S. m. (Histoire naturelle, Chimie et Matière médicale) Le nitre ou salpêtre porte dans les livres, outre ces deux noms très-connus, tous ces autres noms moins vulgaires, recueillis et rapportés par Neumann dans sa Leçon sur le nitre : Sal nitrum, sal terrae, sal sulphuris vel sulphureum, hermes, baurach, sal anderona, anatron, cabalatar, basilio, aqua ignis, lesberus chimicus, serpens terrenus, spiritus mundi retinaculum, sal catholicus, sal infernalis, draco, sal hermaphroditicus. Les anciens Grecs l'ont appelé communément . Neumann observe que parmi ces noms, les suivants sont équivoques : anatron, baurach, hermes, sal sulphuris, sal sulphureum, draco, sal infernalis, sal terrae. En effet, plusieurs autres substances portent aussi ces noms. Le nom même de nitre, nitrum ou natrum, n'est pas exemt d'équivoque, puisque le nitrum ou natrum des anciens naturalistes était une substance saline, bien différente du nitre des modernes. Le premier est le sel alkali fixe que les modernes appellent minéral ou naturel, qui est de la même nature que le sel de soude, et que la base du sel marin, et auquel ils ont attribué spécialement le nom natrum ou natron (voyez NATRON), retenant celui de nitre pour celui dont il est question dans cet article, qui est aussi appelé quelquefois nitre des modernes ; mais qu'il suffit d'appeler nitre, puisque l'usage a suffisamment fixé la valeur de ce mot. Le nom de salpêtre est aussi très-usité.

Le nitre ou salpêtre est un genre de sel neutre ou moyen formé par l'union d'un acide particulier, appelé nitreux, (voyez NITREUX, ACIDE, à la suite de cet article), à une base alkaline soit saline soit terreuse.

Le principe générique du nitre est donc cet acide particulier ; et les bases différentes établissent ses diverses espèces.

On peut compter quatre espèces principales de nitre ; 1°. le nitre qui a pour base le sel alkali fixe, appelé de tartre, du nom de la substance d'où on le retire le plus abondamment et le plus communement, (voyez TARTRE, SEL DE) celui-ci est le nitre par excellence. Il est appelé parfait, officinal, raffiné, vulgaire, marchand, artificiel, et sous un certain rapport, dont il sera question dans la suite de cet article, régénéré.

La seconde espèce a pour base le sel alkali fixe appelé de soude, minéral ou naturel. Voyez SOUDE, SEL DE. Il tire son nom de la forme de ses crystaux, et s'appelle nitre quadrangulaire, et plus exactement, quoique moins ordinairement nitre cubique.

La troisième espèce est celle dont la base est une terre alkaline-calcaire. C'est cette espèce qui constitue proprement et essentiellement la lessive ou liqueur saline, appelée communément eau-mère de nitre.

Enfin, la quatrième est mal définie, sa base n'est pas déterminée par des expériences suffisantes : les uns la regardent comme une certaine terre, qu'ils ne spécifient point ; et d'autres craient que c'est un alkali volatil. Cette espèce est appelée nitre crud, nitre des plâtras, nitre des murailles, murarium, aphonitrum. Si la base de ce nitre était vraiment terreuse, il ne différerait pas vraisemblablement de la troisième espèce ; si elle est alkali-volatil, on doit rapporter à cette espèce le sel ammoniac-nitreux artificiel, c'est-à-dire le sel neutre, composé dans les laboratoires, en combinant l'acide nitreux à l'alkali volatil.

Le nitre de houssage n'est pas une espèce particulière de nitre : cette dénomination est déduite d'une circonstance très-accidentelle : savoir, de ce que ce nitre a fleuri ou s'est crystallisé sous forme de fleurs ou de neige, à la surface de certaines roches, voutes, murailles, etc. et qu'on a pu le ramasser en houssant, ou balayant, en ratissant, etc.

L'acide nitreux combiné avec différentes substances métalliques, constitue proprement diverses autres espèces de nitre ; mais ce n'est pas sous ce nom que ces sels sont connus dans l'art. Il en est fait mention dans les articles particul. des METAUX et DEMI-METAUX, dans l'article général SUBSTANCES METALLIQUES, et dans l'article NITREUX ACIDE, à la suite de celui-ci.

Il est au contraire plusieurs substances salines connues dans l'art sous le nom de nitre, et qui sont très-improprement nommées, puisqu'elles ne renferment point le principe propre ou essentiel du nitre, savoir, l'acide nitreux. Ces sels sont le nitre fixe ou fixé, le nitre vitriolé, le nitre antimonié, etc. Il sera fait mention de ces sels dans la suite de cet article.

Le nitre par excellence, le nitre le plus usuel, tant pour les usages de la Chimie que pour ceux de la Médecine et des Arts, est, comme nous l'avons déjà insinué, le nitre de la première espèce, le nitre appelé parfait, le nitre à base alkaline tartareuse : c'est aussi sur celui-là que tombent les principaux problèmes que les chimistes ont agités sur l'origine, la nature, les propriétés du nitre ; on ne s'est occupé des autres espèces que par des considérations secondaires. Ce sera aussi ce nitre parfait qui sera l'objet premier et principal de cet article.

La meilleure méthode de procéder à la solution de la première question, que nous venons d'indiquer, c'est sans doute d'exposer d'abord les connaissances positives incontestables de fait que nous avons sur les lieux, les matrices, les sources du nitre, et sur les moyens de l'en retirer et de le préparer.

On prend, pour préparer le nitre vulgaire, les terres des étables, des creux à fumier, des mares de basse-cours, des caves, et surtout de celles qui sont voisines des fosses de latrines, les plâtras et gravais, surtout des vieux édifices, les débris des murs de terre, et surtout du torchis, dont sont bâties les cabanes des paysans dans plusieurs provinces, ou qu'on élève exprès dans plusieurs contrées d'Allemagne pour la génération du salpêtre.

Voici comme on traite ces matières dans l'attelier de l'arsenal de Paris, d'après la description rapportée dans le Traité d'Artillerie de M. de S. Remy.

Le salpêtre se fait de la terre qui se prend dans les caves, celliers, granges, écuries, étables, grottes, cavernes, carrières, et autres lieux.

On se sert aussi de plâtras et gravais, provenant de la démolition de ces mêmes bâtiments que l'on réduit en poudre à force de les battre et écraser.

L'attelier, où se fait le salpêtre à l'arsenal de Paris, est un lieu vaste et élevé en façon de halle, soutenu de plusieurs piliers.

Il y a 126 cuviers dans cet atelier.

Ces cuviers sont presque semblables à ceux qui servent à couler la lessive ; ils sont néanmoins plus petits, disposés en plusieurs bandes, élevés de terre environ de deux pieds. Comptons que l'on ne charge tous les jours que 24 cuviers, que l'on appelle de cuite, ainsi cela ne doit passer que pour un atelier de 24 cuviers ; et pour exempter de veiller et mettre de l'eau fête et dimanche, on ne charge que ces 24 cuviers, comme on Ve l'expliquer.

En passant on peut remarquer que par chaque atelier de 6 cuviers un salpétrier ne peut avoir qu'un homme de ville, qui est celui qui Ve chercher les matières en ville, avec la bandouillière du salpétrier aux armes du roi et du grand maître autour de sa ceinture.

Imaginons-nous que l'on n'a point encore travaillé. Sur ce pied l'on forme trois bandes de 8 cuviers chacune, on met deux boisseaux comble de cendre de bois neuf au fond de chaque cuvier de la première bande, et l'on emplit de terre le reste du cuvier.

Une plus grande quantité de cendre mangerait le salpêtre, l'on met un bouchon de paille sur le haut de la terre. Sur la seconde bande l'on met deux boisseaux ras de la même cendre et le bouchon.

Et sur la troisième, on se contente d'en mettre un boisseau et demi dans chaque cuvier.

Les cuviers étant emplis de terre et de cendre, l'on verse sur la première bande de l'eau de puits, de rivière ou de citerne, car cela est indifférent, environ ce qu'en peuvent contenir dix futailles, que l'on appelle vulgairement demi-queues.

Cette eau s'imbibant dans la terre, coule par un trou qui est au bas du cuvier, et qui n'est bouché que de quelques brins de paille, et tombe dans un baquet disposé pour la recevoir.

Toute la quantité s'écoule ordinairement dans l'espace d'un jour ; quelquefois cela Ve jusqu'au lendemain, suivant la qualité des terres.

La première bande ainsi lessivée produit huit demi-queues d'eau que l'on porte sur la seconde bande, laquelle étant lessivée de la même manière rend la valeur de six demi-queues.

L'on porte les six demi-queues sur la troisième bande qui n'en produit que quatre.

L'on décharge cette première bande, l'on en ôte la terre et la cendre que l'on jette dans un lieu couvert, comme un hangard, pour en amender la terre.

On recharge cette bande de terre neuve avec trois boisseaux de cendre, pour faire ce qu'on appelle la cuite.

L'on prend ces quatre demi-queues d'eau qui sont provenues de la dernière bande ; on les verse sur la première bande renouvellée qui ne vous en rend que deux, et que l'on met dans la chaudière.

Sur la seconde bande, l'on met de l'eau de puits pure la quantité de six demi-queues, qui est un jour et un peu plus à passer ce qui s'appelle le lavage.

Cette eau passée, vous la jetez sur la troisième bande, cela s'appelle les petites eaux.

Quand ces petites eaux sont écoulées, on Ve les reporter sur la première bande dont on a levé la cuite, et cela s'appelle les eaux fortes. Il en sort quatre demi-queues ; on ne fait pas tout passer, en cas qu'il en restât au-delà de ces quatre demi-queues.

Et lors on recharge la seconde bande de terre neuve, pour refaire une seconde cuite.

Et l'on continue ainsi pour la troisième.

Deux tomberaux de terre peuvent charger huit cuviers de cuite.

Il faut observer que pour deux cuviers l'on peut, si l'on veut, se servir d'un seul baquet appelé recette pour recevoir les eaux, en le faisant assez grand et creusant la terre pour le placer.

Les deux demi-queues d'eau provenues de la première bande se jettent dans une chaudière de cuivre, assez grande pour recevoir non-seulement cette première décharge, mais encore les deux demi-queues de la cuite de la seconde bande, ce qui fait ensemble l'eau de seize cuviers.

La chaudière dont on a parlé, est bien maçonnée et dressée sur un fourneau de brique, dans lequel on fait un feu continuel de buches, afin que la matière bouille toujours également.

Elle bout 24 heures, et pour connaître si le salpêtre est formé, on laisse tomber une goutte ou deux de cette eau sur une assiette ou sur un morceau de fer, et s'il se congèle comme une goutte de suif ou de confiture, c'est une marque qu'il est fait.

Aussi-tôt on retire la moitié de cette eau avec un instrument de cuivre appelé puisoir ; on la met dans un rapuroir, qui est une futaille de bois, ou un vaisseau de cuivre, puis on retire le sel, c'est-à-dire le sel marin qui s'est formé au fond de la chaudière avec une écumoire dans un panier que l'on pose sur la chaudière, pour faire égoutter ce qui peut y être resté de salpêtre ; et quand ce sel est dehors, on tire le reste de la cuite, et après une demi-heure ou trois quarts-d'heure que l'eau a resté dans le rapuroir qui est couvert pour la tenir chaudement, on la fait sortir par une fontaine qui est au rapuroir ; on la met dans un seau pour la porter dans de grands bassins de cuivre pour la laisser congeler, ce qui ne se fait ordinairement qu'en cinq jours.

Cette cuite de seize cuviers peu produire 100 ou 120 livres de salpêtre, quelquefois 140, selon la qualité des terres ; et pour le sel, la quantité n'en est point réglée, quelquefois on en tire 15, 20 et 30 livres, et même 40 ; aussi se rencontre-t-il des terres dont on n'en tire point, mais cela est rare.

Quand le salpétrier veut frauder pour le sel, il fait si bien malgré tous les gardes qu'on aura postés pour l'observer, qu'il ne paraitra point de sel dans sa cuite, soit en brouillant et retirant brusquement son eau, et la portant dans les bassins sans la passer dans le rapuroir, soit en y jetant une chandelle, qui à la vérité ne gâtera point la cuite, mais qui fera élever le sel dans l'eau et l'empêchera d'aller au fond.

Il se sert encore d'un autre moyen pour cacher le sel ; il jette un quarteron de colle-forte dans la chaudière, ce qui fait élever le sel dans l'écume, en sorte qu'on ne saurait plus le trouver, et que l'eau est claire et belle comme de l'eau de roche ; il ne met point aussi cette eau dans le rapuroir, et il ne se soucie pas de jeter l'écume, car elle se retrouve dans les terres qu'il amende ; en maniant l'écume avec la main, on la sent graveleuse et pleine de sel.

Il faut encore observer que quand l'eau est dans le rapuroir, il reste du sel dans le fond, pourvu qu'on l'y laisse trois quarts-d'heure ou une heure ; ce sel est néanmoins couvert de la saleté de la cuite, et ne peut se manger, on le jette sur les terres.

Le salpêtre brut étant ainsi achevé, on le met ainsi en égout, et l'on panche les bassins où il est ; l'eau qui en provient s'appelle les eaux mères, nommées par les salpétriers amères, et elles servent à recharger les cuviers que l'on a renouvellés de terre neuve, l'on en met un petit seau sur deux ou trois cuviers.

Tous les quinze jours le samedi l'on reçoit à la raffinerie les salpêtres bruts que les salpétriers de Paris apportent de leurs ateliers, qui leur est payé par l'entrepreneur à raison de 5 sols la livre.

Ils rapportent aussi le sel qu'a produit leur salpêtre en le faisant, et il leur est payé par l'entrepreneur sur le pied de 2 sols la livre.

Le lundi suivant est destiné pour submerger le sel, car on le jette dans la rivière en présence des officiers et gardes des gabelles, afin que personne n'en profite.

Pour avoir de bonnes terres amendées et ce qu'on appelle réanimées, il faut faire en sorte que la terre qui a servi dans les cuviers soit seche, et pour cela il la faut mettre à couvert, et quand elle sera seche, l'étendre un pied d'épais sous le hangard et l'arroser ; prendre pour cela les écumes et les rapurages, les eaux mères ou amères, et y mettre moitié eau qui ait passé, s'il se peut, sur les cuviers après que le relavage est fait ; l'arroser de pied en pied jusqu'à la hauteur que l'on pourra ; il faut détremper auparavant les écumes dans l'eau, que cela ne soit point épais, parce que la terre ne s'humectera pas si facilement.

Quinze jours après qu'elle aura été arrosée, il la faut jeter d'un autre côté, et la changer de place, afin qu'elle se mêle mieux et en devienne meilleure ; un mois après la changer encore de place et continuer deux ou trois fais, après quoi l'on pourra s'en servir, surtout prendre bien garde de ne la point endurcir en la piétinant, ce qui l'empêcherait de s'amender si vite ; et pour éviter de la piétiner, il n'y a qu'à y mettre une planche qui n'appuie pas dessus, mais qui soit soutenue par les deux bouts avec deux pierres ou deux morceaux de bois.

Il faut que les hangards ne soient clos que par les deux bouts pour soutenir seulement la terre, et laisser le jour du côté où le soleil donne ; si les hangards sont faits contre la muraille, il ne faut pas qu'ils soient fermés par les deux bouts.

N'ayant point de terre qui ait servi aux salpêtres, il faut prendre des gravats de plâtre de démolitions, les faire casser comme ceux que l'on met dans les cuviers, ils sont fort propres à amender promptement attendu qu'ils sont secs.

Les terres amendées peuvent toujours servir à l'infini, de sorte qu'au moyen de ces terres on ne manquera jamais de salpêtre.

Les Salpétriers ayant livré leur salpêtre brut, l'on jette ce salpêtre dans la chaudière destinée pour cet usage, qui est disposée comme l'autre sur un fourneau. On y en met 2 mille 2 ou 3 cent pesant à chaque fais, et par-dessus trois bardées que l'on appelle ou trois demi-muids d'eau.

Quand le salpêtre est fondu, ce qui se fait en deux ou trois heures, l'on jette dedans une cruchée de blancs d'œufs, ce qui coute à l'Hôtel-Dieu 6 sols la pinte, ou de la colle de poisson, ou une certaine dose de vinaigre ou d'alun.

On y ajoute une bardée d'eau qui fait la quatrième en plusieurs fais, afin de faire surmonter la graisse et l'ordure qui s'écument soigneusement ; et après en avoir bien nettoyé la superficie, en sorte qu'il ne reste plus d'écumes, on tire aussi-tôt le salpêtre, et on le met tout-d'un-coup dans des bassins où on le laisse congeler pendant cinq ou six jours, après quoi on place les bassins sur des trétaux pour les faire égoutter sur des recettes, et l'eau qui en provient se jette encore une fois dans la chaudière pour la faire bouillir jusqu'à-ce que le sel se produise au fond et que la fonte soit parfaite.

Il s'en tire 15 ou 20 livres, quelquefois plus, ce qui n'a point de règle ; la raison de cela est que quand on a travaillé le salpêtre brut avec soin, et que l'on a tiré beaucoup de sel dans cette première fabrication, il ne s'en peut pas tant trouver dans le raffinage.

C'est dans ces deux premières cuites-là que l'on tire tout le sel qui peut être dans le salpêtre, car il se fait encore une troisième cuite de la même manière que la précédente : mais aux eaux de cette dernière il ne doit point se trouver de sel, et quand il s'y en trouve, c'est que le salpêtre est mal raffiné.

De la première cuite sort le salpêtre brut.

La seconde produit le salpêtre appelé de deux eaux.

Le troisième fait le salpêtre de trois eaux en glace.

Si l'on veut mettre le salpêtre en roche, on le fond sans eau, et si-tôt qu'il est fondu, on le tire et on le laisse refroidir.

Il y a des gens qui mettent leurs blancs d'œufs en deux fais, leur cruche est de huit pintes, ils en mettent les deux tiers dans la seconde cuite, et l'autre tiers dans la troisième, après les avoir battus avec un petit balai et délayés avec de l'eau petit à petit.

A la raffinerie de Paris l'on use 18 pintes de blancs d'œufs par jour sur cinq milliers de salpêtre, ce qui fait 5 liv. 8 sols de dépense par jour.

Voilà tout ce qui peut regarder la fabrication du salpêtre.

On prétend que le salpêtre étant raffiné, diminue d'un peu plus d'un quart ; par exemple, un cent de salpêtre brut ne rendra que 72 livres de salpêtre raffiné de deux fontes de raffinage, et le reste sera sel, graisse, sable et boue.

La bonne qualité du salpêtre est d'être dur, blanc, clair, et transparent, bien dégraissé et bien purgé de sel.

Il est à désirer qu'on laisse le salpêtre six mois et même un an, s'il se peut, sur des planches exposé au nord, et qu'on le retourne de temps en temps pour le bien faire sécher, et pendant ce temps lui donner lieu de se décharger du reste de la graisse que le raffinage n'a pu lui ôter entièrement, et dont l'air dissipe une partie.

Pour connaître si les salpêtres sont gras ou salés, il en faut faire bruler et mettre une poignée sur une planche de chêne, et poser un charbon ardent dessus ; si en brulant il petille, cela marque le sel ; et s'il est pesant et que le feu ait de la peine à s'élever, et que l'on voie un bouillon épais, cela marque la graisse ; et quand il est de bonne qualité, qu'il n'est ni gras ni salé, il jette une flamme qui s'élève avec ardeur et qui consume le salpêtre, en sorte qu'il n'y reste qu'un peu de blanc qui est le fixe du salpêtre. S. Remy, Traité d'artillerie.

Ce que l'auteur appelle un peu de blanc d'œuf est la base alkaline ou alkali fixe du nitre, vulgairement appelé nitre fixé, dont il sera question plus bas.

Dans la fabrique de salpêtre de Montpellier et dans toutes celles du bas Languedoc, on lessive les terres et gravats sans mélange ; on concentre assez considérablement la lessive qu'on en retire, et on la fait ensuite passer à travers une couche épaisse de cendre de tamarisc qui ne contient pas un atome d'alkali fixe, comme l'a démontré M. Montet, célèbre chimiste de la société royale des Sciences.

Dans plusieurs fabriques et notamment en Allemagne, on emploie de la chaux vive conjointement avec les cendres dans la préparation du salpêtre.

Le suc ou la décoction de toutes les plantes qui donnent de l'alkali fixe de tartre par l'incinération, étant putréfié ou dégraissé par la chaux vive, selon le procédé de M. Boulduc, Académie royale des Sciences 1734, donnent du nitre parfait, et plusieurs même de ces sucs ou décoctions étant convenablement rapprochées, sans avoir été précédemment dégraissées par la chaux et sans avoir subi la putréfaction, en donnent abondamment, et cela dans quelque terrain qu'elles aient cru et végété. Ces deux assertions sont démontrées ou du-moins démontrables, malgré la prétention contraire du célèbre Stahl ; et quant à ce qu'un célèbre chimiste moderne (M. Baron, notes sur Lemery) avance, savoir que le sel essentiel de quelques plantes est un tartre vitriolé, ou du sel commun ; l'expérience, les recherches de détail apprennent que le tartre vitriolé est extrêmement rare, c'est-à-dire en infiniment petite quantité, dans un infiniment petit nombre de plantes ; que le sel marin s'y trouve à la vérité assez communément, mais avec le nitre, et avec le nitre presque par-tout dominant, et qu'on ne l'a point encore observé seul ou sans nitre.

Si ce qu'on nous rapporte du salpêtre des Indes est vrai, c'est-à-dire qu'on le ramasse tout formé, voilà un nitre naturel, un nitre de houssage très-parfait.

Tout le nitre de houssage que j'ai vu, et j'en ai Ve beaucoup, et en divers lieux, était du nitre parfait : je ne sai même si du nitre de houssage, c'est-à-dire crystallisé, à base terreuse, est possible ; ou plutôt les propriétés de cette espèce de nitre observée jusqu'à présent prouvent que son efflorescence, sa crystallisation spontanée est impossible. Quant à la base alkali-volatîle qu'on voudrait lui supposer, on peut hardiment avancer que, malgré les expériences de M. Lemery le fils, une pareille base n'est rien moins que démontrée même dans quelque petite portion du nitre crud ou naturel.

On ne trouve que très-peu de nitre dans l'intérieur de la terre. Si des expériences ultérieures démontraient un peu de nitre dans certaines pierres, quelques couches de marne, de glaise etc. à plus de 50 pieds de profondeur, etc. si on ne peut douter d'après les expériences de M. Marggraf (Mém. de Berlin 1751) que quelques eaux de puits, et d'après mes propres expériences, que quelques eaux minérales ne contiennent un peu de nitre, cela ne prouve rien contre cette assertion générale, savoir que le lieu propre du nitre, ou du moins sa source propre, légitime, essentielle est la surface de la terre. La rareté et la paucité de ce sel dans les entrailles de la terre, aussi-bien que la facilité avec laquelle il peut y être porté par diverses causes accidentelles, concourent à établir cette vérité.

Les chimistes modernes ne daignent plus combattre la chimère du nitre aérien. La très-petite quantité du nitre que M. Marggraf a trouvée dans l'eau de pluie, où ce chimiste a découvert aussi du sel commun et une terre subtile, ne prouvent ni un nitre aérien, ni un sel comme aérien, ni une terre comme aérienne ; ils indiquent seulement très-vraisemblablement que l'eau élevée dans l'athmosphère peut volatiliser avec elle une très-foible quantité de ces substances. Les aimants apposés au nitre dans les lieux exposés à l'influence très-libre de l'air, et d'ailleurs isolés ou n'ayant point de communication avec d'autres sources observées du nitre, n'en ont jamais attiré un atome.

Nul chimiste n'a retiré jusqu'à présent du nitre des substances animales ; quoiqu'il paraisse hors de doute que les animaux qui vivent entièrement ou principalement de végétaux, doivent recevoir de ces aliments une bonne quantité de nitre et de nitre parfait. Tout ce qu'avance sur ce point Lemery le fils dans ses mémoires sur le nitre (Acad. royale des Sciences 1717) n'est fondé que sur des raisonnements, sur des prétentions. Son nitre à base volatîle ou sel ammoniac nitreux animal n'est rien moins que démontré même dans l'urine et les excréments, tant des hommes que des brutes, qui sont cependant les matières qui paraissent concourir le plus efficacement et le plus généralement à la formation du nitre. Mais il faut convenir aussi que les expériences par lesquelles on pourrait définitivement établir ou nier l'existence de cet être ; n'ont pas été tentées, du moins publiées, quoique ces expériences soient simples, faciles, et qu'elles puissent être démonstratives.

Nous pouvons, en attendant, du petit nombre de faits que nous venons de rapporter, 1°. conclure raisonnablement sur l'origine du nitre, que les végétaux seuls le fournissent manifestement ; que la terre, ou le règne minéral n'en fournit point ; que l'air n'en contient point ; et qu'il est douteux que les substances animales, que les excréments mêmes des animaux en contiennent. Cette conclusion, cette vérité doit précéder toutes les inductions qu'on voudrait tirer des lieux d'où on retire vulgairement le nitre, et de l'influence que les excréments des animaux semblent avoir sur sa génération. Il faut l'admettre, et examiner ensuite si cette influence des matières animales est nécessairement matérielle, si elles concourent comme apportant dans les matrices qu'elles imprègnent le nitre ou ses matériaux ; ou bien si elles ne servent pas uniquement et toujours de simple instrument ; par exemple, en excitant et entretenant une putrefaction qui dégage le nitre contenu dans les substances végétales, étant connu d'ailleurs que la putréfaction excitée sponte et sans ferment animal dans les substances végétales, dégage très-efficacement le nitre embarrassé dans les sucs végétaux et éminemment dans l'extrait, et le corps doux. Voyez EXTRAIT, Chimie, UXDOUX, Chimie.

2°. Etre assurés qu'il existe évidemment deux espèces de nitre naturel ; savoir, le nitre parfait à base alcaline-tartareuse, ou salpêtre proprement dit, et le nitre à base terreuse, qui se retrouve dans l'eau mère des salpêtreries, sans compter le nitre cubique qui existe aussi naturellement dans quelques plantes. Tirer de cette vérité, comme un corollaire manifeste, l'anéantissement de cette belle théorie, reçue de tous les chimistes modernes sur l'usage des cendres qu'ils supposent fournir une base saline, sans laquelle nul nitre parfait, et qui auraient bien dû. au moins, être employées en assez grande quantité, pour qu'il ne restât point d'eau-mère : car pour rapprocher de cette conséquence les vérités d'où nous la déduisons, puisque les plantes dont les sucs, les matières solubles par l'eau, putrescibles, soit par elles-mêmes, soit par le secours du ferment animal, et abondamment répandues dans les matrices communes du nitre ; puisque ces plantes, dis-je, contiennent un nitre parfait, puisque le nitre de houssage est un nitre parfait ; enfin, puisque dans tout le bas Languedoc, et peut-être ailleurs, et peut-être à Paris même, (car la cendre du bois neuf qu'on brule à Paris pourrait bien être peu alkaline) on fait du salpêtre parfait tout étant d'ailleurs égal, sans employer dans la fabrique un atome d'alkali ; il se trouve que les Chimistes qui ont admis de la chaux dans le nitre, parce qu'on employait la chaux à sa préparation dans les fabriques qu'ils connaissaient ; et que ceux qui y admettraient du blanc d'œuf, d'après la manœuvre de l'arsenal de Paris, où on en emploie à la clarification d'une des lessives ; que les uns et les autres, dis-je, diraient une chose aussi raisonnable que ceux qui connaissant les faits allégués, soutiendraient encore la prétendue imperfection du nitre crud, et son changement de base dans la fabrique. Ce n'est pas qu'il ne puisse y avoir du nitre crud, qui, en passant à-travers des cendres alkalines soit précipité, et prenne une base saline ; mais il n'est pas prouvé que cela soit ; il n'est pas sur que les Salpétriers de Montpellier aient plus d'eau-mère que les Salpétriers de Paris.

3°. On peut encore conclure de tout ceci, et lorsqu'on saura que, indépendamment des Chimistes qui ont tiré le nitre de l'air, et de ceux qui l'ont regardé comme une substance propre au règne minéral, et de première création, de célèbres Chimistes, un Stahl, se sont livrés à des spéculations embarrassées pour composer le nitre dans les matières pourrissantes par la combinaison de l'acide universel soit répandu dans la terre, soit attiré de l'air avec les matières phlogistiques, sulphureo-pingues, existant en abondance dans les matières putrescibles et développées, attenuées, evolutae, tenerius subactae, par l'action même de la putréfaction, actu ipso putrefactorio, Stahl, opusculum, fragmenta quaedam ad hist. nat. nitri, cap. IIIe on pourra, dis-je, conclure des faits ci-dessus exposés, et de cet énoncé de la théorie de Stahl, qui est la dominante aujourd'hui, que c'est véritablement ici où ces hommes, d'ailleurs très-habiles, se sont embarrassés dans les entraves qu'ils se sont eux mêmes forgées. Et quand on saura encore que Glauber, antérieur à cette théorie imaginaire, a écrit clairement et positivement, contre son ordinaire, tout ce qui est vrai, tout ce qui est démontrable sur cette matière, ou du moins qu'il ne reste, d'après la doctrine de cet auteur sur le nitre, qu'à étendre et perfectionner, on sera très-étonné que l'endroit saillant, le morceau le plus sublime, le plus philosophique de Glauber chimiste, en général très-célèbre, ait été si parfaitement oublié, que lorsque les chimistes les plus instruits, M. Baron, par exemple, parlent de la préexistence d'un nitre tout formé dans les plantes, ils appellent ce dogme le système de M. Lemery le fils, au-lieu de la doctrine de Glauber ; et qu'au contraire la partie honteuse de la chimie de Stahl, sa doctrine sur l'origine du nitre, et celle sur l'origine de l'alkali fixe, qui dans la bonne doctrine est essentiellement liée à la précédente, (Voyez TARTRE, SEL DE, L FIXE)IXE), aient été généralement accueillies : car on peut assurer que ce très-grand Stahl a vraiment sommeillé sur ces deux objets, lui qui en a développé avec tant de sagacité et de génie de bien plus cachés ; et son autorité d'ailleurs si respectable, a tellement arrêté les progrès de la vérité, et masqué même celle que Glauber, de Ressons, Lemery le fils, M. Bourdelin, etc. Voyez Mém. de l'ac. des Scienc. avaient dévoilée, que les dogmes des chimistes modernes sur l'origine du nitre sont devenus depuis quelque temps de plus en plus superficiels, vains, gratuits, etc. que sans contredit ce qui est contenu à ce sujet dans les nouvelles vérités de M. Justi, est marqué à ce coin, et plus encore la dissertation de M. le D. Pietsch, qui a remporté le prix de l'académie de Berlin, en 1749, et les pensées du même auteur sur la multiplication du nitre. J'ose assurer au contraire qu'un très-grand nombre d'expériences que j'ai faites dans le laboratoire de feu M. le duc d'Orléans, la plupart d'après les vues de Glauber, ont toutes concouru à établir la doctrine de ce chimiste ; et promettre avec confiance d'après ce travail, que j'acheverai peut-être un jour, un système complet et démontré sur toutes les sources du nitre, sur sa formation ou son abord, accessus, adventus, dans ses matrices ordinaires, et enfin sur les diverses manœuvres employées dans sa fabrication, sur le prétendu amendement ou réanimation des terres déjà lessivées, etc. protestant hautement que toutes ces manœuvres sont la plupart vaines, mal entendues, ou au moins imparfaites ; et que de tous les arts chimiques nul ne peut recevoir plus immédiatement que la fabrique du salpêtre, des corrections et des perfectionnements prompts et utiles de la science.

4°. Enfin, il doit paraitre singulier que les chimistes qui ont méconnu l'origine du nitre, et qui ont enfanté des hypothèses pour expliquer sa génération dans l'athmosphère, ou dans la terre, aient parfaitement négligé de s'occuper en même temps de la formation du sel commun, qui accompagne le nitre presque toujours. Cette société est toute simple dans le vrai système ; les végétaux contiennent ces deux sels à peu-près dans la même proportion que celle dans laquelle on les retrouve dans les cuites.

Le salpêtre le plus raffiné, le salpêtre de la troisième cuite, le salpêtre le plus pur que fournissent les ateliers, n'est encore assez pur ni pour pouvoir en faire une analyse exacte, ni pour les travaux chimiques réguliers, ou pour les usages pharmaceutiques. On le purifie donc dans les laboratoires des chimistes, et dans les boutiques des apoticaires, dans la vue d'en séparer un peu de sel marin, et un reste d'eau-mère, qu'on y trouve toujours mêlés. Pour cet effet, ou dissout le nitre dans de l'eau commune, ou dans de l'eau distillée, si, pour certaines expériences très-délicates on se propose l'exactitude la plus sévère ; mais ordinairement dans de l'eau de rivière, ou de fontaine ; on filtre la dissolution, et on la fait crystalliser, selon l'art, voyez CRYSTALLISATION. Par cette opération, le salpêtre se sépare exactement du sel marin, parce que ces deux sels ne crystallisent pas dans le même temps, le nitre se présente seul dans les premières crystallisations, parce qu'il est très-dominant. On peut, lorsqu'après avoir séparé beaucoup de nitre, le sel marin et le nitre restant sont dans une proportion bien différente, faire bouillir la liqueur restante des premières crystallisations, alors le sel marin, par la propriété qu'il a de crystalliser même dans l'eau bouillante, dès que la juste proportion de son eau de dissolution commence à lui manquer ; le sel marin, dis-je, crystallise et abandonne la liqueur ; et le nitre qui, par une propriété contraire, demeure suspendu dans une quantité d'eau beaucoup moins considérable que celle dont il a besoin pour être dissout à froid, pourvu que cette eau soit suffisamment chaude, le nitre, dis-je, reste suspendu, dissout par le moyen de l'ébullition. Il n'y a donc lorsqu'on estime que la plus grande partie du sel marin a crystallisé, qu'à retirer le vaisseau du feu, le laisser reposer un instant pour donner lieu à un peu de sel marin, qui pouvait être balloté par le bouillonnement, de se déposer ; et ensuite décanter la lessive dans un vaisseau convenable, dans lequel, pour empêcher la lessive de se figer en une seule masse, et la disposer à crystalliser régulièrement, on versera en même temps une quantité convenable d'eau bouillante. La première partie de cette opération est absolument analogue à la manœuvre, par laquelle on sépare le sel commun du salpêtre dans le raffinage. Voyez ci-dessus.

Les crystaux de nitre sont des prismes qui paraissent hexaedres, lorsqu'on ne les considère que superficiellement ; mais qu'on trouve octoedres, lorsqu'on les examine avec plus d'attention, attendu que deux des angles ne sont qu'apparents, sont coupés ou abattus en effet, et forment ainsi deux vrais côtés, mais beaucoup moins grands que les six autres. Ces crystaux adhèrent communément par une de leurs extrémités au corps sur lequel ils se sont formés, ou à un autre crystal, rarement sont-ils couchés sur l'un des côtés ; l'extrémité de ces crystaux opposée à la base, ou le sommet, est tronqué obliquement ; ils sont transparents, mais non pas parfaitement, ils paraissent formés intérieurement par une opposition peu exacte de couches ou lames ; ils blanchissent d'ailleurs, quoique très-peu à leur surface en séchant ; ils sont quelquefois aussi gros, et plus longs que le petit doigt. Voyez les planches de Chimie.

Les autres caractères extérieurs, ou qualités sensibles du nitre parfait, sont les suivantes : ce sel imprime à la langue une saveur légèrement amère, accompagnée d'un sentiment de fraicheur, ou froid très-remarquable ; il fuse par le contact d'un charbon ardent ; il détonne avec la plupart des matières phlogistiques embrasées, ou en s'enflammant avec ces matières, étant exposé à un feu léger dans un vaisseau convenable, il y prend la liquidité que Becher a appelée aqueuse, ou coule comme de l'eau, et à la faveur de son eau de crystallisation. Voyez LIQUIDITE, Chimie.

De ces propriétés, la principale, celle qui est véritablement chimique, qui a exercé et qui a mérité d'exercer les Chimistes-physiciens, c'est la propriété de fuser ou de détonner par le contact de certaines matières phlogistiques embrasées. Ce phénomène est composé de deux événements distincts ; savoir, l'inflammation et l'explosion, ou fulmination. Le premier dépend évidemment de la très-grande facilité avec laquelle l'acide nitreux se combine avec le phlogistique, et forme avec lui une matière analogue au soufre vulgaire, ou, si l'on veut une espèce particulière de soufre si éminemment inflammable, qu'il prend feu dès l'instant de sa formation, et même dans les vaisseaux fermés. C'est cette dernière circonstance qui rend le soufre nitreux incoercible, inramassable, tandis que les deux autres espèces, le soufre vitriolique ou vulgaire, et le soufre marin ou microcosmique, c'est-à-dire, le phosphore, qui ne brulent point sans le concours de l'air, se retiennent facilement lorsqu'on les compose dans les vaisseaux fermés. Voyez SOUFRE. L'analogie est d'ailleurs parfaite, absolue entre les produits respectifs de la combinaison du phlogistique avec chacun des trois acides minéraux ; en admettant l'identité supposée à cet égard, entre l'acide marin, et l'acide microcosmique. Quant à l'explosion, elle se déduit d'une manière démontrable de l'expansion soudaine et violente de l'eau de crystallisation du nitre. La prodigieuse force explosive de la poudre à canon ne dépend que de ce principe. L'action de fuser n'est qu'un moindre degré de détonation.

Le nitre détonne avec toutes les substances phlogistiques embrasées, qui laissent échapper du phlogistique, lorsqu'elles sont dans l'état d'embrasement ; telles que toutes les matières végétales, animales et minérales, réductibles et actuellement réduites en état de charbon, avec le soufre commun, et apparemment avec le phosphore, avec toutes les substances métalliques, excepté les métaux parfaits et le mercure ; car ces dernières ne laissent pas leur phlogistique dans l'état d'embrasement. Il y a ici encore une singularité remarquable, c'est que le cuivre et le plomb étant mis avec le nitre dans l'état d'ignition, lâchent leur phlogistique, ou se calcinent ; voyez CALCINATION ; et que le nitre perd son acide, ce qui est l'effet propre de la détonation du nitre, avec les substances métalliques ; mais dans les deux cas dont nous parlons, cet effet a lieu sans détonation, et sans déflagration ou flamme sensible. Si quelque chimiste se propose jamais de retenir du soufre artificiel nitreux, il parait raisonnable d'employer à sa préparation le cuivre ou le plomb.

D'ailleurs, dans cette opération, le nitre perd donc, comme nous l'avons déjà insinué, un de ses principes, son acide. Son autre principe plus fixe et inaltéré reste. Les Chimistes l'appellent nitre fixe ou fixé. Il y a une seule substance, le soufre, qui en même temps qu'elle donne du phlogistique au principe acide du nitre, agit aussi par son propre acide sur la base du nitre. Dans cette détonation, l'acide du nitre est en partie dissipé sous la forme de soufre nitreux enflammé, et détruit par cette inflammation, et en partie chassé sous la forme de vapeur acide nitreuse, simplement dégagée par l'action précipitante, ou le plus grand rapport de l'acide du soufre, avec la base alkaline du nitre. Il résulte de cette nouvelle combinaison un nouveau sel neutre, qui est un vrai tartre vitriolé, et qui est connu dans l'art, sous le nom de sel polychreste de Glaser, et sous les noms très-impropres de nitre soufré, sulfuratum, et de nitre fixé par le soufre. Si c'est de l'antimoine crud qu'on emploie au lieu du soufre, le résidu ou le produit fixe de cette opération est encore le même sel, parce que c'est principalement par son soufre que l'antimoine agit alors, mais ce produit a un autre nom ; il est appelé, et encore très-improprement, nitre antimonié. Voyez TARTRE VITRIOLE, L SEL.

Il est encore à observer que la base du nitre détonné avec des substances métalliques, s'anime ou devient caustique, comme quand les alkalis fixes quelconques sont convenablement traités dans cette vue avec la chaux vive. Voyez CHAUX, PIERRE A CAUTERE, SAVON.

Si on exécute toutes ces détonations dans les vaisseaux fermés, au moyen d'une cornue de fer tubulée, au bec de laquelle on a adapté une fîle de ballons, voyez les Planches de Chimie, on retient divers produits volatils, connus dans l'art sous le nom de clissi. Voyez CLISSUS.

Les flux simples et ordinaires, employés dans les travaux de la Docimastique, sont principalement formés de la base du nitre, fixé ou décomposé par sa détonation avec le tartre. Voyez FLUX et TARTRE.

On doit conclure de la théorie simple que nous avons proposée sur la déflagration du nitre, que c'est au-moins gratuitement qu'on s'est appuyé de la considération de ce phénomène, pour supposer que le nitre, ou plus spécialement l'acide nitreux, contient du phlogistique dans sa composition. Voyez NITREUX, ACIDE, à la suite de cet article.

La fixation du nitre par les substances phlogistiques seules, ou par la dissipation simple de son acide, est un des moyens d'analyse du nitre : par ce moyen on démontre un de ses principes, savoir sa base qui est l'alkali fixe tartareux, qu'il serait beaucoup plus exact d'appeler nitreux ou du nitre ; car les expériences sur cette matière, que j'ai déjà annoncées, démontrent que tout alkali fixe artificiel, sans en excepter celui de soude, a préexisté sous forme de nitre, soit vulgaire, soit cubique, dans les substances d'où on retire l'un et l'autre de ces alkalis.

L'autre moyen usité et démonstratif d'analyse du nitre, c'est la distillation ; celui-là manifeste son autre principe, son acide, et quelquefois aussi sa base.

Le nitre exposé seul dans les vaisseaux fermés à la plus grande violence du feu, ne laisse échapper qu'une très-foible quantité de son acide, si petite même que la réalité de ce produit est contestée par plusieurs Chimistes : quoiqu'il soit incontestable que le nitre s'alkalise sans addition, ou laisse échapper son acide lorsqu'on le tient longtemps en fusion dans un creuset ouvert. Pour séparer l'acide de sa base, on est donc obligé d'avoir recours à divers intermèdes. On y emploie les intermèdes des deux espèces, c'est-à-dire les vrais et les faux, voyez INTERMEDE. Ceux de la première espèce sont l'acide vitriolique, soit nud ou pur, soit uni à différentes bases qu'il quitte pour celle du nitre, c'est-à-dire le vitriol et l'alun ; et vraisemblablement les autres sels vitrioliques à base terreuse. L'arsenic décompose aussi le nitre comme intermède vrai, selon une expérience de Kunckel, rapportée par Juncker. Le sel microcosmique a la même propriété selon celle de M. Marggraf ; et enfin le soufre commun opère aussi ce dégagement d'après une expérience que je crois à moi, et à propos de laquelle je rapporterai tout-à-l'heure une expérience curieuse de Neumann. Les intermèdes faux employés à la distillation du nitre, sont le bol et les terres argilleuses ; car je ne connais guère en Chimie de théorie aussi puérîle que celle qui explique l'action de ces terres dans cette opération, par les propriétés de l'acide vitriolique qu'elles contiennent. C'est encore ici un rêve du grand Stahl ; et certes son observation que le même bol ou la même argille ne peut servir deux fais, qui d'abord n'est pas contestée, ne serait pas une démonstration tellement solide quand même cette observation serait vraie, que les considérations suivantes ne la détruisent sans réplique : savoir 1° que des bols, ou des argilles desquelles on ne saurait retirer un atome de vitriol, d'alun ou d'acide vitriolique, et qu'on a exempté de tout soupçon de la présence de ces principes, par des lixiviations réitérées avec cent fois leur poids d'eau bouillante ; que des terres ainsi préparées, dis-je, servent très-bien à la distillation du nitre : 2° que le caput mortuum, le résidu de pareilles distillations ne donne pas communément un atome de tartre vitriolé ; enfin qu'on n'y retrouve pas même, du moins par le moyen le plus obvie, ni la lixiviation, la base alkaline du nitre ; en sorte que jusqu'à présent, c'est-à-dire en partant des faits publiés jusqu'à présent sur cette matière, le sentiment qui approche le plus de la vérité démontrable, c'est précisément celui qu'a adopté Nicolas Lémery ; savoir que la terre ne sert dans cette distillation qu'à étendre ce sel, afin que le feu agissant plus facilement sur lui, en détache les esprits ; et c'est-là la fonction de ce que j'appelle faux intermède, voyez INTERMEDE. Au reste, le même Lémery conclut très-mal de cette assertion qu'il est fort inutîle d'employer beaucoup de terre ; et Stahl prétend avec raison qu'il en faut employer beaucoup. Il est sur que trois parties de terre pour une de nitre qui est demandée dans les livres, et dans celui de Lémery, voyez cours de Chimie, chap. esprit de nitre, ne suffisent pas ; et qu'il reste après un feu fort et long, du nitre inaltéré. Mais encore un coup, cela ne prouve rien en faveur de l'acide vitriolique imploré dans la théorie de Stahl : plus de terre étend, disgrege davantage le nitre, tout comme elle fournirait plus d'acide vitriolique, si ce réactif était de quelque chose dans cette décomposition.

L'expérience de Neumann que je viens d'annoncer, est celle-ci : si on mêle exactement du nitre et du soufre, l'un et l'autre en poudre, et qu'on allume le soufre, le soufre brule paisiblement parmi le nitre, et se consume tout entier sans enflammer le nitre et sans produire d'autre changement sur ce sel, que de le fondre, comme fait un feu léger. Neumann a répété cette expérience sur des mélanges faits à seize différentes proportions, et toujours avec le même succès.

Les Apoticaires préparent diversement le nitre pour les usages médicinaux. Premièrement, ils purifient par la crystallisation le nitre de la troisième cuite : nous avons déjà parlé de cette opération. Il faut pour l'usage médicinal, tout comme pour les usages chimiques philosophiques, ne prendre que les premières crystallisations, et réserver les dernières pour des usages où la pureté du nitre est moins essentielle, par exemple pour la préparation de l'antimoine diaphorétique. Il faut encore observer qu'il faut se garder soigneusement de la puérilité, qu'on est bien étonné de trouver encore dans Zwelfer, de dissoudre le nitre qu'on veut purifier dans des eaux distillées aromatiques. Le principe odorant ne comporte point les évaporations implorées dans cette opération. Voyez ODORANT PRINCIPE.

Secondement, ils préparent le nitre purifié, en le mettant en fusion, jetant à diverses reprises à sa surface une quantité de nitre fort indéterminée (Nic. Lémery n'en emploie qu'un soixante-quatrième ; beaucoup d'artistes en demandent environ un dixieme), et versant après la déflagration, la matière sur une plaque de cuivre bien nette et bien seche. Le nitre ainsi préparé s'appelle crystal mourant, sel prunelle, de prunelle ou de brunelle, et dans quelques pharmacopées nitre préparé, et nitre en tablettes, nitrum tabulatum.

Les Pharmacologistes raisonnables regardent cette préparation comme infidèle, inutîle et même vicieuse. C'est en effet une vraie décomposition : en supposant même, comme on le suppose communément, que le soufre agit réellement sur la composition chimique du nitre, qu'il détonne vraiment avec le nitre dans cette opération, le crystal minéral ne sera qu'un mélange de nitre et de tartre vitriolé, dont la proportion est comme celle du nitre et du soufre employés, c'est-à-dire dans lequel le tartre vitriolé est quelquefois un soixantième, quelquefois un trentième, un seizième ou un dixième du tout : donc ce remède est premièrement infidèle ; et secondement inutile, puisque rien n'est si aisé que de mêler du nitre et du tartre vitriolé sur le champ et à volonté dans l'occasion. Mais si, comme il peut souvent arriver, le soufre brule paisiblement à la surface du nitre que l'artiste n'aura pas assez chauffé ; l'opération sera absolument vaine, puisque le nitre n'aura absolument rien éprouvé que la fusion. Or cette fusion privant toujours le nitre d'une partie de son eau de crystallisation, et le rendant par-là un peu âcre et mordicant, et d'ailleurs disposé à s'humecter et à se salir dans les boutiques, il est clair que cette préparation est non-seulement vaine et infidèle, mais encore vicieuse. Le nitre purisié doit donc dans tous les cas, être préféré au crystal minéral.

Le nitre appelé essensifficatum ou insuccatum dans plusieurs pharmacopées, allemandes surtout, est du nitre dissous dans des infusions, décoctions ou sucs de plantes, ou de fleurs, ou bien dans des dissolutions de sucre, de sels tels que celui de saturne, etc. et évaporés jusqu'à siccité. Il est spécifié par le nom des diverses matières employées à cette préparation, ce qui fait le nitrum violatum, rosatum, schordiatum, saccharatum, saturninum, etc. On trouve encore dans ces pharmacopées un nitrum perlatum ; corallatum, c'est-à-dire cuit ou évaporé à siccité en remuant la dissolution jusqu'à ce qu'elle commence à s'épaissir, avec des perles, du corail, ou d'autres terres absorbantes en poudre. Le nitrum nitratum crystalli nitri, ou draco fortificatus, des mêmes pharmacopées, est le nitre sursaturé de son propre acide. Toutes ces préparations sont à-peu-près inconnues dans nos pharmacopées, et absolument exclues de notre pratique ; et certes ce n'est-là réellement qu'un vain fatras.

Les Médecins français n'emploient que le nitre purifié, et même ils l'emploient rarement, du moins en comparaison des médecins allemands modernes, et surtout des stahliens. Juncker a écrit d'après Stahl, que le nitre méritait presque le premier rang parmi les remèdes les plus précieux, inter summa artis medicae praesidia ; et le traité où Stahl célèbre tant le nitre, a pour titre : De usu nitri medico Polychresto.

Les vertus attribuées au nitre, d'après cette vicieuse méthode qui ne subsiste que trop encore, de désigner les propriétés des remèdes par l'interprétation de leurs effets cachés ; ces vertus, dis-je, ainsi évaluées, sont la vertu rafraichissante, tempérante, selon Hoffman résolutive, selon Stahl coagulante, antiphlogistique, antiaphrodisiaque, pectorale.

Mais pour exposer, selon la méthode que nous avons préferée, des propriétés plus évidentes, plus positives du nitre pris intérieurement, nous disons d'après l'expérience, que le nitre est diurétique lorsqu'on le donne à petite dose, à celle d'un gros ou de deux tout au plus, dans une quantité de tisane destinée à fournir la boisson d'un jour entier, et purgatif à une dose plus honnête, et même à cette même dose donnée en un seul verre ; qu'il fait merveilles étant mêlé avec le quinquina dans les fièvres intermittentes, principalement quotidiennes accompagnées de chaleur excessive ; dans les fièvres de cette classe, principalement dans les quartes, lorsque l'excès vicieux de sérosité, colluvies serosa, existe, ou est imminent. Secondement, étant ajouté aux tisanes sudorifiques, aux émulsions, aux décoctions des farineux, ordonnées contre les rhumatismes, et quelquefois dans des maladies de la peau. Traisiemement, dans les tisanes appropriées aux ophtalmies anciennes et rebelles. Quatriemement, qu'il mérite un rang distingué parmi les remèdes secondaires des inflammations ; et principalement des érésipeles. Cinquiemement, qu'il est d'un usage très-utîle dans le commencement des gonorrhées virulentes ; qu'il calme les érections douloureuses et les ardeurs d'urine, qui sont les symptômes communs de cette maladie ; et que non seulement il n'empêche point l'écoulement utile, presque nécessaire, qui en fait l'essence, en enfermant (comme on dit d'après un proverbe vulgaire, et une erreur rationnelle) le loup dans la bergerie ; mais qu'au contraire les tisanes rafraichissantes nitrées et les émulsions nitrées, provoquent et entretiennent convenablement ce flux. Sixiemement, c'est le remède le plus usité contre les coliques ou douleurs néphrétiques, il n'est pourtant pas lythontriptique. Septiemement, on le combine utilement avec les hydragogues dans le traitement des hydropisies. Enfin, on dit qu'il modere l'appetit vénérien, et qu'il prévient les pollutions nocturnes.

Les végétaux éminemment nitreux, et d'ailleurs dépourvus de tout principe médicamenteux-actif, tels que sont la bourache, la buglose, la pulmonaire, la pariétaire, etc. n'exerçent des vertus vraiment médicamenteuses qu'à raison de ce principe. Or, comme ces plantes tiennent un rang distingué parmi les bechiques ou pectoraux appelés incisifs, la vertu pectorale-résolutive du nitre, célébrée par plusieurs modernes, et confirmée par des expériences directes, est d'ailleurs établie par les effets reconnus de ces plantes.

Le nitre entre dans la poudre tempérante de Stahl, voyez POUDRE TEMPERANTE. Il est dit dans la dernière édition de la Pharmacopée de Paris, qu'il entre dans l'anti-hectique de Poterius et dans le lilium de Paracelse, et qu'il sert à la préparation de l'antimoine diaphorétique, etc. Or, comme le nitre concourt absolument et exactement de la même manière à la production de ces trois médicaments, on ne devine point pourquoi on dit du nitre qu'il entre dans les deux premiers, et qu'il sert à la préparation de l'autre. Quoi qu'il en sait, le nitre sert à la préparation de l'antimoine diaphorétique, et n'entre point dans la composition de l'anti-hectique, ni dans celle du lilium. Voyez ces trois articles.

On emploie le nitre à quelques usages médicinaux extérieurs : on le dissout dans les gargarismes anti-inflammatoires, et quelquefois, quoique rarement, dans les lavements laxatifs. Il entre dans la composition de la pierre médicamenteuse, divine, ou ophtalmique de Crollius, et de quelques autres auteurs, etc. (b)