S. m. (Belles Lettres) ministre de la religion chez les peuples de la Grande-Bretagne, les Germains, et les anciens Gaulois. Les druides réunissaient le sacerdoce et l'autorité politique, avec un pouvoir presque souverain.

Ils tenaient le premier rang dans les Gaules, tandis que les nobles occupaient le second, et que le peuple languissait dans la servitude et dans l'ignorance. Diogène Laèrce dit aussi qu'ils étaient chez les anciens Bretons dans le même rang que les philosophes étaient chez les Grecs, les mages chez les Persans, les gymnosophistes chez les Indiens, et les sages chez les Chaldéens : mais ils étaient bien plus que tout cela.

Rien ne se faisait dans les affaires publiques, religieuses et civiles, sans leur aveu. De plus ils présidaient à tous les sacrifices, et avaient soin de tout ce qui concernait la religion dont ils étaient chargés. La jeunesse gauloise accourait à leur école en très-grand nombre pour se faire instruire, et cependant ils n'enseignaient que les principaux et les plus distingués de cette jeunesse, au rapport de Mela. César nous apprend qu'ils jugeaient aussi toutes les contestations ; car la religion ne leur fournissait pas seulement un motif de prendre part au gouvernement, mais ils prétendaient encore qu'elle les autorisait à se mêler des affaires des particuliers : c'est pourquoi ils connaissaient des meurtres, des successions, des bornes, des limites, et décernaient ensuite les récompenses et les châtiments.

Sous prétexte qu'il n'y a point d'action où la religion ne soit intéressée, ils s'attribuaient le droit d'exclure des sacrifices ceux qui refusaient de se soumettre à leurs arrêts ; et ils se rendirent par ce moyen très-redoutables. L'espèce d'excommunication qu'ils lançaient était si honteuse, que personne ne voulait avoir commerce avec celui qui en avait été frappé.

Au milieu des forêts où ils tenaient leurs assises, ils terminaient les différends des peuples. Ils étaient les arbitres de la paix et de la guerre, exempts de servir dans les armées, de payer aucun tribut, et d'avoir aucune sorte de charges, tant civiles que militaires. Les généraux n'osaient livrer bataille qu'après les avoir consultés ; et Strabon assure qu'ils avaient eu quelquefois le crédit d'arrêter des armées qui couraient au combat, les faire convenir d'un armistice, et leur donner la paix. Leurs jugements subsistaient sans appel ; et le peuple était persuadé que la puissance et le bonheur de l'état dépendaient du bonheur des druides, et des honneurs qu'on leur rendait.

Indépendamment des fonctions religieuses, de la législation, et de l'administration de la justice, les druides exerçaient encore la Médecine, ou si l'on veut, employaient des pratiques superstitieuses pour le traitement des maladies ; il n'importe : c'est toujours à-dire, suivant l'excellente remarque de M. Duclos, qu'ils jouissaient de tout ce qui affermit l'autorité et subjugue les hommes, l'espérance et la crainte.

Leur chef était le souverain de la nation ; et son autorité absolue fondée sur le respect des peuples, se fortifia par le nombre de prêtres qui lui étaient soumis ; nombre si prodigieux, qu'Etienne de Bysance en parle comme d'un peuple. Après la mort du grand pontife, le plus considérable des druides parvenait par élection à cette éminente dignité, qui était tellement briguée, qu'il fallait quelquefois en venir aux armes, avant que de faire un choix.

Passons aux différents ordres des druides, à leur genre de vie, à leurs lais, leurs maximes, et leurs dogmes. On ne peut s'empêcher d'y prendre encore un certain intérêt mêlé de curiosité.

Strabon distingue trois principaux ordres de druides ; les druides proprement nommés qui tenaient le premier rang parmi les Gaulois, les bardes, les vacerres, et les eubages.

Les premiers étaient chargés des sacrifices, des prières, et de l'interprétation des dogmes de la religion : à eux seuls appartenait la législation, l'administration de la justice, et l'instruction de la jeunesse dans les Sciences, surtout dans celle de la divination, cette chimère qui a toujours eu tant de partisans.

Les bardes étaient commis pour chanter des vers à la louange de la divinité, des dieux, si on l'aime mieux, et des hommes illustres. Ils jouaient des instruments, et chantaient à la tête des armées avant et après le combat, pour exciter et louer la vertu des soldats, ou blâmer ceux qui avaient trahi leur devoir.

Les vacerres ou les vates offraient les sacrifices, et vaquaient à la contemplation de la nature, c'est-à-dire de la lune et des bois.

Les eubages tiraient des augures des victimes ; ce sont peut-être les mêmes que les saronides de Diodore de Sicile, comme les vacerres étaient ceux auxquels on a donné le nom grec de samothées.

Il y avait aussi des fonctions du sacerdoce, telle que la prophétie, la divination, exercées par les femmes de druides ou de la race des druides ; et on les consultait sur ce sujet, ainsi qu'on faisait les prêtresses de Delphes. Les auteurs de l'histoire d'Auguste, et entr'autres Lampridius et Vopiscus, en parlent, et même les font prophétiser juste. Vopiscus rapporte qu'Aurélien consulta les femmes druides pour savoir si l'empire demeurerait dans sa maison, et qu'elles lui répondirent que le nom de nul autre ne serait plus glorieux que celui des descendants de Claude. Ce fut une druide tongraise qui, selon le même Vopiscus, prédit à Dioclétien qu'il serait empereur. Une autre druide, selon Lampridius, consultée par Alexandre Sevère sur le sort qui l'attendait, lui répondit qu'il ne serait point heureux. Revenons aux druides mâles.

Leurs chefs portaient une robe blanche ceinte d'une bande de cuir doré, un rochet, et un bonnet blanc tout simple ; leur souverain prêtre était distingué par une houppe de laine, avec deux bandes d'étoffes qui pendaient derrière comme aux mitres des évêques. Les bardes portaient un habit brun, un manteau de même étoffe attaché à une agraphe de bois, et un capuchon pareil aux capes de Béarn, et à peu près semblable à celui des récollets.

Ces prêtres, du moins ceux qui étaient revêtus du sacerdoce, se retiraient, hors les temps de leurs fonctions publiques, dans des cellules au milieu des forêts. C'était-là qu'ils enseignaient les jeunes gens les plus distingués qui venaient eux-mêmes se donner à eux, ou que leurs parents y poussaient. Dans ce nombre, ceux qui voulaient entrer dans leur corps, devaient en être dignes par leurs vertus, ou s'en rendre capables par vingt années d'étude, pendant lequel temps il n'était pas permis d'écrire la moindre chose des leçons qu'on recevait ; il fallait tout apprendre par cœur, ce qui s'exécutait par le secours des vers.

Le premier, et originairement l'unique collège des druides Gaulois, était dans le pays des Carnutes ou le pays chartrain, peut-être entre Chartres et Dreux. César nous apprend dans ses commentaires, liv. VI. que c'était-là que l'on tenait chaque année une assemblée générale de tous les druides de cette partie de la Gaule, et qu'on l'appelait Gallia comata. C'était-là qu'ils faisaient leurs sacrifices publics. C'était-là qu'ils coupaient tous les ans avec tant d'appareil le gui de chêne, si connu par la description détaillée de Pline. Les druides, après l'avoir cueilli, le distribuaient par forme d'étrennes au commencement de l'année ; d'où est venu la coutume du peuple chartrain de nommer les présents qu'on fait encore à pareil jour, aiguilabes, pour dire le gui de l'an neuf.

Leurs autres principales demeures chez les Gaulois étaient dans le pays des Héduents ou l'Autunais, et des Madubiens, c'est-à-dire l'Auxais. Il y a dans ces endroits des lieux qui ont conservé jusqu'à présent le nom des druides, témoin dans l'Auxais, le mont Dru.

Les états ou grands jours qui se tenaient réglément à Chartres tous les ans, lors du grand sacrifice, délibéraient et prononçaient sur toutes les affaires d'importance, et qui concernaient la république. Lorsque les sacrifices solennels étaient finis et les états séparés, les druides se retiraient dans les différents cantons où ils étaient chargés du sacerdoce ; et là ils se livraient dans le plus épais des forêts à la prière et à la contemplation. Ils n'avaient point d'autres temples que leurs bois ; et ils croyaient que d'en élever, c'eut été renfermer la divinité qui ne peut être circonscrite.

Les principaux objets des lais, de la morale, et de la discipline des druides, du moins ceux qui sont parvenus à notre connaissance, étaient :

La distinction des fonctions des prêtres.

L'obligation d'assister à leurs instructions et aux sacrifices solennels.

Celle d'être enseigné dans les bocages sacrés.

La loi de ne confier le secret des Sciences qu'à la mémoire.

La défense de disputer des matières de religion et de politique, excepté à ceux qui avaient l'administration de l'une ou de l'autre au nom de la république.

Celle de révéler aux étrangers les mystères sacrés.

Celle du commerce extérieur sans congé.

La permission aux femmes de juger les affaires particulières pour fait d'injures. Nos mœurs, dit à ce sujet M. Duclos, semblent avoir remplacé les lois de nos ancêtres.

Les peines contre l'oisiveté, le larcin et le meurtre, qui en sont les suites.

L'obligation d'établir des hôpitaux.

Celle de l'éducation des enfants élevés en commun hors de la présence de leurs parents.

Les ordonnances sur les devoirs qu'on devait rendre aux morts. C'était, par exemple, honorer leur mémoire, que de conserver leurs cranes, de les faire border d'or ou d'argent, et de s'en servir pour boire.

Chacune de ces lois fournirait bien des réflexions ; mais il faut les laisser faire.

Voici quelques autres maximes des druides que nous transcrirons nuement et sans aucune remarque.

Tous les pères de famille sont rois dans leurs maisons, et ont une puissance absolue de vie et de mort.

Le gui doit être cueilli très-respectueusement avec une serpe d'or, et s'il est possible, à la sixième lune ; étant mis en poudre, il rend les femmes fécondes.

La lune guérit tout, comme son nom celtique le porte.

Les prisonniers de guerre doivent être égorgés sur les autels.

Dans les cas extraordinaires il faut immoler un homme. Aussi Pline, liv. XXX. chap. j. Suétone dans la vie de Claude ; et Diodore de Sicile, liv. VI. leur reprochent ces sacrifices barbares.

Il serait à souhaiter que nous eussions plus de connaissance des dogmes des druides que nous n'en avons ; mais les différents auteurs qui en ont parlé, ne s'accordent point ensemble. Les uns prétendent qu'ils admettaient l'immortalité de l'âme, et d'autres qu'ils adoptaient le système de la métempsycose. Tacite de même que César, disent qu'ils donnaient les noms de leurs dieux aux bois ou bosquets dans lesquels ils célébraient leur culte. Origène prétend au contraire que la Grande-Bretagne était préparée à l'évangîle par la doctrine des druides, qui enseignaient l'unité d'un Dieu créateur. Chaque auteur dans ces matières n'a peut-être parlé que d'après ses préjugés. Après tout il n'est pas surprenant qu'on connaisse mal la religion des druides, puisqu'ils n'en écrivaient rien, et que leurs lois défendaient d'en révéler les dogmes aux étrangers. Quoi qu'il en sait, leur religion s'est conservée longtemps dans la Grande-Bretagne, aussi-bien que dans les Gaules ; elle passa même en Italie, comme il parait par la défense que l'empereur Auguste fit aux Romains d'en célébrer les mystères ; et l'exercice en fut continué dans les Gaules jusqu'au temps où Tibere craignant qu'il ne devint une occasion de révolte, fit massacrer les druides et raser tous leurs bois.

On s'est fort attaché à chercher l'origine du nom de druide, genre de recherche rarement utile, et presque toujours terminé par l'incertitude. Il ne faut pour s'en convaincre, que lire dans le dictionnaire de Trévoux la longue liste des diverses conjectures étymologiques imaginées sur ce mot, et encore a-t-on oublié de rapporter la plus naturelle, celle de M. Freret, qui dérive le nom de druide des deux mots celtiques dé, dieu, et rhouid, dire. En effet les druides étaient les seuls auxquels il appartenait de parler des dieux, les seuls interpretes de leurs volontés. D'ailleurs comme César nous apprend que ceux qui voulaient acquérir une connaissance profonde de la religion des druides, allaient l'étudier dans l'île britannique ; il est vraisemblable qu'on doit chercher avec M. Freret dans la langue galloise et irlandaise, l'étymologie, l'orthographe, et la prononciation du nom de druide.

Mais quel que soit ce nom dans son origine, comme tout est sujet au changement, le Christianisme l'a rendu aussi odieux dans les royaumes de la Grande-Bretagne, qu'il avait été jusqu'alors respectable. On ne le donne plus dans les langues galloise et irlandaise, qu'aux sorciers et aux devins.

Au reste j'ai lu avec avidité quelques ouvrages qui ont traité cette matière, à la tête desquels on peut mettre sans contredit un mémoire de M. Duclos. J'ai parcouru attentivement Diodore de Sicile, Pline, Tacite, César, Suétone, parmi les anciens ; et entre les modernes, Picard de priscâ celtopaediâ, Vossius de idolatriâ ; divers historiens d'Angleterre et de France, comme Cambden dans sa Britannia ; Dupleix, mémoires des Gaules ; Goulu, mémoire de la Franche-Comté ; Rouillard, histoire de Chartres, etc. Mais se proposer de tirer de la plupart de ces auteurs des faits certains, sur le rang et les fonctions des druides, leurs divers ordres, leurs principes, et leur culte, c'est en créer l'histoire. Article de M. le Chevalier DE JAUCOURT.