S. m. (Histoire ancienne) l'un des premiers magistrats de l'ancienne Rome, qui était chargé de faire le dénombrement du peuple, et la répartition des taxes pour chaque citoyen. Ses fonctions avaient encore pour objet la police, et la réformation des mœurs dans tous les ordres de la république.

Le nom de censeur vient de censere, estimer, évaluer, parce que cet officier évaluait les biens de chacun, enregistrait leurs noms, et distribuait le peuple par centuries. Selon quelques auteurs, ce terme est dérivé de l'inspection que les censeurs avaient sur les mœurs et sur la police.

Il y avait à Rome deux censeurs. Les premiers furent créés en 311 : c'étaient Papirius et Sempronius. Le sénat qui voyait que les consuls étaient assez occupés du militaire et des affaires du dehors, imagina cette nouvelle dignité pour veiller à celles du dedans, et tira de son corps ceux qui en furent revêtus ; mais depuis que les plébéïens eurent été admis au consulat, ils aspirèrent aussi à la censure, et parvinrent au moins à faire remplir une des deux places de censeur par un sujet tiré du corps du peuple. Il y eut sur cela une loi de portée en 414, et elle fut en vigueur jusqu'en 622, qu'on nomma deux censeurs plébéïens ; ils partagèrent toujours cette charge avec les patriciens jusqu'au temps des empereurs, qui la réunirent en leur personne.

L'autorité des censeurs était fort étendue, puisqu'ils avaient droit de reprendre les citoyens les plus élevés en dignité : aussi cette charge ne s'obtenait-elle qu'après qu'on avait passé par toutes les autres. On trouva étrange que Crassus en eut été pourvu avant que d'avait été ni consul ni préteur. L'exercice de la censure durait d'abord cinq ans ; mais cet usage ne dura que neuf ans, le dictateur Mamercus ayant porté, l'an de Rome 420, une loi qui réduisit le temps de la censure à dix-huit mois ; ce qui fut dans la suite observé à la rigueur.

Outre les fonctions des censeurs, dont on a déjà parlé, ils étaient spécialement chargés de la sur-intendance des tributs, de la défense des temples, du soin des édifices publics ; de réprimer le libertinage, et de veiller à la bonne éducation de la jeunesse. Si quelque sénateur déshonorait par ses débauches l'éclat de cet illustre corps, ils avaient droit de l'en chasser ; et l'histoire fournit des exemples de cette sévérité. Ils ôtaient aux chevaliers leur cheval, et la pension que leur faisait l'état, s'ils se comportaient d'une manière indigne de leur rang ; et quant au menu peuple, ils en faisaient descendre les membres d'une tribu distinguée dans une plus basse, les privaient du droit de suffrage, ou les condamnaient à des taxes et des amendes.

Cette autorité n'était pourtant pas sans bornes, puisque les censeurs eux-mêmes étaient obligés de rendre compte de leur conduite aux tribuns du peuple et aux grands édiles. Un tribun fit mettre en prison les deux censeurs M. Furius Philus et M. Attilius Regulus. Enfin ils ne pouvaient pas dégrader un citoyen sans avoir préalablement exposé leurs motifs, et c'était au sénat et au peuple à décider de leur validité. (G)

A Lacédémone, dit l'illustre auteur de l'esprit des lais, tous les vieillards étaient censeurs. Le même auteur observe que ces magistrats sont plus nécessaires dans les républiques que dans les monarchies et dans les états despotiques : la raison en est facîle à apercevoir.

La corruption des mœurs détruisit la censure chez les Romains ; cependant César et Auguste voyant que les citoyens ne se mariaient pas, rétablirent les censeurs, qui avaient l'oeil sur les mariages. (O)

CENSEURS de livres, (Littérature) nom que l'on donne aux gens de Lettres chargés du soin d'examiner les livres qui s'impriment. Ce nom est emprunté des censeurs de l'ancienne Rome, dont une des fonctions était de réformer la police et les mœurs.

Ces censeurs ont été établis dans les différents états pour examiner les ouvrages littéraires, et porter leur jugement sur les livres qu'on se propose d'imprimer, afin que rien ne soit rendu public, qui puisse séduire les esprits par une fausse doctrine, ou corrompre les mœurs par des maximes dangereuses. Le droit de juger des livres concernant la religion et la police ecclésiastique, a toujours été attaché en France à l'autorité épiscopale ; mais depuis l'établissement de la faculté de Théologie, il semble que les évêques aient bien voulu se décharger de ce soin sur les docteurs, sans néanmoins rien diminuer de leur autorité sur ce point. Ce droit de juger les livres concernant la foi et l'Ecriture-sainte, a été plusieurs fois confirmé à la faculté de Théologie par arrêt du parlement de Paris, et singulièrement à l'occasion des hérésies de Luther et de Calvin, qui produisirent une quantité prodigieuse de livres contraires à la religion catholique. Ce jugement devait être porté, non par quelques docteurs en particulier, mais par la faculté assemblée. L'usage était de présenter à la faculté ce qu'on voulait rendre public : elle nommait deux docteurs pour l'examiner ; et sur le rapport qu'ils en faisaient dans une assemblée, la faculté, après un mûr examen des raisons pour et contre, donnait son approbation à l'ouvrage, ou le rejetait. Les prélats même n'étaient point dispensés de soumettre leurs ouvrages à l'examen de la faculté de Théologie, qui en 1534 refusa son approbation au commentaire du cardinal Sadolet, évêque de Carpentras, sur l'épitre de S. Paul aux Romains ; et qui en 1542 censura le bréviaire du cardinal Sanguin, évêque d'Orléans. Le parlement de Paris, toujours attentif à la conservation de la religion catholique dans toute sa pureté, autorisa par arrêt de la même année 1542, la faculté de Théologie à examiner les livres qui venaient des pays étrangers. Cet arrêt fut occasionné par le livre de l'institution chrétienne, que Calvin avait fait imprimer à Bâle.

Les livres s'étant considérablement multipliés au commencement de l'année 1600, le nombre des docteurs chargé de les examiner, fut augmenté. Il en résulta différents abus ; ces docteurs se dispensèrent du rapport qu'ils étaient obligés de faire à la faculté assemblée, et approuvèrent des livres qu'elle trouva repréhensibles. Pour remédier à cette espèce de désordre, la faculté publia un decret par lequel elle défendit à tous docteurs de donner inconsidérément leur approbation, sous peine de perdre pendant six mois l'honoraire et les privilèges attachés au doctorat, et pendant quatre ans le droit d'approuver les livres. Elle fit encore plusieurs autres règlements, mais qui ne firent qu'aigrir les esprits. Enfin en 1623 l'harmonie cessa tout à fait dans la faculté, à l'occasion d'une question de Théologie qui partagea tous les docteurs : il s'agissait de décider si l'autorité du pape est supérieure ou inférieure à celle des conciles. Chacun prit parti dans cette affaire, chacun écrivit pour soutenir son opinion. Le docteur Duval, chef de l'un des deux partis, craignant de se voir accabler par les écrits multipliés de ses adversaires, obtint du roi des lettres patentes en 1624, qui lui attribuèrent, et à trois de ses confrères, à l'exclusion de tous autres, le droit d'approuver les livres, avec une pension de 200 liv. à partager entr'eux. Ces lettres de création chagrinèrent la faculté, qui se voyait dépouiller d'un droit qu'elle croyait devoir lui appartenir toujours. La pension d'ailleurs accordée aux quatre nouveaux censeurs, lui parut déshonorante pour des gens consacrés par état au maintien de la saine doctrine. Elle fit remontrances sur remontrances, et ne cessa de demander avec instance la révocation de ces lettres ; mais elle ne put l'obtenir ; le roi au contraire les confirma par de nouvelles, dans lesquelles il était dit que par la suite ces quatre censeurs créés par lettres patentes, seraient pris dans la maison de Sorbonne, et élus à la pluralité des voix dans une assemblée, à laquelle seraient appelés deux docteurs de la maison de Navarre. Cette espèce d'adoucissement ne satisfit point encore la faculté ; elle continua, mais inutilement, les sollicitations. La discorde régna plus que jamais parmi les docteurs ; et pendant plus de trois ans les nouveaux censeurs essuyèrent tant de desagréments de la part de leurs confrères, que Duval, en 1626, prit enfin le parti de se démettre en pleine assemblée de ses fonctions de censeur. On ne sait pas bien positivement si après cette démission de Duval, les lettres-patentes qui avaient été données singulièrement en sa faveur, furent supprimées ou non : mais il parait par différents decrets des années 1628, 1631 et 1642, que la faculté recommença, comme par le passé, à charger des docteurs de l'examen des livres, et qu'elle prit les précautions les plus sages pour empêcher les approbations inconsidérées. Son honneur et ses intérêts le demandaient : cependant tous ses soins furent inutiles ; il s'éleva dans l'Eglise des disputes sur la grâce, qui donnèrent naissance à une prodigieuse quantité d'écrits de part et d'autre : chacun des deux partis fit approuver ses livres par les docteurs qui lui étaient favorables, et ces docteurs donnèrent leurs approbations sans avoir été commis par la faculté. Ces irrégularités durèrent jusqu'en 1653. Pour y mettre fin, M. le chancelier Seguier se détermina à ôter encore une fois à la faculté le droit d'approuver les livres ; il créa quatre nouveaux censeurs ; mais sans lettres-patentes, et sans autre titre que la seule volonté du roi, avec chacun 600 livres de pension. Depuis ce temps, le nombre des censeurs a été considérablement augmenté ; il y en a pour les différentes matières que l'on peut traiter : le droit de les nommer appartient à M. le chancelier, à qui ils rendent compte des livres dont il leur confie l'examen, et sur leur approbation est accordé le privilège de les imprimer. Il arrive quelquefois que le grand nombre de livres qu'ils sont chargés d'examiner, ou d'autres raisons, les mettent dans la désagréable nécessité de réduire les auteurs ou les libraires qui attendent leur jugement, à l'état de ces pauvres âmes errantes sur les bords du Styx, qui priaient longtemps Caron de les passer.

Stabant orantes primi transmittère cursum,

Tendebantque manus ripae ulterioris amore.

Navita sed tristis nunc hos nunc accipit illos :

Ast alios longe summotos arcet arena.