adj. (Belles Lettres) se dit de ce qui appartient à l'élégie, et s'applique plus particulièrement à l'espèce de vers qui entraient dans l'élégie des anciens, et qui consistaient en une suite de distiques formés d'un hexamètre et d'un pentamètre. Voyez ELEGIE, DISTIQUE, etc.

Cette forme de vers a été en usage de très-bonne heure dans les élégies, et Horace dit qu'on en ignore l'auteur :

Quis tamen exiguos elegos emiserit autor

Grammatici certant, et adhuc sub judice lis est.

Il avait dit auparavant que la forme du distique avait d'abord été employée pour exprimer la plainte, et qu'elle le fut ensuite aussi pour exprimer la satisfaction et la joie :

Versibus impariter junctis querimonia primùm,

Post etiam inclusa est voti sententia compos.

Sur quoi nous proposons aux savants les questions suivantes : 1°. pourquoi les anciens avaient-ils pris d'abord cette forme de vers pour les élégies tristes ? est-ce parce que l'uniformité des distiques, les repos qui se succedent à intervalles égaux, et l'espèce de monotonie qui y règnent, rendaient cette forme propre à exprimer l'abattement et la langueur qu'inspire la tristesse ? 2°. Pourquoi ces mêmes vers ont-ils ensuite été employés à exprimer les sentiments d'une âme contente ? serait-ce que cette même forme, ou du moins le vers pentamètre qui y entre, aurait une sorte de legereté et de facilité propres à exprimer la joie ? serait-ce qu'à mesure que les hommes se sont corrompus, l'expression des sentiments tendres et vrais est devenue moins commune et moins touchante, et qu'en conséquence la forme des vers consacrés à la tristesse, a été employée par les poètes (bien ou mal-à-propos) à exprimer un sentiment contraire, par une bizarrerie à-peu-près semblable à celle qui a porté nos musiciens modernes à composer des sonates pour la flute, instrument dont le caractère semblait être d'exprimer la tendresse et la tristesse ? (O)

M. Marmontel nous a communiqué sur ce sujet les réflexions suivantes. L'inégalité des vers élégiaques les distingue, dit-il, des vers héroïques, dont la marche soutenue caractérise la majesté :

Arma, gravi numero, violentaque bella parabam

Edere, materiâ conveniente modis.

Par erat inferior versus : risisse Cupido

Dicitur, atque unum subripuisse pedem.

Ovid. Am. lib. I. el. 1.

Mais comment cette mesure pouvait-elle peindre également deux affections de l'âme opposées ? c'est ce qui est encore sensible pour nos oreilles, continue M. Marmontel, malgré l'altération de la prosodie latine dans notre prononciation.

La tristesse et la joie ont cela de commun, que leurs mouvements sont inégaux et fréquemment interrompus : l'un et l'autre suspendent la respiration, coupent la voix, rompent la mesure : l'une s'affoiblit, expire, et tombe ; l'autre s'anime, tressaillit et s'élance. Or le vers pentamètre a cette propriété, que ses interruptions peuvent être ou des chutes ou des élans, suivant l'expression qu'on lui donne : la mesure en est donc également docîle à peindre les mouvements de la tristesse et de la joie. Mais comme dans la nature, les mouvements de l'une et de l'autre ne sont pas aussi fréquemment interrompus que ceux du vers pentamètre, on y a joint, pour les suspendre et les soutenir, la mesure ferme du vers héroïque : de-là le mélange alternatif de ces deux vers dans l'élégie.

Cependant le pathétique en général se peint encore mieux dans le vers ïambe, dont la mesure simple et variée approche de la nature, autant que l'art du vers peut en approcher ; et il est vraisemblable que si ce vers n'a pas eu la préférence dans le genre élégiaque, comme dans le dramatique, c'est que l'élégie était mise en chant.

Quintilien regarde Tibulle comme le premier des poètes élégiaques ; mais il ne parle que du style, mihi tersus atque elegans maximè videtur. Pline le jeune préfère Catulle, sans-doute pour des élégies qui ne sont point parvenues jusqu'à nous. Ce que nous connaissons de lui de plus délicat et de plus touchant, ne peut guère être mis que dans la classe des madrigaux. Voyez MADRIGAL. Nous n'avons d'élégies de Catulle, que quelques vers à Ortalus sur la mort de son frère ; la chevelure de Bérénice, élégie faible, imitée de Callimaque ; une épitre à Mallius, où sa douleur, sa reconnaissance et ses amours sont comme entrelacés de l'histoire de Laodamie, avec assez peu d'art et de goût ; enfin l'aventure d'Ariane et de Thésée, épisode enchâssée dans son poème sur les noces de Thétis, contre toutes les règles de l'ordonnance, des proportions et du dessein. Tous ces morceaux sont des modèles du style élégiaque ; mais par le fond des choses, ils ne méritent pas même, à notre avis, que l'on nomme Catulle à côté de Tibulle et de Properce : aussi M. l'abbé Souchai ne l'a-t-il pas compté parmi les élégiaques latins (Mém. de l'acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, tome VII.) Le même auteur dit que Tibulle est le seul qui ait connu et exprimé parfaitement le vrai caractère de l'élégie, en quoi nous osons n'être pas de son avis ; plus éloignés encore du sentiment de ceux qui donnent la préférence à Ovide. Voyez ELEGIE. Le seul avantage qu'Ovide ait eu sur ses rivaux, est celui de l'invention ; car ils n'ont fait le plus souvent qu'imiter les Grecs, tels que Mimnerme et Callimaque. Mais Ovide, quoiqu'inventeur, avait pour guides et pour exemples Tibulle et Properce, qui venaient d'écrire avant lui : secours important, dont il n'a pas toujours profité.

Si l'on demande quel est l'ordre dans lequel ces poètes se sont succédés, il est marqué dans ces vers d'Ovide. Trist. lib. IV. el. 10.

.... Nec amara Tibullo

Tempus amicitiae fata dedere meae ;

Successor fuit hic tibi, Galle, Propertius illi ;

Quartus ab his serie temporis ipse fui.

Il ne nous reste rien de ce Gallus ; mais si c'est le même que le Gallus ami de Properce, il a dû être le plus véhément de tous les poètes élégiaques, comme il a été le plus dur, au jugement de Quintilien. Article de M. MARMONTEL.

M. l'abbé Souchai divise les élégiaques grecs en deux classes : l'une comprend ceux qui à la vérité ont fait des élégies, mais qui sont plus connus par d'autres genres de littérature ; et l'autre renferme ceux qui s'étant plus particulièrement adonnés à l'élégie, méritent aussi plus proprement le titre d'élégiaques. Il compte dans la première classe Archiloque, Clonas, Polymnestus, Sapho, Eschyle, Sophocle, Euripide, Ion, Melanthus, Alexandre Etolien, Platon, Aristote, Antimaque, Euphorion, Eratosthene et Parthénius ; et dans la seconde Classe, Callinus, Mimnerme, Tyrtée, Périandre, Solon, Sacadas, Xénophane, Simonide, Evenus, Critias, Denis Chatius, Philetas et Callimaque ; Myro de Bizance, Hermianax, etc. Mém. de l'acad. des Belles Lettres, tome VII.

Les poètes flamands se sont distingués parmi les modernes par leurs élégies latines. Celles de Biderman, de Grotius, et de Vallius, approchent du goût de la belle antiquité. Madame de la Suze et madame Deshoulières se sont aussi exercées dans ce genre, dans lequel les Anglais n'ont rien que quelques pièces fugitives de Milton. (G)