S. f. (Belles Lettres) histoire fabuleuse des dieux, des demi-dieux, et des héros de l'antiquité, comme son nom même le désigne.

Mais l'Encyclopédie considère encore, sous ce nom, tout ce qui a quelque rapport à la religion payenne : c'est-à-dire, les divers systèmes et dogmes de Théologie, qui se sont établis successivement dans les différents âges du paganisme ; les mystères et les cérémonies du culte dont étaient honorées ces prétendues divinités ; les oracles, les sorts, les augures, les auspices et aruspices, les présages, les prodiges, les expiations, les dévouements, les évocations, et tous les genres de divination qui ont été en usage ; les pratiques et les fonctions des prêtres, des devins, des sybilles, des vestales ; les fêtes et les jeux ; les sacrifices et les victimes ; les temples, les autels, les trépiés, et les instruments des sacrifices ; les bois sacrés, les statues et généralement tous les symboles sous lesquels l'idolâtrie s'est perpétuée parmi les hommes durant un si grand nombre de siècles.

La Mythologie, envisagée de cette manière, constitue la branche la plus grande de l'étude des Belles-Lettres. On ne peut entendre parfaitement les ouvrages des Grecs et des Romains que la haute antiquité nous a transmis, sans une profonde connaissance des mystères et des coutumes religieuses du paganisme.

Les gens du monde, ceux même qui se montrent les moins curieux de l'amour des Sciences sont obligés de s'initier dans celle de la Mythologie, parce qu'elle est devenue d'un usage si fréquent dans nos conversations, que quiconque en ignore les éléments, doit craindre de passer pour être dépourvu des lumières les plus ordinaires à une éducation commune.

Son étude est indispensable aux Peintres, aux Sculpteurs, surtout aux Poètes, et généralement à tous ceux dont l'objet est d'embellir la nature et de plaire à l'imagination. C'est la Mythologie qui fait le fonds de leurs productions, et dont ils tirent leurs principaux ornements. Elle décore nos palais, nos galeries, nos plat-fonds et nos jardins. La fable est le patrimoine des Arts ; c'est une source inépuisable d'idées ingénieuses, d'images riantes, de sujets intéressants, d'allégories, d'emblêmes, dont l'usage plus ou moins heureux dépend du goût et du génie. Tout agit, tout respire dans ce monde enchanté, où les êtres intellectuels ont des corps, où les êtres matériels sont animés, où les campagnes, les forêts, les fleuves, les éléments, ont leurs divinités particulières ; personnages chimériques, je le sais, mais le rôle qu'ils jouent dans les écrits des anciens poètes, et les fréquentes allusions des poètes modernes, les ont presque réalisés pour nous. Nos yeux y sont familiarisés, au point que nous avons peine à les regarder comme des êtres imaginaires. On se persuade que leur histoire est le tableau défiguré des événements du premier âge : on veut y trouver une suite, une liaison, une vraisemblance qu'ils n'ont pas.

La critique croit faire assez de dépouiller les faits de la fable d'un merveilleux souvent absurde, et d'en sacrifier les détails pour en conserver le fonds. Il lui suffit d'avoir réduit les dieux au simple rang de héros, et les héros au rang des hommes, pour se croire en droit de défendre leur existence, quoique peut-être de tous les dieux du paganisme, Hercule, Castor, Pollux, et quelques autres, soient les seuls qui aient été véritablement des hommes. Evhemère, auteur de cette hypothèse qui sappait les fondements de la religion populaire, en paraissant l'expliquer, eut dans l'antiquité même un grand nombre de partisans ; et la foule des modernes s'est rangée de son avis.

Presque tous nos Mythologistes, peu d'accord entr'eux à l'égard des explications de détails, se réunissent en faveur d'un principe que la plupart supposent comme incontestable. C'est le point commun d'où ils partent ; leurs systèmes, malgré les contrarietés qui les distinguent, sont tous des édifices construits sur la même base, avec les mêmes matériaux, combinés différemment. Par-tout on voit donner l'evhémérisme, commenté d'une manière plus ou moins plausible.

Il faut avouer que cette réduction du merveilleux au naturel, est une des clés de la Mythologie grecque ; mais cette clé n'est ni la seule, ni la plus importante. Les Grecs, dit Strabon, étaient dans l'usage de proposer, sous l'enveloppe des fables, les idées qu'ils avaient non-seulement sur la Physique, et sur les autres objets relatifs à la nature et à la Philosophie, mais encore sur les faits de leur ancienne histoire.

Ce passage indique une différence essentielle entre les diverses espèces de fictions qui formaient le corps de la fable. Il en résulte que les unes avaient rapport à la Physique générale ; que les autres exprimaient des idées métaphysiques par des images sensibles ; que plusieurs enfin, conservaient quelques traces des premières traditions. Celles de cette troisième classe étaient les seules historiques ; et ce sont les seules qu'il soit permis à la saine critique de lier avec les faits connus des temps postérieurs. Elle doit y rétablir l'ordre, s'il est possible, y chercher un enchainement conforme à ce que nous savons de vraisemblable sur l'origine et le mélange des peuples, en dégager le fond des circonstances étrangères qui l'ont dénaturé d'âge en âge, l'envisager, en un mot, comme une introduction à l'histoire de l'antiquité.

Les fictions de cette classe ont un caractère propre, qui les distingue de celles dont le fonds est mystagogique ou philosophique. Ces dernières, assemblage confus de merveilles et d'absurdités, doivent être reléguées dans le chaos d'où l'esprit de système a prétendu vainement les tirer. Elles peuvent de-là fournir aux poètes des images et des allégories ; d'ailleurs, le spectacle qu'elles offrent à nos réflexions, tout étrange qu'il est, nous instruit par sa bizarrerie même. On y suit la marche de l'esprit humain ; on y découvre la trempe du génie national des Grecs. Ils eurent l'art d'imaginer, le talent de peindre, et le bonheur de sentir ; mais par un amour déréglé d'eux-mêmes et du merveilleux, ils abusèrent de ces heureux dons de la nature ; vains, légers, voluptueux et crédules, ils adoptèrent, aux dépens de la raison et des mœurs, tout ce qui pouvait autoriser la licence, flatter l'orgueil, et donner carrière aux spéculations métaphysiques.

La nature du polythéisme, tolérant par essence, permettait l'introduction des cultes étrangers ; et bien-tôt, ces cultes, naturalisés dans la Grèce, s'incorporaient aux rites anciens. Les dogmes et les usages confondus ensemble, formaient un tout dont les parties originairement peu d'accord entr'elles, n'étaient parvenues à se concilier qu'à force d'explications et de changements faits de part et d'autre. Les combinaisons par-tout arbitraires et susceptibles de variétés sans nombre, se diversifiaient, se multipliaient à l'infini suivant les lieux, les circonstances et les intérêts.

Les révolutions successivement arrivées dans les différentes contrées de la Grèce, le mélange de ses habitants, la diversité de leur origine, leur commerce avec les nations étrangères, l'ignorance du peuple, le fanatisme et la fourberie des prêtres, la subtilité des métaphysiciens, le caprice des poètes, les méprises des étymologistes, l'hyperbole si familière aux enthousiastes de toute espèce, la singularité des cérémonies, le secret des mystères, l'illusion des prestiges, tout influait à l'envi sur le fonds, sur la forme, sur toutes les branches de la Mythologie.

C'était un champ vague, mais immense et fertile, ouvert indifféremment à tous, que chacun s'appropriait, où chacun prenait à son gré l'essor, sans subordination, sans concert, sans cette intelligence mutuelle qui produit l'uniformité. Chaque pays, chaque territoire avait ses dieux, ses erreurs, ses pratiques religieuses, comme ses lois et ses coutumes. La même divinité changeait de nom, d'attributs, de fonctions en changeant de temple. Elle perdait dans une ville ce qu'elle avait usurpé dans une autre. Tant d'opinions en circulant de lieux en lieux, en se perpétuant de siècle en siècle, s'entrechoquaient, se mélaient, se séparaient ensuite pour se rejoindre plus loin ; et tantôt alliées, tantôt contraires, elles s'arrangeaient réciproquement de mille et mille façons différentes, comme la multitude des atomes épars dans le vide, se distribue, suivant Epicure, en corps de toute espèce, composés, organisés, détruits par le hasard.

Ce tableau suffit pour montrer qu'on ne doit pas à beaucoup près traiter la Mythologie comme l'histoire ; que, prétendre y trouver par-tout des faits, et des faits liés ensemble et revêtus de circonstances vraisemblables, ce serait substituer un nouveau système historique à celui que nous ont transmis, sur le premier âge de la Grèce, des écrivains tels qu'Herodote et Thucydide, témoins plus croyables lorsqu'ils déposent des antiquités de leur nation, que des mythologues modernes à leur égard, compilateurs sans critique et sans gout, ou même que des poètes dont le privilège est de feindre sans avoir l'intention de tromper.

La Mythologie n'est donc point un tout composé de parties correspondantes : c'est un corps informe, irrégulier, mais agréable dans les détails ; c'est le mélange confus des songes de l'imagination, des rêves de la Philosophie, et des debris de l'ancienne histoire. L'analyse en est impossible. Du-moins ne parviendra-t-on jamais à une décomposition assez savante pour être en état de déméler l'origine de chaque fiction, moins encore celle des détails dont chaque fiction est l'assemblage. La théogonie d'Hésiode et d'Homère est le fonds sur lequel ont travaillé tous les théologiens du paganisme, c'est-à-dire, les prêtres, les poètes et les philosophes. Mais à force de surcharger ce fonds, et de le défigurer même en l'embellissant, ils l'ont rendu méconnaissable ; &, faute de monuments, nous ne pouvons déterminer avec précision ce que la fable doit à tel ou tel poète en particulier, ce qui en appartient à tel ou tel peuple, à telle ou telle époque. C'en est assez pour juger dans combien d'erreurs sont tombés nos meilleurs auteurs, en voulant perpétuellement expliquer les fables, et les concilier avec l'histoire ancienne des divers peuples du monde.

L'un, entêté de ses Phéniciens, les trouve par-tout, et cherche dans les équivoques fréquentes de leur langue le dénouement de toutes les fables ; l'autre, charmé de l'antiquité de ses Egyptiens, les regarde comme les seuls pères de la Théologie et de la religion des Grecs, et croit découvrir l'explication de leurs fables dans les interprétations capricieuses de quelques hiéroglyphes obscurs ; d'autres, apercevant dans la bible quelques vestiges de l'ancien héroïsme, puisent l'origine des fables dans l'abus prétendu que les poètes firent des livres de Moïse qu'ils ne connaissaient pas ; &, sur les moindres ressemblances, font des parallèles forcés des héros de la fable et de ceux de l'Ecriture-sainte.

Tel de nos savants reconnait toutes les divinités du paganisme parmi les Syriens ; tel autre parmi les Celtes ; quelques-uns jusque chez les Germains et les Suédais ; chacun se conduit de la même manière que si les fables formaient chez les poètes un corps suivi fait par la même personne, dans un même temps, un même pays, et sur les mêmes principes.

Il y a environ vingt ans que parut un nouveau système mythologique, celui de l'auteur de l'histoire du ciel. M. Pluche s'est persuadé que l'Ecriture symbolique prise grossièrement dans le sens qu'elle présentait à l'oeil, au lieu d'être prise dans le sens qu'elle était destinée à présenter à l'esprit, a été non seulement le premier fonds de l'existence prétendue d'Isis, d'Osiris, et de leur fils Horus, mais encore de toute la Mythologie payenne. On vint, dit-il, à prendre pour des êtres réels des figures d'hommes et de femmes, qui avaient été imaginées pour peindre des besoins. En un mot, selon ce critique, d'ailleurs fort ingénieux dans ses explications, les dieux, les demi-dieux, tels qu'Hercule, Minos, Rhadamante, Castor et Pollux, ne sont point des hommes, ce sont de pures figures qui servaient d'instructions symboliques. Mais ce système singulier ne peut réellement se soutenir, parce que, loin d'être autorisé par l'antiquité, il la contredit sans cesse, et en sappe toute l'histoire de fond en comble. Or, s'il y a des faits dont les Sceptiques eux-mêmes auraient peine à douter dans leurs moments raisonnables, c'est que certains dieux, ou demi-dieux du paganisme, ont été des hommes déifiés après leur mort ; honneur dont ils étaient redevables aux bienfaits procurés par eux à leurs citoyens, ou au genre humain en général.

Ainsi nos écrivains se sont jetés dans mille erreurs différentes, pour vouloir nous donner des explications suivies de toute la Mythologie. Chacun y a découvert ce que son génie particulier et le plan de ses études l'ont porté à y chercher. Que dis-je ! le physicien y trouve par allégorie les mystères de la nature ; le politique, les raffinements de la sagesse des gouvernements ; le philosophe, la plus belle morale ; le chimiste même, les secrets de son art. Enfin, chacun a regardé la fable comme un pays de conquête, où il a cru avoir droit de faire des irruptions conformes à son goût et à ses intérêts.

On a indiqué, au mot FABLE, le précis des recherches de M. l'abbé Banier sur ses différentes sources : il est également agréable et utîle de lire ses explications de toute la Mythologie ; mais on trouvera des morceaux plus approfondis par M. Freret sur cette matière, dans le Recueil de l'académie des Belles-Lettres. (D.J.)