(Littérature) voyez REPAS.

FESTINS ROYAUX. On n'a point dans cet article le vaste dessein de traiter des festins royaux que l'histoire ancienne nous a décrits, encore moins de ceux de tant de princes d'Europe qui, pendant les siècles obscurs qui ont suivi la chute de l'Empire, ne se sont montrés magnifiques dans les occasions éclatantes, que par une profusion déplacée, une pompe gigantesque, une morgue insultante. Ces assemblées tumultueuses, presque toujours la source des vaines disputes sur le rang, ne finissaient guère que par la grossiereté des injures, et par l'effusion du sang des convives. V. hist. de France de Daniel, et Mezeray, etc.

Les festins, dégoutants pour les siècles où la politesse et le goût nous ont enfin liés par les mœurs aimables d'une société douce, n'offrent rien qui mérite qu'on les rappelle au souvenir des hommes ; il suffit de leur faire apercevoir en passant que, c'est le charme et le progrès des arts qui seul en a successivement délivré l'humanité.

Par le titre de cet article nous désignons ces banquets extraordinaires que nos Rois daignent quelquefois accepter dans le sein de leur capitale ou en d'autres lieux, à la suite des grandes cérémonies, telle que fut celle du sacre à Rheims en 1722, le mariage de S. M. en 1725, etc.

C'est un doux spectacle pour un peuple aussi tendrement attaché à son Roi, de le voir au milieu de ses magistrats s'entretenir avec bonté dans le sein de la capitale, avec les personnages établis pour représenter le monarque et pour gouverner les sujets.

Ces occasions sont toujours l'objet d'une réjouissance générale, et l'hôtel de ville de Paris y déploie, pour signaler son zèle, sa joie et sa reconnaissance, le goût le plus exquis, les soins les plus élégans, les dépenses les mieux ordonnées.

Tels furent les arrangements magnifiques qui se déployèrent le 15 Novembre 1744, jour solennel où le Roi, à son retour de Metz, vint jouir des transports d'amour et de joie d'un peuple qui venait de trembler pour ses jours.

Nous donnons le détail de ces festins, 1°. parce qu'ils ont été occasionnés par les événements les plus intéressants ; 2°. parce que les décorations qui les ont accompagnés appartiennent à l'histoire des Arts ; 3°. enfin parce qu'il est bon de conserver le cérémonial observé dans ces sortes d'occasions.

Décoration générale pour le festin royal du 15 Novembre 1744.

La décoration de la place devant l'hôtel de ville, était.

Un arc de triomphe placé entre la maison appelée le coin du roi, et la maison qui fait encoignure sur la place du côté du quai.

Cet arc de triomphe avait 70 pieds de face sur 87 pieds d'élevation, et d'un ordre d'architecture régulier, représentant un grand portique. Il était orné de quatre colonnes grouppées, d'ordre ionique, sur la principale face : et de quatre colonnes isolées sur les deux retours ; un grand attique au-dessus de l'entablement, sur lequel était un grouppe de relief de 48 pieds de face sur 28 pieds de haut, représentait le Roi couronné de laurier par une renommée placée debout dans un char tiré par quatre chevaux, dont le Roi tenait les rênes d'une main, et un bâton de commandant de l'autre. Plusieurs trophées de guerre et de victoire ornaient la face et le retour de cet attique.

Quatre figures allégoriques étaient placées sur les pié-d'estaux, entre les colonnes.

Les deux sur la face principale, représentaient la paix et la victoire ayant ces mots écrits au-dessous, aut haec, aut illa.

Le grand édifice était construit en relief, et peint de différents marbres.

Au-devant de l'attique et au-dessous du Roi, étaient écrits en lettres d'or sur un fond de marbre, en deux lignes, Ludovico redivivo, Ludovico triumphatori.

Le pourtour de la place de l'hôtel de ville était décoré par une colonnade divisée en quinze grouppes d'ordre ionique et de relief, montés sur des socles et pié-d'estaux, et couronnés de leur entablement : au-dessus de ces grouppes étaient dressés des trophées dorés, représentant différents attributs de guerre et de victoire.

Cette colonnade était peinte de différents marbres, dont les bases et chapiteaux étaient dorés. Les fûts des colonnes étaient ornés de guirlandes de lauriers. D'un grouppe à l'autre de cette colonnade partaient des guirlandes pareilles, qui formaient un entablement à l'autre.

Les fonds des piés-d'estaux étaient ornés de trophées peints en bronze doré, et représentaient différents attributs de victoire.

La face extérieure de l'hôtel de ville avait été nettoyée et reblanchie en toute sa hauteur, y compris les pavillons et les cheminées ; le cadran peint à neuf et redoré, ainsi que les inscriptions ; la statue équestre d'Henri IV. rebronzée, et la porte principale peinte et redorée.

Au-dessus et au-dehors de la croisée du milieu, était placée une grande couronne royale en verre transparent et de couleur, ornée de pentes de gaze d'or et de taffetas cramoisi, qui descendaient jusque sur l'appui de cette croisée.

Au milieu de la place ordinaire aux canons, au bas du quai Pelletier, était représenté par des décorations un corps de fontaine dont l'architecture était traitée en pierre, et d'une construction rustique.

La calotte et le dessus de l'entablement étaient ornés de trophées et attributs convenables à la fontaine et à l'objet de la fête.

Dans l'intérieur de cette fontaine était placée une grande cuve qui avait été remplie de douze muids de vin, qui fut distribué au peuple par trois faces de cette fontaine : elle commença à couler au moment de l'arrivée du Roi à l'hôtel de ville, et ne cessa qu'après son départ.

A côté de cette fontaine, et adossé au mur du quai, était dressé un amphithéâtre par gradins, orné de décorations, sur lequel étaient placés des musiciens qui jouèrent de toutes espèces d'instruments toute la journée et bien avant dans la nuit.

Aux deux côtés de cet amphithéâtre étaient disposés deux espèces de balcons ornés de décorations, et c'était par-là que se faisait la distribution au peuple, du pain et des viandes.

La place au centre de laquelle était cette fontaine, était entourée de plusieurs poteaux qui formaient un parc de toute l'étendue de la place ; sur lesquels étaient des girandoles dorées, garnies de forts lampions.

Ces poteaux étaient ornés et entourés de laurier, dont l'effet formait un coup-d'oeil agréable, pour représenter des arbres lumineux.

D'une tête de poteau à une autre étaient suspendues en festons à double rang, une quantité considérable de lampes de Surene *, qui se continuaient au pourtour de la place.

Le pourtour de la barrière de l'hôtel de ville était fermé de cloisons de planches peintes en pierres, pour empêcher le peuple d'entrer dans l'intérieur du perron.

Les murs de face de la cour, les inscriptions et armoiries ont été blanchis, ainsi que le pourtour du péristile, les murs, voutes, escaliers, corridors et passages de dégagement.

Sur le pallier du milieu du grand escalier étaient deux lustres de crystal, et plusieurs girandoles en cire le long des murs des deux rampes.

La grande salle n'avait point de pièce qui la précédât : on construisit une antichambre ou salle des gardes, de plain-pié à la grande salle ; on la prit sur la cour, et le dessous forma par cet ordre un péristîle au rez de chaussée de la cour.

Cette salle des gardes était construite d'une solide

* Ce nom leur a été donné du lieu où elles furent inventées pendant le cours des fêtes que l'électeur de Bavière donna à Surene. Voyez LAMPES et SURENE.

charpente et maçonnerie, elle procurait une entrée à la grande salle par son milieu ; et loin de gâter la symétrie et l'ordonnance de la cour, elle l'a rendait plus régulière.

Les sept fenêtres de la grande salle furent garnies de grandes croisées neuves à grands carreaux et à deux battants, avec des espagnolettes bronzées.

Le pourtour de la salle était décoré d'un lambris d'appui : les cadres et les panneaux en étaient dorés.

Les murs, trumeaux, embrasements et plafonds des croisées de cette salle, ainsi que le pourtour des tableaux, étaient recouverts de damas cramoisi en toute la hauteur, bordé d'un double galon d'or.

Le dessus de la nouvelle porte d'entrée était orné d'un grand panneau d'étoffe cramoisi, enrichi d'un grand cartouche qui renfermait le chiffre du Roi.

Toutes les croisées étaient garnies de rideaux de taffetas cramoisi, bordé d'un galon d'or, avec frange au pourtour.

Les portières ouvertes et feintes étaient de damas cramoisi, et garnies d'un double galon d'or.

La peinture et dorure de ces portes avaient été renouvellées, et toutes les ferrures des portes et des croisées étaient bronzées.

La salle était garnie de banquettes cramoisi : sur la cheminée, du côté de la chambre qui était destinée au Roi, était placé un riche dais, sur la queuè duquel était le portrait de S. M.

Ce dais était de damas cramoisi, chargé de galons d'or, et des aigrettes de plumes blanches au-dessus.

Le buste du Roi, en marbre blanc, était placé au-dessous de ce tableau, sur une console dorée.

Le trumeaux des fenêtres étaient garnis chacun de trois girandoles de crystal, posées sur des consoles richement sculptées et dorées.

Le mur opposé aux trumeaux était pareillement garni de girandoles disposées avec symétrie.

Dans la longueur de la grande salle pendaient quatorze beaux lustres de forts crystaux disposés en rangs en des dispositions variées, mais relatives entr'eux, et d'une symétrie fort élégante.

Dans cette grande salle était dressé, dans l'angle à côté de la cheminée, un amphithéâtre en gradins, sur lequel étaient placés soixante musiciens qui devaient exécuter des morceaux de musique pendant le festin du Roi.

Cet amphithéâtre était couvert tout-autour de damas cramoisi galonné d'or.

Le grand buffet de vermeil de la ville était dressé dans l'angle de l'autre cheminée, vis-à-vis de l'amphithéâtre où était la symphonie.

Les deux cheminées étaient garnies de grandes grilles neuves, ornées de belles et grandes figures de bronze doré.

Le plancher de la salle était couvert de tapis de Turquie, et d'un double tapis de perse à l'endroit où le Roi devait se mettre à table.

La table pour le festin du Roi, que S. M. avait permis que l'on dressât avant son arrivée, était placée dans cette grande salle. Elle avait trente pieds de longueur sur huit pieds de large ; elle était composée de neuf parties, sur quatre pieds brisés en forme de pieds de biche : elle avait été faite pour trente-deux couverts.

Les appartements destinés pour le Roi, pour la Reine, pour monseigneur le Dauphin, pour Mesdames, étaient décorés avec la plus grande magnificence ; mais la Reine et Mesdames ne vinrent point à l'hôtel de ville.

Décoration de la cour de l'Hôtel-de-Ville.

Aux deux côtés de la statue de Louis XIV. étaient deux grand lis de fer-blanc, garnis d'un grand nombre de forts lampions.

Au-devant de chaque colonne du premier ordre étaient des torches dorées, portant chacune des girandoles dorées à neuf branches, garnies de bougies.

Le surplis de ces colonnes, jusqu'à leurs chapiteaux, était garni de deux panneaux de lampions, dont le supérieur formait un cœur.

Au centre de chaque arcade était suspendu un lustre de crystal, au-dessus duquel était une agraffe dorée, d'où sortaient des festons et chutes de fleurs d'Italie.

Les embrasements de chaque arcade étaient garnis de girandoles dorées à cinq branches. L'architecture de ce premier ordre était garnie d'un fil de lampions au pourtour.

Le dessus de l'entablement était garni de falots. Les colonnes du second ordre étaient décorées et garnies chacune d'un génie de ronde bosse d'or, portant d'une main une girandole dorée à sept branches, et de l'autre main tenant une branche de laurier qui montait en tournant autour du fût de la colonne jusqu'au chapiteau : cette branche de laurier était dorée.

Dans la frise de l'entablement, au-dessus des colonnes, étaient des médaillons d'or à fond d'azur, avec fleurs-de-lis et chiffres alternativement rehaussés d'or.

Au centre de chacune des croisées ceintrées était placé un lustre de crystal, suspendu par un nœud doré.

Au-dessus de chaque lustre était une grande agraffe dorée, d'où sortaient des festons aussi dorés.

Au-dessus de l'entablement du second ordre étaient placées des lanternes de verre, formant pavillons au-dessus des colonnes, et festons au-dessus des croisées ceintrées.

Au-devant de la lucarne, au-dessus de la statue du roi, était un tableau transparent, avec une inscription portant ces mots : Recepto Caesare felix. Le nouveau péristîle était orné de lustres de crystal, et de girandoles dorées sur les colonnes et les embrasements des arcades.

L'ancien péristîle était orné de cinq lustres de crystal, dont celui du milieu en face du premier escalier, était à vingt-quatre branches, avec festons et chutes de fleurs d'Italie qui formaient un pavillon.

Sur le pallier du milieu du grand escalier était un lustre, aussi bien que dans le vestibule et dans tous les corridors.

Marche du Roi.

Sur les deux heures le Roi partit du château des Tuileries ; ayant devant et derrière ses carrosses les gendarmes, chevaux-legers, les deux compagnies des mousquetaires, et ses gardes-du-corps.

Comme la route de sa Majesté était par la rue S. Honoré, celle du Roule, et celle de la Monnaie, la ville avait fait élever pour son passage une fontaine de vin à la croix du Trahoir, et on y distribuait au peuple du vin et de la viande. Sa Majesté étant au commencement du quai de Gesvres, les boites et les canons de la ville firent une décharge, et le conduisirent à ce bruit jusque dans l'hôtel de ville.

Sa Majesté étant arrivée dans la place, y trouva les gardes françaises et suisses ; les gendarmes et les chevaux-legers filèrent du côté de la rue du Mouton, et les mousquetaires allèrent par-dessus le port pour se poster à la place aux Veaux.

Lorsque le Roi fut arrivé près la barrière de l'hôtel de ville avec ses gardes-du-corps, il fut reçu à la descente de son carrosse par le prevôt des marchands et les échevins, qui mirent un genou à terre : ils furent présentés par M. le duc de Gesvres comme gouverneur, et conduit par M. Desgranges maître des cérémonies.

M. le prevôt des marchands complimenta sa Majesté, laquelle répondit avec sa bonté naturelle ; et sa Majesté s'étant mise en marche pour monter l'escalier, les prevôt des marchands et échevins passèrent avant sa Majesté, laquelle trouva sur le haut de l'escalier les gardes-du-corps en haie et sous les armes.

Elle fut conduite dans la grande salle en passant par la salle des gardes, et de-là dans son appartement, dont la porte était gardée par les huissiers de la chambre, et qui avaient sous leurs ordres des garçons, que la ville avait fait habiller de drap bleu galonné en argent, pour servir de garçons de la chambre, tant chez le Roi que dans l'appartement de monseigneur le Dauphin.

Monseigneur le Dauphin qui était arrivé avec le Roi, de même que les princes et autres seigneurs, le suivirent dans son appartement.

Les prevôt des marchands et échevins s'étaient tenus dans la grande salle ; le Roi ordonna de les faire entrer et M. le gouverneur les présenta à sa Majesté tous ensemble, et chacun en particulier.

Quelque temps après M. le prevôt des marchands eut l'honneur de présenter un livre relié en maroquin bleu sur vélin et en lettres d'or, à sa Majesté, à monseigneur le Dauphin, et aux princes. Il contenait une ode faite pour la circonstance, et qui fut exécutée en musique pendant le festin de sa Majesté.

Sur les trois heures M. le prevôt des marchands, qui était sorti un instant de l'appartement du Roi, y rentra, et eut l'honneur de dire à sa Majesté qu'elle était servie. Le Roi sortit de son appartement, passa dans la grande salle, et se mit à table.

Pendant le festin, l'ode qui avait été présentée au Roi fut exécutée ; et il y eut d'autres morceaux de musique exécutés par la symphonie. Pendant le festin, M. le prevôt des marchands eut l'honneur de servir le Roi.

Outre la table de sa Majesté, il y avait plusieurs tables pour les seigneurs et les personnes de considération, qui n'avaient pas été nommées pour la table du Roi, Il y avait aussi des tables pour les personnes de la suite du Roi, pour les gardes-du-corps, les pages, etc.

Après le festin, le Roi et monseigneur le Dauphin passèrent dans leur appartement. Le Roi regarda par ses croisées l'illumination de la place.

Toutes les parties principales de l'architecture de l'arc de triomphe étaient dessinées et représentées en illumination et en relief, suivant leurs saillies et contours ; ce qui composait environ quatorze mille lumières, tant en falots qu'en lampes à plaque.

Les entablements de la colonade autour de la place, étaient garnis de falots ; les fûts des colonnes étaient couverts de tringles, portant un grand nombre de lampes à plaque ; les couronnements des pié-d'estaux étaient pareillement garnis de falots.

Le corps de la fontaine qui était dans le milieu de la place ordinaire des canons, était décoré d'un grand nombre de lumières en falots ou lampes à plaque, qui traçaient la principale partie de la décoration et ses saillies.

Tout le pourtour de cette fontaine qui formait une salle de lumières, et les poteaux, étaient illuminés par des lustres de fil-de-fer, avec lampes de Surene ; et les doubles guirlandes de lampes qui joignaient chaque poteau ou pied d'arbre, faisaient un effet admirable.

Au-dehors et sur les retours de la barrière de l'hôtel de ville, étaient quatre grands ifs de fer en consoles bronzées, portant chacun cent cinquante fortes lampes.

La face extérieure de l'hôtel de ville était illuminée de cette manière.

Les deux lanternes du clocher étaient garnies de lampes à plaque, qui figuraient les ceintres des arcades, avec festons de lumières au-devant des appuis.

Le pourtour du piédestal et du grand socle était orné de forts lustres de fil-de-fer, garnis de lampes de Surene, et leurs corniches avec des falots.

Le grand comble du milieu était orné à ses extrémités, de deux grandes pyramides circulaires, garnies de lampes de Surene.

Le faite et les arrêtiers étaient bordées de falots. La face principale de ce comble et celle des deux pavillons, étaient garnies en plein de lampes à plaque.

Les entablements des deux pavillons, l'acrotaire du milieu et le grand entablement, étaient bordés de falots.

L'illumination de la cour était telle qu'elle est décrite ci-devant.

Après avoir considéré quelque temps l'illumination de la place, le Roi sortit de son appartement avec monseigneur le Dauphin, descendit dans la cour ; il regarda quelque temps l'illumination, et monta dans son carosse.

On croit devoir ajouter à ces premiers détails, la description du souper du Roi à l'hôtel de ville, le 8 Septembre 1745, après les mémorables victoires de la France.

Le cérémonial de tous ces festins est toujours le même : mais les préparatifs changent, et forment des tableaux nouveaux qui peuvent ranimer l'industrie des Arts : les articles de ce genre ne peuvent donc être faits dans l'Encyclopédie avec trop de zèle et de soin. Puissent-ils y devenir des archives durables de la magnificence et du goût d'une ville illustre, dont le bon ordre et l'opulence attirent dans son sein tous les Arts, et qui par le concours immense des plus excellents artistes de l'Europe, est unanimement regardée comme l'école de l'Univers !

Souper du Roi en banquet royal dans l'hôtel de ville le 8 Septembre 1745.

Sur les sept heures du soir, leurs Majestés, avec toute la famille royale, entrèrent dans la place de l'hôtel de ville, précedées des détachements des deux compagnies des mousquetaires, des chevaux-legers, des gardes-du-corps, et des gendarmes. Les gardes françaises et suisses bordaient la place des deux côtés.

Le carosse de sa Majesté étant devant la barrière de l'hôtel de ville, MM. de la ville s'avancèrent de dix pas au-dehors de la barrière de l'hôtel de ville, M. le duc de Gesvres les ayant présentés aussi-tôt que sa majesté fut descendue de carrosse, ils mirent un genou à terre, et M. le prevôt des marchands fit un discours au Roi.

Ces messieurs qui étaient vêtus de leurs robes de velours, prirent aussi-tôt le devant, et conduisirent le Roi, la Reine, monseigneur le Dauphin, madame la Dauphine, et Mesdames, dans la grande salle, et de-là à l'appartement du Roi, où ils eurent l'honneur d'être encore présentés au Roi, par M. le duc de Gesvres.

Sur les huit heures et demie du soir M. le prevôt des marchands demanda l'ordre du Roi pour faire tirer le feu d'artifice. On commença par faire une décharge des boites et des canons ; ensuite on tira les fusées volantes, et différentes pièces d'artifices qui parurent d'une forme très-nouvelle. Le feu d'abord forma une brillante illumination, et au haut de l'artifice était un Vive le Roi, dont le brillant et la nouveauté frappa d'admiration tous les spectateurs. L'artifice était disposé de façon qu'il s'embrasa tout-à-coup, et que les desseins ne perdirent rien à sa rapidité. Le Roi qui parut fort satisfait, vit tirer ce feu à la croisée du milieu de la grande salle ; les deux croisées à côté étaient distinguées et renfermées dans une estrade de la hauteur d'une marche, entourée d'une balustrade dorée : elle était couverte : ainsi que toute l'étendue de la salle, d'un tapis. Il y avait un dais au-dessus de ladite croisée du milieu, sans queue ni aigrette ; et au-dehors de cette croisée sur la place, était un autre dais très-riche avec aigrette et queue.

La Reine y était aussi. Il y avait deux fauteuils pour leurs Majestés ; et la famille royale et toute la cour, étaient sur cette estrade sur des banquettes.

Après le feu, leurs Majestés passèrent dans la salle des gouverneurs, qui avait été décorée en salle de concert. On y exécuta une ode sur le retour de sa Majesté. Les vers étaient de M. Roy ; MM. Rebel et Francœur en avaient fait la musique.

Pendant le concert, on avait ôté l'estrade de la grande salle et les tapis, pour dresser la table.

Le Roi, après le concert, rentra dans son appartement ; la Reine et la famille royale l'y suivirent, et M. le prevôt des marchands eut l'honneur de dire au Roi que sa Majesté était servie : alors le Roi, la Reine et toute la famille royale, allèrent se mettre à table.

La table contenait quarante-deux couverts. Le Roi et la Reine se mirent à table au bout du côté de l'appartement du Roi, dans deux fauteuils ; et sur le retour à droite, était sur un pliant monseigneur le Dauphin ; à gauche sur le retour, madame la Dauphine ; à droite, après monseigneur le Dauphin, était madame première ; à gauche, après madame la Dauphine, était madame seconde ; à droite, après madame première, était madame la duchesse de Modene, et tout de suite après elle était mademoiselle de la Roche-sur-Yon ; et de l'autre côté, après madame seconde, était madame la princesse de Conti, et ensuite toutes les dames de la cour.

Le Roi et la Reine et la famille royale furent servis en vaisselle d'or, et les princesses en vaisselle de vermeil. M. le prevôt des marchands eut l'honneur de servir le Roi.

La salle était remplie de personnes de la première considération qui étaient entrées par des billets, des officiers des gardes-du-corps, du premier gentilhomme de la chambre de M. le duc de Gesvres.

La décoration de la grand salle était telle.

Etant d'usage d'appuyer les planchers lorsque le Roi honore de sa présence l'hôtel de ville, il avait été mis quatorze forts poteaux sous la portée des poutres, au-devant des trumeaux des croisées sur la place, et à l'opposé, et deux autres près des angles. Ces seize poteaux étaient recouverts et ornés de thermes ou cariathides, sur des piés-d'estaux ; ils représentaient les dieux et déesses de la Victoire, avec leurs attributs. Le corps des figures était en blanc, pour imiter le marbre, et les gaines étaient en marbre de couleur rehaussé d'or, ainsi que les piés-d'estaux. Le plafond était tendu d'une toîle blanche au-dessous des poutres, encadrée d'une bordure dorée, faisant ressaut au-dessus des cariathides. Les embrasements des croisées sur la place étaient ornés de chambranles dorés, et les traverses ceintrées embellies de guirlandes sur les montants et au-dessous des traverses.

La face opposée aux croisées était répétée de symétrie, et figurait des croisées feintes. Les portes ouvrantes et feintes étaient pareillement ornées de chambranles. Les fonds et les embrasements étaient garnis de taffetas cramoisi, enrichi de galons d'or, et ils formaient des panneaux et des compartiments dessinés avec gout. Les deux cheminées avaient été repeintes, les ornements redorés, ainsi que les draperies des figures.

Cette salle, à laquelle la décoration donnait la forme d'une galerie, était ornée et éclairée par quatorze beaux lustres qui pendaient du plafond, disposés à quatre rangs, d'une position variée, pour l'alignement et la hauteur. Les retours de chacun des seize pié-d'estaux étaient ornés de deux girandoles à cinq branches, formant des bouquets de lis. Au-devant de chacune des gaines des cariathides était une guirlande à sept branches, composée de branches de fleurs. Au-devant de la cheminée, du côté de la chambre du Roi, était dressé un riche dais avec une queue, sur laquelle était le portrait du Roi. Le buste de marbre du Roi était au-dessous, sur une console, dorée, posée sur le chambranle de la cheminée. La cheminée opposée du côté de la chambre de la Reine, avait été de même répeinte et redorée ; et pour l'éclairer, il avait été fait deux consoles dorées, qui paraissaient être tenues par les deux figures couchées sur le chambranle pour porter deux girandoles de cristal.

L'orchestre où s'exécutait le concert pendant le souper, était à un des côtés de cette cheminée ; il était composé de cinquante instruments, et recouvert de taffetas cramoisi galonné d'or.

Le buffet de la ville était dressé dès le matin dans la partie de cette salle, auprès de la cheminée du côté de la chambre du Roi.

Au bas, pour le souper, il y avait un petit buffet particulier pour le Roi et la Reine, et la famille royale.

Après le souper, qui dura deux heures, le Roi passa avec la Reine et la famille royale dans son appartement. Ils virent par les fenêtres l'illumination de la place.

Illumination de la place.

Le pourtour de la place était décoré par quinze pié-d'estaux carrés, qui portaient des drapeaux entrelacés de lauriers, et entouraient le pied d'un grouppe de lumières ; treize autres pieds triangulaires portaient des pyramides ou ifs de lumières, et chacune de ces vingt-huit pièces portait quatre-vingt et cent grosses bougies, ce qui faisait environ trois mille lumières. Le contour du feu d'artifice était illuminé, en sorte que cela faisait tableau pour les quatre faces.

Après avoir examiné l'illumination de la place, leurs Majestés et la famille royale quittèrent les appartements, et descendirent dans la cour.

L'enceinte de la cour était ornée d'une chaîne de guirlandes de fleurs, qui formaient des festons d'une colonne à l'autre, avec de belles chutes au-devant des colonnes, et sur les lustres des croisées du second ordre. Au-dessus de ces lustres étaient des couronnes de feuilles de laurier. Au-devant du bas de chaque colonne du second ordre, était une girandole formant des branches de roseau. Au-devant des piés-droits des croisées ceintrées, étaient d'autres girandoles qui figuraient des bouquets de roses. Au rez-de-chaussée les arcades étaient ornées de lustres, couronnées d'un treffle de fleurs, avec des cordons soie et or, chutes ; d'où les lustres pendaient. Au-devant du bas de chaque colonne était une girandole dorée à fleurs-de-lis. Les embrasements étaient garnis de filets de terrines. Aux côtés de la statue de Louis XIV. étaient deux grands lis de fer-blanc, garnis de forts lampions. La grande couronne royale transparente était placée sur l'entablement supérieur, au-dessus de la croisée du milieu de la nouvelle salle des gardes : au-dessous de cette couronne étaient des pentes de rideaux de taffetas bleu, avec galons et franges d'or, retroussés en forme de pavillon, sous lequel était le chiffre du Roi en fleurs : au-dessous et sur l'entablement du premier ordre, étaient les armes de France et de Navarre, soutenues par des génies aux deux côtés de la couronne. Sur l'entablement étaient posés des grouppes d'enfants, badinant avec des guirlandes qui se joignaient à la couronne et aux guirlandes du pourtour de la cour.

Le grand escalier, le vestibule du premier et du rez-de-chaussée étaient ornés de lustres et de girandoles de fer-blanc : le tout garni de grosses bougies.

Le clocher de l'hôtel de ville était entièrement illuminé, ainsi que le comble de la grande salle.

Leurs Majestés regardèrent quelque temps cette illumination, et ensuite descendirent le grand escalier pour monter dans leurs carrosses, avec monseigneur le Dauphin, madame la Dauphine, et Mesdames. MM. de la ville les avaient reconduits jusqu'à leurs carrosses.

Il a été donné par la ville de Paris plusieurs autres festins au Roi, à la Reine, à la famille royale.

Jamais monarque n'a gouverné ses peuples avec autant de douceur ; jamais peuples aussi n'ont été si tendrement attachés à leur roi. (B)