v. act. (Géométrie) c'est l'art de mesurer la capacité ou le contenu de toutes sortes de vaisseaux ; et de déterminer la quantité des fluides ou d'autres matières que ces vaisseaux peuvent contenir, etc. Ainsi on trouve par la jauge combien un tonneau peut tenir ou tient de vin, d'eau-de-vie, etc. Si toutes les surfaces du tonneau étaient pleines, il n'y aurait nulle difficulté à cette détermination, il n'y en aurait pas même beaucoup pour les géomètres habiles, si les surfaces courbes du tonneau avaient des courbures connues et déterminées par des équations ; car on aurait l'aire et la capacité formées par ces courbes ou exactement, ou en valeurs aussi approchées que l'on voudrait ; mais les courbures que les ouvriers donnent à ces surfaces presque au hasard, n'ont rien de régulier et sont transcendantes à la Géométrie la plus transcendante. Il faut donc renoncer à jauger les tonneaux exactement et géométriquement, et leur supposer des courbures régulières les plus approchantes qu'il se pourra des irrégulières qu'ils ont en effet. Et ces plus approchantes mêmes ne seront pas encore des meilleures, à moins qu'elles ne soient en même temps fort simples, et ne produisent des méthodes courtes et faciles, car le plus souvent ce ne seront pas de bons géomètres ou de grands calculateurs qui jaugeront, et d'ailleurs dans l'usage cette matière demande beaucoup d'expédition. La facilité et la promptitude méritent qu'on leur sacrifie quelque chose de la justesse. Le jaugeage le plus difficîle est celui des vaisseaux de mer. Cette difficulté vient de la grande irrégularité des courbes, et du grand nombre de différentes courbes qui entrent dans la surface d'un même vaisseau, et produisent sa capacité. Comme on ne jauge les vaisseaux que pour savoir ce qu'ils peuvent contenir de marchandises, outre toutes les choses qui leur sont nécessaires pour faire voyage, parce que les souverains lèvent des droits sur ces marchandises, on appelle proprement jaugeage des vaisseaux la mesure, non de la capacité entière de leur creux ou vide, mais seulement de la partie de cette capacité que les marchandises peuvent remplir. Ainsi le vaisseau étant construit, et pourvu seulement de tout ce qui lui est nécessaire pour le voyage, il enfonce dans l'eau d'une certaine quantité et jusqu'à une ligne qu'on appelle ligne de l'eau ; si de plus on le charge de toutes les marchandises qu'il peut porter commodément ou sans péril, il enfonce beaucoup davantage et jusqu'à une ligne qu'on appelle ligne du fort, parce que la distance de cette ligne jusqu'à celle où le vaisseau serait prêt de submerger, se prend par rapport au milieu du vaisseau qui en est la partie la plus basse, et en même temps la plus large, qu'on appelle le fort. La ligne du fort dans un vaisseau aussi chargé qu'il peut l'être, est ordinairement un pied au-dessus du fort. La ligne de l'eau et celle du fort sont toutes deux horizontales, et par conséquent parallèles, et il faut concevoir que par elles passent deux sections ou coupes du vaisseau, qui sont aussi deux plans horizontaux. Il est visible que c'est entre ces deux plans qu'est comprise toute la capacité du vaisseau que les marchandises occupent ou peuvent occuper ; c'est elle qui doit les droits, et qu'il faut jauger. Le volume d'eau qui la remplirait, est d'un poids égal à celui des marchandises ; et si l'on sait quel est ce volume et par conséquent son poids, car un pied cube d'eau pese 72 liv. on sait le poids des marchandises du vaisseau. La difficulté de ce jaugeage consiste en ce que chacune des deux coupes horizontales du vaisseau a une circonférence, ou un contour très-bizarre formé de différentes portions de courbes différentes ; et de plus, en ce que les deux coupes ont des contours très-différents, ainsi la Géométrie doit désespérer d'en avoir les aires. Quant à la distance des deux plans, qui est la hauteur du solide qu'ils comprennent, il est très-aisé de la prendre immédiatement. La lumière de la Géométrie manquant, les hommes ont, pour ainsi dire, été abandonnés chacun à son sens particulier ; en différentes nations, et en différents ports d'une même nation, et en différents temps, on a pris différentes manières de jauger. Sur cela M. le comte de Toulouse, amiral de France, chef du conseil de marine, demanda à l'académie royale des Sciences de Paris son sentiment, en lui envoyant en même temps les meilleures méthodes pratiquées, soit chez les étrangers, soit en France, afin que par la préférence qu'elle donnerait à une d'entr'elles, ou par l'invention de quelqu'autre méthode, on put établir quelque chose d'assez sur et d'uniforme pour le royaume. MM. Varignon et de Mairan furent principalement chargés du soin de répondre aux intentions de S. A. S. On peut voir dans l'histoire de l'académie an. 1721, p. 57, ce qu'ils firent pour cet effet. M. Varignon suivit une route purement géométrique. M. de Mairan entra dans l'examen de toutes les méthodes envoyées par le conseil de la marine, et préfera celle de M. Hocquart, intendant de la marine dans le port de Toulon. Elle consiste à prendre l'aire des deux surfaces horizontales de la partie du vaisseau submergée par la charge, et à multiplier la moitié de la somme des deux aires par la hauteur de la partie submergée. Tout bien considéré (c'est la conclusion de M. de Fontenelle), il faut que la pure Géométrie se recuse elle-même de bonne grâce sur le fait du jaugeage, et qu'elle en laisse le soin à la Géométrie imparfaite et tâtonneuse. M. Formey.
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