S. m. (Histoire) ces sortes de requêtes, de supplications faites par écrit que l'on présente au roi, aux grands seigneurs et aux juges sont appelés placets, parce qu'ils commencent toujours plaise à votre majesté, plaise, etc. les Latins les nommaient elogia.

Comme je ne connais point dans toute l'histoire de placet plus simple, plus noble, &, selon toutes les apparences, plus juste que celui d'Anne de Boulen à Henri VIII. son époux, et qu'on conserve encore écrit de la propre main de cette reine dans la bibliothèque Cotton, je crois devoir le rapporter ici.

Il est presque inutîle de rappeler aux lecteurs le jugement de cette princesse par des commissaires, sa fin tragique sur un échafaud, et ce que l'histoire manifeste, qu'on lui fit plutôt son procès par les ordres exprès du roi, alors amoureux de Jeanne Seymour, que pour aucun crime qu'elle eut commis. Aussi son placet respire l'innocence, la grandeur d'ame et les justes plaintes d'une amante méprisée, Shakespear n'aurait pu lui prêter un style si conforme à son caractère et à son état. Sa douleur éloquente et profonde est pleine de traits plus pathétiques que ceux dont la plus belle imagination pourrait se parer. Voici donc de quelle manière s'exprimait cette mère infortunée de la célèbre Elisabeth :

" Sire, le mécontentement de votre grandeur et mon emprisonnement me paraissent des choses si étranges, que je ne sai ni ce que je dois écrire, ni sur quoi je dois m'excuser. Vous m'avez envoyé dire par un homme que vous savez être mon ennemi déclaré depuis longtemps, que pour obtenir votre faveur je dois reconnaître une certaine vérité. Il n'eut pas plutôt fait son message que je m'aperçus de votre dessein ; mais si, comme vous le dites, l'aveu d'une vérité peut me procurer ma délivrance, j'obéirai à vos ordres de tout mon cœur et avec une entière soumission.

Que votre grandeur ne s'imagine pas que votre pauvre femme puisse jamais être amenée à reconnaître une faute dont la seule pensée ne lui est pas venue dans l'esprit : jamais prince n'a eu une femme plus fidèle à tous ses devoirs, et plus remplie d'une tendresse sincère que celle que vous avez trouvée en la personne d'Anne de Boulen, qui aurait pu se contenter de ce nom et de son état, s'il avait plu à Dieu et à votre grandeur de l'y laisser. Mais au milieu de mon élevation et de la royauté où vous m'avez admise, je ne me suis jamais oubliée au point de ne pas craindre quelque revers pareil à celui qui m'arrive aujourd'hui. Comme cette élévation n'avait pas un fondement plus solide que le goût passager que vous avez eu pour moi, je ne doutais pas que la moindre altération dans les traits qui l'ont fait naître ne fût capable de vous faire tourner vers quelque autre objet.

Vous m'avez tirée d'un rang inférieur pour m'élever à la royauté et à l'auguste rang de votre compagne. Cette grandeur était fort au-dessus de mon peu de mérite, ainsi que de mes désirs. Cependant si vous m'avez crue digne de cet honneur, ne souffrez pas, grand prince, qu'une inconstance injuste, ou que les mauvais conseils de mes ennemis me privent de votre faveur royale. Ne permettez pas qu'une tache aussi noire et aussi indigne que celle de vous avoir été infidèle, ternisse la réputation de votre femme et celle de la jeune princesse votre fille.

Ordonnez donc, ô mon roi, que l'on instruise mon procès ; mais que l'on y observe les lois de la justice, et ne permettez point que mes ennemis jurés soient mes accusateurs et mes juges. Ordonnez même que mon procès me soit fait en public ; ma fidélité ne craint point d'être flétrie par la honte ; vous verrez mon innocence justifiée, vos soupçons levés, votre esprit satisfait, et la calomnie réduite au silence, ou mon crime paraitra aux yeux de tout le monde. Ainsi, quoiqu'il plaise à Dieu ou à vous d'ordonner de moi, votre grandeur peut se garantir de la censure publique, et mon crime étant prouvé en justice, vous serez en liberté devant Dieu et devant les hommes, non-seulement de me punir comme une épouse infidèle, mais encore de suivre l'inclination que vous avez fixée sur cette personne qui est la cause du malheureux état où je me vois réduite, et que j'aurais pu vous nommer il y a longtemps, puisque votre grandeur n'ignore pas jusqu'où allaient mes soupçons à cet égard.

Enfin si vous avez résolu de me perdre, et que ma mort fondée sur une infâme calomnie vous doive mettre en possession du bonheur que vous souhaitez, je prie Dieu qu'il veuille vous pardonner ce grand crime, aussi-bien qu'à mes ennemis qui en sont les instruments ; et qu'assis au dernier jour sur son trône devant lequel vous et moi comparaitrons bien-tôt, et où mon innocence, quoi qu'on puisse dire, sera ouvertement reconnue ; je le prie, dis-je, qu'alors il ne vous fasse pas rendre un compte rigoureux du traitement cruel et indigne que vous m'aurez fait.

La dernière et la seule chose que je vous demande, est que je sois seule à porter tout le poids de votre indignation, et que ces pauvres et innocens gentilshommes qui, m'a-t-on dit, sont retenus à cause de moi dans une étroite prison, n'en reçoivent aucun mal. Si jamais j'ai trouvé grâce devant vous ; si jamais le nom d'Anne de Boulen a été agréable à vos oreilles, ne me refusez pas cette demande, et je ne vous importunerai plus sur quoi que ce soit ; au contraire j'adresserai toujours mes ardentes prières à Dieu, afin qu'il lui plaise vous maintenir en sa bonne garde et vous diriger en toutes vos actions. De ma triste prison à la Tour, le 6 de Mai. Votre très-fidèle et très-obéissante femme,

ANNE DE BOULEN ". (D.J.)

PLACET, s. m. ustensile, petit siege bas, rembourré, sans bras ni dossier.