S. m. (Littérature) sorte de surnom ou d'épithète burlesque, qu'on donne le plus souvent à quelqu'un pour le tourner en ridicule.

Ce ridicule ne nait pas seulement d'un choix affecté d'expressions triviales propres à rendre ces épithetes plus significatives ou plus piquantes ; mais de l'application qui s'en fait souvent à des noms de personnes considérables d'ailleurs, et qui produit un contraste singulier d'idées sérieuses et plaisantes ; nobles et viles, bizarrement opposées, telles que peuvent l'être dans un même sujet celles d'une haute naissance, avec des inclinations basses ; de la majesté royale, avec des difformités de corps, réputées honteuses par le vulgaire ; d'une dignité respectable, avec des mœurs corrompues, ou d'un titre fastueux, avec la paresse et la pusillanimité.

Ainsi lorsqu'avec les noms propres d'un souverain pontife, d'un empereur illustre, d'un grand roi, d'un prince magnifique, d'un général fameux, on trouvera joints les surnoms de Groin-de-porc, de Barberousse, de Pié-tortu, d'Eveille-chien, de Pain-en-bouche, cette union excitera presque toujours des idées d'un ridicule plus ou moins grand.

Quant à l'origine de ces surnoms, il est inutîle de la rechercher ailleurs que dans la malignité de ceux qui les donnent, et dans les défauts réels ou apparents de ceux à qui on les impose : elle éclate surtout, à l'égard des personnes dont la prospérité ou les richesses excitent l'envie, ou dont l'autorité quelque légitime qu'elle sait, parait insupportable ; elle ne respecte ni la tiare ni la pourpre, c'est une ressource qui ne manque jamais à un peuple opprimé ; et ces marques de sa vengeance sont d'autant plus à craindre, que non-seulement il est impossible d'en découvrir l'auteur, mais que ni l'autorité, ni la force, ni le laps de temps, ne sont capables de les effacer. On peut se rappeler à l'occasion de ce caractère indélébile, (s'il est permis d'user ici de ce terme), les efforts inutiles que fit un archiduc, appelé Frédéric, pour faire oublier le surnom de Bourse vide dont il se trouvait offensé : le peuple dans un pays où il était relégué le lui avait donné dans le temps d'une disgrace qui l'avait réduit à une extrême disette. Lorsqu'une fortune meilleure l'eut rétabli dans ses états, il eut beau pour marquer son opulence, faire dorer jusqu'à la couverture de son palais, le surnom lui resta toujours ; il faut aussi convenir que s'il eut fait du bien au peuple, au lieu de dorer son palais, son sobriquet eut été changé en surnom plein de gloire.

Il arriva quelque chose de semblable à Charles de Sicile, surnommé sans-terre, sobriquet qui ne lui avait été donné, que parce qu'effectivement il fut longtemps sans états ; il ne le perdit point, lors même que Robert son père lui eut cédé la Calabre.

Il est aisé de comprendre par ce qu'on vient d'observer de l'origine et de la nature des sobriquets, quelles sont les sources communes d'où on les tire. Toutes les imperfections du corps, tous les défauts de l'esprit des hommes, leurs mœurs, leurs passions, leurs mauvaises habitudes, leurs vices, leurs actions de quelque nature qu'elles soient, tout y contribue.

A l'égard de la forme, elle ne consiste pas seulement dans l'usage de simples épithetes, on les relève souvent par des expressions figurées, dont quelques-unes ne sont quelquefois que des jeux de mots, comme dans celui de biberius mero, pour Tiberius Nero, à cause de sa passion pour le vin ; et dans celui de cacoergete, appliqué à Ptolomée VII. roi d'Egypte, pour le qualifier de mauvais prince, par imitation d'évergete, qui désigne un prince bienfaisant ; tel est encore celui d'épimane, donné à Antiochus IV. qui au lieu d'épiphane ou roi illustre dont il usurpait le titre, ne signifie qu'un furieux.

D'autres sobriquets sont ironiques et tournés en contrevérités, comme celui de poète laureat, que les Anglais donnent aux mauvais poètes.

Il y en a souvent dont la malignité consiste dans l'emprunt du nom de quelque animal ou de quelques personnes célèbres, notées dans l'histoire par leurs figures ou leurs vices, dont on fait une comparaison avec la personne qu'on veut charger ; les Syriens tirèrent de la ressemblance du nez crochu d'Antiochus VIII. au bec d'un griffon, le sobriquet de grypus qui lui est resté ; et l'on connait assez dans l'histoire ancienne, les princes et les personnes célèbres à qui on a donné ceux de bouc, ceux de cochon, d'âne, de veau, de taureau et d'ours, comme on donne aujourd'hui ceux de Silene, d'Esope, de Sardanapale, et de Messaline, aux personnes qui leur ressemblent par la figure, ou par les mœurs.

Mais de toutes les expressions figurées, celle qui forme les plus ingénieux sobriquets, (si l'on veut convenir qu'il y ait quelque sel dans cette sorte de production de l'esprit) c'est l'allusion fondée sur une connaissance de faits singuliers, dont l'idée prête une sorte d'agrément au ridicule.

Ces différentes formes peuvent se réduire à quatre, qui font autant de genres de surnoms burlesques ; ceux dont la note est indifférente, ceux qui n'en impriment qu'une légère, ceux qui sont injurieux, et ceux qui sont honorables.

Pour donner lieu à ceux du premier genre, il n'a fallu qu'un attachement à quelque mode singulière de coiffure ou d'habillement, quelque coutume particulière, quelqu'action peu importante : ainsi les sobriquets de Pogonate ou Barbe - longue, donnés à Constantin V. empereur de Constantinople ; de crépu, à Boleslas, roi de Pologne ; de grisegonelle, à Geoffroi I. comte d'Anjou ; de courte-mantel, à Henri II. roi d'Angleterre ; de longue - épée, à Guillaume, duc de Normandie ; et de hache, à Baudoin VII. comte de Flandres, n'ont jamais pu blesser la réputation de ces princes.

Les Romains appelaient signum, ce genre de surnoms, et l'action de le donner significare.

Ceux du second genre ont pour objet quelque légère imperfection du corps ou de l'esprit, certains événements, et certaines actions qui, quoiqu'innocentes, ont une espèce de ridicule. C'est ce que Ciceron a entendu par turpicula, subturpia, et quasi deformia. Si Socrate, par exemple, se montrait peu sensible au surnom de camard, beaucoup s'en trouveraient offensés : celui de cracheur n'était point honorable à Vladislas, roi de Bohème, etc.

Ceux du troisième genre, sont beaucoup plus piquans, en ce qu'ils ont pour objet les difformités du corps les plus considérables, ou les plus grandes disgraces de la fortune, et dont la honte est souvent plus difficîle à supporter, que la douleur qui les accompagne.

Ceux du quatrième genre, n'ont pour objet que ce qu'il y a de plus rare dans les qualités du corps, de plus noble dans celles de l'esprit et du cœur, de plus admirable dans les mœurs, et de plus grand dans les actions. Le propre de ces surnoms est d'être caractérisés d'une manière plaisante, et qui quoiqu'elle tienne de la raillerie, ne laisse jamais qu'une idée honorable.

Ainsi les surnoms de bras-de-fer, et de cotte-de-fer, imposés l'un à Baudouin I. comte de Flandres, et l'autre à Edmond II. roi d'Angleterre, sont de vrais éloges de la force du corps dont ces princes étaient doués ; tel est aussi celui de temporiseur, qui, presque toujours choquant, fait pour Fabius l'apologie de sa politique militaire, comme celui de sans - peur marque à l'égard de Richard duc de Normandie, et de Jean duc de Bourgogne, leur intrépidité.

Il y a des caractères accidentels qui en établissent encore des genres particuliers. Les uns peuvent convenir à plusieurs personnes, comme les surnoms de borgne, de bossu, de boiteux, de mauvais : d'autres ne sont guère appliqués qu'à une seule, comme le surnom de Copronyme imposé à Constantin IV. et celui de Caracalla au quatrième des Antonins.

Les sobriquets ou surnoms que se donnent réciproquement les habitants d'une petite ville, d'un bourg ou d'un hameau, ne consistent ordinairement qu'en quelques épithetes si triviales et si grossières, qu'il n'y aurait point d'honneur à en rapporter des exemples.

Il n'en est pas de même de ceux qui naissent dans l'enceinte des camps ; ils sont marqués à un coin de vivacité et de liberté particulières aux militaires.

Il y en a enfin d'héréditaires, et qui n'ayant été d'abord attribués qu'à une seule personne, ont ensuite passé à ses descendants, et lui ont tenu lieu de nom propre. Tels sont la plupart des surnoms des Romains illustres, du temps de la république, que les auteurs de l'histoire romaine qui ont écrit en grec, ont cru leur être tellement propres, qu'ils ne leur ont ôté que la terminaison latine, comme Denis d'Halicarnasse l'a fait de ceux de et de : car il ne faut pas s'imaginer, comme l'ont cru quelques antiquaires, que les magistrats sur les médailles desquels on lit les surnoms d'Aenobarbus, de Naso, de Crassipes, de Scaurus, de Bibulus, soient les hommes des familles Domitia, Axsia, Furia, Amilia, Calpurnia, qui avaient la barbe rousse, le nez long, des pieds contrefaits, de gros talons, et qui étaient adonnés au vin. Il y a au contraire dans cette république, certaines familles qui n'ont tiré leur nom que d'un de ces sortes de sobriquets, que le premier de la famille a porté, comme la Claudia qui a tiré le sien d'un boiteux. La même chose est arrivée en notre pays, aussi bien que dans beaucoup d'autres.

Cependant ces surnoms tels qu'ils ont été, sont devenus d'un grand avantage dans la chronologie et dans l'histoire. Il faut convenir que si quelque chose est capable de diminuer la confusion que peut causer dans l'esprit une multitude d'objets semblables, tels que ce nombre prodigieux de rois et de souverains, qui dans les monarchies anciennes et modernes, se succedent les uns aux autres sous les mêmes noms ; c'est l'attention aux surnoms par lesquels ils y sont distingués. Ces surnoms nous aident beaucoup à reconnaître les princes, au temps desquels les événements doivent se rapporter, et à y fixer des époques certaines.

L'usage en est nécessaire, pour donner aux généalogies des familles qui ont possedé les grands empires et les moindres états, cette clarté qui leur est essentielle.

C'est par le défaut de surnoms, que la généalogie des Pharaons, dont Josephe et Eusebe ont dit que les noms étaient plutôt de dignité que de famille, est si obscure. Combien au contraire la précaution de les avoir ajoutés aux surnoms tirés de l'ordre numéral, sauve - t - elle de méprises et d'erreurs dans l'histoire des Alexandres de Macédoine, des Ptolemées d'Egypte, des Antiochus de Syrie, des Mithridates du Pont, des Nicomèdes de Bithynie, des Antonins et des Constantins de l'empire, des Louis et des Charles de France, etc. Si les épithetes de riches, de grands, de conservateurs, etc. dont les peuples honorèrent autrefois quelques - uns des princes de ces familles, laissent dans la mémoire une impression plus forte que celles qui sont tirées de l'ordre progressif de premier, second, troisième et des nombres suivants, les surnoms burlesques de nez de griffon, de ventru, de joueur de flute, d'effeminé, de martel, de fainéant, de balafré, n'y en font-ils pas une dont les traces ne sont pas moins profondes ? Horace faisant la comparaison du sérieux et du plaisant, ne feint point de donner la préférence à ce dernier.

Discit enim citius, meminitque libentius illud

Quod quis deridet, quam quod probat et veneratur.

Combien y a-t-il même de familles illustres dans les anciennes monarchies, et dans celles du moyen âge, dont les branches ne sont distinguées que par les sobriquets des chefs qui y ont fait des souches différentes ! On le voit dans les familles romaines, la Domitia dont les deux branches ont chacune pour auteur un homme à surnom burlesque, l'un Calvinus, et l'autre Ahenobarbus ; et dans la Cornelia, de laquelle étaient les Scipions, où le premier qui a été connu par le surnom de Nasica, a donné son nom à une branche qui ne doit pas être confondue avec celle de l'Africain.

Une autre partie essentielle de l'histoire, est la représentation des caractères des différents personnages qu'elle introduit sur la scène ; c'est ce que font les surnoms par des expressions qui sont comme des portraits en raccourci des hommes les plus célèbres ; mais il faut avouer que par rapport à la ressemblance qui doit faire le mérite de ces portraits, que les surnoms plaisans l'emportent de beaucoup sur ceux du genre sérieux.

Les premiers trompent rarement, parce qu'ils expriment presque toujours les caractères dans le vrai ; ce sont des témoignages irréprochables, des décisions prononcées par la voix du peuple, des traits de crayon libres tirés d'après le naturel, des coups de pinceau hardis qui ne sont pas seulement des portraits de l'extérieur des hommes, mais qui nous représentent encore ce qu'il y a en eux de plus caché.

Ainsi l'obscurité de l'origine de Michel V. empereur de Constantinople, dont les parents calfataient des vaisseaux, nous est rappelée par son surnom de Calaphates ; la basse naissance du Pape Benait XII. fils d'un boulanger français, par celui de Jacques du Four, qui lui fut donné étant cardinal, et l'opprobre de l'ancienne profession de Valere Maximien devenu empereur, par celui d'Armentarius.

L'événement heureux pour le fils d'Othon, duc de Saxe, qui fut élevé à l'empire, et qui lorsqu'il s'y attendait le moins, en apprit la nouvelle au milieu d'une partie de chasse, est signalé par le surnom de l'Oiseleur qui le distingue de tous les Henris.

L'empressement de l'empereur Léon pour détruire le culte des images, est bien marqué dans le terme d'Iconoclaste.

La mauvaise fortune qu'essuya Frédéric I. duc de Saxe, par la captivité dans laquelle son père le tint, est devenue mémorable par le surnom de Mordu qui lui est resté.

La mort ignominieuse du dernier des Antonins, dont les soldats jetèrent le cadavre dans le Tibre, après l'avoir trainé par les rues de Rome, ne s'oubliera jamais à la vue des épithetes de Tractitius et de Tiberinus, dont Aurelius Victor dit qu'il fut chargé.

Ainsi rien n'est à négliger dans l'étude de l'histoire ; les termes les plus bas, les plus grossiers ou les plus injurieux, et qui semblent n'avoir jamais été que le partage d'une vîle populace, ne sont pas pour cela indignes de l'attention des savants.

M. Spanheim, dans son ouvrage sur l'usage des médailles antiques, tome II. s'est un peu étendu sur l'origine des sobriquets des Romains, en les considérant par le rapport qu'ont aux médailles consulaires, ceux des principales familles de la république romaine. M. de la Roque dans son traité de l'origine des noms, aurait dû traiter ce sujet par rapport à l'histoire moderne. M. le Vayer en a dit quelque chose dans ses ouvrages. Voyez surtout les mémoires de l'académie des Inscrip. et Belles-lettres. (D.J.)