S. f. (Littérature) théâtre, lieu où les pièces dramatiques étaient représentées. Voyez THEATRE. Ce mot vient du grec , tente, pavillon, ou cabane, dans laquelle on représentait d'abord les poèmes dramatiques.

Selon Rollin, la scène était proprement une suite d'arbres rangés les uns contre les autres sur deux lignes parallèles qui formaient une allée et un portique champêtre pour donner de l'ombre, , et pour garantir des injures de l'air ceux qui étaient placés dessous. C'était-là, dit cet auteur, qu'on représentait les pièces avant qu'on eut construit les théâtres. Cassiodore tire aussi le mot scène de la couverture et de l'ombre du bocage sous lequel les bergers représentaient anciennement les jeux dans la belle saison.

Scène se prend dans un sens plus particulier pour les décorations du théâtre : de-là cette expression, la scène change, pour exprimer un changement de décoration. Vitruve nous apprend que les anciens avaient trois sortes de décorations ou de scènes sur leurs théâtres.

L'usage ordinaire était de représenter des bâtiments ornés de colonnes et de statues sur les côtés ; et dans le fond du théâtre d'autres édifices, dont le principal était un temple ou un palais pour la tragédie, une maison ou une rue pour la comédie, une forêt ou un paysage pour la pastorale, c'est-à-dire, pour les pièces satyriques, les atellanes, etc. Ces décorations étaient ou versatiles, lorsqu'elles tournaient sur un pivot, ou ductiles, lorsqu'on les faisait glisser dans des coulisses, comme cela se pratique encore aujourd'hui. Selon les différentes pièces, on changeait la décoration ; et la partie qui était tournée vers le spectateur, s'appelait scène tragique, comique, ou pastorale, selon la nature du spectacle auquel elle était assortie. Voyez les notes de M. Perrault, sur Vitruve, liv. V. ch. VIe Voyez aussi le mot DECORATION. On appelle aussi scène, le lieu où le poète suppose que l'action s'est passée. Ainsi dans Iphigénie, la scène est en Aulide dans la tente d'Agamemnon. Dans Athalie, la scène est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l'appartement du grand-prêtre. Une des principales lois du poème dramatique, est d'observer l'unité de la scène, qu'on nomme autrement unité de lieu.

En effet, il n'est pas naturel que la scène change de place, et qu'un spectacle commencé dans un endroit finisse dans un autre tout différent et souvent très-éloigné. Les anciens ont gardé soigneusement cette règle, et particulièrement Térence : dans ses comédies, la scène ne change presque jamais ; tout se passe devant la porte d'une maison où il fait rencontrer naturellement ses acteurs.

Les François ont suivi la même règle ; mais les Anglais en ont secoué le joug, sous prétexte qu'elle empêche la variété et l'agrément des aventures et des intrigues nécessaires pour amuser les spectateurs. Cependant les auteurs les plus judicieux tâchent de ne pas négliger totalement la vraisemblance, et ne changent la scène que dans les entr'actes, afin que pendant cet intervalle, les acteurs soient censés avoir fait le chemin nécessaire ; et par la même raison, ils changent rarement la scène d'une ville à une autre ; mais ceux qui méprisent ou violent toutes les règles, se donnent cette liberté. Ces auteurs ne se font pas même de scrupule de transporter tout-à-coup la scène de Londres au Pérou. Shakespear n'a pas beaucoup respecté la règle de l'unité de scène ; il ne faut que parcourir ses ouvrages pour s'en convaincre.

Scène est aussi une division du poème dramatique, déterminée par l'entrée d'un nouvel acteur : on divise une pièce en actes, et les actes en scènes.

Dans plusieurs pièces imprimées des Anglais, la différence des scènes n'est marquée que quand le lieu de la scène et les décorations changent ; cependant la scène est proprement composée des acteurs qui sont présents ou intéressés à l'action. Ainsi quand un nouvel acteur parait, ou qu'il se retire, l'action change et une nouvelle scène commence.

La contexture ou la liaison et l'enchainement des scènes entr'elles, est encore une règle du théâtre ; elles doivent se succéder les unes aux autres, de manière que le théâtre ne reste jamais vide jusqu'à la fin de l'acte.

Les anciens ne mettaient jamais plus de trois personnes ensemble sur la scène, excepté les chœurs, dont le nombre n'était pas limité : les modernes ne se sont point astreints à cette règle.

Corneille, dans l'examen de sa tragédie d'Horace, pour justifier le coup d'épée que ce romain donne à sa sœur Camille, examine cette question, s'il est permis d'ensanglanter la scène ; et il décide pour l'affirmative, fondé, 1°. sur ce qu'Aristote a dit, que pour émouvoir puissamment, il fallait faire voir de grands déplaisirs, des blessures, et même des morts ; 2°. sur ce qu'Horace n'exclut de la vue des spectateurs, que les événements trop dénaturés, tels que le festin d'Atrée, le massacre que Medée fait de ses propres enfants ; encore oppose-t-il un exemple de Séneque au précepte d'Horace ; et il prouve celui d'Aristote par Sophocle, dans une tragédie duquel Ajax se tue devant les spectateurs. Cependant le précepte d'Horace n'en parait pas moins fondé dans la nature et dans les mœurs. 1°. Dans la nature ; car enfin, quoique la tragédie se propose d'exciter la terreur ou la pitié, elle ne tend point à ce but par des spectacles barbares, et qui choquent l'humanité. Or les morts violentes, les meurtres, les assassinats, le carnage, inspirent trop d'horreur, et ce n'est pas l'horreur, mais la terreur qu'il faut exciter. 2°. Les mœurs n'y sont pas moins choquées. En effet, quoi de plus propre à endurcir le cœur, que l'image trop vive des cruautés ; quoi de plus contraire aux bienséances, que des actions dont l'idée seule est effrayante ? les maîtres de l'art ont dit :

Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose :

Les yeux en la voyant saisiraient mieux la chose ;

Mais il est des objets que l'art judicieux

Dait offrir à l'oreille et reculer des yeux.

Art poét. chant IIIe

Les Grecs et les Romains, quelque polis qu'on veuille les supposer, avaient encore quelque férocité : chez eux le suicide passait pour grandeur d'ame ; chez nous il n'est qu'une frénésie, une fureur : les yeux qui se repaissaient au cirque des combats de gladiateurs, et ceux mêmes des femmes qui prenaient plaisir à voir couler le sang humain, pouvaient bien en soutenir l'image au théâtre. Les nôtres en seraient blessés : ainsi ce qui pouvait plaire relativement à leurs mœurs étant tout à fait hors des nôtres, c'est une témérité que d'ensanglanter la scène. L'usage en est encore fréquent chez les Anglais, et Shakespear sur tout est plein de ces situations. En vain M. Gresset a voulu les imiter dans sa tragédie d'Edouard ; le goût de Paris ne s'est pas trouvé conforme au goût de Londres. Il est vrai que toutes sortes de morts, même violentes, ne doivent point être bannies du théâtre ; Phèdre et Inez empoisonnées y viennent expirer ; Jason dans la Médée de Longe-Pierre, et Orosmane dans Zaïre, s'arrachent la vie de leur propre main ; mais outre que ce mouvement est extrêmement vif et rapide, on emporte ces personnages, on les dérobe promptement aux yeux des spectateurs, qui n'en sont point blessés, comme ils le seraient, s'il leur fallait soutenir quelque temps la vue d'un homme qu'on suppose massacré et nageant dans son sang. L'exemple de nos voisins, quand il n'est fondé que sur leur façon de penser, qui dépend du tempérament et du climat, ne devient point une loi pour nous qui vivons sous un autre horizon, et dont les mœurs sont plus conformes à l'humanité. Principes pour la lecture des Poètes, tome II. page 58. et suivantes.