S. f. (Philosophie, Logique et Métaphysique) L'opinion ou le sentiment intérieur que nous avons nous-mêmes de ce que nous faisons ; c'est ce que les Anglais expriment par le mot de consciousness, qu'on ne peut rendre en français qu'en le périphrasant.

Puisque, de l'aveu de tout le monde, il y a dans l'âme des perceptions qui n'y sont pas à son insu ; ce sentiment qui lui en donne la connaissance, et qui l'avertit du moins d'une partie de ce qui se passe en elle, M. l'abbé de Condillac l'appelle avec raison conscience. Si, comme le veut Locke, l'âme n'a point de perceptions dont elle ne prenne connaissance, en sorte qu'il y ait contradiction qu'une perception ne lui soit pas connue, la perception et la conscience doivent être prises pour une seule et même opération. Si au contraire il y a dans l'âme des perceptions dont elle ne prend jamais connaissance, ainsi que les Cartésiens, les Mallebranchistes et les Leibnitiens le prétendent, la conscience et la perception sont deux opérations très-distinctes. Le sentiment de Locke semble le mieux fondé ; car il ne parait pas qu'il y ait des perceptions dont l'âme ne prenne quelque connaissance plus ou moins forte ; d'où il résulte que la perception et la conscience ne sont réellement qu'une même opération sous deux noms. Entant qu'on ne considère cette opération que comme une impression dans l'âme, on peut lui conserver le nom de perception ; et entant qu'elle avertit l'âme de sa présence, on peut lui donner celui de conscience. Article de M(D.J.)

CONSCIENCE, (Cas de) Voyez CAS DE CONSCIENCE et CASUISTE.

CONSCIENCE, (Droit nat. Mor.) acte de l'entendement, qui indique ce qui est bon ou mauvais dans les actions morales, et qui prononce sur les choses qu'on a faites ou omises ; d'où il nait en nous-mêmes une douce tranquillité ou une inquiétude importune, la joie et la sérénité, ou ces remords cruels si bien figurés par le vautour de la fable, qui déchirait sans-cesse le cœur de Promethée.

Ainsi la conscience, cette règle immédiate de nos actions, ce for intérieur qui nous juge, a ses diverses modifications suivant les divers états de l'âme. Elle peut être décisive, douteuse, droite, mauvaise, probable, erronée, irrésolue, scrupuleuse, etc. Définissons exactement tous ces mots d'après M. Barbeyrac. Ce sera remplir les vues auxquelles cet ouvrage est principalement destiné, je veux dire, de fixer les principes les plus importants sur chaque matière. Par rapport aux détails des diverses questions qui sont agitées sur ce sujet, le lecteur pourra consulter, s'il le juge à-propos, les écrits de Cumberland, de Puffendorf, de Titius, de Buddaeus et de Thomasius.

La conscience (pour la définir avec exactitude), est le jugement que chacun porte de ses propres actions, comparées avec les idées qu'il a d'une certaine règle nommée loi ; en sorte qu'il conclud en lui-même que les premières sont ou ne sont pas conformes aux dernières.

Nous disons comparées avec les idées qu'il a de la loi, et non pas avec la loi même ; parce que la loi ne saurait être la règle de nos actions qu'autant qu'on la connait. Il ne resulte pourtant pas de-là que chacun puisse se déterminer à faire une chose, du moment qu'il s'imagine qu'elle est permise ou prescrite par la loi, de quelque manière qu'il se le soit mis dans l'esprit. Mais voici deux règles très-faciles, et que les plus simples peuvent et doivent suivre dans chaque occasion particulière.

I. Avant que de se déterminer à suivre les mouvements de la conscience, il faut bien examiner si l'on a les lumières et les secours nécessaires pour juger de la chose dont il s'agit ; car si l'on manque de ces lumières et de ces secours (& en ce cas-là il ne faut que la bonne foi et le sens commun pour s'en convaincre), on ne saurait rien décider, moins encore rien entreprendre, sans une témérité inexcusable et très-dangereuse. On peut appliquer cette règle à tant de gens qui prennent parti sur des disputes de la religion, ou sur des questions difficiles de Morale, de Politique, sur des matières de Droit, des procès délicats, des traitements de maladies compliquées, etc.

II. Supposé qu'en général on ait les lumières et les secours nécessaires pour juger de la chose dont il s'agit, il faut voir si l'on en a fait usage actuellement, en sorte qu'on puisse se porter sans autre examen à ce que la conscience suggère. Dans le Négoce, par exemple, et dans les autres affaires de la vie civile, on se laisse aller tranquillement à des obliquittés et des injustices, dont on verrait aisément la turpitude si l'on faisait attention à des principes très-clairs, dont on ne peut s'écarter, et que l'on reconnait d'ailleurs en général.

Comme il est nécessaire de distinguer entre le jugement que l'âme porte avant l'action, et celui qu'elle porte après l'action, on a nommé ces deux choses en termes scolastiques assez commodes, conscience antécédente, et conscience subséquente. Il n'y a quelquefois dans les actions que le dernier de ces jugements, lorsque, par exemple (ce qui est assez ordinaire), on se détermine à agir sans examiner ni penser seulement si l'on fera bien ou mal.

Quand les deux jugements ont été produits par rapport à une seule et même action, ils sont quelquefois conformes, ce qui arrive lorsque l'on a agi contre ses lumières ; car alors on se condamne encore plus fortement après l'action. Il y a peu de gens qui, ou acquièrent en si peu de temps des lumières capables de leur persuader que ce qu'ils croient mauvais est légitime, ou révoquent si-tôt leur propre sentence en matière d'une chose effectivement contraire à la loi. Quelquefois aussi il y a de la diversité dans ces jugements ; ce qui a lieu, ou lorsque l'on s'est déterminé à quelque chose sans une pleine et entière délibération, soit par passion ou par précipitation, de manière qu'on n'a pas eu la liberté d'envisager suffisamment la nature et les suites de l'action ; ou lorsque, quoiqu'on ait agi avec une pleine délibération, on s'est déterminé sur un examen très-leger : car l'idée de la chose faite frappe plus vivement que l'idée de la chose à faire, et les réflexions viennent commencer ou achever après coup l'examen.

Voici les divers actes du jugement anticipé, selon les différents états où l'âme se trouve alors.

La conscience est ou décisive ou douteuse, selon le degré de persuasion dans lequel on est au sujet de la qualité de l'action à faire. Quand on prononce décisivement que telle ou telle chose est conforme ou contraire à la loi, c'est une conscience décisive qui doit être divisée en démonstrative et probable.

La conscience démonstrative est celle qui est fondée sur des raisons démonstratives, autant que le permet la nature des choses morales ; et par conséquent elle est toujours droite ou conforme à la loi. La conscience probable est celle qui n'est fondée que sur des raisons vraisemblables, et qui par conséquent est ou droite ou erronée, selon qu'il se trouve que l'opinion en elle-même est ou n'est pas conforme à la loi.

Lorsque l'on agit contre les mouvements d'une conscience décisive, ou l'on se détermine sans aucune répugnance, et alors c'est une conscience mauvaise qui marque un grand fonds de méchanceté, ou bien on succombe à la violence de quelque passion qui flatte agréablement, ou à la crainte d'un grand mal, et alors c'est un péché de faiblesse, d'infirmité. Que si l'on suit les mouvements d'une conscience décisive, ou l'on se détermine sans hésiter et avec plaisir, et alors c'est une bonne conscience, quand même on se tromperait, comme il parait par l'exemple de S. Paul, act. xxiij. 1. ou bien on agit avec quelque répugnance ; et alors, quoique l'action en elle-même soit bonne, elle n'est point réputée telle à cause de la disposition peu convenable qui l'accompagne.

Les fondements de la conscience probable véritablement telle, sont l'autorité et l'exemple soutenus par un certain sentiment confus de la convenance naturelle qu'il y a dans les choses qui font la matière de nos devoirs, et quelquefois aussi par des raisons populaires qui semblent tirées de la nature des choses, Comme tous ces fondements ne sont pas si solides qu'on ait lieu de s'y reposer absolument, il ne faut s'en contenter que quand on ne peut faire mieux ; et ceux qui se conduisent par une telle conscience, doivent employer tous leurs efforts pour augmenter le degré de vraisemblance de leurs opinions, et pour approcher autant qu'il est possible de la conscience démonstrative.

La conscience douteuse, que nous avons opposée à la décisive est ou irrésolue ou scrupuleuse. La conscience irrésolue, c'est lorsqu'on ne sait quel parti prendre à cause des raisons qui se présentent de part et d'autre, sinon parfaitement égales, du moins telles qu'il n'y a rien d'un côté ni d'autre qui paraisse assez fort pour que l'on fonde là-dessus un jugement sur. Dans un tel cas quelle conduite faut-il tenir ? La voici : il faut s'empêcher d'agir tant que l'on ne sait pas si l'on fera bien ou mal. En effet, lorsque l'on se détermine à agir avant que les doutes qu'on avait soient entièrement dissipés, cela emporte ou un dessein formel de pécher, ou du moins un mépris indiscret de la loi, à laquelle il peut arriver que l'action se trouve effectivement contraire.

La conscience scrupuleuse est produite par des difficultés très-legeres ou frivoles, qui s'élèvent dans l'esprit, pendant qu'on ne voit de l'autre côté aucune bonne raison de douter. Comme le scrupule ne vient d'ordinaire que d'une fausse délicatesse de conscience, ou d'une grossière superstition, on en sera bientôt délivré, si l'on veut examiner la chose sérieusement et dans toutes ses faces.

LIBERTE DE CONSCIENCE.. Entre plusieurs questions que l'on fait au sujet de la conscience errante, il y en a quatre de grande importance sur lesquelles on ne saurait se refuser de dire un mot : les autres pourront se décider d'après les mêmes principes.

I. On demande si celui qui se trompe est obligé de suivre les mouvements de sa conscience. On répond que oui, soit que l'erreur soit invincible ou vincible : car dès-là qu'on est fermement persuadé, comme nous le supposons, qu'une chose est prescrite ou défendue par la loi, on viole directement le respect dû au législateur, si l'on agit contre cette persuasion, quoique mal fondée.

II. Mais s'ensuit-il delà que l'on soit toujours excusable, en suivant les mouvements d'une conscience erronée ? Nullement : cela n'a lieu que quand l'erreur est invincible.

III. Un homme peut-il juger du principe des erreurs d'un autre homme en matière de conscience ? C'est la troisième question, sur laquelle on répondra d'abord, qu'il n'est pas toujours absolument impossible aux hommes de savoir si quelqu'un est dans l'erreur de mauvaise foi, ou s'il se fait illusion à lui-même : mais pour porter un tel jugement, il ne faut pas moins que des preuves de la dernière évidence ; et il arrive rarement que l'on ait de si sortes preuves. Je ne sai si on pourrait rapporter à ceci l'erreur autrefois si commune chez les Grecs et les Romains, de ceux qui croyaient qu'il était permis à un père ou une mère d'exposer leurs enfants. Mais il semble du moins qu'on y peut rapporter une autre erreur presque aussi grossière des Juifs du temps de Jesus-Christ, qui la leur reproche fortement. Matth. XVe 4-5. Car on a de la peine à concevoir que des gens qui avaient la loi de Moyse si claire et si expresse sur la nécessité d'honorer et d'assister un père ou une mère, pussent de bonne foi être persuadés qu'on était dispensé de ce devoir par un vœu téméraire, ou plutôt impie.

Pour ce qui est de savoir si l'erreur d'un homme qui se trompe de bonne foi est vincible ou invincible, il faut convenir que mettant à part les principes les plus généraux du droit naturel, et les vérités dont les Chrétiens, quoique divisés en différentes sectes, sont convenus de tout temps, tout le reste est de nature, qu'un homme ne peut sans témérité juger en aucune manière du principe de l'ignorance, et des erreurs d'autrui : ou s'il peut dire en général qu'il y a des circonstances qui rendent vincibles telles ou telles erreurs, il lui est extrêmement difficîle de rien déterminer là-dessus par rapport à quelqu'un en particulier, et il n'est jamais nécessaire qu'il le fasse.

IV. La dernière question est si, en conséquence du jugement que l'on fait de l'ignorance ou des erreurs d'autrui en matière de conscience, on peut se porter à quelque action contre ceux que l'on croit être dans cette ignorance ou dans ces erreurs ? Ici nous répondons que lorsque l'erreur ne Ve point à faire ou à enseigner des choses manifestement contraires aux lois de la société humaine en général, et à celles de la société civîle en particulier, l'action la plus convenable par rapport aux errants, est le soin charitable de les ramener à la vérité par des instructions paisibles et solides.

Persécuter quelqu'un par un motif de conscience, deviendrait une espèce de contradiction ; ce serait renfermer dans l'étendue d'un droit une chose qui par elle-même détruit le fondement de ce droit. En effet, dans cette supposition on serait autorisé à forcer les consciences, en vertu du droit qu'on a d'agir selon sa conscience. Et il n'importe que ce ne soit pas la même personne dont la conscience force, et est forcée : car outre que chacun aurait à son tour autant de raison d'user d'une pareille violence, ce qui mettrait tout le genre humain en combustion, le droit d'agir selon les mouvements de la conscience, est fondé sur la nature même de l'homme, qui étant commune à tous les hommes, ne saurait rien autoriser qui accorde à aucun d'eux en particulier la moindre chose qui tende à la diminution de ce droit commun. Ainsi le droit de suivre sa conscience emporte par lui-même cette exception, hors les cas où il s'agirait de faire violence à la conscience d'autrui.

Si l'on punit ceux qui font ou qui enseignent des choses nuisibles à la société, ce n'est pas à cause qu'ils sont dans l'erreur, quand même ils y seraient de mauvaise foi ; mais parce qu'on a droit pour le bien public de réprimer de tels gens, par quelques principes qu'ils agissent.

Nous laissons à part toutes ces autres questions sur la conscience qui ont été tant agitées dans le siècle passé, et qui n'auraient pas dû paraitre dans des temps d'une morale éclairée. Quand la boussole donna la connaissance du monde, on abandonna les côtes d'Afrique ; les lumières de la navigation changèrent la face du commerce, il ne fut plus entre les mains de l'Italie ; toute l'Europe se servit de l'aiguille aimantée comme d'un guide sur pour traverser les mers sans périls et sans alarmes. Voyez TOLERANCE. Article de M(D.J.)

CONSCIENCE, conseil de conscience, (Jurisprudence) Voyez ci-après au mot CONSEIL.