S. f. (Ordre encyclopédique, Entendement, Raison, Science de la nature, Science des êtres réels, des êtres abstraits, de la quantité ou Mathématiques, Mathématiques pures, Arithmétique, Arithmétique numérique, et Algèbre) c'est la méthode de faire en général le calcul de toutes sortes de quantités, en les représentant par des signes très-universels. On a choisi pour ces signes les lettres de l'alphabet, comme étant d'un usage plus facîle et plus commode qu'aucune autre sorte de signes. Ménage dérive ce mot de l'Arabe Algiabarat, qui signifie le rétablissement d'une chose rompue ; supposant faussement que la principale partie de l'Algèbre consiste dans la considération des nombres rompus. Quelques-uns pensent avec M. d'Herbelot, que l'Algèbre prend son nom de Geber, philosophe Chimiste et Mathématicien célèbre, que les Arabes appellent Giabert, et que l'on croit avoir été l'inventeur de cette science ; d'autres prétendent que ce nom vient de gefr, espèce de parchemin, fait de la peau d'un chameau, sur lequel Ali et Giafur Sadek écrivirent en caractères mystiques la destinée du Mahométisme, et les grands événements qui devaient arriver jusqu'à la fin du monde ; d'autres le dérivent du mot geber, dont avec la particule al on a formé le mot Algèbre, qui est purement arabe, et signifie proprement la réduction des nombres rompus en nombres entiers ; étymologie qui ne vaut guère mieux que celle de Ménage. Au reste il faut observer que les Arabes ne se servent jamais du mot Algèbre seul pour exprimer ce que nous entendons aujourd'hui par ce mot ; mais ils y ajoutent toujours le mot macabelah, qui signifie opposition et comparaison ; ainsi Algebra-Almacabelah est ce que nous appelons proprement Algèbre.


Quelques auteurs définissent l'Algèbre l'art de résoudre les problèmes mathématiques : mais c'est-là l'idée de l'Analyse ou de l'art analytique plutôt que de l'Algèbre. Voyez ANALYSE.

En effet l'Algèbre a proprement deux parties : 1°. la méthode de calculer les grandeurs en les représentant par les lettres de l'alphabet : 2°. la manière de se servir de ce calcul pour la solution des problèmes. Comme cette dernière partie est la plus étendue et la principale, on lui donne souvent le nom d'Algèbre tout court, et c'est principalement dans ce sens que nous l'envisagerons dans la suite de cet article.

Les Arabes l'appellent l'art de restitution et de comparaison, ou l'art de résolution et d'équation. Les anciens auteurs Italiens lui donnent le nom de regula rei et census, c'est-à-dire, la règle de la racine et du carré : chez eux la racine s'appelle res ; et le carré, census. Voyez RACINE, QUARRE. D'autres la nomment Arithmétique spécieuse, Arithmétique universelle, &c.

L'Algèbre est proprement la méthode de calculer les quantités indéterminées ; c'est une sorte d'arithmétique par le moyen de laquelle on calcule les quantités inconnues comme si elles étaient connues. Dans les calculs algébriques, on regarde la grandeur cherchée, nombre, ligne, ou toute autre quantité, comme si elle était donnée ; et par le moyen d'une ou de plusieurs quantités données, on marche de conséquence en conséquence, jusqu'à ce que la quantité que l'on a supposé d'abord inconnue, ou au moins quelqu'une de ses puissances, devienne égale à quelques quantités connues ; ce qui fait connaître cette quantité elle-même. Voyez QUANTITTE et ARITHMETIQUE.

On peut distinguer deux espèces d'Algèbre ; la numérale, et la littérale.

L'Algèbre numérale ou vulgaire est celle des anciens Algébristes, qui n'avait lieu que dans la résolution des questions arithmétiques. La quantité cherchée y est représentée par quelque lettre ou caractère : mais toutes les quantités données sont exprimées en nombres. Voyez NOMBRE.

L'Algèbre littérale ou spécieuse, ou la nouvelle Algèbre, est celle où les quantités données ou connues, de même que les inconnues, sont exprimées ou représentées généralement par les lettres de l'alphabet. Voyez SPECIEUSE.

Elle soulage la mémoire et l'imagination en diminuant beaucoup les efforts qu'elles seraient obligées de faire, pour retenir les différentes choses nécessaires à la découverte de la vérité sur laquelle on travaille, et que l'on veut conserver présentes à l'esprit : c'est pourquoi quelques auteurs appellent cette science Géométrie métaphysique.

L'Algèbre spécieuse n'est pas bornée comme la numérale, à une certaine espèce de problèmes : mais elle sert universellement à la recherche ou à l'invention des théorèmes, comme à la résolution et à la démonstration de toutes sortes de problèmes, tant arithmétiques que géométriques. Voyez THÉOREME, etc.

Les lettres dont on fait usage en Algèbre représentent chacune séparément des lignes ou des nombres, selon que le problème est arithmétique ou géométrique ; et mises ensemble elles représentent des produits, des plans, des solides, et des puissances plus élevées, si les lettres sont en plus grand nombre : par exemple, en Géométrie, s'il y a deux lettres, comme a b, elles représentent un rectangle dont deux côtés sont exprimés, l'un par la lettre a, et l'autre par b ; de sorte qu'en se multipliant réciproquement elles produisent le plan a b : si la même lettre est répétée deux fais, comme a a, elle signifie un carré : trois lettres, a b c, représentent un solide ou un parallélepipede rectangle, dont les trois dimensions sont exprimées par les trois lettres a, b, c ; la longueur par a, la largeur par b, la profondeur ou l'épaisseur par c ; en sorte que par leur multiplication mutuelle elles produisent le solide a b c.

Comme dans les carrés, cubes, 4es puissances, etc. la multiplication des dimensions ou degrés est exprimée par la multiplication des lettres, et que le nombre de ces lettres peut croitre jusqu'à devenir trop incommode, on se contente d'écrire la racine une seule fais, et de marquer à la droite l'exposant de la puissance, c'est-à-dire le nombre des lettres dont est composée la puissance ou le degré qu'il s'agit d'exprimer, comme a2, a3, a4, a5 : cette dernière expression a5 veut dire la même chose que a élevé à la cinquième puissance ; et ainsi du reste. Voyez PUISSANCE, RACINE, EXPOSANT, etc.

Quant aux symboles, caractères, etc. dont on fait usage en Algèbre, avec leur application, etc. Voyez les articles CARACTERE, QUANTITE, etc.

Pour la méthode de faire les différentes opérations de l'Algèbre, voyez ADDITION, SOUSTRACTION, MULTIPLICATION, etc.

Quant à l'origine de cet art, nous n'avons rien de fort clair là-dessus : on en attribue ordinairement l'invention à Diophante, auteur grec, qui en écrivit treize livres, quoiqu'il n'en reste que six. Xylander les publia pour la première fois en 1575 ; et depuis ils ont été commentés et perfectionnés par Gaspar Bachet, sieur de Meziriac, de l'académie Française, et ensuite par M. de Fermat.

Néanmoins il semble que l'Algèbre n'a pas été totalement inconnue aux anciens mathématiciens, qui existaient bien avant le siècle de Diophante : on en voit les traces en plusieurs endroits de leurs ouvrages, quoiqu'ils paraissent avoir eu le dessein d'en faire un mystère. On en aperçoit quelque chose dans Euclide, ou au moins dans Theon qui a travaillé sur Euclide. Ce commentateur prétend que Platon avait commencé le premier à enseigner cette science. Il y en a encore d'autres exemples dans Pappus, et beaucoup plus dans Archimède et Apollonius.

Mais la vérité est que l'Analyse dont ces auteurs ont fait usage, est plutôt géométrique qu'algébrique, comme cela parait par les exemples que l'on en trouve dans leurs ouvrages ; en sorte que l'on peut dire que Diophante est le premier et le seul auteur parmi les Grecs qui ait traité de l'Algèbre. On croit que cet art a été fort cultivé par les Arabes : on dit même que les Arabes l'avaient reçu des Perses, et les Perses des Indiens. On ajoute que les Arabes l'apportèrent en Espagne ; d'où, suivant l'opinion de quelques-uns, il passa en Angleterre avant que Diophante y fût connu.

Luc Paciolo, ou Lucas à Burgo, Cordelier, est le premier dans l'Europe qui ait écrit sur ce sujet : son livre, écrit en Italien, fut imprimé à Venise en 1494. Il était, dit-on, disciple d'un Léonard de Pise et de quelques autres dont il avait appris cette méthode : mais nous n'avons aucun de leurs écrits. Selon Paciolo, l'Algèbre vient originairement des Arabes : il ne fait aucune mention de Diophante ; ce qui ferait croire que cet auteur n'était pas encore connu en Europe. Son Algèbre ne Ve pas plus loin que les équations simples et carrées ; encore son travail sur ces dernières équations est-il fort imparfait, comme on le peut voir par le détail que donne sur ce sujet M. l'abbé de Gua, dans un excellent mémoire imprimé parmi ceux de l'académie des Sciences de Paris 1741. Voyez QUARRE ou QUADRATIQUE, EQUATIONS, RACINE, etc.

Après Paciolo parut Stifelius, auteur qui n'est pas sans mérite : mais il ne fit faire aucun progrès remarquable à l'Algèbre. Vinrent ensuite Scipion Ferrei, Tartaglia, Cardan, et quelques autres, qui poussèrent cet art jusqu'à la résolution de quelques équations cubiques : Bombelli les suivit. On peut voir dans la dissertation de M. l'abbé de Gua que nous venons de citer, l'histoire très-curieuse et très-exacte des progrès plus ou moins grands que chacun de ces auteurs fit dans la science dont nous parlons : tout ce que nous allons dire dans la suite de cet article sur l'histoire de l'Algèbre, est tiré de cette dissertation. Elle est trop honorable à notre nation pour n'en pas insérer ici la plus grande partie.

" Tel était l'état de l'Algèbre et de l'Analyse, lorsque la France vit naître dans son sein François Viete, ce grand Géomètre, qui lui fit seul autant d'honneur que tous les auteurs dont nous venons de faire mention, en avaient fait ensemble à l'Italie.

Ce que nous pourrions dire ici à son éloge, serait certainement au-dessous de ce qu'en ont dit déjà depuis longtemps les auteurs les plus illustres, même parmi les Anglais, dans la bouche desquels ces louanges doivent être moins suspectes de partialité que dans celle d'un compatriote. Voyez ce qu'en dit M. Halley, Trants. philos. n°. 190. art. 2. an. 1687.

Ce témoignage, quelque avantageux qu'il soit pour Viete, est à peine égal à celui qu'Harriot, autre Algébriste Anglais, rend au même auteur dans la préface du livre qui porte pour titre, Artis analyticae praxis.

Les éloges qu'il lui donne sont d'autant plus remarquables, qu'on les lit à la tête de ce même ouvrage d'Harriot, où Wallis a prétendu apercevoir les découvertes les plus importantes qui se soient faites dans l'Analyse, quoiqu'il lui eut été facîle de les trouver presque toutes dans Viete, à qui elles appartiennent en effet pour la plupart, comme on le Ve voir.

On peut entr'autres en compter sept de ce genre.

La première, c'est d'avoir introduit dans les calculs les lettres de l'alphabet, pour désigner même les quantités connues. Wallis convient de cet article, et il explique au chap. XIVe de son traité d'Algèbre, l'utilité de cette pratique.

La seconde, c'est d'avoir imaginé presque toutes les transformations des équations aussi-bien que les différents usages qu'on en peut faire pour rendre plus simples les équations proposées. On peut consulter là-dessus son traité de recognitione Aequationum, à la page 91 et suivantes, édit. de 1646, aussi-bien que le commencement du traité de emendatione Aequationum, page 127 et suivantes.

La troisième, c'est la méthode qu'il a donnée pour reconnaître par la comparaison de deux équations, qui ne différeraient que par les signes, quel rapport il y a entre chacun des coefficiens qui leur sont communs, et les racines de l'une et de l'autre. Il appelle cette méthode syncrisis, et il l'explique dans le traité de recognitione, page 104 et suivantes.

La quatrième, c'est l'usage qu'il fait des découvertes précédentes pour résoudre généralement les équations du quatrième degré, et même celles du troisième. Voyez le traité de emendatione, page 140 et 147.

La cinquième, c'est la formation des équations composées par leurs racines simples, lorsqu'elles sont toutes positives, ou la détermination de toutes les parties de chacun des coefficiens de ces équations, ce qui termine le livre de emendatione, page 158.

La sixième et la plus considérable, c'est la résolution numérique des équations, à l'imitation des extractions de racines numériques, matière qui fait elle seule l'objet d'un livre tout entier.

Enfin on peut prendre pour une septième découverte ce que Viete a enseigné de la méthode pour construire géométriquement les équations, et qu'on trouve expliquée page 229 et suiv.

Quoiqu'un si grand nombre d'inventions propres à Viete dans la seule Analyse, l'aient fait regarder avec raison comme le père de cette Science, nous sommes néanmoins obligés d'avouer qu'il ne s'était attaché à reconnaître combien il pouvait y avoir dans les équations de racines de chaque espèce, qu'autant que cette recherche entrait dans le dessein qu'il s'était proposé, d'assigner en nombre les valeurs ou exactes ou approchées de ces racines. Il ne considéra donc point les racines réelles négatives, non plus que les racines impossibles, que Bombelli avait introduites dans le calcul ; et ce ne fut que par des voies indirectes qu'il vint à bout de déterminer, lorsqu'il en eut besoin, le nombre des racines réelles positives. L'illustre M. Halley lui fait même avec fondement quelques reproches sur les règles qu'il donne pour cela.

Ce que Viete avait omis de faire au sujet du nombre des racines, Harriot qui vint bientôt après, le tenta inutilement dans son Artis analyticae praxis. L'idée que l'on doit se former de cet ouvrage, est précisément celle qu'en donne sa préface ; car pour celle qu'on pourrait en prendre par la lecture du traité d'Algèbre de Wallis, elle ne serait point du tout juste. Non-seulement ce livre ne comprend point, comme Wallis voudrait l'insinuer, tout ce qui avait été découvert de plus intéressant dans l'Analyse lorsque Wallis a écrit ; on peut même dire qu'il mérite à peine d'être regardé comme un ouvrage d'invention. Les abrégés que Harriot a imaginés dans l'Algèbre, se réduisent à marquer les produits de différentes lettres, en écrivant ces lettres immédiatement les unes après les autres : (car nous ne nous arrêterons point à observer avec Wallis, qu'il a employé dans les calculs les lettres minuscules au lieu des majuscules). Il n'a point simplifié les expressions où une même lettre se trouvait plusieurs fais, c'est-à-dire les expressions des puissances, en écrivant l'exposant à côté. On verra bientôt que c'est à Descartes qu'on doit cet abrégé, ainsi que les premiers éléments du calcul des puissances ; découverte qui en était la suite naturelle, et qui a été depuis d'un si grand usage.

Quant à l'Analyse, le seul pas qu'Harriot paraisse proprement y avoir fait, c'est d'avoir employé dans la formation des équations du 3e et du 4e degré, les racines négatives, et même des produits de deux racines impossibles ; ce que n'avait point fait Viete dans son dernier chapitre de emendatione : encore trouve-t-on ici une faute ; c'est que l'auteur forme les équations du 4e degré, dont les quatre racines doivent être tout-à-la-fais impossibles, par le produit de b e + a a = 0, et d f + a a = 0, ce qui n'est pas assez général, les quatre racines ne devant pas être tout-à-la-fais supposées des imaginaires pures, mais tout au plus deux imaginaires pures, et deux mixtes imaginaires ".

M. l'abbé de Gua fait encore à Harriot plusieurs autres reproches, qu'on peut lire dans son mémoire.

" Il n'est presqu'aucune Science qui n'ait dû au grand Descartes quelque degré de perfection : mais l'Algèbre et l'Analyse lui sont encore plus redevables que toutes les autres. Vraisemblablement il n'avait point lu ce que Viete avait découvert dans ces deux Sciences, et il les poussa beaucoup plus loin. Non-seulement il marque, ainsi qu'Harriot, les produits de deux lettres, en les écrivant à la suite l'une de l'autre ; et il a ajouté à cela l'expression du produit de deux polynomes, en se servant du signe de la multiplication, et en tirant une ligne sur chacun de ces polynomes en particulier, ce qui soulage beaucoup l'imagination. C'est lui qui a introduit dans l'Algèbre les exposans, ce qui a donné les principes élémentaires de leurs calculs : c'est lui qui a imaginé le premier des racines aux équations, dans les cas mêmes où ces racines sont impossibles ; de façon que les imaginaires et les réelles remplissent le nombre des dimensions de la proposée : c'est lui qui a donné le premier des moyens de trouver les limites des racines des équations, qu'on ne peut résoudre exactement : enfin il a beaucoup ajouté aux affections géométriques de l'Algèbre que Viete nous avait laissées, en déterminant ce que c'est que les lignes négatives, c'est-à-dire celles qui répondent aux racines des équations qu'il nomme fausses ; et en enseignant à multiplier et à diviser les lignes les unes par les autres. Voyez le commencement de sa Géométrie. Il forme, comme Harriot, les équations par la multiplication de leurs racines simples, et ses découvertes dans l'Analyse pure se réduisent principalement à deux. La première, d'avoir enseigné combien il se trouve de racines positives ou négatives dans les équations qui n'ont point de racines imaginaires. Voyez RACINE. La seconde, c'est l'emploi qu'il fait de deux équations du second degré à coefficiens indéterminés, pour former par leur multiplication une équation qui puisse être comparée terme à terme avec une proposée quelconque du quatrième degré, afin que ces comparaisons différentes fournissent la détermination de toutes les déterminées qu'il avait prises d'abord, et que la proposée se trouve ainsi décomposée en deux équations du second degré, faciles à résoudre par les méthodes qu'on avait déjà pour cet effet. Voyez sa Géométrie, page 89. édit. d'Amst. an. 1649. Cet usage des indéterminées est si adroit et si élégant, qu'il a fait regarder Descartes comme l'inventeur de la méthode des indéterminées ; car c'est cette méthode qu'on a depuis appelée et qu'on nomme encore aujourd'hui proprement l'Analyse de Descartes ; quoiqu'il faille avouer que Ferrei, Tartaglia, Bombelli, Viete surtout, et après lui Harriot, en eussent eu connaissance.

Pour l'Analyse mixte, c'est-à-dire l'application de l'Analyse à la Géométrie, elle appartient presque entièrement à Descartes, puisque c'est à lui qu'on doit incontestablement les deux découvertes qui en sont comme la base. Je parle de la détermination de la nature des courbes par les équations à deux variables (p. 26), et de la construction générale des équations du 3e et du 4e degré (p. 95). On peut y ajouter l'idée de dterminer la nature des courbes à double courbure par deux équations variables (page 74) ; la méthode des tangentes, qui est comme le premier pas qui se soit fait vers les infiniment petits (page 46) ; enfin la détermination des courbes propres à réfléchir ou à réunir par réfraction en un seul point les rayons de lumière ; application de l'Analyse et de la Géométrie à la Physique, dont on n'avait point Ve jusqu'alors d'aussi grand exemple. Si on réunit toutes ces différentes productions, quelle idée ne se formera-t-on pas du grand homme de qui elles nous viennent ! et que sera-ce en comparaison de tout cela, que le peu qui restera à Harriot, lorsque des découvertes que Wallis lui avait attribuées sans fondement dans le chapitre 53 de son Algèbre historique et pratique, on aura ôté, comme on le doit, ce qui appartient à Viete ou à Descartes, suivant l'énumération que nous en avons faite ?

Outre la détermination du nombre des racines vraies ou fausses, c'est-à-dire positives ou négatives, dans les équations de tous les degrés qui n'ont point de racines imaginaires, Descartes a mieux déterminé qu'on n'avait fait jusqu'alors, le nombre et l'espèce des racines des équations quelconques du 3e et du 4e degré, soit au moyen des remarques qu'il a faites sur ses formules algébriques, soit en employant à cet usage différentes observations sur ses constructions géométriques.

Ce dernier ouvrage, qu'il avait néanmoins laissé imparfait, a été perfectionné depuis peu-à-peu par différents auteurs, Debaune, par exemple ; jusqu'à ce que l'illustre M. Halley y ait mis, pour ainsi dire, la dernière main dans un beau mémoire inséré dans les Transactions philosophiques, n°. 190. art. 2. an. 1687, et qui porte le titre suivant : De numero radicum in aequationibus solidis ac biquadraticis, sive tertiae ac quartae potestatis, earumque limitibus tractatulus.

Quoique Newton fût né dans un temps où l'Analyse paraissait déjà presque parfaite, cependant un si grand génie ne pouvait manquer de trouver à y ajouter encore. Il a donné en effet successivement dans son Arithmétique universelle : 1°. une règle très-élégante et très-belle pour connaître les cas où les équations peuvent avoir des diviseurs rationnels, et pour déterminer dans ces cas quels polynomes peuvent être ces diviseurs : 2°. une autre règle pour reconnaître dans un grand nombre d'occasions combien il doit se trouver de racines imaginaires dans une équation quelconque : une troisième, pour déterminer d'une manière nouvelle les limites des équations ; enfin une quatrième qui est peu connue, mais qui n'en est pas moins belle, pour découvrir en quel cas les équations des degrés pairs peuvent se résoudre en d'autres de degrés inférieurs, dont les coefficiens ne contiennent que de simples radicaux du premier degré.

A cela il faut joindre l'application des fractions au calcul des exposans ; l'expression en suites infinies des puissances entières ou fractionnaires, positives ou négatives d'un binome quelconque ; l'excellente règle connue sous le nom de Règle du parallélogramme, et au moyen de laquelle Newton assigne en suites infinies toutes les racines d'une équation quelconque ; enfin la belle méthode que cet auteur a donnée pour interpoler les séries, et qu'il appelle methodus differentialis.

Quant à l'application de l'Analyse à la Géométrie, Newton a fait voir combien il y était versé, non-seulement par les solutions élégantes de différents problemes qu'on trouve ou dans son Arithmétique universelle, ou dans ses principes de la Philosophie naturelle, mais principalement par son excellent traité des Lignes du troisième ordre. Voyez COURBE ".

Voilà tout ce que nous dirons sur le progrès de l'Algèbre. Les éléments de cet art furent compilés et publiés par Kersey en 1671 : l'Arithmétique spécieuse et la nature des équations y sont amplement expliquées et éclaircies par un grand nombre d'exemples différents : on y trouve toute la substance de Diophante. On y a ajouté plusieurs choses qui regardent la composition et la résolution mathématique tirée de Ghetaldus. La même chose a été exécutée depuis par Prestet en 1694, et par Ozannam en 1703. Mais ces auteurs ne parlent point, ou ne parlent que fort briévement de l'application de l'Algèbre à la Géométrie. Guisnée y a suppléé dans un traité écrit en français, qu'il a composé exprès sur ce sujet, et qui a été publié en 1705 : aussi-bien que le Marquis de l'Hopital dans son traité analytique des Sections coniques, 1707. Le traité de la Grandeur, du P. Lamy de l'Oratoire ; le premier volume de l'Analyse démontrée, du P. Reyneau ; et la science du Calcul, du même auteur, sont aussi des ouvrages où l'on peut s'instruire de l'Algèbre : enfin M. Saunderson professeur en Mathématique à Cambridge, et membre de la société royale de Londres, a publié un excellent traité sur cette matière, en anglais, et en deux volumes in -4°. intitulé Eléments d'Algèbre. Nous avons aussi des éléments d'Algèbre de M. Clairaut, dont la réputation de l'auteur assure le succès et le mérite.

On a appliqué aussi l'Algèbre à la considération et au calcul des infinis ; ce qui a donné naissance à une nouvelle branche fort étendue du calcul algébrique : c'est ce que l'on appelle la doctrine des fluxions ou le calcul différentiel. Voyez FLUXIONS et DIFFERENTIEL. On peut voir à l'article ANALYSE, les principaux auteurs qui ont écrit sur ce sujet.

Je me suis contenté dans cet article de donner l'idée générale de l'Algèbre, telle à-peu-près qu'on la donne communément ; et j'y ai joint, d'après M. l'abbé de Gua, l'histoire de ses progrès. Les savants trouveront à l'art. ARITHMETIQUE UNIVERSELLE, des réflexions plus profondes sur cette Science ; et à l'article APPLICATION, des observations sur l'application de l'Algèbre à la Géométrie. (O)