S. m. (Belles Lettres) c'était chez les Grecs une sorte de poésie consacrée à Bacchus, dont il est plus facîle d'assigner le caractère que de trouver la véritable étymologie.

Ceux qui la cherchent dans la langue grecque sont peu d'accord entr'eux. Les uns la tirent de la double naissance de Bacchus selon les fictions des poètes () ; les autres de l'antre à deux portes où il fut nourri () ; d'autres du cri de Jupiter connu en ces termes, , décous la suture, par laquelle ce dieu en travail demandait à être promptement délivré de l'enfant qu'il portait dans sa cuisse ; ceux-là de l'éloquence communiquée par le vin aux buveurs, à qui cette liqueur semble ouvrir deux bouches à la fois . Quelques-uns peu contens de ces étymologies grecques, suivant lesquelles la première syllabe du mot devrait être breve, croient mieux trouver leur compte dans les langues orientales où ils en vont chercher d'autres.

On n'est pas moins partagé sur le premier auteur de la poésie dithyrambique ; selon Hérodote ce fut le fameux Arion de Méthymne qui en donna les premières leçons à Corinthe ; Clément d'Alexandrie en fait honneur à Lasus ou Lassus d'Hermione, ainsi que le scholiaste de Pindare, qui de plus nous apprend que ce poète lui-même variait sur le lieu où cette sorte de poésie avait pris naissance, disant dans ses hyporchémes que c'était dans l'île de Naxos ; dans le premier livre de ses dithyrambes que c'était à Thebes, et dans ses olympiques que c'était à Corinthe. Quoi qu'il en soit des premiers auteurs de cette poésie, il y a beaucoup d'apparence qu'elle doit son origine à ces assemblées rustiques de buveurs, chez qui le vin seul échauffant le génie, développait cet enthousiasme et cette fureur poétique, qui faisait pour ainsi dire l'âme du dithyrambe.

De-là comme d'une source féconde partaient six principales qualités ou propriétés qui caractérisaient cette espèce de poésie ; savoir, 1°. la composition trop licentieuse de plusieurs noms joints ensemble, et d'où naissaient des expressions nouvelles empoulées, propres à surprendre l'oreille : 2°. des métaphores tirées de trop loin, trop dures, trop hardies, trop compliquées : 3°. des renversements de construction trop fréquents et trop embarrassés : 4°. le désordre apparent dans la disposition ou l'arrangement des pensées, quelquefois vraiment sublimes, souvent alambiquées ou trop guindées, et qui étourdissaient l'auditeur sans qu'il connut bien distinctement ce qu'il venait d'entendre : 5°. une versification trop libre et trop affranchie de la plupart des règles : 6°. l'harmonie ou la modulation phrygienne sur laquelle on chantait cette poésie mise en musique. Tous ces caractères réunis, prouvent que l'excellence du dithyrambe approchait fort du galimathias.

Ces caractères des dithyrambes se font sentir à ceux qui lisent attentivement les odes de Pindare, ainsi que les chœurs des tragédies et des comédies grecques, quoiqu'on ne doive absolument regarder ni les unes, ni les autres, comme des poèmes dithyrambiques. Il nous reste cependant, sans compter la Cassandre de Lycophron, quelques morceaux de ce dernier genre sur lesquels on pourra s'en former une idée complete en consultant les institutions poétiques de Vossius liv. III. et la dissertation d'Erasme Schmid de dithyrambis, imprimée à la fin de son Pindare. Remarque de M. Burette sur le dialogue de Plutarque sur la musique. Mem. de l'acad. des Belles Lettres.

Les dithyrambes, par ce qu'on vient de voir, étaient différents de ce que nous appelons vers libres, et de ce que les Italiens nomment versi sciolti. Les uns et les autres n'admettent ni les licences, ni les singularités qui regnaient dans les anciens dithyrambes. C'est donc fort improprement aussi que quelques modernes, tels que M. Dacier et le P. Commire, ont donné le nom de dithyrambes composés à toutes sortes de vers indifféremment, selon qu'ils se présentaient à leur imagination, sans ordre ni distinction de strophes. Ce n'est-là pour ainsi dire que l'écorce la plus superficielle des anciens dithyrambes.

Jodelle qui vivait sous le règne d'Henri II. ayant donné sa tragédie de Cléopatre qui fut extrêmement applaudie, les poètes, ses contemporains, pour le féliciter, imaginèrent une cérémonie singulière : ce fut de mener en pompe chez lui un bouc couronné de lierre, et de le complimenter en corps ; et comme ils se piquaient tous d'imiter les Grecs, " la fête dit M. de Fontenelle, dans son histoire du théâtre Français, fut accompagnée de vers ; et comme elle regardait Bacchus le dieu du théâtre, pouvait-on faire d'autres sortes de vers que des dithyrambes ? Il n'y avait pas d'apparence, cela aurait été contre toutes les règles. La plupart des poètes du temps firent donc des dithyrambes. Je rapporterai, ajoute le même auteur, quelques morceaux de celui de Baïf, parce qu'il est assez curieux, et tout à fait à la grecque. "

Au dieu Bacchus sacron de cette fête,

Bacchique brigade,

Qu'en gaye gambade

Le lierre on secoue,

Qui nous ceint la tête ;

Qu'on joue,

Qu'on trépigne,

Qu'on fasse maint tour

Alentour

Du bouc qui nous guigne.

Se voyant environné

De notre essaim couronné,

Du lierre ami des vineuses carolles ;

Yach, Evoè, yach, ïa, ha, &c.

Cet Yach, évoè, yach, etc. est le refrain de tous les couplets.

C'est ce doux dieu qui vous pousse,

Esprits de sa fureur douce,

A ressusciter le joyeux mystère

De ses gayes orgies

Par l'ignorance abolies...

O père Evien !

Bacche Dithyrambe,

Qui retiré de la souffleuse jambe,

Dedants l'antre Nysien,

Aux Nysides tes nourrices,

Par ton deux fois père,

Meurtrier de ta mère,

Fut baillé jadis à nourrir...

Dieu brise souci ?

O Nyctelien !

O Sémelien !

Demon aime dance...

" Quel jargon, poursuit M. de Fontenelle... cependant il faut rendre justice à Baïf, ce jargon, ces mots forgés, ce galimathias, tout cela selon l'idée des anciens, est fort dithyrambique ". Cette plaisanterie est placée, car les anciens dithyrambes étaient encore plus obscurs, plus empoulés, et d'une composition plus extraordinaire que ces vers de Baïf. (G)