S. f. (Beaux-arts) On a déjà dit au mot ESTAMPE quelque partie des choses qui ont rapport à l'art de graver ; mais cet art n'a été regardé alors que du côté de ses productions. Nous devons entrer ici dans le détail des opérations nécessaires pour produire par les moyens qui lui sont propres, les ouvrages auxquels il est destiné.

Les mots gravure et graver viennent ou du grec , qui signifie j'écris, ou du latin cavare, creuser.

Il est moins nécessaire de s'arrêter à fixer son étymologie, que d'expliquer précisément l'action de graver. Cette action consiste à creuser, et toutes les différentes matières dans lesquelles on peut creuser les formes des objets qu'on a dessein de graver sont comprises dans les idées générales de l'art de la Gravure. La différence des matières et celle des outils et des procédés qu'on emploie, distinguent les espèces de Gravure : ainsi l'on dit, graver en cuivre, en bois, en or, en argent, en fer, en pierres fines.


Je commencerai par l'art de graver en cuivre, non pas comme le plus ancien, mais comme celui qui est d'un plus grand usage, et sans-doute d'un usage plus utîle aux hommes pour multiplier leurs connaissances.

Dans les détails des opérations de cet art, j'emprunterai les préceptes et les descriptions qui sont contenus dans un ouvrage d'Abraham Bosse, graveur du roi, qui a été considérablement enrichi par les lumières de M. Cochin le fils, savant artiste de nos jours, qui dans une dernière édition de cet ouvrage l'a augmenté de différents traités que les progrès de l'art lui ont fournis, et de réflexions justes qu'il doit à son talent et à ses succès.

Le cuivre dont on se sert pour la Gravure dont je parle, est le cuivre rouge. Le choix que l'on fait de cette espèce de cuivre, est fondé sur ce que le cuivre jaune est communément aigre, que sa substance n'est pas égale, qu'il s'y trouve des pailles, et que ces défauts sont des obstacles qui s'opposent à la beauté des ouvrages auxquels on le destinerait. Le cuivre rouge même n'est pas totalement à l'abri de ces défauts ; il en est dont la substance est aigre, et les traits qu'on y grave se ressentent de cette qualité ; ils sont maigres et rudes : il s'en trouve de mou dont la substance approche (quant à cette qualité) de celle du plomb. Les ouvrages que l'on y grave n'ont pas la netteté qu'on voudrait leur donner : l'eau-forte ne l'entame qu'avec peine ; elle ne creuse pas, et trompe l'attente du graveur. Quelquefois on rencontre dans une même planche de cuivre ces qualités opposées ; enfin on y trouve de petits trous imperceptibles, ou des taches desagréables.

Le cuivre rouge qui a les qualités les plus propres à la Gravure, doit donc être plein, ferme, liant ; et la façon de connaître s'il est exempt des défauts contraires que j'ai énoncés, c'est d'y former quelques traits avec le burin en différents sens : alors, s'il est aigre, le bruit que fera le burin en le coupant, et le sentiment de la main, vous l'indiqueront ; s'il est mou, ce même sentiment qui vous rappellera l'idée du plomb, vous le découvrira aussi.

Lorsqu'on a fait choix d'un cuivre propre à graver, on doit mettre ses soins à ce qu'il reçoive la préparation qui lui est nécessaire pour l'usage auquel on le destine. Les Chauderonniers l'applanissent, le coupent, le polissent ; mais il est à-propos que les Graveurs connaissent eux-mêmes ces préparations, parce qu'il pourrait se trouver que voulant faire usage de leur art dans un pays où il serait inconnu, ils ne trouveraient pas les ouvriers en cuivre instruits des moyens qu'il faut employer.

Une planche de cuivre de la grandeur d'environ un pied sur neuf pouces, doit avoir à-peu-près une ligne d'épaisseur ; et cette proportion peut régler pour d'autres dimensions. La planche doit être bien forgée et bien applanie à froid : c'est par ce moyen que le cuivre devient plus serré et moins poreux.

Il s'agit, après ce premier soin, de la polir. On choisit celui des deux côtés de la planche qui parait être plus uni et moins rempli de gersures et de pailles ; on attache la planche par le côté contraire sur un ais, de manière qu'elle y soit retenue par quelques pointes ou clous ; alors on commence à frotter le côté apparent avec un morceau de grès, en arrosant la planche avec de l'eau commune : on la polit ainsi le plus également qu'il est possible, en passant le grès fortement dans tous les sens, et en continuant de mouiller le cuivre et le grès, jusqu'à ce que cette première opération ait fait disparaitre les marques des coups de marteau qu'on a imprimés sur la planche en la forgeant.

Lorsque ces marques ont disparu, ainsi que les pailles, les gersures, et les autres inégalités qui pourraient s'y rencontrer ; on substitue au grès la pierre-ponce bien choisie ; on s'en sert en frottant le cuivre comme on a déjà fait en tous sens, et en l'arrosant d'eau commune : l'on efface ainsi les raies que le grain trop inégal du grès a laissées sur la planche ; après quoi l'on se sert pour donner un poli plus fin, d'une pierre-ponce à aiguiser, qui pour l'ordinaire est de couleur d'ardoise, quoiqu'il s'en trouve quelquefois de couleur d'olive et de rouge. Enfin le charbon et le brunissoir achevent de faire disparaitre de dessus la planche les plus petites inégalités.

Voici comme il faut s'y prendre pour préparer le charbon qu'on doit employer. Vous choisirez des charbons de bois de saule qui soient assez gros et pleins, qui n'aient point de fente ni de gersure, et tels que ceux dont communément les Orfèvres se servent pour souder. Vous ratisserez l'écorce de ces charbons, vous les rangerez ensemble dans le feu, vous les couvrirez ensuite d'autres charbons allumés et de quantité de cendre rouge ; de sorte qu'ils puissent demeurer sans communication avec l'air, pendant environ une heure et demie, et que le feu les ayant entièrement pénétrés, il n'y reste aucune vapeur. Lorsque vous jugerez qu'ils seront en cet état, vous les plongerez dans l'eau et les laisserez refroidir.

Vous frotterez la planche qui a déjà été unie par le grès, la pierre-ponce, la pierre à aiguiser, avec un charbon préparé, comme je viens de le dire, en arrosant d'eau commune et le cuivre et le charbon, jusqu'à ce que vous ayez fait disparaitre ainsi les marques que peuvent avoir laissées les pierres différentes dont j'ai indiqué l'usage. Il faut remarquer que quelquefois il arrive qu'un charbon glisse sur le cuivre sans le mordre, et par conséquent sans le polir ; il faut alors en choisir un autre qui soit plus propre à cette opération, et la répéter avec patience jusqu'à ce que le cuivre soit exempt des moindres raies et des plus petites inégalités apparentes. La dernière préparation qu'il peut recevoir, ou de la main de l'ouvrier en cuivre, ou de celle de l'artiste, c'est d'être bruni. On se sert pour cela d'un instrument qu'on nomme brunissoir. Cet instrument est d'acier : l'endroit par où l'on s'en sert pour donner le lustre à une planche, est extrêmement poli ; il a à-peu-près la forme d'un cœur, comme on peut le voir dans la Planche première ayant rapport à l'art du Graveur en cuivre, lettre A. Son épaisseur est de quelques lignes ; il se termine en pointe, et l'usage qu'on en fait après avoir répandu quelques gouttes d'huîle sur le cuivre, est de le passer diagonalement sur toute la planche, en appuyant un peu fortement la main ; ce qui s'appelle brunir. C'est ainsi qu'on parvient à donner à la planche de cuivre un poli pareil à celui d'une glace de miroir, et qu'on fait disparaitre les plus petites inégalités.

Lorsqu'on a mis en usage ces différents moyens, si l'on veut être assuré que l'on a réussi, il faut livrer la planche à un imprimeur en taille-douce, qui après l'avoir frottée de noir et essuyée, comme on a coutume de faire, lorsque la planche est gravée, la fera passer sous la presse avec une feuille de papier blanc. Les inégalités les moins sensibles, s'il en reste quelques-unes, s'imprimeront sur le papier, et vous serez en état d'ôter à la planche les moindres défauts qu'elle pourrait avoir.

Je crois qu'après avoir instruit de la façon d'apprêter le cuivre, il faut commencer par les opérations qui servent à graver à l'eau-forte ; après quoi j'en viendrai à la manière de graver au burin.

Pour parvenir à faire usage de l'eau-forte, il est nécessaire de couvrir la planche d'un vernis ; et voici les différentes manières de composer les vernis dont on couvre les planches, comme je le dirai ensuite.

Il est de deux espèces de vernis : on nomme l'un vernis dur, et l'autre vernis mou. Le premier par lequel je commencerai est d'un usage plus ancien. Voici sa composition.

Prenez cinq onces de poix grecque, ou, à son défaut, de la poix grasse, autrement poix de Bourgogne ; cinq onces de résine de Tyr ou colophone ; à son défaut, de la résine commune : faites fondre ce mélange ensemble sur un feu médiocre, dans un pot de terre neuf, bien plombé, vernissé, et bien net. Ces deux ingrédiens étant fondus et bien mêlés ensemble, mettez-y quatre onces de bonne huîle de noix, ou d'huîle de lin ; mêlez bien le tout sur le feu durant une bonne demi-heure ; puis laissez cuire ce mélange jusqu'à ce qu'en ayant mis refroidir, et le touchant avec le doigt, il fîle comme un sirop bien gluant : alors retirez le vernis de dessus le feu ; et lorsqu'il sera un peu refroidi, passez-le à-travers d'un linge neuf, dans quelque vase de fayence ou de terre bien plombé ; vous le serrerez ensuite dans une bouteille de verre épais, ou dans quelqu'autre vase qui ne s'imbibe pas, et que l'on puisse bien boucher : le vernis se gardera alors vingt ans, et n'en sera que meilleur.

Voilà la composition du vernis dur tel que Bosse le donne, et tel qu'il s'en servait sans-doute. Voici celui dont se servait Callot, et qu'on appelle vulgairement vernis de Florence.

Prenez un quarteron d'huîle grasse bien claire et faite avec de bonne huîle de lin, pareille à celle dont les Peintres se servent : faites-la chauffer dans un poèlon de terre vernissé et neuf : ensuite mettez-y un quarteron de mastic en larmes pulvérisé ; remuez bien le tout, jusqu'à ce qu'il soit fondu entièrement. Passez alors toute la masse à-travers un linge fin et propre, dans une bouteille qui ait un cou assez large ; bouchez-la exactement pour que le vernis se conserve mieux.

Je crois qu'après avoir donné la composition du vernis dur, il est à-propos de dire la manière d'appliquer ce vernis dur sur la planche de cuivre.

La planche ayant été forgée, polie et lustrée comme je l'ai dit ci-dessus, il faut encore prendre soin d'ôter de sa surface la moindre impression grasse qui pourrait s'y rencontrer ; pour cela vous la frotterez avec une mie de pain, un linge sec, ou bien avec un peu de blanc d'Espagne mis en poudre, et un morceau de peau ; vous aurez soin surtout de ne pas passer les doigts et la main sur le poli du cuivre, lorsque vous serez au moment d'appliquer le vernis. Pour l'appliquer sur la planche, vous l'exposerez sur un réchaud dans lequel il y ait un feu médiocre ; lorsque le cuivre sera un peu échauffé, vous le retirerez ; et trempant alors dans le vase où vous conservez votre vernis, une petite plume, un petit bâton, ou une paille, vous poserez du vernis sur la planche en assez d'endroits, pour que vous puissiez ensuite l'étendre par-tout et l'en couvrir ; au reste il faut remarquer que la façon ancienne dont Bosse fait mention pour étendre ce vernis, au moyen de la paume de la main, est sujet à inconvénient, soit à cause de la transpiration de la main, soit parce qu'il est difficîle de l'étendre avec une grande égalité. Je crois donc qu'il vaut mieux (& j'en parle par expérience) se servir de tampons faits avec de petits morceaux de taffetas neuf, dans lesquels on renferme un morceau de coton qui soit neuf aussi. Lorsqu'on s'est muni de quelques tampons proportionnés à la grandeur de la planche qu'on veut vernir, on frappe doucement sur les endroits de la planche où l'on a mis du vernis ; on l'étend ainsi par-tout avec égalité ; et l'on doit surtout prendre garde qu'il n'y en ait une trop grande épaisseur, parce qu'il serait plus difficîle de le faire cuire, et de graver ensuite. Ce vernis, qui est fort transparent, pourrait aisément mettre dans l'erreur ceux qui s'en serviraient sans le connaître : il ne faut donc pas s'attendre à voir facilement si le vernis a la juste épaisseur qui lui convient ; mais j'avertis que lorsqu'il semblera qu'il n'y en a point du tout, pour ainsi dire, il y en aura encore assez. Je me suis servi avec succès d'un moyen pour l'unir parfaitement : le voici. J'ai coupé des morceaux de papier blanc fin et lisse, à-peu-près de la grandeur de la planche ; et les passant avec la paume de la main légèrement sur la planche où j'avais étendu le vernis à l'aide des tampons dont j'ai parlé, je suis parvenu ainsi à rendre ma couche de vernis égale, et aussi peu épaisse qu'on peut le désirer.

Cette opération faite, il faut donner au vernis par le moyen du feu le degré de consistance, qui lui fait donner le nom de vernis d'or ; mais auparavant il faut le noircir, pour qu'il soit plus facîle d'apercevoir les traits qu'on forme avec les instruments qui servent à graver.

Pour noircir le vernis, vous vous servirez de plusieurs bouts de bougie jaune que vous assemblerez, afin qu'étant allumés, il en résulte une fumée grasse et épaisse. Cela fait, vous attacherez au bord de votre planche un, deux, trois ou quatre étaux, suivant la grandeur de la planche et la difficulté de la manier. Ces étaux qui pour plus de commodité peuvent avoir des manches de fer propres à les tenir, vous donneront la facilité d'exposer le côté de la planche que vous avez vernie à la fumée des bougies, comme vous verrez fig. 1. de la Planche qui a rapport à la gravure sur cuivre. Vous aurez attention de promener continuellement ou la planche ou les bougies, pour que la flamme ne fasse pas trop d'impression sur quelque endroit de la planche ; ce qui pourrait bruler le vernis. Il faut aussi ne pas trop approcher le vernis de la meche, ou même de la flamme. L'usage indiquera le juste milieu qu'il faut observer. Le point où il faut arriver, est de rendre la planche d'un noir égal et exempt de transparence, sans que le vernis soit brulé dans aucun endroit.

Venons au moyen de sécher, de cuire, et durcir le vernis à l'aide du feu. Il faut allumer une quantité de charbon proportionnée à la grandeur de la planche ; vous formerez avec ces charbons, dans un endroit qui soit surtout à l'abri de la poussière, un brasier dont l'étendue excède de quelque chose la planche en tous sens ; vous aurez encore attention de mettre fort peu de charbons dans le milieu, parce que la chaleur se concentrera assez, et qu'il faut plus de temps pour cuire les bords de la planche : lorsque ces précautions seront prises, vous exposerez votre planche sur ce brasier, à l'aide de deux petits chenets faits exprès, ou de deux étaux, avec lesquels vous la tiendrez suspendue à quelques pouces du feu. On doit comprendre que le côté de la planche sur lequel est appliqué le vernis, n'est pas celui qui doit être tourné vers le brasier, il se trouvera dessus ; et pour éviter qu'il n'y tombe d'atomes de poussière, ce qui est très-essentiel, vous étendrez un linge qui vous garantira de ces petits accidents. Lorsqu'après l'espace de quelques minutes, vous verrez votre planche jeter de la fumée, vous vous tiendrez prêt à la retirer ; et pour ne pas risquer de le faire trop tard, ce qui pourrait arriver si l'on attendait qu'elle ne rendit plus de fumée du tout, vous éprouverez en touchant le vernis avec un petit bâton, s'il résiste ou s'il cede au petit frottement que vous lui ferez éprouver ; s'il s'attache au bâton, et s'il quitte le cuivre, il n'est pas encore durci ; s'il fait résistance, et s'il ne s'attache point au bâton, vous le retirerez ; et si par hasard vous avez tardé un peu trop longtemps, et que vous craigniez qu'il ne soit un peu trop cuit, vous arroserez le derrière de la planche avec de l'eau fraiche ; parce que la chaleur que le cuivre retient assez longtemps après avoir été séparé du feu, donnerait au vernis un trop grand degré de cuisson ; il serait alors difficîle à travailler, et s'écaillerait.

Je vais à-présent parler du vernis mou ; après quoi je donnerai les moyens de transmettre un dessein sur le vernis, et ensuite de le graver.

Voici différentes compositions du vernis mou.

Composition du vernis mou suivant Bosse. Prenez une once et demie de cire vierge bien blanche et nette, une once de mastic en larmes pur et net, une demi-once de spalt calciné ; broyez bien le mastic et le spalt ; faites fondre au feu votre cire dans un pot de terre bien plombé et verni par-dedans ; quand elle sera entièrement fondue et bien chaude, vous la saupoudrerez de ce mastic peu-à-peu, afin qu'il fonde et qu'il se mêle. Vous remuerez le tout avec un petit bâton. Ensuite vous saupoudrerez ce mélange avec le spalt, comme vous avez fait la cire avec le mastic, en remuant encore le tout sur le feu jusqu'à-ce que le spalt soit bien fondu et mêlé avec le reste, c'est-à-dire environ la moitié d'un demi-quart-d'heure ; puis vous l'ôterez du feu et le laisserez refroidir. Ayant ensuite mis de l'eau claire dans un plat, vous y verserez le vernis, et vous le pétrirez avec vos mains dans cette eau ; vous en formerez ainsi de petites boules, que vous envelopperez dans du taffetas pour servir comme je le dirai.

Je passe sous silence les différentes combinaisons qu'on peut faire des ingrédiens avec lesquels cette sorte de vernis peut se composer ; vous en trouverez plusieurs décrites dans le livre de Bosse, de l'édition de 1745. Voici seulement une façon de le composer qui me parait une des meilleures, après avoir éprouvé toutes les autres.

Faites fondre dans un vase neuf de terre vernie deux onces de cire vierge, demi-once de poix noire, et demi-once de poix de Bourgogne. Il faut y ajouter peu-à-peu deux onces de spalt, que l'on aura réduit en poudre très-fine. Laissez cuire le tout jusqu'à-ce qu'en ayant fait tomber une goutte sur une assiette, cette goutte étant bien refroidie puisse se rompre en la pliant trois ou quatre fois entre les doigts : alors le vernis est assez cuit, il faut le retirer du feu, le laisser refroidir un peu, puis le verser dans de l'eau tiede, afin de pouvoir le manier facilement, et en faire de petites boules que l'on enveloppera dans du taffetas neuf pour s'en servir.

Il y a quelques observations à faire, qui serviront dans les différents procédés qu'on emploiera pour la composition du vernis.

1°. Il faut prendre garde que le feu ne soit pas trop violent, de crainte que les ingrédiens dont on se sert ne brulent.

2°. Pendant qu'on emploie le spalt, et même après l'avoir employé, il faut remuer le mélange continuellement avec une spatule ou un petit morceau de bois.

3°. L'eau dans laquelle on versera la composition doit être à-peu-près du même degré de chaleur que les drogues qu'on y verse.

4°. Il faut faire en sorte que le vernis soit plus dur, pour s'en servir en été, que pour l'employer en hiver. On parviendra à le rendre plus ferme, en lui donnant un plus grand degré de cuisson, ou en mettant une plus forte dose de spalt, ou un peu de poix-résine.

La manière d'appliquer ce vernis sur la planche, diffère un peu de la manière d'appliquer le vernis dur.

J'ai dit à la fin de la préparation que je viens de donner, que lorsque le vernis est assez cuit, il faut le retirer du feu, le laisser refroidir un peu, puis le verser dans de l'eau tiede, afin de pouvoir le manier facilement et en faire de petites boules que l'on enveloppera dans du taffetas neuf pour s'en servir. Vous tiendrez au moyen d'un étau votre planche sur un réchaud, dans lequel il y aura un feu médiocre ; vous lui donnerez une chaleur modérée ; et passant alors le morceau de taffetas dans lequel est enfermée la boule de vernis que vous avez pétrie sur la planche en divers sens, la chaleur fera fondre doucement le vernis, qui se faisant jour au-travers du taffetas, se répandra légèrement sur la surface du cuivre. Lorsque vous croirez qu'il y en a suffisamment, vous vous servirez d'un tampon fait avec du coton enfermé dans du taffetas ; et frappant doucement dans toute l'étendue de la planche, vous porterez par ce moyen le vernis dans les endroits où il n'y en aura pas, et vous ôterez ce qu'il y en a de trop dans les endroits où il sera trop abondant. Il faut avoir une grande attention qu'il n'y ait pas trop de vernis sur les planches, et qu'il y soit également répandu ; le travail de la pointe en devient plus fin et plus facile.

Pour cela, vous retirerez à-propos votre planche de dessus le feu (tandis que vous vous servirez du tampon), et l'y remettrez s'il est nécessaire ; parce que si le vernis devient trop chaud, il brule et se calcine dans les endroits où il est atteint d'une chaleur trop vive : si, au contraire, il est trop peu chaud, le tampon que vous appuyez légèrement l'enlève ; et laisse des parties de la planche à découvert.

Lorsque cette opération est faite, vous remettez un instant votre planche sur le réchaud ; et lorsque le vernis a pris une chaleur égale qui le rend luisant par-tout, vous vous servez, ainsi que pour le vernis dur, des morceaux de bougie jaune, à la fumée desquels vous noircissez votre planche avec les attentions que j'ai prescrites ; après quoi vous laissez bien refroidir la planche dans un endroit qui soit à l'abri de la poussière, pour vous en servir comme je vais le dire.

Voici donc la planche qu'on destine à la gravure, forgée, polie, vernie, soit au vernis dur, soit au vernis mou, et noircie, en sorte qu'elle ne semble plus un morceau de cuivre, mais une surface noire et unie, sur laquelle il s'agit de tracer le dessein qu'on veut graver.

La façon la plus ordinaire de transmettre sur le vernis les traits du dessein qu'on doit graver, est de frotter ce dessein par-derrière avec de la sanguine mise en poudre très-fine, ou de la mine de plomb. Lorsqu'on a ainsi rougi ou noirci l'envers du dessein, de manière cependant qu'il n'y ait pas trop de cette poudre dont on s'est servi, on l'applique sur le vernis par le côté qui est rouge ou noir ; on l'y maintient avec un peu de cire qu'on met aux quatre coins du dessein : ensuite on passe avec une pointe d'argent ou d'acier qui ne soit pas coupante, quoique fine, sur tous les traits qu'on veut transmettre, et ils se dessinent ainsi sur le vernis. Après quoi on ôte le dessein ; et pour empêcher que ces traits legers qu'on a tracés en calquant ne s'effacent lorsque l'on appuie la main sur le vernis en gravant, on expose la planche un instant sur un feu presque éteint, ou sur du papier enflammé, et on la retire dès qu'on s'aperçoit que le vernis rendu un peu humide, a pu imbiber le trait du calque.

Cette façon de calquer la plus commune et la plus facîle a un inconvénient ; les objets dessinés ainsi sur la planche et gravés, se trouveront dans les estampes qu'on imprimera, placés d'une façon contraire à celle dont ils étaient disposés dans le dessein : il paraitra par conséquent dans les estampes que les figures feront de la main gauche les actions qu'elles semblaient faire de la main droite dans le dessein qu'on a calqué, et quel que soit cet inconvénient, il est si desagréable ou si nuisible à l'usage qu'on attend de la gravure, qu'il faut absolument le surmonter. Voici les différents moyens qu'on a pour cela. 1°. Si le dessein original est fait avec la sanguine ou la mine de plomb, il faut, au moyen de la presse à imprimer les estampes, en tirer une contre-épreuve, c'est-à-dire, transmettre un trait ou une empreinte de l'original sur un papier blanc, en faisant passer le dessein et le papier qu'on a posé dessus, sous la presse, comme on le dira à l'article de l'IMPRESSION DES ESTAMPES ; alors on a une représentation du dessein original dans un sens contraire. En faisant ensuite à l'égard de cette contre-épreuve ce que j'ai prescrit tout-à-l'heure pour le dessein même, c'est-à-dire en calquant la contre-épreuve sur la planche, les épreuves qu'on tirera de cette planche lorsqu'elle sera gravée, offriront les objets placés du même sens qu'ils le sont sur l'original.

Si le dessein n'est pas fait à la sanguine ou à la mine de plomb, et qu'il soit lavé, dessiné à l'encre, ou peint, il faut user d'un autre moyen que voici. Prenez du papier fin vernis, avec l'esprit de térébenthine, ou le vernis de Venise, qui sert à vernir les tableaux ; appliquez ce papier, qui doit être sec et qui est extraordinairement transparent, sur le dessein ou sur le tableau : dessinez alors les objets que vous voyez au-travers avec le crayon ou l'encre de la Chine. Ensuite ôtant votre papier de dessus l'original, retournez-le ; les traits que vous aurez formés et que vous verrez au-travers, y paraitront disposés d'une façon contraire à ce qu'ils sont dans l'original ; appliquez sur la planche le côté du papier sur lequel vous avez dessiné ; mettez entre ce papier vernis et la planche, une feuille de papier blanc, dont le côté qui touche à la planche soit frotté de sanguine ou de mine de plomb ; assurez vos deux papiers avec de la cire, pour qu'ils ne varient pas ; et calquez avec la pointe, en appuyant un peu plus que vous ne feriez s'il n'y avait qu'un seul papier sur la planche ; vous aurez un calque tel qu'il faut qu'il soit pour que l'estampe rende les objets disposés comme ils le sont sur le dessein.

Je dois ajouter ici que pour vous conduire dans l'exécution de la planche, il vous faudra consulter la contre-épreuve, ou le dessein que vous aurez fait ; et que si vous voulez, pour une plus grande exactitude, vous servir du dessein ou du tableau original, il faut le placer de manière que se réfléchissant dans un miroir, le miroir qui devient votre guide, vous présente les objets du sens dont ils sont tracés sur votre planche.

Ces moyens que je viens d'indiquer, sont propres à préparer le trait lorsque l'on grave un dessein ou un tableau de la même grandeur qu'il est ; mais s'il est nécessaire, comme il arrive souvent, de diminuer ou d'augmenter la proportion des objets, il faut se servir des opérations indiquées aux mots GRATICULER ou REDUIRE.

La planche étant préparée au point qu'il ne s'agit plus que de graver, il est bon de donner une idée générale de l'opération à laquelle on veut parvenir, en gravant à l'eau-forte ; ensuite nous dirons de quels instruments on se sert.

Le vernis dont on vient d'enduire la planche, est de telle nature que si vous versez de l'eau-forte dessus, elle ne produira aucun effet ; mais si vous découvrez le cuivre en quelqu'endroit, en enlevant ce vernis, l'eau-forte s'introduisant par ce moyen, rongera le cuivre dans cet endroit, le creusera, et ne cessera de le dissoudre, que lorsque vous l'en ôterez, ou qu'elle aura perdu et consumé sa qualité corrosive. Il s'agit donc de ne découvrir le cuivre que dans les endroits que l'on a dessein de creuser, et de livrer ces endroits à l'effet de l'eau-forte, en ne la laissant opérer qu'autant de temps qu'il en faut pour creuser, suivant votre intention, les endroits dont vous aurez ôté le vernis : vous vous servirez pour cela d'outils qu'on nomme pointes et échopes.

La façon de faire des pointes la plus facîle est de choisir des aiguilles à coudre de différentes grosseurs, d'en armer de petits manches de bois de la grandeur d'environ cinq ou six pouces, et de les aiguiser au besoin et à son gré, pour les rendre plus ou moins fines, suivant l'usage qu'on en veut faire. On peut mettre à ces outils le degré de propreté qu'on juge à-propos ; on peut se servir de morceaux de burins, qui étant d'un très-bon acier, sont très-propres à faire des pointes ; et quant à la manière de les monter, c'est ordinairement une virole de cuivre qui les unit au bois, au moyen d'un peu de mastic ou de cire d'Espagne. J'ai éprouvé que des morceaux de burins arrondis et enfoncés profondément dans un manche de bois assez gros pour faire l'effet d'un porte-crayon de cuivre, formaient de très-bonnes pointes ; la profondeur dont elles sont enfoncées supplée à la virole, et fait que lorsque vous voulez entamer le cuivre, et appuyer quelques touches, elles se prêtent à la force que vous y mettez sans se démancher. La façon de les aiguiser est de les passer sur une pierre fine à aiguiser, en les tournant sans-cesse entre les doigts pour les arrondir parfaitement. On sent aisément que l'on est le maître de leur rendre la pointe plus ou moins épaisse, suivant l'usage qu'on en veut faire. On appelle du nom de pointe en général, toutes ces sortes d'outils ; mais le nom d'échopes distingue celles des pointes dont on aplatit un des côtés ; en sorte que l'extrémité n'est pas parfaitement ronde, mais qu'il s'y trouve une espèce de biseau, comme on peut le voir dans la Planche de la gravure sur cuivre, lettre B.

Avant que de parler de la manière de se servir des pointes et des échopes, je vais prescrire quelques observations nécessaires pour conserver le vernis.

C'est surtout le vernis mou que ce soin doit regarder ; le vernis dur est à l'abri des petits accidents qu'il faut éviter ; il ne se raye pas aisément : il suffit d'envelopper la planche qui en est couverte, d'un papier, d'un linge, ou d'un morceau de peau, lorsque l'on ne travaille pas. Pour le vernis mou, le moindre frottement d'un corps tant-sait-peu dur l'enlève ; et l'on doit ou tenir la planche sur laquelle on s'en sert, enfermée dans un tiroir lorsqu'on ne grave pas ; ou bien enveloppée dans un linge fin, ou dans une peau fine. Il faut même, lorsqu'en gravant on appuie la main sur le vernis, le faire avec précaution ; au reste il y a des moyens de réparer les petits accidents qui peuvent y être arrivés, que je dirai avant que d'expliquer la manière d'appliquer l'eau-forte : venons à la manière de travailler avec les pointes sur le vernis.

Il est nécessaire premièrement que l'artiste choisisse une place convenable pour y placer la table sur laquelle il doit graver. Cette place est l'embrasure d'une croisée qui ait un beau jour, et qui, s'il se peut, ne soit pas exposée au plein midi ; car le trop de jour pourrait être aussi nuisible à la vue du graveur que l'obscurité. Pour modérer ce jour, il suspendra entre la fenêtre et lui un châssis garni de papier huilé ou vernis, comme il est marqué dans la fig. 3. de la Planche de la Gravure sur cuivre. Il se servira aussi pour plus de commodité d'un pupitre, dans lequel il enfermera la planche, pour la mettre à l'abri de tout accident, lorsqu'il n'y travaillera pas. Il y a eu des graveurs qui se sont servis d'un chevalet de peintre, et qui à l'aide de l'appuie-main, ont exécuté leurs ouvrages de la même façon qu'on peint un tableau ; cette pratique est, je crois, infiniment moins préjudiciable à la santé, que l'attitude courbée qu'on a ordinairement en gravant ; mais il est difficîle de s'y faire et d'y accoutumer la main : c'est à l'artiste à éprouver et à choisir ; et je crois nécessaire de recommander aux Artistes d'essayer toujours avec soin et réflexion tout ce qui a été pratiqué avant eux ; c'est le moyen d'étendre un art et de rencontrer soi-même des découvertes neuves ; d'ailleurs telle pratique convient au caractère, au tempérament, au génie, et au goût d'un artiste, qui en peut tirer un parti que nul n'a pu en tirer avant lui.

Venons à l'opération de graver : j'ai fait sentir au mot ESTAMPE, que graver est en quelque façon dessiner et peindre ; ainsi plus le graveur sera instruit des principes théoriques de la Peinture et de la pratique de cet art, plus il lui sera facîle d'en faire une juste application. Il faut au moins indispensablement que le graveur sache bien dessiner, et qu'il s'entretienne toujours dans l'habitude du dessein au crayon d'après la bosse et d'après la nature. Ces conditions supposées, le graveur ayant calqué comme je l'ai dit sur sa planche le dessein qu'il veut exécuter, il se servira de ses pointes, pour en rendre l'effet par des hachures plus ou moins fortes, c'est-à-dire plus fines et plus grosses. Les règles de la perspective aérienne et la réflexion qu'il fera sur l'effet que produisent les corps en raison de leur éloignement, le conduiront aisément à se servir des pointes les plus fines dans les plans éloignés, et des pointes les plus fortes pour les premiers plans. Il s'agira donc d'ombrer par le moyen des hachures qu'il formera sur sa planche, en enlevant le vernis avec ses pointes, les objets que lui présente son dessein. Je remarquerai pour ceux qui n'ont jamais gravé, qu'il y a pour s'y habituer une petite difficulté à surmonter : elle consiste en ce que lorsqu'on dessine sur le papier blanc, les hachures qu'on forme se trouvent opposées à la blancheur du fond par une couleur brune, foncée, ou noire ; au lieu que les hachures que produisent les pointes en découvrant le vernis qui est très-noir, sont claires et brillantes : en sorte que cette opposition est absolument différente de celle que produit le dessein. Au reste, on s'accoutume aisément à cette difference ; et l'on se fait à imaginer que ce qui est le plus clair et le plus brillant sur la planche vernie, deviendra le plus noir sur l'estampe. Revenons à quelques-uns des principes de cet art : j'ai dit que l'on y parvenait à une juste dégradation par la différente grosseur des pointes qu'on emploie. Mais l'on sent aisément que le travail doit concourir à produire les effets nécessaires à l'accord et à l'harmonie. Ce travail, c'est-à-dire le sens dans lequel on trace les hachures, doit être déterminé par l'étude de la nature comme dans le dessein ; et assez ordinairement si le dessein est bon, les hachures du crayon vous indiqueront celles des pointes. Ainsi le sens des muscles et le tissu de la peau pour les figures, seront les points dont vous partirez pour régler votre travail ; et voilà pourquoi il est essentiel qu'un graveur ait une grande habitude de dessiner. Sans cela la liberté que se donnent quelquefois les Artistes en dessinant, pourrait l'égarer. Cette réflexion me conduit naturellement à dire en passant un mot sur ce qui peut contribuer à la corruption de cet art.

On ne connaissait dans les premiers temps où on l'a exercé que la Gravure au burin, dont je donnerai le détail. La longueur du travail du burin, et l'avantage de la découverte et de la promptitude d'un nouveau moyen, contribuèrent à rendre la façon de graver à l'eau-forte plus générale et plus commune ; cependant on commença par soumettre cette nouvelle pratique à une imitation servîle des effets du burin : c'était les premiers pas d'un art timide qui n'osait s'écarter de celui à qui il devait la naissance ; mais cette subordination dura peu : la gravure à l'eau-forte prit l'essor et se chargea de faire les trois quarts des ouvrages qu'elle entreprenait, laissant au burin le soin de leur donner un peu plus de propreté, d'accord, et de perfection. Elle ne se borna pas-là ; elle hasarda d'exécuter d'une façon libre des ouvrages entiers ; elle se débarrassa du joug que lui avait imposé le burin ; les règles qu'on avait établies n'y furent plus des lois auxquelles on ne pouvait se dispenser de se soumettre ; d'habiles artistes en promenant au hasard la pointe sur le vernis, formèrent des croquis pleins d'esprit et de feu, mais fort incorrects et d'un travail fort peu agréable. Un nombre infini de graveurs de tous états s'élevèrent, et crurent qu'il suffisait de calquer un dessein ou un tableau sur le cuivre, d'en former un trait peu correct, de le couvrir de hachures arbitraires, et de laisser à l'eau-forte le soin d'achever ces ouvrages imparfaits, dont nous sommes inondés aujourd'hui. Mais si l'art de la Gravure a perdu, et perd ainsi tous les jours du mérite savant qu'elle a eu dans les temps où on l'exerçait avec plus de réserve, de soins, et de réflexions ; cette espèce d'abus qu'on en fait a son utilité pour la communication générale des Arts et des connaissances. Il n'est point d'ouvrage sur ces matières, où les idées un peu compliquées ne soient éclaircies par des figures gravées, qui font entendre ce qu'on aurait souvent de la peine à comprendre sans cela. Ces figures le plus souvent très-imparfaites du côté de l'art, ne servent pas moins à la fin pour laquelle on les emploie : l'art de la Gravure est donc devenu moins parfait, mais plus utîle aux hommes.

Voici quelques-unes des règles que Bosse nous a transmises, et desquelles on peut supprimer, ou auxquelles on peut ajouter, pourvu que ce soit d'après des travaux raisonnés, et qu'on ait toujours en vue l'imitation de la nature, et l'application des vrais principes de la Peinture et du Dessein. J'ai dit que la première taille ou le premier rang de hachures qu'on trace avec la pointe sur le vernis doit suivre le sens des hachures du dessein, ou de la brosse et du pinceau, si c'est d'après un tableau qu'on grave : mais ce premier rang de hachures n'est pas suffisant pour parvenir à l'effet d'une planche ; il est d'usage de passer sur ces premières tailles un second, et quelquefois un troisième, et même un quatrième rang de traits qui se croisent en différents sens. Les secondes tailles doivent concourir avec les premières à assurer les formes, à fortifier les ombres, et à décider les figures ou les objets qu'on grave ; mais comme dès les premières tailles, on a dû épargner les reflets et les demi-teintes, les secondes doivent ménager de même les parties qui doivent être moins colorées. Si l'ombre se trouve très-forte et le reflet aussi, les deux tailles de l'ombre doivent être faites avec une pointe molle et forte, et ces deux mêmes tailles seront continuées dans les reflets par des pointes plus fines dans le même genre de travail.

On doit observer de faire la première taille forte, nourrie, et serrée ; la seconde un peu plus déliée et plus écartée, et la troisième encore plus fine. La raison de cela est, que la première étant celle qui indique le sens des muscles et de la peau, doit être celle qui domine ; les autres ne sont ajoutées que pour colorer davantage les figures ou les corps sur lesquels on les emploie. L'une dessine, les autres peignent ; la première est faite pour imiter les formes, les autres pour répandre sur ces formes l'effet juste du clair obscur. Si la première et la seconde taille forment en se croisant des carrés, la troisième doit former des losanges sur l'une des deux ; ou si les deux premières sont en losange, la troisième sera carrée.

On doit se servir rarement de troisième hachure à l'eau-forte, lorsqu'on se réserve de retoucher la planche au burin, parce qu'on laisse cette troisième pour ajouter, par le moyen du burin, la couleur qui peut manquer, et la propreté qu'on veut donner à l'ouvrage.

Le genre de travail que l'on emploie doit, comme on le sentira aisément, avoir rapport à la nature des objets qu'on grave. Cette espèce de convention contribue beaucoup à l'effet que produit la Gravure ; ainsi on a remarqué que les traits doublés qui forment des carrés, c'est-à-dire qui se croisent perpendiculairement, produiraient à la vue un travail plus dur et moins agréable à l'oeil, que les traits qui se coupent en formant des losanges ou des demi-losanges. On a donné la préférence à ce dernier travail, pour représenter des corps délicats, tels que ceux des femmes, des enfants, des jeunes hommes ; et l'on s'est éloigné plus ou moins de cette combinaison de tailles à-proportion de l'austérité qu'on désirait dans les travaux qu'on voulait employer. Quelques artistes ont trouvé que dans les figures qui ne demandaient pas une grande vigueur de couleur, on pouvait hardiment se servir du grand losange ; mais qu'il devenait embarrassant, lorsqu'il faut rendre les tons plus colorés. Au reste il est des artistes qui sans s'astreindre à ces règles, ont fait de très-belles estampes, ce qui ne prouve pas qu'elles soient inutiles, mais seulement qu'il ne faut s'en affranchir qu'autant qu'on est sur de réussir sans leurs secours. Les plus beaux exemples de ces pratiques, dont je viens de rendre compte, sont les estampes de Corneille Vischer.

Les draperies exigent du graveur une infinité de combinaisons et d'attentions dans le travail qui varie, suivant la nature des étoffes, le mouvement des plis et le plan des figures. En général il faut, comme dans les chairs, que la première taille dessine la forme et le mouvement du pli ; mais si la continuation de cette taille dans le pli qui suit, n'est pas propre, comme cela doit arriver souvent, à en exprimer le juste caractère, il faut la destiner à servir de seconde ou de troisième même, en subordonnant cette taille à celle que vous lui substituez. Cette combinaison qui demande du soin et de l'habitude, donnera à votre travail une aisance et une justesse qui charmeront l'oeil. Une seconde observation est, qu'il faut éviter que ces tailles dont vous vous servez, et qui vont se terminer au contour des membres nuds, ou des autres corps qui se touchent, tombent à angles droits sur ces contours ; mais il faut que ces hachures se perdent avec eux d'une manière insensible et douce. En général, les hachures des draperies doivent former des traits ondoyans, et éviter d'être roides et gênées ; elles doivent s'unir par les moyens dont j'ai parlé, de manière que dans l'ouvrage les objets se détachent principalement par l'effet des ombres et des jours.

Les clairs et les demi-teintes exigent dans la Gravure, ainsi que dans le Dessein, une propreté de travail extrême : on aura donc soin de varier les pointes, et de se servir dans cette occasion de celles qui sont plus fines. Les ombres qui demandent à être solides, et qui représentent l'effet de la privation de la lumière, admettent un travail ferme, &, pour ainsi dire, plus rempli d'accidents et d'inégalités ; mais les demi-teintes et les reflets qui participent de la lumière, doivent être exécutés avec une attention d'autant plus grande, que lorsque les objets sont clairs, on doit mieux en distinguer les formes et les détails. Sur les grandes lumières les travaux ne peuvent être ou trop ménagés, ou faits avec trop de legereté, et avec cette propreté qui flatte l'oeil. Les tailles doivent être écartées les unes des autres ; et si l'on a dessein de terminer l'ouvrage à la pointe, c'est alors que le travail de cet outil doit tendre à imiter la netteté du burin. Pour les planches qu'on destine à être retouchées au burin, il faut y réserver le travail dont je viens de parler ; parce qu'on est plus maître de donner avec le burin ce degré juste de netteté qui doit faire valoir l'ouvrage. Les linges et les étoffes fines doivent se préparer à une seule taille propre ; il faut laisser au burin à les terminer par des secondes tailles legeres et mises à-propos. Puisqu'il est question de cette propreté qu'on doit chercher, sans la pousser trop loin, je vais me permettre quelques réflexions qui viennent à-propos.

Il en doit être de l'art de la Gravure, comme de tous les autres Arts. Les principes généraux que les réflexions ont établis, embrassent un art en général : ces principes se restraignent ensuite, et se soumettent à des exceptions et à des modifications qu'exigent les différents genres de productions de l'art qui les a adoptés : il serait donc injuste de vouloir que dans la Gravure tous les ouvrages fussent soumis indispensablement aux principes que je viens de donner. Parcourons légèrement les classes principales des ouvrages de caractères différents, auxquels la Gravure s'emploie. Son usage le plus commun et le plus relatif à la Peinture, est de multiplier les idées de composition des tableaux des bons artistes, et les effets du clair-obscur de ces compositions. Il y a des tableaux de différents genres ; par conséquent il doit y avoir différents genres de Gravure pour les imiter. L'histoire est l'objet principal de la Peinture ; on peut exiger, pour qu'elle soit traitée parfaitement par un peintre, que toutes les parties de son art y concourent ; que le beau fini soit uni à la grandeur du faire, à la perfection de l'effet, et à la justesse de l'expression : un tableau de cette espèce, s'il y en a, pour être gravé parfaitement, doit être rendu dans l'estampe par toutes les parties de la Gravure. Le burin le plus fier, le plus propre, le plus varié, le plus savant, sera à peine suffisant pour imiter parfaitement le tableau dont je parle. Le travail de l'eau-forte donnerait trop au hasard, et je crois qu'elle nuirait à la beauté de l'exécution. Si un tableau moins parfait offrait une composition pleine de feu, d'expression, et en même temps un faire moins terminé, et un accord moins exact, je crois que le graveur qui emploierait l'eau-forte pour rendre le feu de l'expression qui domine dans l'ouvrage, et qui retouchant au burin ajouterait à son ouvrage le degré d'harmonie que contient son original, remplirait les vues de la Gravure. Enfin un tableau dont le mérite consisterait plus dans le beau faire et dans l'harmonie, que dans l'expression et la force, doit recevoir en Gravure la plus grande partie de la vérité de son imitation, d'un burin bien conduit, et dont le beau travail répondra au précieux mécanisme du pinceau et à la fonte des couleurs.

Le portrait est un second genre de Gravure, d'un usage aussi grand et peut-être plus multiplié encore que le premier. Ce genre de Gravure doit suivre à-peu-près les mêmes règles que je viens d'établir. Les tableaux d'après lesquels on grave les portraits, doivent inspirer au graveur habîle le mécanisme dont il doit se servir, à-moins que par une application différente des moyens qu'il emploie, il ne les proportionne en quelque sorte à l'état, au sexe, à l'âge et à la figure des personnages dont il transmet la ressemblance. La jeunesse et les grâces du sexe demandent une propreté de travail et une douceur dans l'arrangement des tailles, qui sied moins à la vieillesse ou au caractère austère d'un guerrier. Cette réflexion m'a souvent frappé, lorsqu' admirant les précieux ouvrages des Drevets et des Edelinks, j'ai Ve un magistrat âgé, ou un guerrier, dont la représentation m'offrait quelque chose d'efféminé, que j'ai cru être l'effet d'une trop grande uniformité de travail, et de ce qu'on appelle un trop beau burin. Au reste je ne prétends pas que cette réflexion soit prise à la rigueur, et je la soumets à ceux des artistes qui auront assez exercé leur art et assez réfléchi, pour la modifier comme elle doit l'être.

Le paysage, sous le nom duquel je comprendrai, pour ne pas être trop long, tous les autres genres particuliers, peut se livrer à plus de liberté, et par conséquent l'eau-forte y peut être employée avec succès, mais toujours avec un rapport juste au caractère du tableau qu'on grave, ou à la nature des objets qu'on représente. Je n'ai en vue dans tout ce que je dis ici, que les ouvrages de Gravure auxquels on cherche à donner un juste degré de perfection ; car pour les gravures qui sont l'ouvrage des Peintres, il serait injuste de leur fixer aucune règle, ce sont des délassements pour eux ; et la pointe en s'égarant même entre leurs mains, porte toujours l'empreinte du génie des artistes qui la font obéir à leur caprice. Je passe aussi sous silence les gravures multipliées des amateurs ; ce sont des amusements qui servent à les instruire : il en est peu qui puissent aspirer à un degré de perfection, pour lequel un travail assidu, constant et suivi pendant un grand nombre d'années, est à peine suffisant.

Je reviens aux préceptes de Bosse, dont je donne l'extrait raisonné. Indépendamment des hachures simples, de celles qui se croisent, soit en formant des carrés, soit en formant des losanges, il y a encore une sorte de travail dont on se sert dans différentes occasions. Ce travail se fait en formant des points séparés les uns des autres, et ces points peuvent être ou totalement ronds, ou ronds par un côté, et un peu allongés par l'autre ; ils peuvent être longs, droits, ou tremblotés. L'usage est de se servir de points ronds à l'eau-forte, et on les emploie pour donner aux chairs un caractère délicat qui fasse naître une idée des pores et du tissu de la peau. Ce travail, ainsi que ceux dont j'ai déjà parlé, est subordonné au goût et aux réflexions du graveur. L'usage excessif des points, rend le travail mou et peu brillant ; celui des tailles seules pour représenter des chairs, est trop austère ; un mélange judicieux de ces deux espèces de travaux, donnera à la gravure à l'eau-forte un degré d'agrément auquel elle peut tendre.

Il est nécessaire d'arranger avec beaucoup de soin les points qu'on place avec la pointe ; les petits hasards de l'eau-forte les dérangeront assez. L'usage est d'en faire des rangs dans le sens dont on aurait fait des tailles, dans l'endroit où on les emploie. Ceux du second rang se placent de manière qu'ils se trouvent au-dessous ou au-dessus de l'intervalle qui est entre chacun des premiers ; ils servent aussi de continuation aux hachures, en approchant des clairs dans lesquels ils se perdent, en les diminuant à mesure que l'on approche des grandes lumières.

Je reviens encore, avec Bosse, aux tailles, comme au principal objet du travail de la Gravure. Un effet de la dégradation qu'éprouvent les objets dans l'éloignement, est que les détails de ces objets s'aperçoivent moins : c'est cette raison qui a dicté le précepte de serrer les tailles, en même temps qu'on les rend plus fines dans les plans éloignés. Par cette même raison on détaillera moins, à l'aide des hachures et des traits qui forment les contours, les différents objets dont on gravera la représentation, lorsqu'ils seront censés éloignés de l'oeil. On observera cette dégradation par plan, et ce soin donnera beaucoup d'effet aux planches : on changera donc de pointe à mesure que les objets approcheront de l'horizon ; on serrera les tailles ; on détaillera moins les petites parties, et l'on gravera les grandes d'une façon un peu indécise, mais large, en ombrant par masses, comme on le peut voir dans les estampes de Gerard Audran, entr'autres dans l'estampe de Pyrrhus sauvé, qu'il a gravée d'après le Poussin, et dans laquelle il a rendu d'une manière excellente la touche large du pinceau dans les lointains et dans les fonds. L'art de l'imitation, dans la Peinture comme dans la Gravure, exige qu'on ne se livre à l'exactitude des détails que fort à-propos : c'est de-là que nait l'ensemble, l'unité, et l'effet des ouvrages. Un objet travaillé avec soin, dont toutes les parties sont rendues avec exactitude et recherche, est capable, avec le plus grand mérite d'exécution, de gâter et de détruire l'effet d'une composition. Savoir supprimer avec discernement en Peinture, et passer à propos sous silence dans l'art d'écrire, sont les moyens d'arriver à la perfection à laquelle doivent tendre ces différents arts.

C'est dans le paysage, comme je l'ai déjà indiqué, que l'on peut se permettre une plus grande liberté dans les différents travaux des hachures. Le travail libre, varié, les hachures tremblantes, interrompues, redoublées et confondues, donnent à ce genre de gravure un effet piquant, qui plait extrêmement aux connaisseurs, aux artistes, et souvent aux amateurs, sans qu'ils en approfondissent trop la raison. Il en résulte qu'on abuse très-souvent de cette façon de travailler, qui n'exige, pour ainsi dire, aucune règle, et qui met ainsi fort à son aise celui qui s'y livre. L'illusion qu'on se fait, et le prétexte qu'offre à l'ignorance et à la paresse le mot de gout, pris dans un sens fort éloigné de celui qu'il doit avoir, produisent des paysages où les arbres, les fabriques, le ciel et les terrains sont d'un travail si brut et si égratigné, qu'on ne sent aucun plan, aucune forme, et aucun effet. Si cette manière qu'on ose appeler graver de goût et avec esprit, continue à se répandre, elle achevera de corrompre cette partie de l'art de la Gravure. Il est une liberté que l'esprit et le goût véritables peuvent inspirer, mais qui a toujours pour but de faire sentir au spectateur ou la forme des objets qu'on grave, ou leur effet de clair obscur, ou le caractère principal qui les distingue. Lorsqu'un graveur n'est affecté dans son travail d'aucun de ces objets, et qu'il ne met pas son art à les faire passer dans l'esprit de ceux qui voient ses ouvrages, il en impose injustement ; et ce charlatanisme dont il colore son peu de talent, doit être puni par une juste évaluation de ses ouvrages.

Je n'entrerai pas dans un plus grand détail de principes pour la gravure à l'eau-forte. Les principes du dessein auxquels on peut recourir au mot DESSEIN, et une grande partie de ceux de la Peinture qui sont distribués dans les articles qui leur conviennent, doivent servir de supplément à celui-ci. Je vais reprendre le mécanisme de la gravure à l'eau-forte.

Les pointes dont on se sert et dont j'ai donné le détail, peuvent être de deux sortes, ou coupantes, ou émoussées. Celles qui sont coupantes sont particulièrement destinées à graver au vernis dur, parce que ce vernis resisterait trop aux pointes qui ne coupent pas. Lorsqu'on grave sur le vernis mou, on peut se servir des unes et des autres. L'inconvénient des pointes coupantes est de faire quelquefois des touches dures, parce que la pointe qui Ve en grossissant depuis le point qui la termine, ouvre le cuivre d'autant plus qu'elle s'y enfonce davantage ; ce qui produit des tailles trop noires, si elles ne sont pas accompagnées par d'autres tailles. On doit en général avoir grand soin dans la Gravure, d'éviter et dans les touches et dans toutes sortes de travaux, une certaine maigreur et sécheresse, que la finesse des outils dont on se sert doit occasionner. Je crois que les planches qui n'ont qu'une médiocre étendue, peuvent être gravées avec esprit et à l'aide des pointes coupantes ; qu'en général on doit mêler les pointes des deux espèces, et que le juste emploi qu'on en fera répandra beaucoup de goût sur les ouvrages auxquels on les aura employées. L'échope est une pointe coupante qui, comme je l'ai dit, a une espèce de biseau sur un des côtés de son extrémité, comme vous le verrez à la Planche I. de la gravure en taille-douce. Il en résulte que vous pouvez regarder l'échope comme une plume à écrire, dont l'ovale A B C D serait l'ouverture, et la partie proche le C serait le bout qui écrit. La manière de tenir l'échope est aussi à-peu-près semblable à celle dont on tient la plume, à la réserve qu'au lieu que la taille, ou l'ouverture de la plume, est tournée vers le creux de la main, et que l'ovale ou la face de l'échope est d'ordinaire tournée vers le pouce, comme la figure le montre : ce n'est pas que l'on ne la puisse tourner et manier d'un autre sens ; mais la première manière peut mériter la préférence, parce qu'elle est peut-être la plus commode, et qu'on a bien plus de force pour appuyer. C'est en s'esseyant et en s'exerçant, que l'on concevra facilement le moyen de faire avec l'échope des traits gros et profonds.

La figure A B C D représente la face ou l'ovale de l'échope : or si l'on pouvait enfoncer le bout de cet outil dans le cuivre jusqu'à la ligne D B, qui est le point où l'ovale est le plus large, on ferait un trait dont la largeur serait égale à la longueur de D B, et qui dans le milieu serait creux ou profond de la longueur de O C. Si vous n'enfoncez pas votre échope dans le cuivre jusqu'aux points que j'ai désignés, vous pourrez faire un trait, tel que le représente la figure marquée par les lettres b, o, d, c.

Vous voyez par ces deux exemples, qu'en appuyant fort peu, le trait sera moins profond, et conséquemment plus large, comme sont les traits marqués dans la figure aux lettres r n s, où vous voyez qu'il faut commencer légèrement par r, qu'il faut appuyer de plus en plus jusqu'à n, enfin qu'ayant rendu la main plus légère jusqu'à s, vous ferez un trait pareil à r n s. Il faut remarquer que pour que la figure soit plus intelligible, on a dessiné l'échope beaucoup plus grosse qu'elle ne doit être en effet.

Lorsque l'on veut rendre le commencement et la fin des hachures plus déliés, il faut avec une pointe reprendre l'extrémité de ces hachures, en appuyant un peu à l'endroit où l'on reprend, et en soulevant doucement la main jusqu'à l'endroit où la hachure doit se perdre. Vous remarquerez qu'en tournant la planche suivant le sens dans lequel on veut travailler, on rendra cette manœuvre plus facile. Ces remarques sur l'échope sont entièrement tirées de l'ouvrage que j'ai cité. J'ai fait l'épreuve des pratiques qu'elles contiennent ; et je pense, ainsi que Bosse, qu'on peut en acquérant l'usage de cette espèce de pointe, en tirer un très grand parti pour la variété des traits ; puisqu'en se servant de cet outil par le côté tranchant, on fera des traits d'une finesse extrême, et que le moindre mouvement des doigts donnera à ces traits une largeur plus ou moins grande : mais je préviendrai en même temps qu'il faut de l'adresse, de l'attention, et beaucoup d'habitude pour y habituer entièrement la main : aussi y a-t-il peu d'artistes qui s'en servent uniquement. La manière de gouverner l'échope servira aisément pour le maniement de la pointe ; ainsi je n'insisterai point là-dessus. Il faut avoir l'attention de tenir en général les pointes et les échopes le plus à-plomb qu'il est possible, et de les passer souvent sur la pierre à aiguiser, pour que leurs inégalités ne nuisent pas à la propreté du travail. Il est encore nécessaire de nettoyer votre vernis, et de n'y laisser aucune malpropreté : vous vous servirez pour cela ou des barbes d'une plume, ou d'un linge très-fin, ou d'une petite brosse douce qui sera faite exprès.

Il est temps de passer aux préparatifs nécessaires, avant de livrer la planche à l'eau-forte. Je suppose donc qu'on a tracé sur cette planche, en ôtant le vernis avec les pointes et les échopes, tout ce qui peut contribuer à rendre plus exactement le dessein ou le tableau qu'on a entrepris de graver : la planche étant dans cet état, il faut commencer par un examen qui tendra à connaître si le vernis ne se trouve pas égratigné dans des endroits où il ne doit pas l'être, soit par l'effet du hasard, soit parce qu'on a fait quelques faux traits. Lorsque vous aurez remarqué ces petits défauts, vous préparerez un mélange propre à les couvrir. Ce mélange se fait en mettant du noir de fumée en poudre dans du vernis de Venise (c'est celui dont on se sert pour vernir les tableaux) ; vous employerez ce mélange, après lui avoir donné assez de corps pour qu'il couvre les traits que vous voulez faire disparaitre, avec des pinceaux à laver ou à peindre en mignature. Il est une autre mixtion nécessaire pour en enduire le derrière de la planche, qui sans cela serait exposé sans nécessité à l'effet corrosif de l'eau-forte. En voici la composition.

Prenez une écuelle de terre plombée, mettez-y une portion d'huîle d'olive, posez ladite écuelle sur le feu. Lorsque l'huîle sera bien chaude, jetez-y du suif de chandelle : le moyen de savoir si le mélange est tel qu'il doit être, est d'en laisser tomber quelques gouttes sur un corps froid, tel qu'une planche de cuivre, par exemple ; si ces gouttes se figent de manière qu'elles soient médiocrement fermes, le mélange est juste ; si elles sont trop fermes et cassantes, vous remettrez de l'huîle ; si au contraire elles sont trop molles et qu'elles restent presque liquides, vous ajouterez une petite dose de graisse. Lorsque la mixtion sera au degré convenable, vous ferez bien bouillir le tout ensemble l'espace d'une heure, afin que le suif et l'huîle se lient et se mêlent bien ensemble. On se sert d'une brosse ou d'un gros pinceau pour employer cette mixtion ; et lorsqu'on veut en couvrir le derrière du cuivre, on la fait chauffer de manière qu'elle soit liquide.

Ces précautions nécessaires que je viens d'indiquer, sont communes aux ouvrages dans lesquels on s'est servi du vernis dur, et ceux où le vernis mou a été employé : mais l'eau-forte dont on doit se servir, n'est pas la même pour l'un et l'autre de ces ouvrages. Commençons par l'eau-forte dont on se doit servir pour faire mordre les planches vernies au vernis dur.

Prenez trois pintes de vinaigre blanc, du meilleur et du plus fort ; six onces de sel commun, le plus net et le plus pur ; six onces de sel ammoniac clair, transparent, et qui soit aussi bien blanc et bien net ; quatre onces de verdet, qui soit sec et exempt de raclure de cuivre et de grappes de raisin avec lesquelles on le fabrique. Ces doses serviront de règle pour la quantité d'eau-forte qu'on voudra faire. Mettez le tout (après avoir bien pilé les drogues qui ont besoin de l'être) dans un pot de terre bien vernissé principalement en-dedans, et qui soit assez grand pour que les drogues en bouillant et en s'élevant ne passent pas par-dessus les bords ; couvrez le pot de son couvercle, mettez-le sur un grand feu ; faites bouillir promptement le tout ensemble deux ou trois gros bouillons, et non davantage. Lorsque vous jugerez à-peu-près que le bouillon est prêt à se faire, découvrez le pot et remuez le mélange avec un petit bâton, en prenant garde que l'eau-forte ne s'élève trop et ne surmonte les bords, d'autant qu'elle a coutume en bouillant de s'enfler beaucoup. Lorsqu'elle aura bouilli, comme je l'ai dit ci-dessus, deux ou trois bouillons, vous la retirerez du feu, vous la laisserez refroidir en tenant le pot découvert, et lorsqu'elle sera enfin refroidie, vous la verserez dans une bouteille de verre ou de grès, la laissant reposer un jour ou deux avant que de vous en servir ; si en vous en servant vous la trouviez trop forte, et qu'elle fit éclater le vernis, vous la pourrez modérer en y mêlant un verre ou deux du même vinaigre dont vous vous serez servi pour la faire.

J'observerai ici que cette composition est assez dangereuse à faire, lorsqu'on ne prend pas l'attention de respirer le moins qu'il est possible la vapeur qui s'exhale, et de renouveller souvent l'air dans l'endroit où on la fait chauffer.

Après avoir composé l'eau-forte dont on se sert pour faire mordre la planche qu'on a vernie au vernis dur, il faut savoir en faire usage. Je vais dire premièrement la manière dont Bosse fait mention ; elle est la plus simple, mais non pas la plus commode. Je dirai ensuite comment M. le Clerc avait commencé de rendre cette opération plus commode ; et je finirai par décrire une machine assez simple que j'ai fait exécuter, dont je me sers, et qui tout-à-la-fais ménage le temps de l'artiste, et le met à l'abri du danger qu'on peut courir par l'évaporation de l'eau-forte.

L'ancienne manière d'employer l'eau-forte dont j'ai parlé, est de la verser sur la planche, de façon qu'elle ne s'y arrête pas et qu'elle coule dans toutes les hachures. Pour cela on place la planche presque perpendiculairement, et pour plus de facilité on l'attache, à l'aide de quelques pointes, contre une planche de bois assez grande, qui a un rebord par enhaut et par les deux côtés. On l'appuie presque perpendiculairement, ou contre un mur, ou contre un chevalet ; ensuite on met au-dessous une terrine qui reçoit l'eau-forte qu'on verse sur la planche ; et qui se rend dans la terrine après avoir coulé dans toutes les hachures. La planche de bois dont j'ai parlé, et sur laquelle la planche de cuivre est attachée, sert à empêcher l'eau-forte qu'on verse de tomber à terre, et les rebords la contiennent : on voit par-là qu'il ne faut pas qu'il y en ait en-bas, puisqu'alors l'eau-forte trouverait un obstacle pour se rendre dans le vase qui doit la recevoir. On prend encore une précaution pour qu'elle se rende plus immédiatement dans ce vase : c'est de mettre au-dessous de la planche de bois une espèce d'auge dans laquelle cette planche de bois entre, et qui la débordant des deux côtés, reçoit sans qu'il s'en perde toute l'eau-forte, qui y est conduite par les rebords dont j'ai parlé. L'auge est percée d'un seul trou, qui répond à la terrine qui est au-dessous ; et moyennant ces précautions, toute l'eau-forte, après avoir lavé la planche, se rend dans la terrine. On la puise de nouveau alors avec le vase qui sert à la verser, et on la répand encore sur la planche ; ce qu'on recommence jusqu'à-ce que l'opération soit faite, en observant toujours que lorsqu'on la verse la planche en soit bien inondée, afin qu'elle pénètre dans toutes les hachures. Voilà la plus ancienne manière de faire mordre avec cette sorte d'eau-forte, qu'on nomme communément eau-forte à couler.

La Pl. I. rendra cette explication plus sensible ; on y voit à la fig. 2. let. A, le graveur versant l'eau-forte ; la lettre B désigne la planche de cuivre attachée sur la planche de bois marquée C : les rebords sont indiqués par les lettres D, l'auge par la lettre E, et la terrine par la lettre F. Passons à la manière dont M. le Clerc a cherché à simplifier cette opération : il a senti que son objet principal était de faire passer l'eau-forte sur la planche, et que c'était en partie par ce mouvement qu'elle approfondissait les tailles qu'on a faites sur le vernis ; il a jugé alors qu'en attachant la planche de cuivre horizontalement dans le fond d'une espèce de boite découverte plus grande que la planche de cuivre ; qu'en enduisant cette boite de suif, pour qu'elle contint l'eau-forte ; qu'en y versant ensuite de l'eau-forte, et en baissant et haussant alternativement cette boite, l'eau-forte qui y serait passerait sur la planche au premier mouvement, et y repasserait au second en allant d'un côté de la boite à l'autre ; qu'ainsi en ballotant cette eau-forte par le moyen des deux mains, on épargnerait la fatigue qu'on essuie dans la manière précédente, dans laquelle il faut ramasser l'eau-forte dans la terrine, pour la reporter sans-cesse sur la planche. D'ailleurs la façon précipitée dont l'eau-forte contenue dans la boite passe sur la planche, fait gagner un temps considérable à l'artiste ; ce qui est un objet intéressant.

C'est cet objet qui m'a déterminé à chercher un nouveau moyen. J'ai premièrement obvié à l'évaporation de l'eau-forte, dont la vapeur est nuisible à celui qui fait mordre, en adaptant à la boite dont je viens de parler un couvercle qui n'est autre chose qu'un verre blanc, une vitre ou une glace montée à jour dans un quadre de fer-blanc ou d'autre métal. Ce couvercle qui ferme exactement la boite, empêche que la vapeur de l'eau-forte mise en mouvement ne soit à beaucoup près aussi abondante et aussi nuisible que lorsqu'elle se répand librement. Les boites dont je me sers sont entièrement de fer-blanc, j'en ai de plus grandes et de plus petites, et je les enduis de plusieurs couches de couleur à l'huîle pour les mettre à l'abri de l'impression de l'eau-forte : ces sortes de boites sont peu couteuses et durent toujours, pourvu qu'on ait soin de leur donner de temps en temps quelques couches de couleur à l'huile. La façon la plus commode de se servir de la boite pour ballotter l'eau-forte, est de la poser sur les genoux qui forment un point d'appui. On tient les deux côtés avec les deux mains, et on soulève un peu chaque main l'une après l'autre, comme on peut le voir fig. 4. de la Pl. I. de la grav. en taille-douce.

Cette manière me parut simple, et j'ai par la seule addition du couvercle, remédié au danger réel auquel le fréquent usage de l'eau-forte peut exposer les artistes qui s'en servent souvent : mais ce moyen a toujours l'inconvénient d'entraîner une perte de temps assez considérable pour l'artiste, ou la nécessité d'employer un homme dont il faut payer la peine. Pour surmonter cette difficulté, j'ai adapté à la boite une machine très-simple qui lui communique le mouvement qu'on lui donnerait avec les deux mains, et qui rend ce mouvement si égal, que l'on est bien plus à portée de calculer l'effet de l'eau-forte sur la planche. Voici en quoi consiste cette machine, dont les figures aideront à bien faire entendre la construction.

Cette machine dont l'assemblage se voit Pl. II. de la gravure en taille-douce, fig. 1. est composée d'une cage de fer formée par deux montants A A, joints ensemble par deux traverses B B ; l'inférieure est attachée à deux pieds C C, qui passent au-travers de la table, et y sont arrêtés par deux écrous. Cette cage renferme deux roues et deux pignons : sur la première roue est rivé un tambour ou barillet contenant un fort ressort : leur arbre commun porte un rochet, et l'un des montants un encliquetage, lesquels servent à remonter le grand ressort et à lui donner la bande nécessaire. La deuxième roue est enarbrée sur le premier pignon ; elle engrene dans le second, qui porte sur un de ses pivots, extérieurement à la cage, un rochet à trois dents.

Ce rochet forme un échappement au moyen de deux palettes fixées sur un anneau elliptique D D, dans lequel il est renfermé. Sur le prolongement de son grand axe, cet anneau porte deux queues sur lesquelles sont deux coulisses, l'une supérieure, l'autre inférieure ; il est arrêté sur un des montants de la cage par des tenons à vis qui lui permettent de se mouvoir librement de haut en-bas. La queue inférieure formée en équerre, porte un petit bras de fer I, qui lui est joint au moyen d'une vis par une de ses extrémités, et qui l'est de même par l'autre à la branche courte F du T, marqué E F G. En K est une goupille fixée sur un des montants ; elle passe à-travers une douille rivée sur le T, sur laquelle il peut se mouvoir. Sa branche G passe par une ouverture faite à la table en forme de rainure, suffisamment grande pour ne pas gêner son mouvement, et porte une lentille de plomb assez pesante. A l'extrémité de la branche longue E est attaché un autre petit bras L, semblable à I, joint par son autre bout au levier M, lequel est fixé invariablement à l'un des tourillons du porte-boite. Celui-ci est fait d'une pièce de fer O N, N O, coudée en N N et en O O où sont deux tourillons sur lesquels il se meut. P P sont deux doigts de fer rivés sur la barre N N lesquels entrent dans deux mains attachées sur la boite pour l'empêcher de se renverser. Q Q sont deux supports terminés par deux tenons qui traversent la table, et sont arrêtés dessous par deux vis ou deux clavettes ; ils servent à porter les tourillons du porte-boite : on y a ajouté deux petits anneaux afin qu'ils ne puissent s'échapper. La boite est de fer-blanc, couverte d'un verre qui permet à l'artiste de voir l'effet de l'eau-forte, et la situation de sa planche.

Voici maintenant comment se fait le jeu de cette machine. Si l'on met le balancier G en mouvement il le communique par le petit bras L au levier M, et par conséquent au porte-boite ; ce qui produit un bercement qui agite sans cesse l'eau-forte contenue dans la boite, en la faisant passer sur la planche et repasser sans discontinuer : mais ce mouvement se ralentirait et cesserait peu-à-peu tout à fait, si le rochet R faisant monter et descendre alternativement l'anneau elliptique au moyen de ses palettes, ne restituait pas le mouvement au balancier, auquel il communique le sien par le petit bras I.

Pour faciliter l'intelligence de cette machine, nous allons développer quelques-unes de ses parties. La fig. 2. de la Pl. II. représente le plan de l'anneau elliptique. D D sont les queues sur lesquelles sont les coulisses. P P sont les palettes : on voit en R le rochet renfermé dans cet anneau. C'est le retour d'équerre de la queue inférieure qui porte le petit bras I, joint de même à la branche courte F du T marqué E F G.

Fig. 3. de la même Planche, K est la douille sur laquelle il se meut ; G est le balancier ; H la lentille ; E la branche longue qui communique par le petit bras L au levier M du porte-boite.

Fig. 4. O O sont les tourillons ; S S les petits anneaux pour les contenir ; P P les doigts pour arrêter la boite ; Q Q les supports des tourillons.

J'avertirai que comme cette machine n'est parfaitement intelligible qu'avec le secours des figures qui ne doivent paraitre qu'à la fin de l'ouvrage, si quelqu'un était curieux de la faire exécuter, je serai toujours disposé à faire voir celle dont je me sers, ou à en envoyer le dessein, si cela peut obliger quelqu'un ou lui être de quelque utilité.

Revenons à ce qui regarde l'effet de l'eau-forte. Cette liqueur corrosive destinée à approfondir les tailles, lorsqu'elle est répandue sur la planche, la creuse effectivement en détruisant les parties de cuivre qui sont découvertes, et en respectant celles qui sont enduites de vernis. Mais il est nécessaire, pour qu'une planche soit au point de perfection où tend le graveur, que ces tailles soient approfondies avec une juste dégradation : les lointains ou les plans éloignés ne feront point l'effet qu'ils doivent faire, si les tailles dont ils sont travaillés sont trop approfondies ; car alors le noir d'impression dont on remplit ces tailles en imprimant la planche, y sera en trop grande abondance ; ces objets paraitront trop noirs sur l'estampe, et ne feront pas l'illusion qu'ils doivent causer : il est donc nécessaire de conduire avec une grande sagacité et beaucoup d'intelligence l'opération de l'eau-forte sur les tailles. Pour cela, lorsqu'on a fait mordre sa planche pendant l'espace de temps qu'on estime suffisant pour les lointains, on suspend l'opération de l'eau-forte ; on retire la planche, on la lave en versant beaucoup d'eau fraiche dessus ; ensuite on la laisse secher ou à l'air ou en l'approchant doucement d'un feu très-modéré. Lorsque la planche sera seche, vous vous éclaircirez de l'effet qu'a produit l'eau-forte, en découvrant le vernis, avec un grattoir ou un petit morceau de charbon de saule, dans quelque endroit des lointains.

Si vous jugez qu'ils soient assez mordus, vous couvrirez tout ce qui doit être du ton de ces lointains, en vous servant du mélange que j'ai déjà indiqué, et qui se fait avec le vernis de peintre et le noir de fumée ; vous l'employerez avec des pinceaux plus ou moins fins, suivant la finesse des traits et des masses que vous voulez couvrir. Ensuite, après avoir donné le temps à ce vernis que vous venez d'employer, de sécher, vous remettrez votre planche comme elle était, pour l'exposer de nouveau à l'eau-forte ; vous la ferez mordre autant que vous croirez qu'il est nécessaire pour les plans qui suivent ceux que vous avez couverts ; ensuite vous retirerez encore votre planche, vous couvrirez une seconde fois ce que vous voulez soustraire à l'effet de l'eau-forte : enfin vous réitérerez cette opération autant de fois que vous le voudrez et que vous croirez qu'il le faut pour parvenir à un juste effet de dégradation dans les plans et dans les objets.

J'observerai qu'il serait injuste d'exiger qu'on donnât des évaluations précises du temps qu'on doit employer l'eau-forte chaque fois ; les calculs et les observations les plus exactes n'ont pu me satisfaire ; l'effet de l'eau-forte dépend de trop de causes accidentelles, pour qu'on puisse le soumettre à des règles invariables.

1°. L'eau-forte est plus ou moins agissante, suivant le degré de cuisson qu'on lui a donné, et suivant la qualité et le choix particulier des ingrédiens dont elle est composée.

2°. Le cuivre par sa nature peut être plus ou moins docîle à l'effet de l'eau forte. Le cuivre mou dont j'ai parlé dans le commencement de cet article, résiste à l'action de l'eau-forte ; le cuivre aigre se dissout trop-tôt, et toutes ces différences sont susceptibles de degrés et de nuances infinies.

3°. L'effet de l'air influe sensiblement sur l'effet de l'eau forte, le froid retarde son action, le chaud l'accélere, l'humidité y cause des différences sensibles.

4°. La manière de se servir des outils avec lesquels on grave, et la différence des pointes ou émoussées ou coupantes, facilitent à l'eau-forte l'entrée du cuivre, ou lui laissent la peine de l'entamer.

Il faut donc que l'usage accompagné des observations particulières de l'artiste, lui donnent les lumières dont il a besoin pour se guider : il est fort difficîle d'arriver à faire mordre une planche à un effet juste ; et c'est pour cela que la plus grande partie des graveurs se contentent d'obtenir de l'eau-forte un ton général, gris, propre, et égal, en réservant de donner à leur ouvrage avec le secours du burin un accord et un effet dont ils sont les maîtres par ce moyen : mais cette pratique que le mécanisme de la gravure favorise, est sujet à des réflexions que j'ai déjà indiquées. Poursuivons ce qui regarde l'opération que je viens de décrire.

Lorsqu'après avoir exposé autant de temps qu'il le faut la planche à l'action de l'eau-forte, ce qui Ve quelquefois à l'espace d'une heure, d'une heure et demie et plus, vous la trouvez parvenue au point que vous souhaitez ; vous la lavez une dernière fois dans une quantité d'eau fraiche, ensuite la chauffant raisonnablement, vous enlevez avec un linge tout le vernis dont vous avez fait usage avec le pinceau, pour couvrir les différents plans : vous ôtez par le même moyen la mixtion de suif et d'huîle dont le derrière de la planche est couvert ; après quoi il reste à enlever le vernis dur : vous y parviendrez en vous servant du charbon de saule que vous passerez dessus la planche, en frottant fortement et en mouillant d'eau commune ou d'huîle et la planche et le charbon. Il est inutîle d'observer qu'à mesure que vous voyez le cuivre se découvrir, il faut ménager le frottement, pour que le charbon n'altère point les finesses de la gravure. Lorsque vous aurez enfin enlevé tout ce qui reste de vernis dur à la planche, vous la livrerez à l'imprimeur pour en tirer des épreuves : on donnera au mot IMPRESSION, tout le détail de cette opération, avec la figure de la presse et sa description.

Revenons à la manière de faire mordre les planches vernies au vernis mou, lorsqu'on emploie pour cela l'eau-forte qu'on nomme eau de départ.

Cette eau-forte se fait avec le vitriol, le salpetre, et quelquefois l'alun de roche, distillés ensemble ; c'est celle dont les affineurs se servent pour séparer l'or d'avec l'argent et le cuivre ; elle se trouve plus aisément que l'autre. D'ailleurs la composition en doit être détaillée ailleurs ; ainsi je ne la donnerai point.

Je remarquerai ici, pour ne point l'oublier, qu'on peut se servir pour faire mordre les planches gravées au vernis mou, de l'eau-forte dont j'ai donné la composition, et qui est faite avec le vinaigre, le sel ammoniac, et le verdet ; elle ménage davantage le vernis, et on la gouverne plus aisément : mais l'eau-forte de départ ne peut servir pour les planches vernies au vernis dur ; elle fait éclater ce vernis, et détruit ainsi en un moment l'ouvrage de plusieurs jours et quelquefois de plusieurs mois.

Venons au vernis mou et à l'eau-forte de départ.

Il faut prendre de la cire molle, rouge ou verte, qui devienne flexible en l'échauffant un peu, comme celle dont se servent les Sculpteurs pour modèler. Vous en formerez en la paitrissant et l'étendant un rebord autour de votre planche. Ce rebord n'a pas besoin d'être plus haut que cinq ou six lignes au plus ; mais il faut qu'il soit tellement appliqué à la planche de cuivre, qu'elle puisse par son moyen, contenir l'eau dont on doit la couvrir à la hauteur de deux ou trois lignes. La planche ainsi préparée, vous la placerez horizontalement sur une table qui soit de niveau, comme on le voit à la fig. 5. de la I. Planche de la gravure en taille-douce. Alors vous prendrez l'eau-forte dont j'ai parlé, vous y mêlerez moitié d'eau commune, et vous la verserez sur la planche ; vous observerez son effet qui se rend sensible par le bouillonnement qui est excité par-tout où elle creuse le cuivre : le reste de l'opération se rapporte à celle que j'ai décrite pour l'eau-forte à couler, c'est-à-dire, que lorsque vous jugez que les lointains et les traits qui doivent être faibles, sont assez mordus, vous versez l'eau-forte, vous lavez bien la planche avec de l'eau commune, vous la laissez secher, vous couvrez ce que vous jugez qui doit être couvert avec le vernis de peintre et le noir de fumée, après quoi vous y remettez l'eau-forte, etc.

Voilà les manières connues de graver à l'eau-forte ; c'est aux artistes à les éprouver toutes, et surtout à ne jamais opérer sans faire des observations : c'est ainsi qu'ils pourront découvrir des pratiques ou plus commodes, ou plus sures, ou plus convenables à leur génie et à leur gout. Il y a, je crois, une infinité de recherches à faire sur cette partie, dont j'espère donner un jour les détails, lorsque je m'en serai assuré par des expériences réitérées. Je me contente aujourd'hui d'offrir aux artistes la machine dont j'ai donné le détail, comme un moyen sur d'éviter les inconvénients que l'eau-forte a pour ceux qui s'en approchent. La conservation des hommes doit toujours être l'objet principal de ceux qui dans les arts cherchent à étendre leurs découvertes.

Je vais maintenant emprunter de l'ouvrage que j'ai cité au commencement de cet article, la plus grande partie de ce qui regarde la gravure au burin.

De la gravure au burin. Le Dessein est toujours la base sur laquelle on doit appuyer toutes les opérations de la Gravure ; on ne peut donc trop recommander aux Graveurs, soit à l'eau-forte soit au burin, de s'exercer continuellement à dessiner ; ils doivent surtout s'appliquer à dessiner longtemps des têtes, des pieds, et des mains d'après nature, et peut-être aussi souvent d'après les desseins des artistes qui ont bien dessiné ces extrémités. Augustin Carrache et Villamène sont des exemples à suivre pour cette partie du Dessein, dans laquelle ils ont parfaitement réussi. Un graveur qui aura les ouvrages de ces artistes sous les yeux, et qui fera de continuelles études, se trouvera en état de corriger les desseins peu corrects d'après lesquels il est quelquefois obligé de graver ; et peut-être même d'ajouter quelquefois à des tableaux d'ailleurs forts estimables, une exactitude dans les détails, que les peintres habiles se croient mal-à-propos en droit de négliger. Je ne prétens pas pour cela insinuer aux Graveurs de se donner une liberté qui serait condamnable. Le graveur est pour les peintres dont il imite les tableaux, ce que le traducteur est pour les auteurs dont il interprete les ouvrages ; ils doivent l'un et l'autre conserver le caractère de l'original, et se dépouiller de celui qu'ils ont ; ils doivent être des protées : on ne lit une traduction, et l'on ne consulte pour l'ordinaire une gravure, que pour connaître les auteurs originaux.

Il est nécessaire que les Graveurs sachent l'Architecture et la Perspective, par les raisons que j'ai données ci-dessus ; en effet il arrive quelquefois qu'un dessein ne fait qu'indiquer d'une manière indécise les différents ornements de l'Architecture, ou les effets de la Perspective. Si le graveur ignore les règles qui doivent déterminer les effets, et les proportions qui assujettissent les ornements et les marbres de l'Architecture, il ajoutera à la négligence et aux défauts du Dessein, ou commettra des erreurs essentielles, faute de pouvoir lire ce qu'un peintre aura indiqué.

Le cuivre rouge est aussi celui qu'on choisit pour graver au burin ; il faut qu'il ait les mêmes qualités pour être propre à cette sorte de gravure que pour servir à la gravure à l'eau-forte ; il faut aussi qu'il soit préparé de même, et surtout qu'il soit parfaitement propre, uni, et lisse.

Les outils qu'on nomme burins, se font de l'acier le plus pur et le meilleur ; celui d'Allemagne a jusqu'ici la réputation d'être préférable à tout autre. L'acier, pour être bon, doit avoir un grain fin et de couleur de cendre. Il est essentiel que l'ouvrier qui forge les burins connaisse bien l'art de tremper l'acier. La forme du burin est représentée à la Planche I. de la Gravure en taille-douce. On y a représenté les espèces principales des burins, tels que le burin carré lettre A, et le burin losange lettre B. On approche ou on s'éloigne plus ou moins de ces deux formes, suivant le plan de travail qu'on s'est formé : on les fait aussi plus courts ou plus longs, suivant son goût ou la facilité qu'on y trouve, ou le genre d'ouvrage qu'on grave. Le burin le plus commode en général et d'un plus fréquent usage, est celui qui n'est ni trop long ni trop court, dont la forme est entre le losange et le carré, qui est assez délié par le bout, mais en sorte que cette finesse ne vienne pas de trop loin pour qu'il conserve du corps et de la force ; car il casse ou plie s'il est délié dans toute sa longueur, ou aiguisé trop également. Il faut observer que le graveur doit avoir le plus grand soin que son burin soit toujours parfaitement aiguisé, et qu'il n'ait jamais la pointe émoussée, s'il veut que sa gravure soit nette et que son ouvrage soit propre.

J'ai dit que les burins étaient ordinairement ou losanges ou carrés ; les premiers sont propres à faire un trait profond à proportion de leur largeur : le burin carré fait un trait large qu'on approfondit quelquefois avec le burin losange.

Le burin a quatre côtés ; il n'est nécessaire d'aiguiser que les deux dont la réunion forme la pointe de l'outil. Voyez la figure marquée C : elle vous indique a b et b c. Ce sont les deux côtés qu'il faut aiguiser : après quoi, en aplatissant le bout par un plan incliné, on forme la pointe b qui est destinée à pénétrer le cuivre et à ouvrir la route du burin. C'est sur une pierre à l'huîle bien choisie que se fait l'opération d'aiguiser le burin de la manière qui est marquée fig. D, Pl. I. On y applique comme vous le pouvez voir, un des côtés du burin dans toute sa longueur : on tient ce côté ferme et bien à plat sur la pierre qui est humectée d'huile, en appuyant le second et le troisième doigt, qui servent à contenir le burin pour qu'il ne se sépare point de la pierre : on glisse alors le burin le long de la pierre, et on le ramène autant de fois qu'il est nécessaire pour que le côté soit bien, et bien également aiguisé ; on en fait autant pour l'autre côté, jusqu'à ce que l'arête commune à ces deux côtés soit bien vive et bien affilée : ensuite on travaille à former la face, comme vous le voyez aussi représenté fig. 1. de la même Planche. Il faut de l'adresse et de l'habitude pour parvenir à aiguiser un burin, de manière que ces trois faces soient parfaitement lisses et plates ; ce qui est nécessaire cependant à la perfection de l'outil.

Je n'ai point parlé de la monture du burin, elle est figurée, et cela suffit ; elle se fait du bois le plus commun ; on la tient plus longue ou plus courte en raison de la facilité qu'on y trouve ; mais vous observerez seulement dans la fig. F de la même Planche, que l'un des côtés du manche est aplati ; ce qui est nécessaire pour pouvoir mettre le burin à plat sur la planche, et pour que par ce moyen la pointe du burin qui s'engagerait trop dans le cuivre en levant le manche du burin, ne casse pas si souvent.

Examinez la fig. G, pour y apprendre la façon de tenir le burin : vous remarquerez dans cette figure, que le bout du manche qui est à moitié arrondi, doit être appuyé dans le creux de votre main ; en sorte que ce soit l'os du bras qui lui donne une impulsion directe. Vous observerez aussi, par la manière dont les doigts sont arrangés, qu'il ne doit s'en trouver aucun entre le burin et la planche, lorsqu'on applique le burin sur le cuivre pour travailler : cela est nécessaire par la même raison que je viens de donner, pour laquelle on coupe le bout du manche du burin ; la meilleure manière est donc de faire en sorte que le burin glisse toujours horizontalement sur le cuivre : alors vous pouvez en rendant votre main légère, commencer un trait d'une finesse extrême ; pour peu que vous souleviez ensuite imperceptiblement le poignet, le burin entrera plus profondément dans le cuivre par la pointe, et élargira par conséquent la taille, si la main se remet enfin comme elle était en commençant, le trait finira par être aussi délicat que lorsque vous l'avez commencé. Or cette manœuvre est essentielle pour la beauté de la Gravure et pour l'intelligence des ombres : il faut donc s'y rompre par une infinité d'essais ; il en faut beaucoup aussi pour qu'en faisant cette opération délicate, vous puissiez encore tourner votre burin en tout sens, et donner à vos tailles une flexibilité à laquelle en général la manière de conduire cet outil qu'on pousse toujours, semble contraire. Au reste, il faut avertir qu'il n'est pas besoin d'autant de force qu'on le croit pour cette manœuvre, et que la roideur est surtout nuisible à la conduite du burin. Une force bien ménagée, adoucie, et liante, est ce qu'il faut acquérir pour réussir à cette sorte de gravure.

Il faut ajouter à ce que j'ai dit du mécanisme de la gravure au burin, que pour rendre plus facîle l'exécution des tailles courbes, on peut de la main gauche faire tourner doucement la planche elle-même, en ayant soin que les mouvements des deux mains s'accordent bien, et que la planche fasse bien également une partie du mouvement, tandis que le burin fait l'autre : pour cela, on appuie la planche qu'on grave sur un petit coussinet de cuir rempli de sable ou de son. La planche y prend une espèce d'équilibre, comme elle est représentée, fig. H, Pl. I. et on peut aisément la faire prêter avec la main gauche aux mouvements qui sont nécessaires.

Lorsque vous êtes parvenu à faire à l'aide du burin une taille en coupant le cuivre, cette taille a besoin d'être nettoyée, c'est-à-dire qu'il se forme par l'action du burin deux petites barbes sur le haut de la taille, en sorte qu'en passant le doigt vous sentez une inégalité le long de la hachure, qu'il faut faire disparaitre ; on se sert pour cela d'un outil très-coupant qu'on nomme grattoir ; on le passe à plat sur la taille, en allant diagonalement tout le long de la taille, et l'on s'aperçoit en y passant le doigt ensuite, s'il y reste encore quelque ébarbure : on appelle donc cette opération ébarber. Le grattoir est représenté dans la Planche I. tenant au bout du brunissoir. Lorsqu'on a ainsi approprié sa taille, on la frotte avec un petit tampon fait de feutre roulé et sali de noir et d'huile, pour en voir l'effet, et pour juger si elle est ou assez large ou assez nette, ou enfin telle qu'on la désire.

Avant que de dire un mot sur quelques parties de l'exercice de cet art, j'ajouterai que si vos burins sont trempés trop durs, ils casseront très-souvent et malgré l'adresse que vous mettrez à les conduire. Il faut, si vous vous apercevez de ce défaut, mettre ces burins sur un charbon ardent dont vous excitez le feu jusqu'à ce que l'acier jaunisse ; vous les tremperez ensuite dans l'eau ou dans du suif, et vous essayerez ainsi de leur donner le juste degré qui leur est nécessaire : s'ils émoussent leur pointe, au contraire, changez-en, c'est un signe certain qu'ils sont mauvais.

Venons à quelques observations et quelques règles générales, en rappelant ce que j'ai déjà dit, savoir que le caractère du graveur, son intelligence, et le genre d'ouvrage qu'il traite, doivent le décider ou à suivre une manière, ou mieux encore à s'en former une qu'il doit toujours soumettre aux principes invariables de la Peinture et du Dessein.

Les manières de graver de Goltzius, Muller, Lucas-Kilian, Mellan, et d'autres qui leur ressemblent, sont libres et faciles ; elles ont un mérite réel ; on peut les blâmer aussi d'un peu d'affectation dans le tournoyement des tailles ; ils étaient bien-aises qu'on leur sut gré de l'habitude qu'ils avaient acquise. Il vaudrait mieux qu'ils n'en eussent point fait parade, et qu'ils ne l'eussent employée que dans les endroits où elle était nécessaire. Point d'affectation ni de négligence, voilà le point duquel le graveur doit approcher le plus qu'il lui sera possible.

Evitez de croiser les tailles de manière qu'elles soient trop en losange, surtout dans les chairs, parce que les angles aigus répétés dans cette sorte de travail, forment un effet desagréable.

La manière entre carré et losange, est la plus utîle et la plus agréable à l'oeil ; elle est aussi plus difficîle à employer, parce que l'inégalité des traits s'y fait plus aisément remarquer.

Le burin doit observer une partie des principes que j'ai donnés au commencement de cet article ; les hachures principales doivent donc suivre le sens des muscles, en s'adoucissant vers les lumières et vers les reflets, et se renflant ou s'approfondissant dans les places des fortes ombres. Il faut que l'extrémité des hachures qui viennent former les contours, ou se perdre dans les traits qui décident ces contours, soit conduite d'une façon nette et légère ; de manière qu'il n'y ait rien de tranché ni de dur. On peut consulter là-dessus les ouvrages d'Edelinck qui a possédé cette partie.

Il est à souhaiter que les tailles s'ajustent tellement entr'elles, qu'elles s'aident dans leur effet, et ne se nuisent jamais en se rencontrant et en se croisant ; l'air de facilité que cela donne à l'ouvrage y répand un grand agrément.

Que les tailles soient ondoyées ; qu'elles se plient en divers sens, mais avec aussi peu d'affectation que de roideur, comme je l'ai déjà dit : il est difficîle d'en prendre l'habitude ; mais il est aussi blâmable d'en abuser, qu'il le serait de faire toujours des traits droits, parce qu'il est plus aisé d'en avoir à bout.

Les cheveux, la barbe, et le poil des animaux, demandent une grande legereté dans la main, et une flexibilité rare dans le burin.

Mais il ne faut pas que pour faire parade de cette adresse on néglige de faire bien sentir ses masses, qui doivent indiquer les formes et l'effet de la lumière et de l'ombre sur les masses.

Les étoffes demandent aussi de la legereté d'outil, en proportion cependant avec la nature des étoffes ; les étoffes de gros draps et de laine épaisse demandent un travail plus brut ; le linge veut être gravé d'une façon déliée et pressée à une taille ou à deux tout au plus, si cela se peut. Les étoffes fermes et luisantes veulent des tailles plus droites et moins variées ; les plis de ces étoffes sont cassés et forment des surfaces plates. Les tailles qu'on nomme entre-deux servent à indiquer le luisant ; on s'en sert aussi dans les métaux qui réfléchissent la lumière.

L'Architecture demande des tailles droites, mais celles qui se trouvent sur les plans qui fuient doivent tendre au point de vue. Les hachures des colonnes veulent être perpendiculaires : si vous les faites rondes et horizontales, il arrivera souvent que pour satisfaire aux lois de la Perspective, il faudra que celles qui approchent du chapiteau, soient d'un sens contraire à celles qui approchent de la base ; ce qui fait, sur les premiers plans surtout, un effet desagréable.

Le paysage est difficîle à traiter au burin ; souvent on l'ébauche à l'eau-forte, et je crois qu'on fait bien : il faut chercher à se faire une manière, et pour cela consulter les bons auteurs ; Augustin Carrache, Villamene, Jean Sadeler, sont bons à imiter : Corneille Carts en a gravé plusieurs d'après le Mucian, qui sont très-beaux et qui peuvent servir de modèles.

Les montagnes et les rochers, lorsqu'ils sont sur les premiers et seconds plans, doivent être travaillés d'une manière un peu brute, en quittant et reprenant souvent les tailles, en les variant suivant les plans des pierres et des rochers, en les entre-mêlant de plantes, d'herbages, et de terrains : pour ces objets, lorsqu'ils se trouvent dans les lointains, ils doivent participer de l'interposition de l'air ; être peu décidés dans leurs inégalités et dans les accidents qui les accompagnent, et se perdre quelquefois avec les travaux dont on se sert pour graver les ciels.

Les eaux se représentent ordinairement par des lignes très-droites, égales, et mêlées d'entre-deux fines et déliées, pour exprimer le luisant de l'eau ; mais si c'est une mer agitée qu'on représente, on sent bien que ce doit être par un autre genre de travail qu'on doit y arriver : il faut alors que les tailles suivent le sens des flots et indiquent le mouvement des vagues. Les nuages demandent aussi que leur forme et leur mouvement soient indiqués par les hachures, et que les travaux qu'on emploie soient d'autant plus legers que l'éloignement des nuées est plus grand.

En général il faut proportionner autant qu'on le peut la grosseur des tailles et l'espèce de travail, à la grandeur des ouvrages, indépendamment des autres assujettissements dont j'ai parlé. Il faut donc employer des tailles mâles et nourries dans une grande estampe, mais sans que le travail devienne pour cela grossier et desagréable ; par le même principe une petite planche sera gravée avec les burins losanges qui font des tailles fines, mais en évitant que le travail soit maigre et aride.

C'est un art très-difficîle que celui de la Gravure ; il demande beaucoup d'exercice du Dessein, beaucoup d'adresse à conduire les outils, une grande intelligence pour se transformer, pour ainsi dire, et prendre l'esprit de l'auteur d'après lequel on grave. Il faut encore de la patience sans froideur, de l'assiduité sans dégout, de l'exactitude qui ne soit pas servile, de la facilité sans abus : ces qualités si nombreuses enfantent beaucoup de graveurs, et leur union si difficîle fait qu'il en est fort peu d'excellents. Article de M. WATELET.

* GRAVURE EN BOIS. Historique. Cette gravure est fort ancienne à la Chine et aux Indes, où l'on a fabriqué des toiles peintes de temps immémorial ; elle parait y avoir donné naissance aux premiers essais de l'art d'imprimer. Les Chinois ont d'abord gravé leurs caractères sur des morceaux de bois qu'ils enduisaient d'encre, et qu'ils appliquaient ensuite sur le satin et d'autres étoffes minces et legeres. Nous avions des tablettes gravées en creux, que nous remplissions de cire pour en avoir le relief, lorsque Laurent Coster imprima l'écriture avec des planches de bois. Coster inventa cet art en 1420. Mentel parut en 1440, Guttenberg et ses associés en 1450 ; et la gravure, tant en bois qu'en cuivre, était connue en 1460. Il y en a encore qui prétendent qu'André Murano gravait en cuivre dès 1412, et Luprecht Rust dès 1450 ; mais il est certain que Martin Schon de Colmar, l'un des maîtres d'Albert Durer, exerça cet art en 1460, ou au plus tard en 1470.

Les Graveurs en bois ont été appelés anciennement Tailleurs en bois, ce qui les a quelquefois confondus avec les Dominotiers. Il en faut faire deux classes ; l'une, des vieux, anciens, ou petits maîtres, ou maîtres appelés à la licorne, à l'étoile, aux pelles, aux chandeliers, à la dague, etc. de ces images qui accompagnaient sur leurs planches les initiales de leurs noms : l'autre, des grands maîtres, tels qu'Albert Altorsfer né en Suisse, qui travaillait en 1500 ; Sebald Beham ou de Boheme, Hans Scufelix, Albert Durer père du peintre, Jean de Gourmont, Antoine de Cremone, George Matthieu de Lyon, Antoine Van-Leest, Joseph Porta, Gorsannus, Gaspard Ruina, Joseph Salviati, Pierre Gatin, André Manteigne, Albert Durer le peintre, Lucas de Cronach, Albert Aldegraf, Lucas de Leide, Lucas Ciamberlanus, Jollar, etc. On remarque dans les gravures d'Albert Durer, des contre-tailles, des secondes, triples et quadruples tailles.

Ce fut en 1490 que parurent les premières estampes à rentrées de deux planches, ou teintes ; art qui se perfectionna en Italie en 1520. Voyez GRAVURE EN BOIS, DE CAMAYEU.

Ce fut au commencement du XVIe siècle qu'on appliqua la gravure en bois à l'impression des cartes à jouer. Le Titien a gravé lui-même en bois quelques-uns de ses tableaux. Tout le monde connait de nom la danse des morts de Holbein. La gravure en bois s'étendit à la Cosmographie, et Gérard Mercator exécuta en bois quelques-unes de ses cartes. Cet art fut encore cultivé par Jost Amman ou Amman de Zurich ; Jacques Zuberlin de Tubingue ; Pierre Hook ou Houck Woveriot de Lorraine ; Jean de Colcar ou Calker, qui grava en bois les planches anatomiques de Vésale ; Jean Cousin, Bernard Salomon, Moni ; Fo, qui a gravé en bois des animaux pour Conrard Gesner ; le Vénitien Pagan, Michel Zimmerman, le Verrochio, Enée Bé, Sigismond Feyerabendts, Christophe Amberger, Simon Huter, Virgilius Solis ; Christophe Chrieger, dont on a une planche de la bataille de Lépante ; Christophe dit le Suisse ; Verdizzotti, Cruche, les trois Vichem. On voit dans les ouvrages de C. S. Vichem jusqu'à cinq à six tailles l'une sur l'autre ; il entendait d'ailleurs très-bien le clair-obscur. Ce fut alors qu'on commença parmi nous à imprimer des papiers dominotés. Ce premier pas conduisit aux toiles peintes, dont les premières parurent au commencement du règne de Louis XIII. Il y eut alors et depuis des graveurs célébres ; Raefe, Goujeon, Jean Leclerc, la carte des Gaules de celui-ci est un bel ouvrage : Vinceola, Berbrule, les deux Stimmers ; Ecmart, qui a exécuté plusieurs morceaux de Calot ; le libraire Guillaume le Bé, Duval, Christophe Jépher, qui a gravé d'après les tableaux de Rubens ; Pierre le Sueur, Boulemont, Van-Heylen ; Jean Papillon, père de l'auteur des mémoires que nous analysons ; Vincent et Nicolas le Sueur ; etc.

De l'Art. La gravure en bois devient très-difficîle et très-pénible, lorsqu'on a des plantes, des fleurs, des animaux, des figures humaines, et autres objets délicats à exécuter. Une planche qui n'a occupé un graveur en cuivre que quatre à cinq jours, pourra occuper un mois entier un graveur en bois. Pour s'en convaincre, qu'on jette les yeux sur la fig. 10. Planche II. de la gravure en bois. Voilà quatre traits qui ne couteront guère plus à faire au burin sur une planche de cuivre, qu'à la plume sur le papier ; mais s'il s'agit de les exécuter en bois, c'est autre chose. Il faut 1°. couper et recouper, et enlever le bois en A, B, C, D, fig. 11. ce qui demande seize coups de pointes ; et en suivant l'opération jusqu'au bout, on en trouvera quarante-huit, sans compter ceux sur lesquels on est obligé de revenir par accident, et les vingt-quatre coups nécessaires pour dégager fortement les traits de chaque côté. Voilà donc pour ces quatre traits soixante-douze coups de pointes ; nombre qui serait encore fort augmenté, s'il fallait dégager et évuider avec le fermoir les pleins A, A, A, fig. 12. Les quatres traits de cette figure 12. sont blancs, et le creux du bois enlevé par la pointe est ombré. Si l'on sentait le fermoir entrainé par le fil du bois du côté des traits, ils en pourraient être endommagés si l'on ne quittait le fermoir, et si l'on ne revenait pas sur ces endroits avec la pointe à graver. Lorsqu'on aura enlevé le bois de chaque côté entre les traits par le dégagement au fermoir, il restera peu de chose qu'on séparera avec la gouge aux lieux A, A, &c... en la passant et repassant plusieurs fais, afin de polir le fond de la gravure. Ces coups de fermoirs et de gouges sont au-moins doubles des coups de pointes ; mais si l'on voulait, on pourrait démontrer à la rigueur que telle figure qui s'exécutera sur cuivre en 92 coups de burin, ne s'exécutera pas en bois à-moins de 10892 coups de pointes et de 3600 coups de fermoirs et de gouges. Il est vrai qu'en revanche une planche en bois peut fournir plusieurs milliers d'épreuves. Il y a donc entre la gravure en cuivre et en bois une grande différence pour le travail. Mais il ne faut pas ignorer que dans la gravure en bois, ce sont les tailles de relief ou d'épargne qui marquent l'impression, et que par conséquent contre un coup ou une coupe de burin qui forme un trait dans la gravure en cuivre, et marque à l'impression, il faut dans la première de ces gravures quatre coups pour enlever le bois de chaque côté du trait : ajoutez à cela les dégagements à la pointe et au fermoir ; et dans la préparation des champs à évuider, les coups de fermoir et de gouge qui sont nécessaires.

Des outils. Les outils du graveur en bois sont la pointe à graver, les fermoirs et gouges, le trusquin, l'entaille, le maillet, le racloir, l'équerre, les règles simples et parallèles, la fausse règle, le compas simple et à plusieurs pointes, les porte-crayons, un marteau leger, le garde-vue, la mentonnière, la petite brosse, la presse à tremper le papier, une petite balle, une pierre à huile, une pierre douce, une meule de grais montée, un petit broyon, un marbre, un rouleau garni de drap, un étau, des scies à main, une varlope, un rabot, un valet, et un établi solide.

La pointe à graver se fait avec un ressort de pendule, d'un tiers de ligne ou environ d'épaisseur ; on le fait détremper au feu ; on le coupe par bouts de la longueur de la fente du manche qu'on voit fig. 1. Planche I. On divise chaque bout sur leur largeur, selon celle qu'on veut donner aux lames. Les lames pour gros ouvrages ont environ cinq lignes de largeur ; pour ouvrages délicats deux lignes ou deux lignes et demie. On les dégrossit, et l'on en forme le taillant sur la meule ; on y tire un biseau du côté gauche, sur toute la longueur, à un demi-pouce près vers le bas, qu'on laisse sans biseau, voyez la fig. 2. le côté droit est aiguisé tout plat, sans biseau, voyez fig. 3. le dos du chef de la pointe (fig. 4.) doit avoir entre les deux lignes ponctuées un petit biseau de chaque côté, comme en B. Cela fait, on les trempe très-sec, en les faisant rougir sur un feu de charbon vif, et en les plongeant subitement dans l'eau froide. On leur donne le recuit à la lumière d'une chandelle, jusqu'au jaune foncé. Si elles devenaient violettes, elles seraient trop molles, surtout pour des gravures délicates et sur le buis. On les emmanche un peu longues, comme d'un pouce ou deux, sur le manche fendu qu'on serre par une corde tortillée, comme on voit figure 5. On acheve de former le taillant et le dos du chef de la pointe sur la pierre à huile. Il faut que la première partie A du chef soit aiguisée vive par le dos, ou sur l'épaisseur de la lame et sans biseau, et que la seconde qui est déjà oblique, en ait au contraire deux, comme on voit en B, fig. 2. 3. et 4. On enlevera le morfil qui se fait de chaque côté, à la première partie du chef A, en passant l'angle des deux vives arêtes sur la pierre à l'huile. Ce morfil gratterait le bois, lorsqu'on y ferait entrer la pointe pour graver. On adoucit ensuite le taillant sur la pierre douce, soit avec de l'eau, soit avec de la salive. On en ôte aussi le morfil. On place alors la lame dans la fente du manche ; on met tout le long du manche, du côté du taillant, un papier plié en deux ou trois, ou une petite carte, pour empêcher que le taillant ne coupe la corde qu'on tortillera sur le manche pour en tenir les deux parties assemblées. On ficelle le manche en commençant par la partie supérieure où sont les hoches destinées à recevoir et à retenir la ficelle, et l'on descend du haut en bas. Par ce moyen on attache la lame sur toute sa longueur ; on la tire du manche, et on la laisse sortir de la quantité convenable, à-mesure qu'elle se casse, raccourcit ou gâte, et qu'on la raccommode.

On trouve des fermoirs et des gouges de toutes longueurs chez le clinquaillier. On les emmanchera de la longueur qu'on voit fig. 6. et 7. Les manches seront à viroles et à bouton par le bas ; le bouton à demi abattu, comme aux burins. Ils en seront plus commodes à tenir, et ne gêneront pas la main en vuidant les champs. Il faudra observer de mettre ce biseau du taillant du côté aplati et coupé du manche ; que le côté sans biseau soit placé comme dans la fig. 7. Pour être bien outillé, il faut avoir des fermoirs depuis environ trois lignes de large, au taillant, en diminuant jusqu'au diamètre de la tête d'une moyenne aiguille à coudre. On se sert quelquefois de ces aiguilles pour en faire de petits fermoirs qu'on emmanche dans de la cire d'Espagne chaude, que l'on fait entrer dans des viroles longues, creuses, ajustées, et tenues d'une couple de lignes, ou davantage, à des manches de bois plus courts, afin que le tout assemblé soit de la même longueur que les autres manches.

Les gouges seront emmanchées comme les fermoirs. Il ne les faut pas au graveur aussi arrondies qu'au sculpteur ; que le demi-cercle qui en formera le taillant soit plus développé. Dans les parties angulaires à vider, on peut se servir d'un fermoir assez rond ou à taillant oblique : mais il en faudrait avoir qui eussent le taillant et son biseau formés, les uns d'un côté, les autres à contredit ; observant de les emmancher toujours, le côté du biseau vers celui du manche où le bouton aura été abattu (voyez les figures 8 et 9.), et que les manches soient longs, à pans arrondis ou ronds, afin de pouvoir être tenus à pleines mains.

Le maillet sera leger, et guère plus gros que le poing.

Le trusquin qu'on voit fig. 10. ne sert au graveur qu'à tracer des filets autour des vignettes, ou à guider, lorsqu'il s'agit de faire des tailles horizontales ou perpendiculaires ; il est petit. La pointe n'en doit pas être vive ; elle pourrait gâter le bois par des traces qu'elle laisserait en des endroits où l'on serait obligé de graver des tailles. Que cette pointe soit adoucie et un peu arrondie.

L'entaille (fig. 11.) sera nécessaire à ceux qui gravent des pièces délicates, comme lettres grises, petites vignettes, fleurons, etc. Elle prendra et serrera fortement par le moyen de ses coins ces ouvrages que l'artiste ne peut tenir entre ses doigts.

Le racloir (fig. 12.) servira à unir et polir la superficie des bois destinés à la gravure, au sortir des mains du menuisier ou de l'ébéniste. Sa lame E doit en être aiguisée vive sur son épaisseur, afin que son morfil gratte et use le bois ; il en saut un autre qui n'ait point de morfil, pour les cas où il ne faut qu'adoucir. On peut substituer la prêle au racloir ; c'est même avec la prêle qu'on acheve de le préparer.

L'équerre de cuivre (fig. 13.) servira pour tracer des lignes droites, horizontales ou perpendiculaires, avec la pointe à calquer, ou au lieu du trusquin, lorsqu'on a des tailles parallèles à faire. Les lignes tirées à l'équerre et à la plume seront nettes, si les vives arêtes abattues forment un biseau des deux côtés sur toute la longueur F. Il ne faut pas que ce biseau la rende tranchante.

Il faut des règles simples, composées, etc. elles serviront à tirer des parallèles à la plume, sans le compas. La fausse règle (fig. 14.) servira à tirer des rayons d'un point donné comme centre, soit avec la plume, soit avec la pointe à calquer, qui n'est autre chose qu'une aiguille emmanchée dans un manche à longue virole, comme celui des petits fermoirs, et dont on a formé la pointe par le côté de la tête qu'on a cassée, et qu'on a arrondie ou émoussée.

Il faut au graveur un compas à plusieurs pointes, un porte-crayon, un tire-ligne, etc. Il est inutîle d'insister sur l'usage de ces instruments.

Le garde-vue (fig. 15.) est un morceau de carton d'environ sept pouces de large et cinq de haut, qui se place sous le bonnet, et qui garantit les yeux du grand jour.

La mentonnière (figure 16.) est une toîle piquée, comme le sont les bonnets piqués des femmes, qu'on attache sur sa bouche avec les deux cordons ; elle empêche en hiver l'haleine de se porter sur le bois, de le mouiller, et de détremper l'encre du dessein. Sans mentonnière, si l'on travaille des pièces délicates, l'humidité de l'haleine fera renfler le bois ; et l'on ne saura plus, après qu'on aura fait les coupes, où l'on aura passé la pointe pour marquer le lieu des recoupes. Il faut la mentonnière surtout, si l'on grave sur le buis ; on peut s'en passer en travaillant sur le poirier.

Il faut des brosses douces dont le poil soit coupé court avec des ciseaux, pour nettoyer la poussière et les petits copeaux. Voyez figure 17.

Une petite presse telle que celle qui sert aux parcheminiers, perruquiers, etc. qu'on voit fig. 18. entre laquelle on mettra le papier mouillé avec une éponge, pour lui faire prendre eau également : ce qui sera fait, si l'on le manie et remanie ; si on le remet sous la presse, et si on l'y laisse quelques heures de suite, entre chacune de ces opérations.

Il faut avec la presse un broyon qu'on voit fig. 20. d'environ la hauteur de la main ; et un rouleau de bois (figure 21.) de 15 à 18 pouces de longueur, garni de drap, et à poignées assez longues, pour être tenu à pleines mains.

Si l'on ajoute le marbre à ces derniers outils, on aura tout ce qu'il faut pour tirer des épreuves de sa planche, sans la porter chez l'imprimeur en lettres. C'est sur ce marbre qu'on broyera l'encre.

Du bois. Le poirier, le pommier, le cormier, le buis, en un mot tous les bois qui ne sont pas poreux, sont propres à la gravure en bois ; mais le buis est à préférer. Les substances dures et seches, telles que le gayac, le coco, le palisante, l'ébene, les bois d'Inde, sont sujets à s'égrener. Il n'en faut point employer, non plus que de bois blanc et mou. Il en faut faire équarrir les morceaux par l'ébéniste ou le menuisier, quand même les figures qu'on aurait à traiter seraient rondes, ovales, ou autres. On leur donnera dix lignes d'épaisseur ; c'est celle de la hauteur de la lettre d'Imprimerie. On peut tenir les morceaux à fleurons, armes, etc. moins hauts. On y suppléera par-dessous avec des cartes ; et le coup de presse en étant amorti, les bords de la gravure n'en seront point écrasés ; et la planche en durera plus longtemps.

Principes. Que celui qui veut graver ait un établi d'une hauteur convenable : qu'il n'ait point la tête trop baissée ni le corps trop droit : que son établi soit un peu élevé en pupitre : qu'il ait le jour en face, parce que la coupe faite, la petite ombre du bois coupé le guidera pour la recoupe. Sans cette ombre l'on aurait peine, en hiver que l'humidité ou l'haleine enfle le bois, à discerner la trace de la pointe. Qu'il fasse d'abord quelques traits sur un morceau de poirier, au bout de la pointe, sans avoir été dessinés. Pour cet effet qu'il tienne la planche fermement de la main gauche : qu'il ait dans la droite sa pointe à graver, à-peu-près comme une plume à écrire, mais que sa main soit un peu plus tournée et panchée vers le corps. Que le biseau du taillant de la pointe soit du même côté, en sorte qu'on ne voie presque que l'épaisseur de la lame, obliquement, très-peu du plat, du taillant et du bout de la pointe, et le dessus de la main. Qu'il enfonce l'outil dans le bois, sur le plan incliné du biseau du taillant, et qu'il fasse la coupe. C'est la première et principale opération du graveur. Que les deux derniers doigts de sa main posent sur la planche, pour ne pas être gênés, en tirant la pointe de gauche à droite, comme on voit en A ; c'est le contraire de la gravure au burin, où l'outil est poussé de droite à gauche.

Pour enlever le bois coupé, l'on fait la recoupe. La recoupe est la seconde opération. Que la main soit tournée en-dehors du corps, de façon qu'on n'en voie que le pouce et l'index qui tiennent la pointe, avec le bout du doigt du milieu : que les autres doigts soient posés et presque cachés sur la planche : qu'on enfonce la pointe au-dessus de la coupe, et où l'on a commencé à la former, en sorte qu'elle entre dans le bois, appuyée en-dehors du corps, sur le côté du taillant qui n'a point de biseau, et que l'on voie tout le côté du taillant du biseau, malgré l'ombre. Cela supposé, si l'on tire parallèlement l'outil de gauche à droite, on enlevera le bois à mesure qu'il se détachera, comme on voit en B fig. 4.

Pour achever de former ou graver le trait, le contour, ou la taille commencée, on en fera autant qu'il a été dit, par une coupe et une recoupe du côté opposé à celui que l'on aura gravé : et on donnera à ce trait, ce contour, ou taille, une figure pyramidale sur toute sa longueur, plus ou moins menue, selon qu'on l'aura voulu.

On se formera la main en faisant des traits en-travers du fil du bois, comme en C, fig. 5. retournant la planche, le fil du bois montant toujours devant soi, et faisant une autre coupe comme en D, fig. 6. Les deux coupes faites, retournant la planche d'un autre sens, le fil du bois en-travers devant soi, et y traçant à des distances égales d'autres coupes en échelle, depuis le haut jusqu'en-bas, comme on voit en E, fig. 7. Les lignes tracées fig. 7. dénotant où l'on a passé la pointe, il s'agit d'enlever le bois à cette espèce d'échelle ; pour cela on recoupe et l'on acheve les tailles, comme dans la fig. 8. commençant toujours par celle d'en-haut, et finissant par celle d'en-bas. On voit fig. 9. la forme que doivent avoir les tailles. Ce sont comme des dents de scie : et l'espace qui les constitue est une espèce de gouttière.

Il faut bien prendre garde à la coupe, de ne pas coucher la pointe vers le corps, plus qu'il n'a été prescrit : on s'exposerait à endommager les tailles par le pied, ce qui les rendrait sujettes à se casser.

Quand on fait des tailles en-travers du fil du bois, s'il arrive qu'il soit disposé à s'égrener, on exécute la recoupe avant la coupe.

Voilà pour les tailles droites. Les circulaires ou courbes se font en tournant un peu la main sur elle-même devant soi, toujours de gauche à droite, tant à la coupe qu'à la recoupe, concourant à cette opération, de la main qui tiendra la planche et qui la fera mouvoir à contre-sens de la main qui tiendra l'instrument ; commençant la coupe et la recoupe en A, et les finissant en B, fig. 13. où les traits blancs marquent le relief, et l'ombre marque les creux.

Les entre-tailles ou tailles courtes entre des longues, comme on en voit en C, fig. 14. se font comme les tailles ordinaires, les raccourcissant seulement à volonté.

Les entre-tailles ou tailles rentrées ou grossies par endroits, ne se font pas autrement que les tailles, observant sur leur longueur de réserver des endroits plus épais et plus nourris, comme on voit fig. 15.

Pour les contre-tailles ou secondes tailles, l'on fait d'abord toutes les coupes parallèles, comme à des tailles simples : puis l'on croise ces coupes par d'autres, sous toutes sortes d'angles : observant de ne pas trop enfoncer la pointe, de peur d'égrener ou même de détacher les croisées : procédant ensuite carreau par carreau, en équerre, à contre-sens de ce qui a été coupé, l'on recoupe ; et lorsque tout est gravé, on passe en frottant l'ongle sur les croisées pour les raffermir. Voyez la fig. 16. où les carreaux sont creux, et les tailles croisées de relief.

Nous ne dirons des triples tailles, sinon qu'il faut à chaque sens de chaque taille, faire d'abord les trois coupes, ce qui divise ou coupe toutes leurs croisées : aller posément, passer d'un petit carreau à un autre, y faire la recoupe, et enlever le bois, ce qui suppose un artiste exercé, Voyez la fig. 17.

S'il arrive que parmi des tailles on en fasse qui soient de beaucoup plus basses que celles entre lesquelles elles se trouvent, de sorte que ces dernières empêchent la balle d'atteindre aux autres, et par conséquent celles-ci de laisser aucun trait sur le papier, on appelle ces tailles tailles perdues. L'effet en est irréparable et mauvais, surtout dans les morceaux délicats.

Les points si faciles à faire dans la gravure en cuivre, sont très-difficiles dans la gravure en bois. Il faut qu'ils soient de relief, vuidés tout-autour, et assez solides à la base pour ne point se casser ou s'écraser. Pour cet effet, il faut faire cette base à quatre faces, en pyramide. On ne les arrangera point par colonnes, comme font ceux qui après avoir gravé les tailles, les coupent et recoupent tout en-travers, pour abréger l'ouvrage : en exécutant d'une seule coupe et recoupe toute la largeur des points qu'ils ont à marquer : au hasard de faire partir et sauter les points qu'ils gravent ainsi, par les soubresauts de la pointe de taille en taille ; mais il faut, après avoir divisé toute la longueur d'une taille par des points un à un, former à la taille d'à-côté les points correspondants à l'entre-deux de chacun des autres, et ainsi de suite, comme on voit fig. 18. et 19. Si les points n'étaient pas assez fins pour paraitre ronds, il faudrait en abattre ou adoucir les angles ; car rien n'est plus desagréable que des points carrés à des ouvrages délicats, surtout à des chairs pointillées, s'il arrivait d'en faire ; ce qui est rare dans la gravure en bois, où l'on ne porte guère le fini jusque-là.

Les points longs ou tailles courtes se font quelquefois au bout des grandes tailles, en les séparant à leurs extrémités. Il faut les rendre très-déliées et très-pointues où elles se doivent perdre dans les clairs. L'on en glisse aussi parmi des tailles qui ombrent la pierre, etc. alors il semble qu'il les faut d'égale épaisseur dans leurs petites longueurs, afin d'en obtenir l'effet des entre-tailles. Mais l'usage de ces points longs est rare dans la gravure en bois.

Voilà les manœuvres auxquelles il faut s'exercer, avant que de passer à des sujets. On passera du poirier au buis, des traits aux desseins, et des contours simples aux vides. Il s'agit maintenant de vider solidement et proprement la gravure. Dégagez d'abord fermement vos contours avec la pointe, que vous passerez et repasserez dans tout le creux de la gravure qui bordera les champs ou parties de buis qu'il faut enlever et creuser ; servez-vous ensuite du fermoir pour enlever autour de ces traits le bois, partie par partie. Le dégagement avec la pointe qui aura précédé, empêchera le fil du bois d'entraîner le fermoir, et les copeaux qu'on séparera, d'en attirer d'autres.

L'art de bien vider a été assez négligé : ou les artistes sont mal outillés pour cette manœuvre : ou ils ne font consister la perfection que dans les tailles : ou ils sacrifient tout à la diligence, négligent la propreté et la solidité, et ne vident les champs que superficiellement ou grossièrement, sans les ragréer, polir, et finir à la gouge ; ou ils abandonnent ce travail à des apprentis qui, ne prenant aucune attention pour ne pas appuyer la lame de l'outil sur les traits, les meurtrissent, écrasent, et font égrener : ou qui baissant trop le coude en agissant, et tenant la lame du fermoir ou de la gouge presque de niveau au plan sur lequel la planche est posée, font passer l'outil tout au-travers de la gravure, et la défigurent par sept à huit échappades ou breches : ou qui ne contenant pas leur main droite par la gauche, vont donner du taillant de l'outil au pied d'un contour ou d'une taille qu'ils coupent, cassent, ou ébrechent tout à fait. On ne répare ces accidents que par des pièces ; et cette réparation laisse toujours de très-mauvais effets. D'ailleurs le vider peu profond et grossier, fait que des places qui doivent être blanches, viennent maculées d'encre.

Pour bien vider une planche, il faut être assis plus haut que pour la graver. Cela fait, on plante une cheville dans un des trous répandus à distance sur l'établi, pour y appuyer l'ouvrage s'il en est besoin. On a un fermoir dans la main droite : ce fermoir doit être de moyenne largeur, comme de deux lignes ou environ : la partie du bouton de son manche est placée dans la main, comme on voit fig. 3. Pl. 3. le biseau du taillant de l'outil en A, et un peu de l'épaisseur de la lame, paraissant du côté droit sur toute sa longueur. On tient la planche de la main gauche : on écarte le pouce en B, fig. 4. pour recevoir et soutenir, comme en C, le bout du pouce de l'autre main qui tient le fermoir ; par ce moyen la lame de l'outil appuyée du côté gauche en O, peut facilement glisser d'environ la longueur de quatre lignes seulement ; en avançant et retirant vers le creux de la main les quatre autres doigts. C'est ainsi que l'outil Ve et vient à discrétion dans le bois. Cependant cette position n'est encore que préparatoire ; pour dégager, on tirera le bras droit assez, pour que l'outil poussé entre diagonalement dans le bois : alors la situation des mains changera, prendra celles qu'on a représentées fig. 5. et 6. et l'on videra sans danger.

Le bois ainsi ébauché et enlevé dans toute une longueur à volonté, on y repassera le fermoir pour la polir par-tout, jusqu'à la base des contours ou traits.

Si l'on sent en dégageant que l'on est dans le fil du bois, et qu'on en est entrainé, on reprendra la pointe qu'on repassera au pied du trait ; ou pour le mieux, on enfoncera moins l'outil par le côté du fil, qu'à contre-fil.

S'il y a des petites parties à vider qui n'exigent pas de dégagement avec le fermoir, il faut les vider en plain avec les outils proportionnés à leurs espaces.

On voit fig. 7. une planche entièrement dégagée avec le fermoir. Il s'agit de vider les grands champs comme en L. Il y faut procéder à coups de maillet avec des gouges proportionnées, comme on voit dans la vignette. On commencera cette manœuvre à contre-fil : puis de droit fil ; l'on formera ainsi un bloc de copeau qu'on enlevera. On réparera ensuite ces creux à la gouge sans maillet, plaçant les mains comme nous les avons montrées ci-dessus, et conduisant l'outil de manière à ne faire aucune échappade. Plus les places à vider seront grandes, plus il faudra les creuser, afin que les balles et le papier n'y atteignent pas à l'impression. Ainsi une place d'un pouce de diamètre sera creusée d'environ 3 lignes, et ainsi des autres à proportion.

Les parties à vider sur les bords d'une planche sans filets, comme aux fleurons, aux figures de Mathématiques, etc. le seront à coups de gouges et de maillet, et presqu'à moitié de leur épaisseur sur leurs extrémités, pour peu que les places soient grandes, afin d'empêcher les balles et le papier d'y atteindre. Ces places n'étant point soutenues, les balles y pochent plus, et il y faut vider plus creux, plus d'à-plomb, et plus en fond qu'ailleurs. Voyez Pl. III. fig. 10.

Malgré toutes ces précautions, s'il arrive qu'on fasse quelqu'échappade, qu'il y ait quelque trait ou taille brisée, éclatée, il y faut remédier par une pièce, ainsi que nous allons l'indiquer.

Vuider et mettre pièces. Si bien mises que soient des pièces, elles peuvent se renfler à l'impression, après avoir été mouillées, ou par d'autres causes, excéder le reste de la superficie, et marquer plus noir ; ou si elles n'excédent pas, laisser leurs limites sur l'estampe.

Si une planche est échapadée, on prendra un fermoir de grandeur convenable ; on en tournera le biseau vers le dedans du trou qu'on veut pratiquer à l'endroit échapadé : et l'on fera ce trou qu'on tiendra d'abord plus petit. On tracera les limites du trou à petits coups : puis avec un fermoir plus petit, l'on enlevera tout le bois de l'enceinte. L'attention principale, c'est de ne pas froisser ou meurtrir les traits contigus à cette ouverture. On la creusera de deux lignes plus profonde que le trait ébreché. On en planira le fond : on en unira bien les côtés ; on la repassera à la main et au fermoir : on en rendra les bords bien vifs et bien nets : on observera de la creuser un peu plus large à son fond qu'à son entrée, afin que la pièce y entre facilement, s'y étende, et se resserre d'autant à sa surface.

Cela fait, on taillera un morceau de bois, de manière à remplir ce trou le plus exactement qu'il sera possible ; on l'y placera le bois plein tourné en-dessus, et le bois debout tourné vers un des côtés : après avoir enduit toute l'ouverture d'un peu de colle-forte ou de gomme arabique, ou même sans cette précaution, on l'enchâssera fortement à l'aide d'un maillet et d'un morceau de bois qu'on appuyera dessus, et sur lequel on frappera. On enlevera ensuite avec un fermoir l'excédent de la pièce : on la polira : on dessinera dessus, et l'on recommencera de graver sur la pièce, comme on a gravé sur le reste de la planche.

Des passes-par-tout. L'on entend par ce mot des morceaux de bois troués, où l'on place telle lettre de fonte que l'on veut. Pour les bien faire, prenez un morceau de bois équarri, de la hauteur de la lettre : tracez dessus et dessous au trusquin le trou que vous y voulez percer. Arrêtez ensuite votre bois dans l'entaille : évuidez-le dessus et dessous au fermoir, à une ligne ou deux de profondeur ; puis le transportant de l'entaille dans un étau, arrêtez-le dedans, et le percez d'un ou de plusieurs trous avec un vilebrequin, jusqu'à moitié de l'épaisseur du bois. Faites-en autant de l'autre côté. Remettez-le ensuite dans l'entaille, et avec des fermoirs de différentes formes, achevez d'emporter le bois qu'occupe l'intérieur du trou que vous avez à percer. Cela fait, polissez-en l'intérieur et les bords : tracez à la plume ce que vous y voulez graver, et achevez.

Epreuves. Voici comment on aura des épreuves de son ouvrage sans recourir à l'imprimeur. On mouillera à l'éponge, ou l'on trempera son papier ou deux à deux, ou quatre à quatre, ou six à six feuilles ; on intercallera chaque feuille trempée avec des feuilles seches ; on le maniera, changera de côté, mêlera, quelques heures après la trempe, et le séjour de quelques heures sous la presse dont nous avons parlé parmi les outils. On aura du noir d'imprimeur qu'on broyera sur le marbre : on en touchera la balle : l'on promenera la balle sur la planche : on étendra une feuille sur la planche enduite de noir, et l'on passera le rouleau sur la feuille. On aura par ce moyen une épreuve sur laquelle on pourra retoucher son ouvrage. L'art de retoucher est sans contredit la partie la plus difficîle de la gravure en bois.

Retoucher. On ne renouvelle pas par la retouche une planche en bois, comme une planche en cuivre. On ne rétablit pas la taille d'épargne, s'il arrive qu'elle soit écrasée, ou devenue filandreuse par le mouillage et le long service ; ou si l'on répare ainsi quelques ouvrages, ce sont des morceaux grossiers, et non des gravures délicates. Ce serait plutôt fait de regraver une autre planche.

Nous entendons par retoucher, revenir sur une planche nouvelle, pour la perfectionner, en affoiblissant les traits et les contours qu'on trouve trop durs, trop roides, ou trop marqués.

Tout se réduit ici à exhorter le graveur à faire cette retouche le plus judicieusement qu'il pourra, réfléchissant surtout qu'il ne suppléera pas le bois qu'il aura enlevé mal-à-propos. Nous en dirons davantage plus bas, où nous exposerons d'après M. Papillon les ressources qu'il a imaginées et portées dans son art.

Impression. Lorsque la planche est sortie des mains du graveur, c'est souvent à l'imprimeur, pour qui elle est destinée, à la faire valoir son prix.

Les pressiers prennent une seule fois de l'encre pour cinq épreuves : d'où il peut arriver que les premières soient pochées, les secondes boueuses, et les dernières grises ; premier défaut à éviter. Il faudrait à chaque épreuve prendre de l'encre, et n'en prendre que ce qu'il faut ; avoir des balles moins pesantes, toucher avec ménagement et moins de promptitude, en un mot user des précautions nécessaires.

Si le papier est trop sec, la gravure viendra neigeuse : autre défaut. La gravure est neigeuse lorsque les tailles et les traits sont confondus, et qu'on n'aperçoit que des petits points vermichelés.

Si le papier est trop humide, on aura des taches, ou places dans lesquelles l'estampe aura trop ou n'aura pas assez pris de noir.

Si la planche est plus haute que la lettre, il faut qu'elle vienne pochée. Laissez-la de niveau avec la lettre, le tympan foulera toujours assez ; ou si l'empreinte n'est pas assez forte, vous aurez toujours la ressource des hausses.

Il ne faut pas tenir une planche en bois pour usée lorsqu'elle donne des épreuves grises ou neigeuses. On se laisse dans ce jugement tromper par une conformité qu'on suppose, et qui n'existe pas entre la gravure en cuivre et la gravure en bois. Il faut savoir qu'à la gravure en cuivre, lorsqu'elle est usée, tous les traits s'affoiblissent et s'effaçent ; et qu'au contraire à la gravure en bois, les tailles se confondent, se pâtent, et ne font plus qu'une masse.

Supplément. Il est peu de graveurs qui ne sachent ce que nous avons dit jusqu'à présent sur la gravure en bois. Nous allons ajouter ici par supplément ce que M. Papillon a découvert, et ce qui lui appartient en propre dans cet art.

La première de ses découvertes est relative à la manière de creuser et de préparer le bois pour graver des lointains ou parties éclairées, et de gratter les tailles déjà gravées, pour les rendre plus fortes et les faire ombrer davantage.

La seconde est relative à la manière de retoucher proprement la gravure en bois.

Nous finirons par ses idées sur la méthode d'imprimer les endroits creux.

Pour creuser à une planche, un lointain, un ciel, ou autre chose, on dessinera tout le reste, à la réserve de ces objets. Ensuite pour ébaucher le creux, on prendra une gouge de la grandeur convenable ; on enlevera le bois peu-à-peu, et à contre-fil, autant qu'on pourra : et l'on en ôtera peu sur les bords, afin que la pente du creux y commence en douceur, et qu'elle aille imperceptiblement en glacis. Cela est important. Si les bords étaient creusés trop profonds ou à-plomb, la gravure ne marquerait pas en ces endroits quand on imprimerait, la balle ne pouvant y atteindre ; et quand la balle y toucherait, les hausses qu'on serait forcé de mettre au tympan, feraient casser le papier à ces bords du creux. Il en arriverait de même au rouleau, lorsqu'on appuyerait le bout des doigts pour faire venir la gravure aux endroits creusés.

On polira cette ébauche avec la même gouge, le plus proprement qu'on pourra, afin d'avoir moins à travailler au grattoir à creuser. La lame de ce dernier instrument se fera avec un bout de ressort, comme la pointe à graver. On la trempera plutôt molle que seche, afin qu'étant aiguisée, le morfil y tienne mieux. Il faut qu'elle soit tranchante sur l'épaisseur de la lame, comme au racloir ou grattoir ordinaire ; il faut que cette partie soit courbe à droite et à gauche, et non de niveau comme à un fermoir. Les angles feraient des rayures qu'on aurait beaucoup de peine à atteindre et à effacer.

On prendra garde de ne point trop creuser l'endroit que l'on voudra graver. Il ne faut donner qu'une demi-ligne de creux à un espace d'un pouce, et cela encore à l'endroit le plus profond.

Le creux étant ébauché parfaitement à la gouge, on le repassera et polira au grattoir à creuser, jusqu'à ce qu'il ait la concavité convenable, et qu'il soit sans rayures, inégalités, et dentelures. Pour l'achever, on se servira de la prêle.

Ce creux étant fini, on le frottera avec du sandarac en poudre, et l'on y dessinera ce qu'on voudra graver. Si c'est un ciel, un horizon, une rivière, ou un autre objet qui exige des tailles horizontales ou perpendiculaires, on y tracera d'abord des lignes d'espace en espace avec le trusquin. Sans ces guides, on ne graverait jamais les tailles de niveau ou à-plomb. On les croirait telles, elles le paraitraient, et elles ne produiraient point cet effet à l'épreuve : elles seraient plus ou moins courbées par leurs extrémités ; c'est la suite du plus ou moins de profondeur du creux.

Il faudra graver un peu plus à-plomb que de coutume sur le glacis d'un endroit creusé, afin que la gravure ne soit point faite ni couchée sur le même plan de ce glacis, ce qui la rendrait sujette à pocher ou à s'engorger d'encre. On levera le coude ou le poignet en y gravant, sans quoi on risquera de sentir la pointe s'arrêter par l'extrémité du manche aux bords supérieurs de l'endroit creusé. Il faut aussi que la gravure soit plus profonde sur le glacis, et les traits des bords plus à-plomb, par les mêmes raisons. On veillera à n'y point couper les tailles par le pied : pour peu qu'on s'oubliât et qu'on ne contint pas sa pointe fortement, la pente du glacis rejetterait l'outil en-dehors en faisant les coupes, le repousserait en-dedans en faisant les recoupes, ce qui occasionnerait nécessairement l'accident qu'on a dit.

Pour rendre des tailles plus fortes ou plus épaisses qu'elles n'auraient été gravées, et qu'elles ne paraitront à une première épreuve, on grattera légèrement leur superficie avec le grattoir à creuser, ou plutôt à ombrer, parce que celui-ci n'étant presque point courbe, on en avancera plus facilement l'ouvrage. On choisira celui de ces grattoirs qui mordra le moins et l'on grattera l'endroit à retoucher autant qu'il sera possible, opérant dans le sens du fil du bois ; autrement on pourrait rendre les tailles barbelées. On évitera de les gratter sur leurs travers, de crainte que le grattoir ne les égrene en sautillant de taille en taille. On brossera avec une petite brosse, on soufflera sur la gravure, afin de chasser la raclure du bois qui resterait et remplirait l'entre-deux des tailles. Quand les tailles grattées paraitront plus épaisses, on tirera une seconde épreuve de la planche. Si les tailles grattées ne semblent pas encore assez fortes, on recommencera ; et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on soit satisfait. Cependant il faut procéder avec circonspection. On ne rendra point très-épaisses des tailles qui auront été gravées très-fines et un peu écartées les unes des autres ; il faudrait atteindre à la racine des tailles : et alors les tailles trop profondes ne viendraient plus à l'impression. Il ne faut pas que le milieu des endroits grattés soit plus bas qu'un quart-de-ligne, ou tout-au-plus une demi-ligne. Le plus ou moins de profondeur doit dépendre du plus ou moins d'étendue de gravure que l'on grattera. Il faut encore observer de former un glacis imperceptible qui, à mesure qu'on approchera des bords de l'endroit qu'on grattera, soit un peu plus relevé et anticipe en s'éteignant, en se perdant sur la gravure qui sera autour. Ce travail est très-nécessaire pour faciliter le tirage des épreuves ; autrement les tailles grattées auront peine à marquer à l'impression, et la peine d'ajuster des hausses au tympan serait embarrassante. On est toujours maître de retoucher et de baisser un peu avec la pointe à graver les tailles où l'on a formé ce glacis, quand on s'aperçoit que le grattoir les a rendues trop épaisses.

Cependant je ne peux nier que cette pratique de gratter les tailles pour les rendre plus fortes, ne m'ait fait souvent observer qu'elles devenaient inégales et brouillées, se pâtaient, et ne faisaient plus qu'une partie matte et noire. La pointe ayant enlevé le bois inégalement dans le fond des tailles par la coupe et par la recoupe, et comme il est impossible de l'enfoncer également par-tout, soit parce qu'il y a des veines dans le bois plus tendres les unes que les autres, soit par l'incertitude de la main et de l'outil, à mesure qu'en grattant l'on a plus approché du fond des tailles, on les a confondues davantage. Le seul remède qu'il y ait, c'est de repasser légèrement la pointe dans les mêmes coupes et recoupes, et d'enlever le bois qui empêche le blanc de paraitre net et égal. Cette remarque est importante. Alors la retouche est nécessaire, à-moins que le mauvais effet ne vint de la poussière retenue entre les tailles, d'où on la chassera avec une pointe à calquer, fine, et non mordante, qu'on essuyera à chaque instant, à mesure qu'on s'en servira. La poussière peut tenir fortement, mêlée avec le noir qui la mastique, pour ainsi dire, dans la gravure.

On peut creuser également le cormier, le poirier, etc. pour graver selon la méthode de M. Papillon ; mais il faut en polissant suivre le fil du bois ; si le grattoir avait été employé à contre-fil, on ne pourrait plus polir proprement. Il en faut dire autant des tailles que l'on gratterait pour les rendre plus nourries, après avoir été gravées.

Quelques personnes s'étaient aperçues que les creux des planches de M. Papillon étaient travaillés singulièrement ; des graveurs en bois l'ont questionné là-dessus : malgré cette observation de leur part, M. Papillon ne connait aucun artiste qui ait encore tenté de creuser une planche avant de la graver. Ceux qui savent que l'on peut retoucher la gravure en bois, croient que ces creux sont produits par la fréquence des retouches ; et ce nombre même est très-petit : presque personne ne croyant qu'on puisse retoucher une planche après une première épreuve. Quant à l'art de fortifier des tailles et de les faire ombrer davantage, il pense aussi qu'aucun graveur ne s'en est avisé, et il ajoute qu'il n'en est pas surpris, et que cette manœuvre lui paraitrait absurde à lui-même, si l'expérience qu'il en fait ne la justifiait.

De la manière de retoucher proprement. Il n'y a presque pas un morceau gravé en bois, qui n'ait besoin après la première épreuve, d'être retouché, quelque net qu'il paraisse, à-moins qu'il ne soit de forte taille, comme une affiche de comédie, etc. Les pièces délicates ne peuvent rester gravées au premier coup, parce que destinées pour l'imprimerie en lettre, et la presse les foulant beaucoup plus que le rouleau, une épreuve imprimée au rouleau paraitra bien nette, et cependant toutes les tailles déliées en viendront trop dures, si on la tire à la presse. On ne peut donc alors se dispenser de retoucher.

Pour n'avoir pas toujours à regarder en gravant, un dessein, à contredit de celui qui serait sur la planche, lorsqu'il s'agirait d'y placer et graver les ombres, M. Papillon lave à l'encre de la Chine ses desseins sur le bois même : ce qui épargne du temps et donne du feu. Alors il ne fait qu'un croquis au crayon rouge, qui se calque sur la planche, qui se rectifie ensuite à la mine-de-plomb, et qu'il finit à l'encre et à la plume, traçant, lavant, et ombrant. Mais qu'arrive-t-il de-là ? c'est que l'encre de la Chine qui a servi à ombrer, peut former sur la planche une certaine épaisseur. Alors, avant que de faire une première épreuve, on prendra une éponge et de l'eau, on nettoyera la planche, on la laissera secher, et l'on tirera l'épreuve.

Si l'on s'aperçoit qu'il y ait beaucoup à retoucher, on n'essuyera pas la planche avec une autre épreuve faite sans avoir pris de l'encre, afin de pouvoir distinguer facilement les tailles, et remarquer les endroits où il faudra les adoucir et abaisser, en les retouchant avec la pointe à graver.

Si on veut éviter de se salir les doigts, on laissera sécher la planche un jour ou deux. La vue se reposera pendant ce temps ; car fatiguée d'une application assidue d'un mois ou deux sur une même planche, elle n'en peut presque pas juger la première épreuve.

Pour retoucher on aura devant soi son épreuve ; on n'oubliera pas que les tailles de la planche sont à contre-sens de l'estampe ; on verra si une taille est trop épaisse seulement en quelques endroits ou sur toute sa longueur : on la diminuera de son épaisseur par le côté convenable, égalisant autant qu'il est possible la distance de cette taille à la suivante, avec les autres entre-deux ou distances de tailles ; on veillera à ne point trop ôter de bois, sans quoi la taille sera perdue : on aura soin de brosser à mesure qu'on avancera, afin que les petits copeaux ne restent pas dans la gravure.

On sent combien le dessein est nécessaire dans la retouche, soit pour ne pas estropier un contours, déplacer un muscle, pécher contre le clair-obscur ; soit en diminuant le trait par le côté opposé à celui qu'il fallait choisir, enflant ou amaigrissant mal-à-propos ; soit en revenant sur des tailles qui étaient bien, rendant clair ce qu'il fallait laisser obscur, courbant ce qu'il fallait redresser, redressant ce qu'il fallait courber, etc.

Quand on sera obligé de retoucher ou diminuer, par exemple, l'épaisseur du trait A par le côté où il tiendra aux tailles B, on le fera taille par taille, c'est-à-dire qu'on appuyera un peu la pointe au côté de la coupe d'une taille, à son extrémité, sur le trait duquel on fera entrer le taillant de la pointe, suivant à-peu-près l'épaisseur du bois qu'on voudra ôter au trait. On fera la même chose vis-à-vis sur le côté de la recoupe de la taille, qui est au-dessus de celle dont on vient de parler. Cela fait, on retouchera le trait enlevant le bois depuis une taille jusqu'à l'autre, comme on voit par les points de la figure suivante ; ce qui fera trois coups de pointe à donner entre ces deux tailles. Trait A, tailles B, C, partie retranchée du trait.

C'est ainsi qu'il faut s'y prendre pour retoucher le trait du côté où il tient à des tailles ; car si l'on faisait d'abord une coupe en passant la pointe dans l'épaisseur du trait et dans toute sa longueur, pour couper et recouper ensuite le bois en-travers taille par taille ; cela ferait coupe sur coupe, et toutes les tailles seraient infailliblement endommagées, interrompues par le bout, et ne tiendraient plus au trait ; elles en seraient séparées par l'ancienne coupe faite en cet endroit pour le former et pour dégager les tailles ; le bois se séparerait de lui-même en cet endroit, et l'on ne pourrait y remédier.

C'est de la même manière qu'on retouchera les gravures aux endroits qu'on aura creusés, et s'il est nécessaire, où l'on aura gratté des tailles, observant de tenir toujours la pointe plus à-plomb sur le glacis des endroits creusés et des tailles grattées. Après avoir retouché, on tirera une seconde épreuve, qu'on retouchera si le trait et les tailles ne paraissent pas encore assez adoucis ; puis une troisième et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'on soit satisfait de son ouvrage.

On gardera dans un porte-feuille les premières épreuves de chaque planche, selon l'ordre où elles auront été tirées avant et après les retouches, et l'on connaitra par comparaison les progrès qu'on fera d'année en année.

Les Holbeins, Bernard Salomon et C. S. Vichem ont retouché quelques-uns de leurs morceaux en bois, à la pointe à graver ; mais seulement à certains endroits, à l'extrémité des tailles éclairées : jamais dans les grandes parties ; et sur les estampes que M. Papillon a d'eux, il prétend qu'ils ne l'ont fait qu'une fois à chacune de leurs planches, excepté celle de la bible d'Holbein, où Abisaig est à genoux devant David, et où la retouche est très-sensible aux traits de la montagne que l'on voit par la croisée de la chambre ; quelques figures emblématiques de Bernard Salomon, et autres morceaux de C. S. Vichem. Il est sur que ces graveurs habiles entre les anciens n'ont point retouché de lointains ni de ciel ; et que parmi les modernes, MM. Vincent le Sueur, son frère Pierre, Nicolas fils de ce dernier, sont les seuls qui aient retouché leurs gravures à de grandes parties. Le père de M. Papillon n'avait pas cet usage, et M. son fils dit que c'est une des raisons pour lesquelles ses gravures manquent d'effet.

Manière de bien imprimer les endroits creusés de la gravure. On fera atteindre le papier aux endroits creusés, soit avec le doigt, le pouce, ou la paume de la main, selon leur étendue, lorsqu'on imprimera au rouleau : ce secours ne sera pas nécessaire à l'impression en lettres, où l'on a celui des hausses et de la foule du tympan, qu'il faut toutefois savoir préparer. On collera un morceau de papier ou deux à l'endroit du tympan, qui répondra au creux de la planche. Il faut que ces papiers occupent toute l'étendue du creux. Sur ces premiers papiers on en collera d'autres, qui iront toujours en diminuant jusqu'au centre. Il ne faut pas couper ces morceaux avec des ciseaux, mais en déchirer les bords avec les ongles. Sans cette attention, l'épaisseur du papier formera une gaufrure et un trait blanc à l'épreuve.

Si un lointain ou un autre endroit creusé vient trop dur à l'impression, il faudra mettre une ou plusieurs hausses au tympan de toute l'étendue de la planche ; mais découper ces hausses et en ôter le papier à l'endroit qui répondra au lointain, ou même, sans employer de hausses, découper la feuille du tympan à l'endroit convenable. On pourrait même dans un besoin y découper le parchemin du tympan, et le premier lange ou blanchet. Il faudra que les blanchets aient déjà servi ; neufs, ils feraient venir la gravure trop dure.

Voilà tout ce que nous avons cru devoir employer des mémoires très-savants et très-étendus que M. Papillon nous a communiqués sur son art : la réputation et les ouvrages de cet artiste doivent répondre de la bonté de cet article, si nous avons bien su tirer parti de ses lumières. Au reste ces principes sont les premiers qui aient jamais été publiés sur cet art, et ils sont tous de M. Papillon ; nous n'avons eu que le petit mérite de les rédiger.

* GRAVURE EN CREUX sur le bois et de dépouille. L'on a par le moyen de cette gravure, des empreintes de relief en pâte, terre ou sable préparés, beurre, cire, carton, etc. des sceaux, des cachets, des armoiries de cloche à cire perdue ; des figures pour la pâtisserie, les desserts, les sucreries, etc.

Il est vraisemblable qu'on a commencé à graver sur le bois, avant que de graver sur aucune matière plus dure ; et il ne l'est pas moins que la gravure en creux, appelée anciennement engravure, a précédé la gravure.

Il faut distinguer deux sortes de gravure en creux, relativement aux outils dont on s'est servi ; l'une en gouttière exécutée avec des outils tranchans, tels que le couteau, le fermoir, le canif et la gouge ; l'autre plus parfaite, travaillée à la gouge plus ou moins courbe ; le fermoir et la pointe à graver n'y sont que rarement employés : de-là et ses vives arêtes et ses bords adoucis, et son caractère de dépouille que n'a point la première dont les angles et les vives arêtes aiguës sont sujets à retenir des parties des substances molles sur lesquelles on veut avoir les reliefs des gravures.

Les anciens n'ont guère connu d'autres gravures que celles-là, si l'on y ajoute celles qu'ils opéraient avec le fer brulant.

Il faut pour la gravure en bois et de dépouille, donner la préférence au buis qui se polit mieux qu'aucun autre bois ; et la manœuvre principale consiste à faire en sorte que les parties creuses, quelles qu'elles soient, ne soient point coupées, soit perpendiculairement au plan de la planche, soit en-dessous. Il faut que les enfoncements aillent en pente depuis leurs bords jusqu'à leurs fonds, et qu'ils n'aient en général aucune gouttière ni aucune saillie trop aiguë ; le relief qui en viendrait serait desagréable, à-moins que l'objet représenté ne l'eut exigé.

Les parties creusées à deux, trois reprises, sont celles qui demandent le plus d'attention. L'écusson d'une armoirie, par exemple, étant creusé d'un demi-pouce de profondeur, comme nous l'avons prescrit ; si cet écusson a un surtout, on le fera de deux lignes plus profond que le reste, et les figures qu'il portera, d'une ligne ou d'une demi-ligne. Quant aux petites parties qui pourront se faire à la main, d'un seul coup de gouge ou de fermoir, il faudra les couper nettes jusqu'au fond.

On montera sur des manches les parties d'un ouvrage qui seront isolées, et qui se rapporteront dans l'usage les unes à côté des autres.

Si l'ouvrage et le manche étaient d'une pièce, comme il arrive quelquefois, le graveur se trouverait souvent dans le cas de travailler sur un bois debout, et de couper à contre-fil ; ce qui rendrait la gravure ingrate et mauvaise.

Dans ces cas on fera tourner le manche, et à l'extrémité du manche on pratiquera une entaille, dans laquelle on enchâssera une pièce sur laquelle on gravera ; observant seulement que les bords de ces pièces aient les contours nécessaires bien évidés, pour enlever les reliefs qu'on aura à en tirer.

On voit que si le graveur a à travailler sur un rouleau fait au tour, il y trouvera son avantage ; la forme lui donnant les ronds, quarts de ronds et autres bosses, qu'il aurait été obligé de tirer d'une surface plane.

Les pièces isolées demandent des doubles planches et des parties creusées à contredit les unes des autres ; il faut que les contours s'y correspondent avec beaucoup de précision, afin qu'appliquées l'une d'un côté, l'autre de l'autre, la pâte entre deux, le relief vienne comme on le désire. C'est la suite de l'exactitude des repaires, et de la parfaite ressemblance des deux morceaux gravés.

Gravure en bois d'une forte taille. C'est la même chose que la gravure ordinaire, avec cette différence qu'à celle-là les tailles sont plus grossières : ce sont les mêmes manœuvres et les mêmes outils ; il faut seulement que les pointes soient plus épaisses, plus fortes en lames, et plus obliques à la première partie du chef. C'est en cette gravure que sont les planches de dominoterie, de papiers de tapisserie, les affiches, les moules de cartes, les planches des toiles peintes, les enseignes des marchands, les desseins de jupons, etc.

Gravure en bois matte et de relief. C'est un diminutif de la précédente. Les grosses lettres d'affiches, les masses de rentrées pour les camayeux, et les toiles peintes, sont gravées de cette manière. Elle est à l'usage des Fondeurs : c'est par son moyen qu'ils obtiennent en creux la terre ou le sable où ils coulent les métaux. Le graveur doit observer en leur faveur de graver ses traits et contours un peu en talud ; ils en feront plus de dépouille, et le creux ne retiendra aucune partie du métal, quand il s'agira d'en retirer la pièce. Les planches de cuivre et autres ouvrages obtenus par cette manœuvre, se reparent et s'achevent au ciselet : mais la gravure en bois a donné les grosses masses ; ce qui a épargné beaucoup d'ouvrage à l'artiste, qui, sans ce moyen, aurait été obligé d'exécuter au burin de grandes parties. Cet article et le suivant sont encore tirés des mém. de M. PAPILLON.

* GRAVURE EN BOIS, de camayeu, ou de clair-obscur, de relief, à tailles d'épargne et à rentrées, ou à plusieurs planches, formant autant de teintes par dégradation sur l'estampe.

Le camayeu est très-ancien, s'il est vrai que ce fut de cette manière de peindre d'une seule couleur, qu'un certain Cléophante fut surnommé chez les Grecs le Monochromate. Quant à la gravure en camayeu, il est vraisemblable qu'elle a pris naissance chez quelques-uns de ces peuples orientaux, où l'usage de peindre leurs toiles par planches à rentrées et couleurs différentes, subsiste de temps immémorial. La gravure en bois conduisit à l'invention de l'Imprimerie en lettres ; et les premières rentrées de lettres en vermillon qu'on voit dans des livres dès 1470 et 1472, exécutées par Guttemberg, Schoeffer et autres, suggérèrent sans-doute à quelque peintre allemand d'imiter les desseins faits avec la pierre noire sur le papier bleu et rehaussés de blanc, avec deux planches en bois à rentrées, une pour le trait noir, et l'autre pour la teinte bleue, avec les rehauts ou les hachures blanches réservées dessus. Cette découverte a précédé l'année 1500. On voit de ces estampes ou premiers camayeux datés de 1504, qui ne sont pas sans mérite. Il y en a d'un goût gothique de Martin Schon, d'Albert Durer, de Hans ou Jean Burgkmaïr, et leurs contemporains.

Lucas de Leiden, Lucas Cranis ou de Cronach, Sebald, et presque tous ceux qui travaillaient alors pour les Imprimeurs en lettres, ont gravé à deux planches ou rentrées.

Les Italiens s'appliquèrent aussi à ce genre, après les Allemands. Voici ce qu'on en lit dans Felibien : " Hugo da Carpi, dit cet auteur, publia dans ses principes d'Architecture une manière de graver en bois, par le moyen de laquelle les estampes paraissent comme lavées de clair-obscur : il faisait, pour cet effet, trois sortes de planches d'un même dessein, lesquelles se tiraient l'une après l'autre sous la presse, sur une même estampe ; elles étaient gravées de façon que l'une servait pour les jours et grandes lumières ; l'autre pour les demi-teintes, et la troisième pour les contours et les ombres fortes ".

Abraham Bosse qui a traité de tous les genres de gravure, a aussi parlé de la manière de graver de Hugo da Carpi. " Au commencement du seizième siècle, dit Bosse, on imagina en Italie et en Allemagne l'art d'imiter en estampes les desseins lavés, et l'espèce de peinture à une seule couleur, que les Italiens appellent chiaro-scuro, et que nous connaissons sous le nom de camayeu ". On voit par l'historique qui précéde, que la gravure en camayeu est beaucoup plus ancienne que Bosse ne la fait. Il ajoute " qu'avec le secours de cette invention, on exprima le passage des ombres aux lumières et les différentes teintes du lavis ; que celui qui fit cette découverte s'appelait Hugo da Carpi (autre erreur de Bosse), et qu'il exécuta de fort belles choses d'après les desseins de Raphael et du Parmesan ".

Voici exactement ce que Hugo da Carpi exécuta, au jugement de M. Papillon graveur en bois, qui a mieux examiné cette matière qu'Abraham Bosse, et qui nous a communiqué un petit mémoire là-dessus. Hugo da Carpi grava des rentrées ou planches par parties mattes, et employa jusqu'à quatre planches de bois pour une estampe, sans y faire aucune taille, les imprimant d'une seule couleur par dégradation de teintes, chaque planche donnant à l'estampe une teinte différente ; il affectait de se servir de papier gris, afin que les rehauts ou les parties les plus éclairées fussent d'une dernière teinte très-foible, qui se fondit mieux avec celles des planches gravées ; et il parvint par cette industrie à donner à ses ouvrages un air de peinture fort voisin du camayeu.

Ce secret plut tellement au célèbre Raphael, qu'il souhaita que plusieurs de ses compositions fussent perpétuées de cette manière ; il grava lui-même des camayeux en bois, auxquels il mit son initiale ou une R blanche à l'estampe, ou de la teinte la plus claire.

Sylvestre ou Marc de Ravenne, mais particulièrement François Mazzuolo dit le Parmesan, ont beaucoup gravé de cette manière, d'après Raphael ; ils furent imités par Jérôme Mazzuolo, Antonio Frontano, le Beccafumi, Baldassorne, Perucci, Benedict. Penozzi, Lucas Cangiage, Roger Goltz ou Goltzius, Henri et Hubert de même nom. Le trait des médailles données en camayeu par Hubert Goltzius peintre antiquaire, a été gravé à l'eau-forte. Plusieurs graveurs en ont fait autant depuis, pour avoir des copies plus exactes de desseins de peintres croqués à la plume et lavés de couleur ; ressource qui n'est applicable qu'à cet usage, car le trait maigre de l'eau-forte n'a ni la beauté ni l'expression du trait gravé en bois, qui est plus vigoureux et plus nourri.

Dès le temps des Goltzius, des graveurs en camayeu variaient leurs rentrées par différentes couleurs du trait, et chargeaient cette gravure de tailles et de contre-tailles, ce qui sortait du genre, et nuisait à l'effet du camayeu de Hugo da Carpi.

On a des gravures en camayeu de Vanius, Luvin, Dorigny, Bloemart, Fortunius, André Andriam, Pierre Gallus, Ligosse de Vérone, Baroche, Antonio da Trento, Giuseppe Scolari, Nicolas Rossilianus, Dominique Saliene, etc.

Cet art fleurit en 1600 sous Paul Molreelse d'Utrecht, George Lalleman, Businck, Stella, ses filles et sa nièce, les deux Maupins, le Guide, Coriolan et Jean Coriolan ; en 1650, sous Christophe Jegher, qui a gravé d'après Rubens, Montenat, Vincent le Sueur qui n'y a pas réussi, Nicolas qui en a exécuté avec plus de succès pour M. Crozat et M. le comte de Caylus.

François Perrier peintre de Franche-Comté, imagina, il y a environ cent ans, de graver à l'eau-forte toutes ses rentrées de camayeu ; ce qui, selon Bosse, avait déjà été tenté par le Parmesan, qui avait abandonné cette manière qui lui avait paru trop mesquine. Elle se faisait à deux planches de cuivre, dont l'une imprimait le noir, et l'autre le blanc sur papier gris : mais ces estampes étaient sans agrément et sans effet, et Perrier abandonna ses planches de cuivre pour revenir à celles de bois.

Après ce petit historique, passons maintenant à la manœuvre de l'art. Voici comment Bosse explique la manœuvre de Hugo da Carpi. " Il faut, dit-il, avoir deux planches de pareille grandeur, exactement ajustées l'une sur l'autre : on peut sur l'une d'elles graver entièrement ce que l'on désire, puis la faire imprimer de noir sur un papier gris et fort ; et ayant verni l'autre planche comme ci-devant, et l'ayant mise le côté verni dans l'endroit de l'empreinte que la planche gravée a faite en imprimant sur cette feuille, la passer de même entre les rouleaux : ladite estampe aura fait sa contre-épreuve sur la planche vernie. Après quoi il faut graver sur cette planche les rehauts, et les faire fort profondément creuser à l'eau-forte. On peut exécuter la même chose avec le burin, et même plus facilement.

La plus grande difficulté dans tout ceci est de trouver du papier et une huîle qui ne fasse point jaunir ni roussir le blanc : le meilleur est de se servir d'huîle de noix très-blanche et tirée sans feu, puis la mettre dans deux vaisseaux de plomb, et la laisser au soleil jusqu'à ce qu'elle soit épaissie à proportion de l'huîle faible dont nous allons parler. Pour l'huîle forte, on laissera l'un de ces vaisseaux bien plus de temps au soleil.

Il faut ensuite avoir du blanc de plomb bien net, et l'ayant lavé et broyé extrêmement fin, le faire sécher et en broyer avec de l'huîle faible bien à sec, et après l'allier avec de l'autre huîle plus forte et plus épaisse, comme on fait pour le noir. Puis ayant imprimé de noir ou autre couleur sur du gros papier gris, la première planche qui est gravée entièrement, vous en laisserez sécher l'impression pendant dix à douze jours : alors ayant rendu ces estampes humides, il faut encrer de ce blanc la planche où sont gravés les rehauts, de la même façon que l'on imprime ordinairement, l'essuyer, et la poser ensuite sur la feuille de papier gris déjà imprimée, en sorte qu'elle soit justement placée dans le creux que la première planche y a faite, prenant garde de ne point la mettre à l'envers, ou le haut en bas. Cela fait, il ne s'agit plus que de faire passer entre les rouleaux ".

Ce discours d'Abraham Bosse est louche en plusieurs endroits. Nous allons tâcher d'exposer la manière de graver en camayeu, d'une manière plus précise et plus claire.

Les planches destinées à la gravure en camayeu se feront de poirier préférablement au buis ; parce que sur le premier de ces bois les masses prennent mieux la couleur que sur le second. Il ne faut pas d'autres outils ni d'autres principes que ceux de l'article précédent sur la gravure en bois.

Il faut graver autant de planches ou rentrées que l'on veut faire de teintes. Les plus grands clairs ou les jours, comme hachures ou rehauts de blanc, doivent être formés en creux dans la planche, pour laisser au papier même à en donner la couleur. Quelquefois on gravera sur cuivre, à l'eau-forte, le trait de l'estampe, surtout si l'on ne peut imiter le croquis original tracé à la plume et lavé, sans que ce trait soit fort délié.

Le mérite de cette gravure consistera principalement dans la justesse des rentrées de chaque planche ou teinte : on y réussira par le moyen des pointes ajustées et de la frisquette, comme à l'impression en lettres, mais mieux encore par la presse en taille-douce, et d'une machine telle que celle dont nous allons donner la description.

Lorsque les planches ou rentrées d'une estampe auront toutes été dessinées fort juste les unes sur les autres, en bois, bien équarries et gravées au nombre de trois au-moins, une pour les masses les moins brunes, où l'on aura gravé en creux les rehauts, une pour les masses plus brunes, et une pour le trait ou les contours et coups de force des figures, chacune n'ayant rien de ce qu'on aura gravé sur une autre ; l'on aura une machine de bois de chêne ou de noyer, de l'épaisseur des planches gravées, et à peu de chose près de la largeur de la presse en taille-douce.

Cette machine sera composée de trois pièces jointes ensemble par des tenons à mortaise ; l'une formée en talud, pour pouvoir être glissée facilement entre les rouleaux de la presse sur la table, et ayant de chaque côté une petite bande de fer fixée avec des vis sur son épaisseur et sur l'épaisseur des deux autres. L'on mettra dans le vide sur l'espace de la presse, des langes de drap plus ou moins, selon l'exigence, pour que la gravure vienne bien. Il faudra que le papier soit mouillé bien à-propos. On en prendra une feuille, qu'on insérera en équerre, selon la marge qu'on y voudra laisser, sous la pièce en talud et sous l'une des deux autres, par-dessus les langes. On encrera de la couleur qu'on voudra, la première planche ou rentrée, c'est-à-dire la plus claire, avec des balles semblables à celles des faiseurs de papiers de tapisserie. L'on posera adroitement cette planche du côté de la gravure, sur la feuille de papier qu'on a étendue sur les langes, un peu dessous la pièce en talud, et l'une des deux autres. On observera de l'approcher bien juste de l'angle ou équerre de ces pièces. Cela fait, on posera sur la planche quelques langes, maculatures, ou autres choses mollettes, afin que tournant le moulinet, et faisant passer le tout entre les rouleaux, la couleur qui est sur la gravure s'attache bien au papier. Cette teinte faite sur autant de feuilles qu'on voudra d'estampes, on passera avec les mêmes précautions à la seconde teinte ; et ainsi de suite. S'il y a plus de trois teintes, on commencera toujours par la plus claire ; on passera aux brunes, qu'on tirera successivement en passant de la moins brune à celle qui l'est le plus, et l'on finira par le trait ou par la planche des contours ; ce qui achevera l'estampe en camayeu ou clair-obscur.

C'est ainsi (dit M. Papillon) qu'ont été imprimés les beaux camayeux que MM. de Caylus et Crozat ont fait exécuter : c'est ainsi qu'on est parvenu à ne point confondre les rentrées ; et c'est de ce dernier soin que dépend toute la beauté de ce genre d'ouvrage.

Quant aux couleurs qu'on emploiera, elles sont arbitraires ; on les prendra à l'huîle ou la détrempe ; le bistre ou la suie de cheminée et l'indigo sont les plus usités ; l'encre de la Chine fera fort bien ; il en est de même de la terre d'ombre bien broyée, etc.

M. de Montdorge observe avec raison dans le mémoire qu'il nous a communiqué là-dessus, qu'il y a grande apparence que les effets de ce genre de gravure, combinés avec les effets de la gravure en manière noire, ont fait naître les premières idées d'imprimer en trois couleurs, à l'imitation de la peinture.

Cet article a été rédigé d'après l'ouvrage d'Abraham Bosse et celui de Felibien, et les lumières de M. de Montdorge et de M. Papillon.

Quant aux trois articles qui suivent, ils sont tels que nous les avons reçus de M. de Montdorge.

GRAVURE EN COULEURS, A L'IMITATION DE LA PEINTURE. Cette manière de graver est un art nouveau, dont la découverte est précieuse à d'autres arts ; Jacques Christophe le Blon, natif de Francfort, élève de Carlo Marate, en est l'inventeur : on doit placer l'époque de cette invention entre 1720 et 1730 ; l'Angleterre en a Ve naître les premiers essais ; à peine commençaient-ils à y réussir, que le Blon passa en France (c'était en 1727) ; un rouleau d'épreuves échappées de l'attelier de Londres, composait alors tout son bien ; mais quelques amateurs étonnés de l'effet merveilleux de trois couleurs imprimées sur le papier, voulurent suivre des opérations si singulières, et se réunirent pour mettre l'inventeur en état de donner des leçons de son art ; les commencements furent difficiles. Quand le Blon travaillait à Londres, c'était au centre des graveurs en manière noire ; et cette manière qui fait la base du nouvel art était totalement abandonnée en France.

Les effets du nouveau genre de gravure sont les conséquences des principes que le Blon a établis dans un traité du coloris ; persuadé que les grands coloristes, que le Titien, Rubens, Vandeyk, avaient une manière invariable de colorier, il entreprit de fonder en principes l'harmonie du coloris, et de la réduire en pratique mécanique par des règles sures et faciles : tel est le titre d'un traité qu'il a publié à Londres en anglais et en français : ce traité a été réimprimé et fait partie d'un livre intitulé l'art d'imprimer les tableaux, à Paris 1757. Il est revêtu du certificat de MM. les commissaires qui furent nommés par le roi pour être dépositaires des secrets de le Blon.

C'est en cherchant les règles du coloris, que j'ai trouvé, dit l'inventeur, la façon d'imprimer les objets avec leurs couleurs naturelles ; et passant ensuite à des instructions préliminaires, il jette les fondements de son art, en établissant que la Peinture peut représenter tous les objets visibles avec trois couleurs, savoir le jaune, le rouge, le bleu, puisque toutes les autres couleurs sont composées de ces trois primitives ; par exemple, le jaune et le rouge font l'orangé ; le rouge et le bleu font le pourpre, le violet ; le bleu et le jaune font le verd. Les différents mélanges des trois couleurs primitives produisent toutes les nuances imaginables, et leur réunion produit le noir : je ne parle ici que des couleurs matérielles, ajoute-t-il, c'est-à-dire des couleurs dont se servent les Peintres ; car le mélange de toutes les couleurs primitives impalpables ne produit pas le noir, mais précisément le contraire ; il produit le blanc. Le blanc est une concentration ou excès de lumière ; le noir est une privation ou défaut de lumière.

Trais couleurs, nous le répétons, donnent par leur mélange autant de teintes qu'il en puisse naître de la palette du plus habîle peintre : mais on ne saurait, en les imprimant l'une après l'autre, les fondre comme le pinceau les fond sur la toîle : il faut donc que ces couleurs soient employées de façon que la première perce à-travers la seconde, et la seconde à-travers la troisième, afin que la transparence puisse suppléer à l'effet du pinceau. Chacune de ces couleurs sera distribuée par le secours d'une planche particulière : ainsi trois planches sont nécessaires pour imprimer une estampe à l'imitation de la Peinture.

Préparation des planches. Elles seront grainées comme les planches destinées à la manière noire. Voyez GRAVURE EN MANIERE NOIRE. Ces planches doivent être entr'elles de même épaisseur, bien unies, et très-exactement d'équerre à chaque angle ; unies, pour qu'à l'impression toute la superficie soit également pressée ; et d'équerre, pour qu'elles se rapportent contour sur contour l'une après l'autre, quand elles imprimeront la même feuille de papier.

La meilleure façon de rendre les planches exactement égales entr'elles, c'est de faire des trous aux quatre coins, de les joindre l'une sur l'autre par quatre rivures bien serrées ; de tracer le carré sur les bords de la première ; de limer jusqu'au trait en conservant toujours l'équerre sur l'épaisseur des quatre : limez enfin vos rivures, et les planches en sortiront comme un cahier de papier sort de la coupe du relieur.

On peut au lieu de rivure, serrer les planches avec de petits étaux qui changeront de place à mesure qu'on limera les bords. C'est à l'artiste à consulter son adresse et sa patience dans les differents moyens qu'il emploiera pour les opérations mécaniques.

Moyen sur pour calquer sur la planche grainée. Il s'agit à-présent de distribuer le tableau sur les trois planches ; et pour que les contours sur chaque planche se retrouvent précisément dans les endroits où ils doivent se rencontrer, voici de quel moyen on se sert. Prenez une de vos planches, couchez-la sur un carton épais plus grand de deux pouces en hauteur et en largeur que la planche ; faites avec le canif une ouverture bien perpendiculaire dans le carton, la planche elle-même servira de calibre ; et dès que le carton sera coupé sur les quatre faces, il vous donnera un cadre de deux pouces. Ayez pour détacher ce cadre une lame bien acérée et bien aiguisée avec un manche à pleine main : attendez-vous à trouver de la résistance ; et pour éviter d'en trouver encore plus, essayez sur différentes espèces de carton celui qui se coupera le plus net et le plus facilement ; surtout que le carton que vous choisirez soit bien sec, et tout-au-moins aussi épais que la planche de cuivre. Vous avez aux quatre coins de celle qui fait votre calibre, quatre trous qui ont servi à assembler les autres planches pour les limer ; vous pourrez en profiter pour river encore le calibre avec le carton, par ce moyen les rendre fixes l'un sur l'autre, et donner plus de facilité à enlever le cadre.

Il faudra, pour le garantir de l'humidité qui le ferait étendre, l'enduire dessus et dessous d'une grosse couleur à l'huîle telle qu'on l'emploie pour imprimer les toiles de tableau.

Le cadre de carton est ainsi préparé pour recevoir un voîle qui sera cousu à points serrés sur ses bords intérieurs ; c'est ce voîle qui sert à porter avec précision les contours. On le présentera donc sur l'original qu'on Ve graver ; et après avoir tracé au pinceau avec du blanc à l'huîle sur le voile, on attendra que l'huîle soit seche pour repasser les mêmes traits avec du blanc beaucoup plus liquide que celui qui a seché ; on enfermera la première planche dans le cadre de carton ; et le blanc encore frais marquera sur la grainure tous les contours dont le voîle est chargé.

On repassera du blanc liquide sur les traits du voile, pour calquer les autres planches : on sera certain par ce moyen du rapport exact qu'elles auront entr'elles. Le blanc liquide qui doit calquer du voîle au cuivre grainé, est un blanc à détrempe délayé dans l'eau-de-vie avec un peu de fiel de bœuf, pour qu'il morde mieux sur le trait à l'huîle : mais pour conserver ce trait, il est à-propos de prendre une plume et de le repasser à l'encre de la Chine ; car l'encre ordinaire tient trop opiniâtrément dans les cavités de la grainure.

Gravure des planches. Les instruments dont on se sert pour ratisser la grainure, sont les mêmes que ceux qu'on emploie pour la manière noire. Voyez GRAVURE EN MANIERE NOIRE.

De l'intention des trois planches. La première planche que l'on ébauche est celle qui doit tirer en bleu, la seconde en jaune, et la troisième en rouge. Il faut avoir grande attention de ne pas trop approcher du trait qui arrête les contours, et de réserver toujours de la place pour se redresser quand on s'apercevra par les épreuves que les planches ne s'accordent pas parfaitement.

On dirigera la gravure de façon que le blanc du papier, comme il a été dit, rende les luisans du tableau ; la planche bleue rendra les tournans et les fuyans ; la planche jaune donnera les couleurs tendres et les reflets ; enfin la planche rouge animera le tableau et fortifiera les bruns jusqu'au noir. Les trois planches concourent presque par-tout à faire les ombres, quelquefois deux planches suffisent, quelquefois une seule.

Quand il se trouve des ombres à rendre extrêmement fortes, on met en œuvre les hachures du burin. Voyez l'article GRAVURE AU BURIN. Il est aisé de juger que les effets viennent non-seulement de l'union des couleurs, mais encore du plus ou du moins de profondeur dans les cavités du cuivre : le burin sera donc d'un grand secours pour forcer les ombres ; et qu'on ne croye pas que ses hachures croisées dans les ombres fassent dur : nous avons des tableaux imprimés, où vues d'une certaine distance, elles rappellent tout le moèlleux du pinceau. Les ombres extrêmement fortes obligent de caver le cuivre plus profondément que ne font les hachures ordinaires de la taille-douce : on se sert alors du ciseau pour avoir plus de facilité à creuser.

Pour établir l'ensemble. Dès qu'on a gravé à-peu-près la planche bleue, on en tire quelques épreuves et l'on fait les corrections au pinceau : pour cela, mettez un peu de blanc à détrempe sur les parties de l'épreuve qui paraissent trop colorées, et un peu de bleu à détrempe sur les parties qui paraissent trop claires : puis en consultant cette épreuve corrigée, vous passerez encore le grattoir sur les parties du cuivre trop fortes, par conséquent trop grainées, et vous grainerez avec le petit berceau les parties qui paraitront trop claires, par conséquent trop grattées ; mais avec un peu d'attention, on évite le cas d'être obligé de regrainer. Cette première planche bleue approchant de sa perfection, vous fournira des épreuves qui serviront à conduire la planche jaune : voici comment.

Examinez les draperies ou autres parties qui doivent rester en bleu pur ; couvrez ces parties sur votre épreuve bleue avec de la craie blanche, et ratissez la seconde planche de façon qu'elle ne rende en jaune que ce que la craie laisse voir en bleu.

Mais ce que rend la planche bleue n'apporte pas tout ce que demande la planche jaune ; c'est pourquoi vous ajouterez à détrempe sur cette épreuve bleue tout le jaune de l'original, jaune pur, jaune paille, ou autre plus ou moins foncé. Si la planche bleue ne fournit rien sur le papier dans une partie où est placé, par exemple, le nœud jaune d'une mante ; vous peindrez ce nœud à détrempe jaune sur votre épreuve bleue, afin qu'en travaillant la seconde planche d'après l'épreuve de la première, vous lui fassiez porter en jaune tout ce que cette épreuve montrera de jaune et de bleu.

On travaille avec les mêmes précautions la troisième en rouge d'après la seconde en jaune ; et pour juger des effets de chaque planche, on en tire des épreuves en particulier, qui font des camayeux, mais tous imparfaits, parce qu'il leur manque des parties qui ne peuvent se retrouver pour l'ensemble, qu'en unissant à l'impression les trois couleurs sur la même feuille de papier. On jugera, quand elles seront réunies, des teintes, demi-teintes, de toutes les parties enfin trop claires ou trop chargées de couleurs ; on passera, comme on l'a déjà fait, le berceau sur les unes et le grattoir sur les autres.

C'est ainsi que furent conduits les premiers ouvrages dans ce genre, qu'on vit paraitre il y a vingt-cinq ou trente ans en Angleterre. On devait s'en tenir à cette façon d'opérer : l'inventeur cependant en a enseigné une plus expéditive dont il s'est servi à Londres et à Paris ; mais il ne s'en servait que malgré lui, parce qu'elle est moins triomphante pour le système des trois couleurs primitives.

Manière plus prompte d'opérer. Quatre planches sont nécessaires pour opérer plus promptement : on charge d'abord la première de tout le noir du tableau ; et pour rompre l'uniformité qui tiendrait trop de la manière noire, on ménage dans les autres planches, de la grainure qui puisse glacer sur ce noir. On aura attention de tenir les demi-teintes de cette première planche un peu faibles, pour que son épreuve reçoive la couleur des autres planches sans les salir.

Le papier étant donc chargé de noir, la seconde planche qui imprimera en bleu, puisqu'on ne la forçait que pour aider à faire les ombres, doit être beaucoup moins forte de grainure qu'elle ne l'était en travaillant sur les premiers principes : de même la planche jaune et la planche rouge qui servaient aussi à forcer les ombres, ne seront presque plus chargées que des parties qui devaient imprimer en jaune et en rouge, et de quelques autres parties encore qui glaceront pour fondre les couleurs, ou qui réunies en produiront d'autres ; ainsi que le bleu et le jaune produiront ensemble le verd ; le rouge et le bleu produiront le pourpre, etc.

Le cuivre destiné pour la planche noire sera grainé sur toute la superficie ; mais en traçant sur les autres, on pourra réserver de grandes places qui resteront polies. Ainsi en s'évitant la peine de les grainer, on s'évitera encore celle qu'on est obligé de prendre pour ratisser et polir les places qui ne doivent rien fournir à l'impression.

Quand on est une fois parvenu à se faire un modèle, on est bien avancé : que j'aye, par exemple, un portrait à graver ; il s'y trouve, je suppose, cent teintes différentes ; l'estampe en couleur d'un saint-Pierre que j'aurai conservée avec les cuivres qui l'ont imprimée, Ve décider une partie de mes teintes, et voici comment.

Je veux colorer l'écharpe du portrait ; cette écharpe me parait par la confrontation, de la même teinte que la ceinture de mon S. Pierre anciennement imprimée ; j'examine les cuivres du S. Pierre, je reconnais qu'il y a tant de jaune, tant de rouge dans leur grainure : alors pour rendre l'écharpe du portrait, je réserve en jaune et en rouge autant de grainure que mes anciens cuivres en ont pour la ceinture du S. Pierre.

Des cas particuliers qui peuvent exiger une cinquième planche. Il se rencontre dans quelques tableaux des transparents à rendre, qui demandent une planche extraordinaire ; des vitres dans l'Architecture, des voiles dans les draperies, des nuées dans les ciels, etc. le papier qui fait le clair de nos teintes, a été couvert de différentes couleurs, et par conséquent ne peut plus fournir aux transparents, qui doivent être blancs ou blanchâtres, et paraitre par-dessus toutes les couleurs. On sera donc obligé, pour faire sentir la transparence, d'avoir recours à une cinquième, ou plutôt à l'un des quatre cuivres qui ont déjà travaillé.

Je cherche à rendre, je suppose, les vitres d'un palais, la planche rouge n'a rien fourni pour ce palais, et conserve par conséquent une place fort large sans grainure ; j'en vais profiter pour y graver au burin quelques traits qui imprimés en blanc sur le bleuâtre des vitres, rendront la transparence de l'original, et m'épargneront un cinquième cuivre : les épreuves de cette impression en blanc se tirent, pour les corriger, sur du papier bleu.

On conclura de cette explication, que par une économie, fort contraire il est vrai à la simplicité de notre art, on peut profiter des places lissées dans chaque planche, pour donner de certaines touches qui augmenteront la force, et avec d'autant plus de facilité, que la même planche imprimera sous un même tour de presse, plusieurs couleurs à-la-fais, en mettant différentes teintes dans des parties assez éloignées les unes des autres pour qu'on puisse les étendre et les essuyer sur la planche sans les confondre. L'imprimeur intelligent, maître de disposer de toutes ses nuances et de les éclaircir avec le blanc ajouté, aura grande attention de consulter le ton dominant pour conserver l'harmonie.

De l'impression. Le papier, avant d'être mis sous la presse, sera trempé au-moins vingt-quatre heures : on ne risque rien de le faire tremper plus longtemps.

On tirera, si l'on veut, les quatre et les cinq planches de suite, sans laisser sécher les couleurs ; il semble même qu'elles n'en seront que mieux mariées : cependant si quelque obstacle s'oppose à ces impressions précipitées, on pourra laisser sécher chaque couleur, et faire retremper le papier autant de fois qu'il recevra de planches différentes.

On ne saurait arriver à la perfection du tableau sans imprimer beaucoup d'essais ; ces essais usent les planches ; et quand on est dans le fort de l'impression, on est bien-tôt obligé de les retoucher. Les cuivres, pour ne pas se flatter, tireront au plus six ou huit cent épreuves sans altération sensible.

Les estampes colorées exigent des attentions que d'autres estampes n'exigent pas ; par exemple, l'imprimeur aura soin d'appuyer ses doigts encrés sur le revers de son papier aux quatre coins du cuivre, afin que ce papier puisse recevoir successivement, angle sur angle, toutes les planches dans ses reperes. Voyez IMPRESSION EN TAILLE-DOUCE.

Des couleurs. Toutes les couleurs doivent être transparentes pour glacer l'une sur l'autre, et demandent par conséquent un choix particulier ; elles peuvent être broyées à l'huîle de noix ; cependant la meilleure et la plus siccative est l'huîle de pavots ; quelle qu'elle sait, on y ajoutera toujours la dixième partie d'huîle de litharge : c'est à l'imprimeur à rendre ses couleurs plus ou moins coulantes, selon que son expérience le guide ; mais qu'il ait grande attention à les faire broyer exactement fin, sans cela elles entrent avec force dans la grainure, n'en sortent qu'avec peine ; elles hapent le papier et le font déchirer.

Du blanc. Les transparents dont il a été parlé, seront imprimés avec du blanc de plomb le mieux broyé.

Du noir. Le noir ordinaire des Imprimeurs en taille-douce est celui qu'on emploie pour la première planche, quand on travaille à quatre cuivres ; on y ajoutera un peu d'indigo, pour le disposer à s'unir au bleu.

Du bleu. L'indigo fait aussi notre bleu d'essai ; mettez-le en poudre, et pour le purifier jetez-le dans un matras ; versez dessus assez d'esprit-de-vin pour que le matras soit divisé en trois parties ; la première d'indigo, la seconde d'esprit-de-vin, la troisième vide : faites bouillir au bain de sable, et versez ensuite par inclination l'esprit-de-vin chargé de l'impureté ; remettez de nouvel esprit-de-vin, et recommencez la même opération jusqu'à ce que cet esprit sorte du matras sans être taché ; laissez alors votre matras sur le feu jusqu'à siccité. Si au lieu de faire évaporer vous distillez l'esprit-de-vin, il sera bon encore à pareille purification.

L'indigo ne sert que pour les essais ; on emploie à l'impression le plus beau de Prusse : mais il faut se garder de s'en servir pour essayer les planches ; il les tache si fort qu'on a de la peine à reconnaître ensuite les défauts qu'on cherche à corriger.

Du jaune. Le stil de grain le plus foncé est le jaune qu'on broye pour nos impressions ; on n'en trouve pas toujours chez les marchands qui descende assez bas, alors on le fait ainsi.

Prenez de la graine d'Avignon, faites-la bouillir dans de l'eau commune : jetez-y pendant qu'elle bout, de l'alun en poudre : passez la teinture à-travers un linge fin, et délayez-y de l'os de seche en poudre avec de la craie blanche, partie égale : la dose n'est point prescrite ; on tâtera l'opération pour qu'elle fournisse un stil de grain qui conserve à l'huîle une couleur bien foncée.

Du rouge. On demande pour le rouge une laque qui s'éloigne du pourpre et qui approche du nacarat ; elle sera mêlée avec deux parties de carmin le mieux choisi : on peut aussi faire une laque qui contienne en elle-même tout le carmin nécessaire ; on y mêlera, selon l'occasion, un peu de cinnabre minéral et non artificiel. Il est à-propos d'avertir que pour faire les essais, le cinnabre seul, même l'artificiel, suffit.

Nous pouvons assurer que pour peu qu'on ait de pratique dans le dessein, si l'on suit exactement les opérations que nous venons de décrire, on tirera des épreuves qui seront de bonnes copies d'un tableau quel qu'il soit ; et l'on ne doit pas regarder comme un faible avantage, de trouver dans les livres d'Anatomie, de Botanique, d'Histoire naturelle, des estampes sans nombre, qui, en apportant les contours, donnent aussi les couleurs. On peut juger de l'utilité de cette nouvelle découverte, en examinant les planches anatomiques imprimées depuis quelques années à Paris par le sieur Gautier de l'académie de Dijon, qui à la mort de le Blon a succédé à son privilège après avoir été son éleve. Quelques autres élèves ont aussi gravé différents morceaux ; et ces morceaux, avec ceux du sieur Gautier, font espérer que le nouvel art sera bien-tôt à sa perfection.

GRAVURE EN MANIERE NOIRE : ce genre de gravure s'est appelé pendant un temps en France, l'art noir ; les étrangers le connaissent assez communément sous le nom de meza-tinta. On prétend que le premier qui ait travaillé en manière noire est un prince Rupert. Quelques auteurs parlent avec éloge d'une tête qu'il grava avant qu'on eut jamais connu cette façon de graver ; les opérations en sont plus promptes et les effets plus moèlleux que ceux de la gravure à l'eau-forte et au burin : il est vrai que la préparation des cuivres est un peu longue, mais on peut employer toutes sortes d'ouvriers à les préparer.

Préparation des planches. Elles seront d'abord choisies parmi les meilleures planches de cuivre plané ; quelques artistes préfèrent le cuivre jaune pour la grainure ; ils prétendent que son grain s'use moins vite que le grain de cuivre rouge : le grès, la pierre-ponce, la pierre douce à aiguiser, le charbon de bois de saule, et enfin le brunissoir à deux mains, seront employés pour le poIiment des cuivres ; on ne peut être sur de sa perfection qu'après l'essai suivant. Faites encrer et essuyer la planche par l'imprimeur ; qu'il la passe à la presse sur une feuille de papier mouillé, comme on y passe une planche gravée ; si le papier sort de la presse aussi blanc qu'avant d'y passer, la planche est parfaite ; si elle a quelques défauts, le papier taché indiquera les endroits qu'il faut encore brunir.

De la grainure. Les planches ainsi préparées seront grainées comme on les graine pour imprimer en manière noire : cette grainure-ci doit être encore plus fine, s'il est possible ; et pour parvenir au dernier degré de finesse, il faut travailler d'après les instructions suivantes.

Le berceau est un instrument qui a la forme d'un ciseau de menuisier ; mais le ciseau coupe et le berceau pique comme une molette dont les pointes sont extrêmement aiguës ; il tire son nom du mouvement sans-doute qui le fait agir, et qui ressemble au balancement qu'on donne au berceau d'un enfant. Voyez A et B, Planche o o o, un des côtés du berceau porte un biseau couvert de filets de la grosseur d'un cheveu, et chaque filet est terminé par une pointe. L'outil sera repassé sur le revers de son biseau ; et l'on aura grand soin en l'aiguisant, de conserver toujours le même périmètre : ce périmètre doit être tiré du centre d'un diamètre de six pouces : trop de rondeur caverait le cuivre, et moins de rondeur ne mordrait pas assez.

Les plus petits berceaux conserveront le même périmètre de six pouces ; leurs manches demandent moins de force, et peuvent être moins composés, voyez E et F. Le grand berceau est destiné pour grainer en plein cuivre, et les petits pour faire les corrections.

Divisez vos planches par des traits de crayon de neuf lignes environ ; je dis environ, parce que le cuivre de grandeur arbitraire ne fournira pas toujours la division juste de neuf lignes. Voyez Planche o o o, au coin 4, le mauvais effet qui peut résulter de la division trop exacte de neuf lignes.

Posez le berceau perpendiculairement dans le milieu de chaque division ; balancez en appuyant fortement le poignet, et remontant toujours la planche ; parcourez l'autre espace qui se trouve entre deux lignes tracées : cet espace parcouru, parcourez-en un autre, et successivement d'espace en espace ; le cuivre sera couvert de petits points.

Tracez alors des lignes au crayon sur un sens différent ; balancez le berceau entre vos nouvelles lignes, et quand vous l'aurez passé sur toute la superficie du cuivre, vous changerez encore la direction de ces lignes : enfin quand vous aurez fait travailler le berceau sur les quatre directions marquées dans la planche, il y a une précaution à prendre.

On parcourt vingt fois chaque direction, ce qui fait quatre-vingt passages sur le total de la superficie ; mais on observera, en repassant chaque direction, de ne pas placer le berceau précisément où l'on a commencé ; et pour éviter de suivre le même chemin, il faut tirer chaque coup de crayon à trois lignes de distance du premier trait qui a déjà guidé. Ainsi donc vous avez tracé la première fois depuis 1 jusqu'à 1, la seconde fois vous tracerez depuis 2 jusqu'à 2, la troisième fois depuis 3 jusqu'à 3, et cela parce que le berceau pressé sous le poids de la main, formerait en faisant toujours les mêmes passages, une cannelure insensible qui nuirait à l'exacte égalité qu'on demande à la superficie.

Il faut éprouver la planche pour la grainure, comme on l'a éprouvée pour le poli, et qu'elle rende à l'impression un noir également noir et par-tout velouté.

On peut, pour certains ouvrages, conserver le fond blanc à une estampe, comme il l'est presque toujours sous les fleurs, sous les oiseaux peints en miniature : pour cela, on grainera seulement l'espace que doit occuper la fleur, le fruit, ou quelque autre morceau d'Histoire naturelle qu'on veut graver, et le reste du cuivre sera poli au brunissoir.

De la façon de graver sur la grainure. Les planches bien préparées, vous dessinerez ou vous calquerez le sujet, ainsi que nous l'avons expliqué. Voyez GRAVURE EN COULEURS. Vous placerez votre cuivre sur le coussinet, et si vous copiez, vous graverez en regardant toujours l'original dans un miroir, pour voir la droite à gauche et la gauche à droite. L'instrument dont on se sert pour graver, ou plutôt pour ratisser la grainure, se nomme racloir (Voyez G, Pl. o o o) ; il doit être aiguisé sur les deux côtés plats : on se sert encore du grattoir, qui ne diffère de celui-ci que parce qu'il a trois faces égales. Ce grattoir porte ordinairement un brunissoir sur la même tige, voyez H. Le brunissoir sert à lisser les parties que le racloir ou le grattoir ont ratissées pour fournir des lumières : ainsi l'instrument dans la manière noire, agit par un motif tout différent de l'instrument qui sert à la gravure en taille-douce : car si le graveur en taille-douce doit en conséquence de l'effet, regarder son burin comme un crayon noir ; le graveur en manière noire doit, en conséquence de l'effet contraire, regarder le grattoir comme un crayon blanc. Il s'agit en travaillant de conserver la grainure dans son vif sur les parties du cuivre destinées à imprimer les ombres, d'émousser les pointes de la grainure sur les parties du cuivre destinées à imprimer les demi-teintes, et de ratisser les parties du cuivre qui doivent épargner le papier pour qu'il puisse fournir les luisans. On commence par les masses de lumière ; et par les parties qui se détachent généralement en clair de dessus un fond brun. On Ve petit-à-petit dans les reflets ; enfin on prépare légèrement le tout par grandes parties. Les maîtres de l'art recommandent fort de ne pas se presser d'user le grain dans l'envie d'aller plus vite ; car il n'est pas facîle d'en remettre quand on en a trop ôté ; il doit rester par-tout une légère vapeur de grains, excepté sur les luisans ; et s'il arrive qu'on ait trop usé certains endroits, on peut regrainer avec les petits berceaux E et F, et recommencer à ratisser avec plus de précaution. Ce n'est qu'en tirant souvent des épreuves, qu'on sera en état de juger des effets du grattoir.

De l'impression. Voyez l'article IMPRESSION EN TAILLE-DOUCE, et soyez averti qu'il est plus difficîle d'imprimer en manière noire qu'en taille-douce, par la raison que les lumières se trouvent en creux ; et lorsque les parties de ces lumières sont étroites, la main de l'imprimeur ne peut y entrer pour les essuyer, sans dépouiller les parties voisines ; on se sert pour y pénétrer, d'un petit bâton pointu enveloppé d'un linge mouillé. Le papier doit être vieux trempé et d'une pâte fine et moèlleuse ; on prend du plus beau noir d'Allemagne, et on le prépare un peu lâche : il faut de plus que les planches soient encrées bien à fond à plusieurs reprises et bien essuyées à la main et non au torchon.

La gravure en manière noire, disent ceux qui en traitent, ne tire pas un grand nombre de bonnes épreuves et s'use fort promptement ; d'ailleurs toutes sortes de sujets, ajoutent-ils, ne sont pas également propres à ce genre de gravure. Les sujets qui demandent de l'obscurité, comme les effets de nuit, ou les tableaux où il y a beaucoup de brun, comme ceux de Rembrand, de Benedette, quelques Ténières, etc. sont les plus faciles à traiter et font le plus d'effet : les portraits y réussissent encore assez bien, comme on le peut voir par les beaux morceaux de Smith et de G. White, qui sont les plus habiles graveurs que nous ayons en ce genre. Les paysages n'y sont pas propres, et en général les sujets clairs et larges de lumière sont les plus difficiles de tous, et ne tirent presque point, parce qu'il a fallu beaucoup user la planche pour en venir à l'effet qu'ils demandent.

Au reste, le défaut de cette gravure est de manquer de fermeté, et généralement la grainure lui donne une certaine mollesse qui n'est pas facilement susceptible d'une touche savante et hardie : elle peint d'une manière plus large et plus grasse que la taille-douce ; elle colore davantage, et elle est capable d'un plus grand effet par l'union et l'obscurité qu'elle laisse dans les masses ; mais elle dessine moins spirituellement, et ne se prête pas assez aux saillies pleines de feu que la gravure à l'eau-forte peut recevoir d'un habîle dessinateur. Enfin ceux qui ont le mieux réussi dans la gravure en manière noire ne peuvent guère être loués que par le soin avec lequel ils l'ont traitée ; mais pour l'ordinaire ce travail manque d'esprit, non par la faute des graveurs, mais par l'ingratitude de ce genre de gravure, qui ne peut seconder leur intention.

On recherche depuis quelque temps en France les opérations de la manière noire avec plus de soin qu'autrefois, dans l'intention de les joindre aux opérations de la gravure en trois couleurs que nous a enseignée Jacques Christophe le Blon. Voyez GRAVURE EN COULEURS A L'IMITATION DE LA PEINTURE.

GRAVURE EN TAILLE DOUCE POUR IMPRIMER EN COULEURS. Cet art nouvellement mis en pratique n'est qu'une branche de la gravure à l'imitation de la Peinture inventée par le Blon. Voyez GRAVURE EN COULEURS. On reconnaitra dans celui-ci plusieurs avantages particuliers pour l'Anatomie, pour la Géographie, et pour quelques autres arts encore ; ils y gagneront le temps qu'on emploie à grainer le cuivre, et les planches tireront considérablement plus d'épreuves que n'en tirent les planches grainées. Un livre imprimé chez Briasson à Paris, fournit des modèles de ce genre mixte de gravure ; il a pour titre : adversaria anatomica prima de omnibus cerebri, nervorum et organorum functionibus animalibus inservientium descriptionibus et iconismis, autore Petro Tarin, medico.

Ces planches sont de l'invention et de la main du sieur Robert, élève de le Blon dans la gravure en couleurs. Deux cuivres suffisent pour imprimer ainsi ; ils seront gravés à l'eau-forte et au burin. Voyez GRAVURE A L'EAU-FORTE et GRAVURE AU BURIN. Le premier imprime le noir, le second le rouge, avec le minium, et l'épreuve sort de la presse comme un dessein à deux crayons. On peut encore pour l'avantage de l'Anatomie, joindre une troisième planche qui apporte les veines bleues sur des places épargnées par les deux premières planches. On aura recours, pour le parfait accord des angles, aux moyens que nous avons déjà enseignés. Voyez GRAVURE EN COULEURS. Ces articles sur la gravure en couleurs et la gravure en manière noire sont de M. de MONTDORGE.

GRAVURE SUR LE CRYSTAL ET LE VERRE, voyez les articles VERRERIE et VERRE.

GRAVURE SUR METAUX, pour les médailles, les monnaies, etc. Voyez les articles MONNOYAGE et MONNOIE.

GRAVURE EN PIERRES FINES, voyez l'article PIERRE GRAVEES.

GRAVURE, terme de Cordonnier ; il se dit d'une raie qui se fait avec la pointe du tranchet autour de la semelle du soulier pour noyer les points.

GRAVURE DE CARACTERES D'IMPRIMERIE ; la gravure des caractères se fait en relief sur un des deux bouts d'un morceau d'acier d'environ deux pouces geométriques de long, et de grosseur proportionnée à la grandeur de l'objet qu'on y veut former, et qui doit y être taillé dans la dernière perfection avec les règles de l'art, et suivant les proportions relatives à chaque lettre. Car c'est de la perfection du poinçon que dépendra la perfection de toutes les mêmes lettres qui en seront émanées. Voyez POINÇONS DE FONDERIE et CARACTERE.

GRAVURE, DANS LE SOMMIER D'ORGUE, est l'espace prismatique K L, fig. 2. Pl. d'Orgue, qui est le vide que laissent entr'elles les barres H G, F E du sommier : c'est dans ces espaces que le vent contenu dans la laye entre, pour de-là passer aux tuyaux lorsque l'on ouvre une soupape. Voyez SOMMIER, SOUPAPE, etc.