que la perception confuse qu'elle aura d'une certaine suite de mouvements, excités par les objets extérieurs dans le corps qui lui est uni, produira chez elle une sensation agréable : mais aussi, par une conséquence nécessaire, cette âme, à l'occasion de son corps, sera susceptible de douleur comme de plaisir. Si la perception d'un certain ordre de mouvements lui plait, il faut donc que la perception d'un ordre de mouvements tous différents l'afflige et la blesse : or selon les lois générales de la nature, ce corps auquel l'âme est unie doit recevoir assez souvent des impressions de ce dernier ordre, comme il en reçoit du premier, et par conséquent l'âme doit recevoir des sensations douloureuses, aussi bien que des sensations agréables. Cela même est nécessaire pour l'appliquer à la conservation de la machine, dont son existence dépend, et pour la faire agir d'une manière utîle à d'autres êtres de l'univers ; cela d'ailleurs est indispensable : voudriez-vous que cette âme n'eut que des sensations agréables ? Il faudrait donc changer le cours de la nature, et suspendre les lois du mouvement ; car les lois du mouvement produisent cette alternative d'impressions opposées dans les corps vivants, comme elles produisent celles de leur génération et de leur destruction : mais de ces lois résulte le plus grand bien de tout le système immatériel, et des intelligences qui lui sont unies ; la suspension de ces lois renverserait tout. Qu'emporte donc la juste idée d'un Dieu bon ? c'est que quand il agit, il tende toujours au bien, et produise un bien ; c'est qu'il n'y ait aucune créature sortie de ses mains, qui ne gagne à exister plutôt que d'y perdre. Or telle est la condition des bêtes ; qui pourrait pénétrer leur intérieur, y trouverait une compensation des douleurs et des plaisirs, qui tournerait toute à la gloire de la bonté divine ; on y verrait que dans celles qui souffrent inégalement, il y a proportion, inégalité, ou de plaisirs ou de durée ; et que le degré de douleur qui pourrait rendre leur existence malheureuse, est précisément ce qui la détruit : en un mot si l'on déduisait la somme des maux, on trouverait toujours au bout du calcul un résidu de bienfaits purs, dont elles font uniquement redevables à la bonté divine ; on verrait que la sagesse divine a su ménager les choses, en sorte que dans tout individu sensitif, le degré de mal qu'il souffre, sans lui enlever tout l'avantage de son existence, tourne d'ailleurs au profit de l'Univers. Ne nous imaginons pas aussi que les souffrances des bêtes ressemblent aux nôtres : les bêtes ignorent un grand nombre de nos maux, parce qu'elles n'ont pas les dédommagements que nous avons ; ne jouissant pas des plaisirs que la raison procure, elles n'en éprouvent pas les peines : d'ailleurs, la perception des bêtes étant renfermée dans le point indivisible du présent, elles souffrent beaucoup moins que nous par les douleurs du même genre ; parce que l'impatience et la crainte de l'avenir n'aigrit point leurs maux, et qu'heureusement pour elles il leur manque une raison ingénieuse à se les grossir.

Mais n'y a-t-il pas de la cruauté et de l'injustice à faire souffrir des âmes et à les anéantir, en détruisant leurs corps pour conserver d'autres corps ? n'est-ce pas un renversement visible de l'ordre, que l'âme d'une mouche, qui est plus noble que le plus noble des corps, puisqu'elle est spirituelle, soit détruite afin que la mouche serve de pâture à l'hirondelle, qui eut pu se nourrir de toute autre chose ? Est-il juste que l'âme d'un poulet souffre et meure afin que le corps de l'homme soit nourri ? que l'âme du cheval endure mille peines et mille fatigues durant si longtemps, pour fournir à l'homme l'avantage de voyager commodément ? Dans cette multitude d'ames qui s'anéantissent tous les jours pour les besoins passagers des corps vivants, peut-on reconnaître cette équitable et sage subordination qu'un Dieu bon et juste doit nécessairement observer ? Je réponds à cela que l'argument serait victorieux, si les âmes des brutes se rapportaient aux corps et se terminaient à ce rapport ; car certainement tout être spirituel est au-dessus de la matière. Mais, remarquez-le bien, ce n'est point au corps, comme corps, que se termine l'usage que la Créateur tire de cette âme spirituelle, c'est au bonheur des êtres intelligens. Si le cheval me porte, et si le poulet me nourrit, ce sont bien-là des effets qui se rapportent directement à mon corps : mais ils se terminent à mon âme, parce que mon âme seule en recueille l'utilité. Le corps n'est que pour l'âme, les avantages du corps sont des avantages propres à l'âme ; toutes les douceurs de la vie animale ne sont que pour elle, n'y ayant qu'elle qui puisse sentir, et par conséquent être susceptible de félicité. La question reviendra donc à savoir si l'âme du cheval, du chien, du poulet, ne peut pas être d'un ordre assez inférieur à l'âme humaine, pour que le Créateur emploie celle-là à procurer même la plus petite partie du bonheur de celle-ci, sans violer les règles de l'ordre et des proportions. On peut dire la même chose de la mouche à l'égard de l'hirondelle, qui est d'une nature plus excellente. Pour l'anéantissement, ce n'est point un mal pour une créature qui ne réfléchit point sur son existence, qui est incapable d'en prévoir la fin, et de comparer, pour ainsi dire, l'être avec le non-être, quoique pour elle l'existence soit un bien, parce qu'elle sent. La mort, à l'égard d'une âme sensitive, n'est que la soustraction d'un bien qui n'était pas dû ; ce n'est point un mal qui empoisonne les dons du Créateur, et qui rende la créature malheureuse. Ainsi, quoique ces âmes et ces vies innombrables que Dieu tire chaque jour du néant, soient des preuves de la bonté divine, leur destruction journalière ne blesse point cet attribut : elles se rapportent au monde dont elles font partie ; elles doivent servir à l'utilité des êtres qui le composent ; il suffit que cette utilité n'exclue point la leur propre, et qu'elles soient heureuses en quelque mesure, en contribuant au bonheur d'autrui. Vous trouverez ce système plus développé et plus étendu dans le traité de l'essai philosophique sur l'âme des bêtes de M. Bouillet, d'où ces réflexions ont été tirées.

L'amusement philosophique du P. Bougeant Jésuite, sur le langage des bêtes, a eu trop de cours dans le monde pour ne pas mériter de trouver ici sa place. S'il n'est vrai, du moins il est ingénieux. Les bêtes ont-elles une âme, ou n'en ont-elles point ? question épineuse et embarrassante, surtout pour un philosophe chrétien. Descartes sur ce principe, qu'on peut expliquer toutes les actions des bêtes par les lois de la mécanique, a prétendu qu'elles n'étaient que de simples machines, de purs automates. Notre raison semble se révolter contre un tel sentiment : il y a même quelque chose en nous qui se joint à elle pour bannir de la société l'opinion de Descartes. Ce n'est pas un simple préjugé, c'est une persuasion intime, un sentiment dont voici l'origine. Il n'est pas possible que les hommes avec qui je vis soient autant d'automates ou de perroquets instruits à mon insu. J'aperçais dans leur extérieur des tons et des mouvements qui paraissent indiquer une âme : je vois régner un certain fil d'idées qui suppose la raison : je vois de la liaison dans les raisonnements qu'ils me font, plus ou moins d'esprit dans les ouvrages qu'ils composent. Sur ces apparences ainsi rassemblées, je prononce hardiment qu'ils pensent en effet. Peut-être que Dieu pourrait produire un automate en tout semblable au corps humain, lequel par les seules lois du mécanisme parlerait, ferait des discours suivis, écrirait des livres très-bien raisonnés. Mais ce qui me rassure contre toute erreur, c'est la véracité de Dieu. Il me suffit de trouver dans mon âme le principe unique qui réunit et qui explique tous ces phénomènes qui me frappent dans mes semblables, pour me croire bien fondé à soutenir qu'ils sont hommes comme moi. Or les bêtes sont par rapport à moi dans le même cas. Je vois un chien accourir quand je l'appele, me caresser quand je le flatte, trembler et fuir quand je le menace, m'obéir quand je lui commande, et donner toutes les marques extérieures de divers sentiments de joie, de tristesse, de douleur, de crainte, de désir, des passions de l'amour et de la haine ; je conclus aussi-tôt qu'un chien a dans lui-même un principe de connaissance et de sentiment, quel qu'il sait. Il me suffit que l'âme que je lui suppose soit l'unique raison suffisante qui se lie avec toutes ces apparences et tous ces phénomènes qui me frappent les yeux, pour que je sois persuadé que ce n'est pas une machine. D'ailleurs une telle machine entraînerait avec elle une trop grande composition de ressorts, pour que cela puisse s'allier avec la sagesse de Dieu qui agit toujours par les voies les plus simples. Il y a toute apparence que Descartes, ce génie si supérieur, n'a adopté un système si peu conforme à nos idées, que comme un jeu d'esprit, et dans la seule vue de contredire les Péripatéticiens, dont en effet le sentiment sur la connaissance des bêtes n'est pas soutenable. Il vaudrait encore mieux s'en tenir aux machines de Descartes, si l'on n'avait à leur opposer que la forme substantielle des Péripatéticiens, qui n'est ni esprit ni matière. Cette substance mitoyenne est une chimère, un être de raison dont nous n'avons ni idée ni sentiment. Est-ce donc que les bêtes auraient une âme spirituelle comme l'homme ? Mais si cela est ainsi, leur âme sera donc immortelle et libre ; elles seront capables de mériter ou de démériter, dignes de récompense ou de châtiment ; il leur faudra un paradis ou un enfer. Les bêtes seront donc une espèce d'hommes, ou les hommes une espèce de bêtes ; toutes conséquences insoutenables dans les principes de la religion. Voilà des difficultés à étonner les esprits les plus hardis, mais dont on trouve le dénouement dans le système de notre Jésuite. En effet, pourvu que l'on se prête à cette supposition, que Dieu a logé des démons dans le corps des bêtes, on conçoit sans peine comment les bêtes peuvent penser, connaître, sentir, et avoir une âme spirituelle, sans intéresser les dogmes de la religion. Cette supposition n'a rien d'absurde ; elle coule même des principes de la religion. Car enfin, puisqu'il est prouvé par plusieurs passages de l'Ecriture, que les démons ne souffrent point encore les peines de l'enfer, et qu'ils n'y seront livrés qu'au jour du jugement dernier, quel meilleur usage la justice divine pouvait-elle faire de tant de légions d'esprits reprouvés, que d'en faire servir une partie à animer des millions de bêtes de toute espèce, lesquelles remplissent l'Univers, et font admirer la sagesse et la toute-puissance du Créateur ? Mais pourquoi les bêtes, dont l'âme vraisemblablement est plus parfaite que la nôtre, n'ont-elles pas tant d'esprit que nous ? Oh, dit le P. Bougeant, c'est que dans les bêtes, comme dans nous, les opérations de l'esprit sont assujetties aux organes matériels de la machine, à laquelle il est uni ; et ces organes étant dans les bêtes plus grossiers et moins parfaits que dans nous, il s'ensuit que la connaissance, les pensées, et toutes les opérations spirituelles des bêtes, doivent être aussi moins parfaites que les nôtres. Une dégradation si honteuse pour ces esprits superbes, puisqu'elle les réduit à n'être que des bêtes, est pour eux un premier effet de la vengeance divine, qui n'attend que le dernier jour pour se déployer sur eux d'une manière bien plus terrible.

Une autre raison qui prouve que les bêtes ne sont que des démons métamorphosés en elles, ce sont les maux excessifs auxquels la plupart d'entr'elles sont exposées, et qu'elles souffrent réellement. Que les chevaux sont à plaindre, disons-nous, à la vue d'un cheval qu'un impitoyable charretier accable de coups ? qu'un chien qu'on dresse à la chasse est misérable ! que le sort des bêtes qui vivent dans les bois est triste ! Or si les bêtes ne sont pas des démons, qu'on m'explique quel crime elles ont commis pour naître sujettes à des maux si cruels ? Cet excès de maux est dans tout autre système un mystère incompréhensible ; au lieu que dans le sentiment du père Bougeant, rien de plus aisé à comprendre. Les esprits rébelles méritent un châtiment encore plus rigoureux : trop heureux que leur supplice soit différé ; en un mot, la bonté de Dieu est justifiée ; l'homme lui-même est justifié. Car quel droit aurait-il de donner la mort sans nécessité, et souvent par pur divertissement, à des millions de bêtes, si Dieu ne l'avait autorisé ? et un Dieu bon et juste aurait-il pu donner ce droit à l'homme, puisqu'après tout, les bêtes sont aussi sensibles que nous-mêmes, à la douleur et à la mort, si ce n'étaient autant de coupables victimes de la vengeance divine ?

Mais écoutez, continue notre philosophe, quelque chose de plus fort et de plus intéressant. Les bêtes sont naturellement vicieuses : les bêtes carnacières et les oiseaux de proie sont cruels ; beaucoup d'insectes de la même espèce se dévorent les uns les autres ; les chats sont perfides et ingrats ; les singes sont malfaisants ; les chiens sont envieux ; toutes sont jalouses et vindicatives à l'excès, sans parler de beaucoup d'autres vices que nous leur connaissons. Il faut dire de deux choses l'une : ou que Dieu a pris plaisir à former les bêtes aussi vicieuses qu'elles sont, et à nous donner dans elles des modèles de tout ce qu'il y a de plus honteux ; ou qu'elles ont comme l'homme un péché d'origine, qui a perverti leur première nature. La première de ces propositions fait une extrême peine à penser, et est formellement contraire à l'Ecriture-sainte, qui dit que tout ce qui sortit des mains de Dieu à la création du monde, était bon et même fort bon. Or si les bêtes étaient telles alors qu'elles sont aujourd'hui, comment pourrait-on dire qu'elles fussent bonnes et fort bonnes ? Où est le bien qu'un singe soit si malfaisant, qu'un chien soit si envieux, qu'un chat soit si perfide ? Il faut donc recourir à la seconde proposition, et dire que la nature des bêtes a été comme celle de l'homme corrompue par quelque péché d'origine ; autre supposition qui n'a aucun fondement et qui choque également la raison et la religion. Quel parti prendre ? Admettez le système des démons changés en bêtes, tout est expliqué. Les âmes des bêtes sont des esprits rébelles qui se sont rendus coupables envers Dieu. Ce péché dans les bêtes n'est point un péché d'origine ; c'est un péché personnel qui a corrompu et perverti leur nature dans toute sa substance : delà tous les vices que nous leur connaissons.

Vous êtes peut-être inquiet de savoir quelle est la destinée des démons après la mort des bêtes. Rien de plus aisé que d'y satisfaire. Pythagore enseignait autrefois qu'au moment de notre mort nos âmes passent dans un corps, soit d'homme, soit de bête, pour recommencer une nouvelle vie, et toujours ainsi successivement jusqu'à la fin des siècles. Ce système qui est insoutenable par rapport aux hommes, et qui est d'ailleurs proscrit par la religion, convient admirablement bien aux bêtes, selon le P. Bougeant, et ne choque ni la religion, ni la raison. Les demons destinés de Dieu à être des bêtes, survivent nécessairement à leur corps, et cesseraient de remplir leur destination, si lorsque leur premier corps est détruit, ils ne passaient aussi-tôt dans un autre pour recommencer à vivre sous une autre forme.

Si les bêtes ont de la connaissance et du sentiment, elles doivent conséquemment avoir entr'elles pour leurs besoins mutuels, un langage intelligible. La chose est possible ; il ne faut qu'examiner si elle est nécessaire. Toutes les bêtes ont de la connaissance, c'est un principe avoué ; et nous ne voyons pas que l'auteur de la nature ait pu leur donner cette connaissance pour d'autres fins que de les rendre capables de pourvoir à leurs besoins, à leur conservation, à tout ce qui leur est propre et convenable dans leur condition, et la forme de vie qu'il leur a prescrite. Ajoutons à ce principe, que beaucoup d'espèces de bêtes sont faites pour vivre en société, et les autres pour vivre du moins en ménage, pour ainsi dire, d'un mâle avec une femelle, et en famille avec leurs petits jusqu'à ce qu'ils soient élevés. Or, si l'on suppose qu'elles n'ont point entr'elles un langage, quel qu'il sait, pour s'entendre les unes les autres, on ne conçoit plus comment leur société pourrait subsister : comment les castors, par exemple, s'aideraient-ils les uns les autres pour se bâtir un domicile, s'ils n'avaient un langage très-net et aussi intelligible pour eux que nos langues le sont pour nous ? La connaissance sans une communication réciproque par un langage sensible et connu, ne suffit pas pour entretenir la société, ni pour exécuter une entreprise qui demande de l'union et de l'intelligence. Comment les loups concerteraient-ils ensemble des ruses de guerre dans la chasse qu'ils font aux troupeaux de moutons, s'ils ne s'entendaient pas ? Comment enfin des hirondelles ont-elles pu sans se parler, former toutes ensemble le dessein de claquemurer un moineau qu'elles trouvèrent dans le nid d'une de leurs camarades, voyant qu'elles ne pouvaient l'en chasser ? On pourrait apporter mille autres traits semblables pour appuyer ce raisonnement. Mais ce qui ne souffre point ici de difficulté, c'est que si la nature les a faites capables d'entendre une langue étrangère, comment leur aurait-elle refusé la faculté d'entendre et de parler une langue naturelle ? car les bêtes nous parlent et nous entendent fort bien.

Quand on sait une fois que les bêtes parlent et s'entendent, la curiosité n'en est que plus avide de connaître quels sont les entretiens qu'elles peuvent avoir entr'elles. Quelque difficîle qu'il soit d'expliquer leur langage et d'en donner le dictionnaire, le père Bougeant a osé le tenter. Ce qu'on peut assurer, c'est que leur langage doit être fort borné, puisqu'il ne s'étend pas au-delà des besoins de la vie ; car la nature n'a donné aux bêtes la faculté de parler, que pour exprimer entr'elles leurs désirs et leurs sentiments, afin de pouvoir satisfaire par ce moyen à leurs besoins et à tout ce qui est nécessaire pour leur conservation : or tout ce qu'elles pensent, tout ce qu'elles sentent, se réduit à la vie animale. Point d'idées abstraites par conséquent, point de raisonnements métaphysiques, point de recherches curieuses sur tous les objets qui les environnent, point d'autre science que celle de se bien porter, de se bien conserver, d'éviter tout ce qui leur nuit, et de se procurer du bien. Ce principe une fois établi, que les connaissances, les désirs, les besoins des bêtes, et par conséquent leurs expressions, sont bornées à ce qui est utîle ou nécessaire pour leur conservation ou la multiplication de leur espèce ; il n'y a rien de plus aisé que d'entendre ce qu'elles veulent se dire. Placez-vous dans les diverses circonstances où peut être quelqu'un qui ne connait et qui ne sait exprimer que ses besoins : et vous trouverez dans vos propres discours l'interprétation de ce qu'elles se disent. Comme la chose qui les touche le plus, est le désir de multiplier leur espèce, ou du moins d'en prendre les moyens, toute leur conversation roule ordinairement sur ce point. On peut dire que le P. Bougeant a décrit avec beaucoup de vivacité leurs amours, et que le dictionnaire qu'il donne de leurs phrases tendres et voluptueuses, vaut bien celui de l'Opéra. Voilà ce qui a révolté dans un Jésuite, condamné par état à ne jamais abandonner son pinceau aux mains de l'amour. La galanterie n'est pardonnable dans un ouvrage philosophique, que lorsque l'auteur de l'ouvrage est homme du monde ; encore bien des personnes l'y trouvent-elles déplacée. En prétendant ne donner aux raisonnements qu'un tour leger et propre à intéresser par une sorte de badinage, souvent on tombe dans le ridicule ; et toujours on cause du scandale, si l'on est d'un état qui ne permet pas à l'imagination de se livrer à ses saillies. Il parait qu'on a censuré trop durement notre Jésuite, sur ce qu'il dit que les bêtes sont animées par des diables. Il est aisé de voir qu'il n'a jamais regardé ce système que comme une imagination bizarre et presque folle. Le titre d'amusement qu'il donne à son livre, et les plaisanteries dont il l'égaye, font assez voir qu'il ne le croyait pas appuyé sur des fondements assez solides pour opérer une vraie persuasion. Ce n'est pas que ce système ne réponde à bien des difficultés, et qu'il ne fût assez difficîle de le convaincre de faux : mais cela prouve seulement qu'on peut assez-bien soutenir une opinion chimérique, pour embarrasser des personnes d'esprit, mais non pas assez bien pour les persuader. Il n'y a, dit M. de Fontenelle dans une occasion à-peu-près semblable, que la vérité qui persuade, même sans avoir besoin de paraitre avec toutes ses preuves ; elle entre si naturellement dans l'esprit, que quand on l'apprend pour la première fais, il semble qu'on ne fasse que s'en souvenir. Pour moi, s'il m'est permis de dire mon sentiment, je trouve ce petit ouvrage charmant et très-agréablement tourné. Je n'y vois que deux défauts ; celui d'être l'ouvrage d'un Religieux ; et l'autre, le bizarre assortiment des plaisanteries qui y sont semées, avec des objets qui touchent à la religion, et qu'on ne peut jamais trop respecter. (X)

AME DES PLANTES, (Jardinage) Les Physiciens ont toujours été peu d'accord sur le lieu où réside l'âme des plantes ; les uns la placent dans la plante, ou dans la graine avant d'être semée ; les autres dans les pepins ou dans le noyau des fruits.

La Quintinie veut qu'elle consiste dans le milieu des arbres, qui est le siège de la vie, et dans des racines saines qu'une chaleur convenable et l'humidité de la seve font agir. Malpighi veut que les principaux organes des plantes soient les fibres ligneuses, les trachées, les utricules placées dans la tige des arbres. D'autres disent que l'âme des plantes n'est autre chose que les parties subtiles de la terre, lesquelles poussées par la chaleur, passent à-travers les pores des plantes, où étant ramassées, elles forment la substance qui les nourrit. Voyez TRACHEE.

Aujourd'hui, en faisant revivre le sentiment de Théophraste, de Pline et de Columelle, on soutient que l'âme des végétaux réside dans la moelle qui s'étend dans toutes les branches et les bourgeons Cette moelle qui est une espèce d'ame, et qui se trouve dans le centre du tronc et des branches d'un arbre, se remarque plus aisément dans les plantes ligneuses, telles que le sureau, le figuier, et la vigne, que dans les herbacées ; cependant par analogie ces dernières n'en doivent pas être dépourvues. Voyez LIGNEUX, HERBACEE, etc.

Cette âme n'est regardée dans les plantes que comme végétative ; et quoique Redi la croye sensitive, on ne l'admet qu'à l'égard des animaux : on restreint à l'homme, comme à l'être le plus parfait, les trois qualités de l'âme, savoir de végétative, de sensitive, et de raisonnable. (K)

AME DE SATURNE, anima Saturni, selon quelques Alchimistes, est la partie du plomb la plus parfaite, qui tend à la perfection des métaux parfaits ; laquelle partie est, selon quelques-uns, la partie regnante. (M)

AME, terme d'Architecture et de Dessein ; c'est l'ébauche de quelques ornements, qui se fait sur une armature de fer ; avec mortier composé de chaux et de ciment, pour être couverte et terminée de stuc ; on la nomme aussi noyau. Ame est aussi une armature de quelque figure que ce sait, recouverte de carton. On dit aussi qu'un dessein a de l'âme, pour dire que son exquisse est touchée d'art, avec feu et légèreté.

AME, (Stucateur.) On appelle ainsi la première forme que l'on donne aux figures de stuc, lorsqu'on les ébauche grossièrement avec du plâtre, ou bien avec de la chaux et du sable, ou du tuileau cassé, avant que de les couvrir de stuc, pour les finir ; c'est ce que Vitruve, liv. VII. chap. j. appelle nucleus, ou noyau. Voyez la fig. 12. Planche de stuc. On nomme aussi âme ou noyau, les figures de terre ou de plâtre qui servent à fermer les figures qu'on jette en bronze, ou autre métal. Voyez NOYAU.

AME, en terme d'Artillerie, est le dedans du calibre, depuis l'embouchure jusqu'à la culasse. Voyez CANON et NOYAU. (Q)

AME d'un gros cordage, (Marine) c'est un certain nombre de fils de carrets, qui se mettent au milieu de différents torons qui composent le cordage ; cela s'appelle aussi la meche. Voyez CABLE et CORDAGE. Voyez FILS DE CARRETS, TORON. (Z)

AME : les Artificiers appellent ainsi le trou conique pratiqué dans le corps d'une fusée volante, le long de son axe, pour que la flamme s'y introduise d'abord assez avant pour la soutenir. Voyez FUSEE VOLANTE.

AME, en terme de Boisselier ; c'est un morceau de cuir qui forme dans le soufflet une espèce de soupape, qui y laisse entrer l'air lorsqu'on écarte les deux palettes du soufflet, et l'y retient lorsqu'on les comprime l'une contre l'autre ; ce qui oblige l'air contenu dans la capacité de cette machine, de passer par le tuyau de fer ou de cuivre appelé porte-vent, qui le porte au lieu où on le destine. Voyez SOUFFLET DES ORGUES.

* AME ou essieu d'un rôle de tabac ; c'est le bâton autour duquel le tabac cordé est monté. Il se dit aussi des feuilles de tabac dont on remplit aux îles ce que l'on appelle andouilles de tabac. Voyez l'art. TABAC.