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Catégorie : Histoire
S. f. c'est le récit des faits donnés pour vrais ; au contraire de la fable, qui est le récit des faits donnés pour faux.

Il y a l'histoire des opinions, qui n'est guère que le recueil des erreurs humaines ; l'histoire des Arts, peut être la plus utîle de toutes, quand elle joint à la connaissance de l'invention et du progrès des Arts, la description de leur mécanisme ; l'Histoire naturelle, improprement dite histoire, et qui est une partie essentielle de la Physique.

L'histoire des événements se divise en sacrée et profane. L'histoire sacrée est une suite des opérations divines et miraculeuses, par lesquelles il a plu à Dieu de conduire autrefois la nation juive, et d'exercer aujourd'hui notre foi. Je ne toucherai point à cette matière respectable.

Les premiers fondements de toute Histoire sont les récits des pères aux enfants, transmis ensuite d'une génération à une autre ; ils ne sont que probables dans leur origine, et perdent un degré de probabilité à chaque génération. Avec le temps, la fable se grossit, et la vérité se perd : de-là vient que toutes les origines des peuples sont absurdes. Ainsi les Egyptiens avaient été gouvernés par les dieux pendant beaucoup de siècles ; ils l'avaient été ensuite par des demi-dieux ; enfin ils avaient eu des rois pendant onze mille trois cent quarante ans : et le soleil, dans cet espace de temps, avait changé quatre fois d'orient et de couchant.

Les Phéniciens prétendaient être établis dans leur pays depuis trente mille ans ; et ces trente mille ans étaient remplis d'autant de prodiges que la chronologie égyptienne. On sait quel merveilleux ridicule règne dans l'ancienne histoire des Grecs. Les Romains, tout sérieux qu'ils étaient, n'ont pas moins enveloppé de fables l'histoire de leurs premiers siècles. Ce peuple si récent, en comparaison des nations asiatiques, a été cinq cent années sans historiens. Ainsi il n'est pas surprenant que Romulus ait été le fils de Mars ; qu'une louve ait été sa nourrice ; qu'il ait marché avec vingt mille hommes de son village de Rome, contre vingt-cinq mille combattants du village des Sabins ; qu'ensuite il soit devenu dieu : que Tarquin l'ancien ait coupé une pierre avec un rasoir ; et qu'une vestale ait tiré à terre un vaisseau avec sa ceinture, etc.

Les premières annales de toutes nos nations modernes ne sont pas moins fabuleuses : les choses prodigieuses et improbables doivent être rapportées, mais comme des preuves de la crédulité humaine ; elles entrent dans l'histoire des opinions.

Pour connaître avec certitude quelque chose de l'histoire ancienne, il n'y a qu'un seul moyen, c'est de voir s'il reste quelques monuments incontestables ; nous n'en avons que trois par écrit : le premier est le recueil des observations astronomiques faites pendant dix-neuf cent ans de suite à Babylone, envoyées par Alexandre en Grèce, et employées dans l'almageste de Ptolomée. Cette suite d'observations, qui remonte à deux mille deux cent trente-quatre ans avant notre ere vulgaire, prouve invinciblement que les Babyloniens existaient en corps de peuple plusieurs siècles auparavant : car les Arts ne sont que l'ouvrage du temps ; et la paresse naturelle aux hommes les laisse des milliers d'années sans autres connaissances et sans autres talents que ceux de se nourrir, de se défendre des injures de l'air, et de s'égorger. Qu'on en juge par les Germains et par les Anglais du temps de César, par les Tartares d'aujourd'hui, par la moitié de l'Afrique, et par tous les peuples que nous avons trouvés dans l'Amérique, en exceptant à quelques égards les royaumes du Pérou et du Mexique, et la république de Tlascala.

Le second monument est l'éclipse centrale du soleil, calculée à la Chine deux mille cent cinquante-cinq ans avant notre ere vulgaire, et reconnue véritable par tous nos Astronomes. Il faut dire la même chose des Chinois que des peuples de Babylone ; ils composaient déjà sans-doute un vaste empire policé. Mais ce qui met les Chinois au-dessus de tous les peuples de la terre, c'est que ni leurs lois, ni leurs mœurs, ni la langue que parlent chez eux les lettrés, n'ont pas changé depuis environ quatre mille ans. Cependant cette nation, la plus ancienne de tous les peuples qui subsistent aujourd'hui, celle qui a possédé le plus vaste et le plus beau pays, celle qui a inventé presque tous les Arts avant que nous en eussions appris quelques-uns, a toujours été omise, jusqu'à nos jours, dans nos prétendues histoires universelles : et quand un espagnol et un français faisaient le dénombrement des nations, ni l'un ni l'autre ne manquait d'appeler son pays la première monarchie du monde.

Le troisième monument, fort inférieur aux deux autres, subsiste dans les marbres d'Arondel : la chronique d'Athènes y est gravée deux cent soixante-trois ans avant notre ere ; mais elle ne remonte que jusqu'à Cécrops, treize cent dix-neuf ans au-delà du temps où elle fut gravée. Voilà dans l'histoire de toute l'antiquité, les seules connaissances incontestables que nous ayons.

Il n'est pas étonnant qu'on n'ait point d'histoire ancienne profane au-delà d'environ trois mille années. Les révolutions de ce globe, la longue et universelle ignorance de cet art qui transmet les faits par l'écriture, en sont cause : il y a encore plusieurs peuples qui n'en ont aucun usage. Cet art ne fut commun que chez un très-petit nombre de nations policées, et encore était-il en très-peu de mains. Rien de plus rare chez les François et chez les Germains, que de savoir écrire jusqu'aux treizième et quatorzième siècles : presque tous les actes n'étaient attestés que par témoins. Ce ne fut en France que sous Charles VII. en 1454 qu'on rédigea par écrit les coutumes de France. L'art d'écrire était encore plus rare chez les Espagnols, et de-là vient que leur histoire est si seche et si incertaine, jusqu'au temps de Ferdinand et d'Isabelle. On voit par-là combien le très-petit nombre d'hommes qui savaient écrire pouvaient en imposer.

Il y a des nations qui ont subjugué une partie de la terre sans avoir l'usage des caractères. Nous savons que Gengis-Kan conquit une partie de l'Asie au commencement du treizième siècle ; mais ce n'est ni par lui, ni par les Tartares que nous le savons. Leur histoire écrite par les Chinois, et traduite par le père Gaubil, dit que ces Tartares n'avaient point l'art d'écrire.

Il ne dut pas être moins inconnu au scythe OgusKan, nommé Madies par les Persans et parles Grecs, qui conquit une partie de l'Europe et de l'Asie, si longtemps avant le règne de Cyrus.

Il est presque sur qu'alors sur cent nations il y en avait à peine deux qui usassent de caractères.

Il reste des monuments d'une autre espèce, qui servent à constater seulement l'antiquité reculée de certains peuples qui précèdent toutes les époques connues et tous les livres ; ce sont les prodiges d'Architecture, comme les pyramides et les palais d'Egypte, qui ont résisté au temps. Hérodote qui vivait il y a deux mille deux cent ans, et qui les avait vus, n'avait pu apprendre des prêtres égyptiens dans quel temps on les avait élevés.

Il est difficîle de donner à la plus ancienne des pyramides moins de quatre mille ans d'antiquité ; mais il faut considérer que ces efforts de l'ostentation des rois n'ont pu être commencés que longtemps après l'établissement des villes. Mais pour bâtir des villes dans un pays inondé tous les ans, il avait fallu d'abord relever le terrain, fonder les villes sur des pilotis dans ce terrain de vase, et les rendre inaccessibles à l'inondation ; il avait fallu, avant de prendre ce parti nécessaire, et avant d'être en état de tenter ces grands travaux, que les peuples se fussent pratiqués des retraites pendant la crue du Nil, au milieu des rochers qui forment deux chaînes à droite et à gauche de ce fleuve. Il avait fallu que ces peuples rassemblés eussent les instruments du labourage, ceux de l'Architecture, une grande connaissance de l'Arpentage, avec des lois et une police : tout cela demande nécessairement un espace de temps prodigieux. Nous voyons par les longs détails qui retardent tous les jours nos entreprises les plus nécessaires et les plus petites, combien il est difficîle de faire de grandes choses, et qu'il faut non seulement une opiniâtreté infatigable, mais plusieurs générations animées de cette opiniâtreté.

Cependant que ce soit Ménès ou Thot, ou Chéops, ou Ramessès, qui aient élevé une ou deux de ces prodigieuses masses, nous n'en serons pas instruits de l'histoire de l'ancienne Egypte : la langue de ce peuple est perdue. Nous ne savons donc autre chose sinon qu'avant les plus anciens historiens, il y avait de quoi faire une histoire ancienne.

Celle que nous nommons ancienne, et qui est en effet récente, ne remonte guère qu'à trois mille ans : nous n'avons avant ce temps que quelques probabilités : deux seuls livres profanes ont conservé ces probabilités ; la chronique chinoise, et l'histoire d'Hérodote. Les anciennes chroniques chinoises ne regardent que cet empire séparé du reste du monde. Hérodote, plus intéressant pour nous, parle de la terre alors connue ; il enchanta les Grecs en leur récitant les neuf livres de son histoire, par la nouveauté de cette entreprise et par le charme de sa diction, et surtout par les fables. Presque tout ce qu'il raconte sur la foi des étrangers est fabuleux : mais tout ce qu'il a Ve est vrai. On apprend de lui, par exemple, quelle extrême opulence et quelle splendeur régnait dans l'Asie mineure, aujourd'hui pauvre et dépeuplée. Il a Ve à Delphes les présents d'or prodigieux que les rois de Lydie avaient envoyés à Delphes. et il parle à des auditeurs qui connaissaient Delphes comme lui. Or quel espace de temps a dû s'écouler avant que des rois de Lydie eussent pu amasser assez de trésors superflus pour faire des présents si considérables à un temple étranger !

Mais quand Hérodote rapporte les contes qu'il a entendus, son livre n'est plus qu'un roman qui ressemble aux fables millésiennes. C'est un Candaule qui montre sa femme toute nue à son ami Gigès ; c'est cette femme, qui par modestie, ne laisse à Gigès que le choix de tuer son mari, d'épouser la veuve, ou de périr. C'est un oracle de Delphes qui dévine que dans le même temps qu'il parle, Crésus à cent lieues de là, fait cuire une tortue dans un plat d'airain. Rollin qui répète tous les contes de cette espèce, admire la science de l'oracle, et la véracité d'Apollon, ainsi que la pudeur de la femme du roi Candaule ; et à ce sujet, il propose à la police d'empêcher les jeunes gens de se baigner dans la rivière. Le temps est si cher, et l'histoire si immense, qu'il faut épargner aux lecteurs de telles fables et de telles moralités.

L'histoire de Cyrus est toute défigurée par des traditions fabuleuses. Il y a grande apparence que ce Kiro, qu'on nomme Cyrus, à la tête des peuples guerriers d'Elam, conquit en effet Babylone amollie par les délices. Mais on ne sait pas seulement quel roi régnait alors à Babylone ; les uns disent Baltazar, les autres Anabot. Hérodote fait tuer Cyrus dans une expédition contre les Massagettes. Xénophon dans son roman moral et politique, le fait mourir dans son lit.

On ne sait autre chose dans ces ténèbres de l'histoire, sinon qu'il y avait depuis très-longtemps de vastes empires, et des tyrants dont la puissance était fondée sur la misere publique ; que la tyrannie était parvenue jusqu'à dépouiller les hommes de leur virilité, pour s'en servir à d'infames plaisirs au sortir de l'enfance, et pour les employer dans leur vieillesse à la garde des femmes ; que la superstition gouvernait les hommes ; qu'un songe était regardé comme un avis du ciel, et qu'il décidait de la paix et de la guerre, etc.

A mesure qu'Hérodote dans son histoire se rapproche de son temps, il est mieux instruit et plus vrai. Il faut avouer que l'histoire ne commence pour nous qu'aux entreprises des Perses contre les Grecs. On ne trouve avant ces grands événements que quelques récits vagues, enveloppés de contes puériles. Hérodote devient le modèle des historiens, quand il décrit ces prodigieux préparatifs de Xerxès pour aller subjuguer la Grèce, et ensuite l'Europe. Il le mene, suivi de près de deux millions de soldats, depuis Suze jusqu'à Athènes. Il nous apprend comment étaient armés tant de peuples différents que ce monarque trainait après lui : aucun n'est oublié, du fond de l'Arabie et de l'Egypte, jusqu'au delà de la Bactriane et de l'extrémité septentrionale de la mer Caspienne, pays alors habité par des peuples puissants, et aujourd'hui par des Tartares vagabonds. Toutes les nations, depuis le Bosphore de Thrace jusqu'au Gange, sont sous ses étendards. On voit avec étonnement que ce prince possédait autant de terrain qu'en eut l'empire romain ; il avait tout ce qui appartient aujourd'hui au grand mogol en-deçà du Gange ; toute la Perse, tout le pays des Usbecs, tout l'empire des Turcs, si vous en exceptez la Romanie ; mais en récompense il possédait l'Arabie. On voit par l'étendue de ses états quel est le tort des déclamateurs en vers et en prose, de traiter de fou Alexandre, vengeur de la Grèce, pour avoir subjugué l'empire de l'ennemi des Grecs. Il n'alla en Egypte, à Tyr et dans l'Inde, que parce qu'il le devait, et que Tyr, l'Egypte et l'Inde appartenaient à la domination qui avait dévasté la Grèce.

Hérodote eut le même mérite qu'Homère ; il fut le premier historien comme Homère le premier poète épique ; et tous deux saisirent les beautés propres d'un art inconnu avant eux. C'est un spectacle admirable dans Hérodote que cet empereur de l'Asie et de l'Afrique, qui fait passer son armée immense sur un pont de bateau d'Asie en Europe, qui prend la Thrace, la Macédoine, la Thessalie, l'Achaïe supérieure, et qui entre dans Athènes abandonnée et déserte. On ne s'attend point que les Athéniens sans ville, sans territoire, réfugiés sur leurs vaisseaux avec quelques autres Grecs, mettront en fuite la nombreuse flotte du grand roi, qu'ils rentreront chez eux en vainqueurs, qu'ils forceront Xerxès à ramener ignominieusement les débris de son armée, et qu'ensuite ils lui défendront par un traité, de naviger sur leurs mers. Cette supériorité d'un petit peuple généreux et libre, sur toute l'Asie esclave, est peut-être ce qu'il y a de plus glorieux chez les hommes. On apprend aussi par cet événement, que les peuples de l'Occident ont toujours été meilleurs marins que les peuples asiatiques. Quand on lit l'histoire moderne, la victoire de Lépante fait souvenir de celle de Salamine, et on compare dom Juan d'Autriche et Colonne, à Thémistocle et à Euribiades. Voilà peut-être le seul fruit qu'on peut tirer de la connaissance de ces temps reculés.

Thucydide, successeur d'Hérodote, se borne à nous détailler l'histoire de la guerre du Péloponnèse, pays qui n'est pas plus grand qu'une province de France ou d'Allemagne, mais qui a produit des hommes en tout genre dignes d'une réputation immortelle : et comme si la guerre civile, le plus horrible des fléaux, ajoutait un nouveau feu et de nouveaux ressorts à l'esprit humain, c'est dans ce temps que tous les arts florissaient en Grèce. C'est ainsi qu'ils commencent à se perfectionner ensuite à Rome dans d'autres guerres civiles du temps de César, et qu'ils renaissent encore dans notre XVe et XVIe siècle de l'ère vulgaire, parmi les troubles de l'Italie.

Après cette guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydide, vient le temps célèbre d'Alexandre, prince digne d'être élevé par Aristote, qui fonde beaucoup plus de villes que les autres n'en ont détruit, et qui change le commerce de l'Univers. De son temps, et de celui de ses successeurs, florissait Carthage ; et la république romaine commençait à fixer sur elle les regards des nations. Tout le reste est enseveli dans la Barbarie : les Celtes, les Germains, tous les peuples du Nord sont inconnus.

L'histoire de l'empire romain est ce qui mérite le plus notre attention, parce que les Romains ont été nos maîtres et nos législateurs. Leurs lois sont encore en vigueur dans la plupart de nos provinces : leur langue se parle encore, et longtemps après leur chute, elle a été la seule langue dans laquelle on rédigeât les actes publics en Italie, en Allemagne, en Espagne, en France, en Angleterre, en Pologne.

Au démembrement de l'empire romain en Occident, commence un nouvel ordre de choses, et c'est ce qu'on appelle l'histoire du moyen âge ; histoire barbare de peuples barbares, qui devenus chrétiens, n'en deviennent pas meilleurs.

Pendant que l'Europe est ainsi bouleversée, on voit paraitre au VIIe siècle les Arabes, jusques-là renfermés dans leurs déserts. Ils étendent leur puissance et leur domination dans la haute Asie, dans l'Afrique, et envahissent l'Espagne ; les Turcs leur succedent, et établissent le siège de leur empire à Constantinople, au milieu du XV. siècle.

C'est sur la fin de ce siècle qu'un nouveau monde est découvert ; et bientôt après la politique de l'Europe et les arts prennent une forme nouvelle. L'art de l'Imprimerie, et la restauration des sciences, font qu'enfin on a des histoires assez fidèles, au lieu des chroniques ridicules renfermées dans les cloitres depuis Grégoire de Tours. Chaque nation dans l'Europe a bientôt ses historiens. L'ancienne indigence se tourne en superflu : il n'est point de ville qui ne veuille avoir son histoire particulière. On est accablé sous le poids des minuties. Un homme qui veut s'instruire est obligé de s'en tenir au fil des grands événements, et d'écarter tous les petits faits particuliers qui viennent à la traverse ; il saisit dans la multitude des révolutions, l'esprit des temps et les mœurs des peuples. Il faut surtout s'attacher à l'histoire de sa patrie, l'étudier, la posséder, réserver pour elle les détails, et jeter une vue plus générale sur les autres nations. Leur histoire n'est intéressante que par les rapports qu'elles ont avec nous, ou par les grandes choses qu'elles ont faites ; les premiers âges depuis la chute de l'empire romain, ne sont comme on l'a remarqué ailleurs, que des aventures barbares, sous des noms barbares, excepté le temps de Charlemagne. L'Angleterre reste presque isolée jusqu'au règne d'Edouard III. le Nord est sauvage jusqu'au XVIe siècle ; l'Allemagne est longtemps une anarchie. Les querelles des empereurs et des papes desolent 600 ans l'Italie, et il est difficîle d'apercevoir la vérité à-travers les passions des écrivains peu instruits, qui ont donné les chroniques informes de ces temps malheureux. La monarchie d'Espagne n'a qu'un événement sous les rois Visigoths ; et cet événement est celui de sa destruction. Tout est confusion jusqu'au règne d'Isabelle et de Ferdinand. La France jusqu'à Louis XI. est en proie à des malheurs obscurs sous un gouvernement sans règle. Daniel a beau prétendre que les premiers temps de la France sont plus intéressants que ceux de Rome : il ne s'aperçoit pas que les commencements d'un si vaste empire sont d'autant plus intéressants qu'ils sont plus faibles, et qu'on aime à voir la petite source d'un torrent qui a inondé la moitié de la terre.

Pour pénétrer dans le labyrinthe ténébreux du moyen âge, il faut le secours des archives, et on n'en a presque point. Quelques anciens couvens ont conservé des chartres, des diplomes, qui contiennent des donations, dont l'autorité est quelquefois contestée ; ce n'est pas là un recueil où l'on puisse s'éclairer sur l'histoire politique, et sur le droit public de l'Europe. L'Angleterre est, de tous les pays, celui qui a sans contredit, les archives les plus anciennes et les plus suivies. Ces actes recueillis par Rimer, sous les auspices de la reine Anne, commencent avec le XIIe siècle, et sont continués sans interruption jusqu'à nos jours. Ils répandent une grande lumière sur l'histoire de France. Ils font voir par exemple, que la Guienne appartenait aux Anglais en souveraineté absolue, quand le roi de France Charles V. la confisqua par un arrêt, et s'en empara par les armes. On y apprend quelles sommes considérables, et quelle espèce de tribut paya Louis XI. au roi Edouard IV. qu'il pouvait combattre ; et combien d'argent la reine Elisabeth prêta à Henri le grand, pour l'aider à monter sur son thrône, etc.

De l'utilité de l'Histoire. Cet avantage consiste dans la comparaison qu'un homme d'état, un citoyen peut faire des lois et des mœurs étrangères avec celles de son pays : c'est ce qui excite les nations modernes à enchérir les unes sur les autres dans les arts, dans le commerce, dans l'Agriculture. Les grandes fautes passées servent beaucoup en tout genre. On ne saurait trop remettre devant les yeux les crimes et les malheurs causés par des querelles absurdes. Il est certain qu'à force de renouveller la mémoire de ces querelles, on les empêche de renaître.

C'est pour avoir lu les détails des batailles de Creci, Poitiers, d'Azincourt, de Saint-Quentin, de Gravelines, etc. que le célèbre maréchal de Saxe se déterminait à chercher, autant qu'il pouvait, ce qu'il appelait des affaires de poste.

Les exemples font un grand effet sur l'esprit d'un prince qui lit avec attention. Il verra qu'Henri IV. n'entreprenait sa grande guerre, qui devait changer le système de l'Europe, qu'après s'être assez assuré du nerf de la guerre, pour la pouvoir soutenir plusieurs années sans aucun secours de finances.

Il verra que la reine Elisabeth, par les seules ressources du commerce et d'une sage économie, résista au puissant Philippe II. et que de cent vaisseaux qu'elle mit en mer contre la flotte invincible, les trois quarts étaient fournis par les villes commerçantes d'Angleterre.

La France non entamée sous Louis XIV. après neuf ans de la guerre la plus malheureuse, montra évidemment l'utilité des places frontières qu'il construisit. En vain l'auteur des causes de la chute de l'empire romain blâme-t-il Justinien, d'avoir eu la même politique que Louis XIV. Il ne devait blâmer que les empereurs qui négligèrent ces places frontières, et qui ouvrirent les portes de l'empire aux Barbares.

Enfin la grande utilité de l'histoire moderne, et l'avantage qu'elle a sur l'ancienne, est d'apprendre à tous les potentats, que depuis le XV. siècle on s'est toujours réuni contre une puissance trop prépondérante. Ce système d'équilibre a toujours été inconnu des anciens, et c'est la raison des succès du peuple romain, qui ayant formé une milice supérieure à celle des autres peuples, les subjugua l'un après l'autre, du Tibre jusqu'à l'Euphrate.

De la certitude de l'Histoire. Toute certitude qui n'est pas démonstration mathématique, n'est qu'une extrême probabilité. Il n'y a pas d'autre certitude historique.

Quand Marc Paul parla le premier, mais le seul, de la grandeur et de la population de la Chine, il ne fut pas cru, et il ne peut exiger de croyance. Les Portugais qui entrèrent dans ce vaste empire plusieurs siècles après, commencèrent à rendre la chose probable. Elle est aujourd'hui certaine, de cette certitude qui nait de la déposition unanime de mille témoins oculaires de différentes nations, sans que personne ait réclamé contre leur témoignage.

Si deux ou trois historiens seulement avaient écrit l'aventure du roi Charles XII. qui s'obstinant à rester dans les états du sultan son bienfaiteur, malgré lui, se battit avec ses domestiques contre une armée de janissaires et de Tartares, j'aurais suspendu mon jugement ; mais ayant parlé à plusieurs témoins oculaires, et n'ayant jamais entendu révoquer cette action en doute, il a bien fallu la croire, parce qu'après tout, si elle n'est ni sage, ni ordinaire, elle n'est contraire ni aux lois de la nature, ni au caractère du héros.

L'histoire de l'homme au masque de fer aurait passé dans mon esprit pour un roman, si je ne la tenais que du gendre du chirurgien, qui eut soin de cet homme dans sa dernière maladie. Mais l'officier qui le gardait alors, m'ayant aussi attesté le fait, et tous ceux qui devaient en être instruits me l'ayant confirmé, et les enfants des ministres d'état dépositaires de ce secret, qui vivent encore, en étant instruits comme moi, j'ai donné à cette histoire un grand degré de probabilité, degré pourtant au-dessous de celui qui fait croire l'affaire de Bender, parce que l'aventure de Bender a eu plus de témoins que celle de l'homme au masque de fer.

Ce qui répugne au cours ordinaire de la nature ne doit point être cru, à moins qu'il ne soit attesté par des hommes animés de l'esprit divin. Voilà pourquoi à l'article CERTITUDE de ce Dictionnaire, c'est un grand paradoxe de dire qu'on devrait croire aussi-bien tout Paris qui affirmerait avoir Ve ressusciter un mort, qu'on croit tout Paris quand il dit qu'on a gagné la bataille de Fontenoy. Il parait évident que le témoignage de tout Paris sur une chose improbable, ne saurait être égal au témoignage de tout Paris sur une chose probable. Ce sont là les premières notions de la saine Métaphysique. Ce Dictionnaire est consacré à la vérité ; un article doit corriger l'autre ; et s'il se trouve ici quelque erreur, elle doit être relevée par un homme plus éclairé.

Incertitude de l'Histoire. On a distingué les temps en fabuleux et historiques. Mais les temps historiques auraient dû être distingués eux-mêmes en vérités et en fables. Je ne parle pas ici des fables reconnues aujourd'hui pour telles ; il n'est pas question, par exemple, des prodiges dont Tite-Live a embelli ou gâté son histoire. Mais dans les faits les plus reçus que de raisons de douter ? Qu'on fasse attention que la république romaine a été cinq cent ans sans historiens, et que Tite-Live lui-même déplore la perte des annales des pontifes et des autres monuments qui périrent presque tous dans l'incendie de Rome, pleraque interière ; qu'on songe que dans les trois cent premières années, l'art d'écrire était très-rare, rarae per eadem tempora litterae. Il sera permis alors de douter de tous les événements qui ne sont pas dans l'ordre ordinaire des choses humaines. Sera-t-il bien probable que Romulus, le petit-fils du roi des Sabins, aura été forcé d'enlever des Sabines pour avoir des femmes. L'histoire de Lucrèce sera-t-elle bien vraisemblable ? croira-t-on aisément sur la foi de Tite-Live, que le roi Porsenna s'enfuit plein d'admiration pour les Romains, parce qu'un fanatique avait voulu l'assassiner ? Ne sera-t-on pas porté au contraire, à croire Polybe, antérieur à Tite-Live de deux cent années, qui dit que Porsenna subjugua les Romains. L'aventure de Regulus, enfermé par les Carthaginois dans un tonneau garni de pointes de fer, merite-t-elle qu'on la croie ? Polybe contemporain n'en aurait-il pas parlé, si elle avait été vraie ? il n'en dit pas un mot. N'est-ce pas une grande présomption que ce conte ne fut inventé que longtemps après pour rendre les Carthaginois odieux ? Ouvrez le dictionnaire de Moréri à l'article Régulus, il vous assure que le supplice de ce Romain est rapporté dans Tite-Live. Cependant la Décade où Tite-Live aurait pu en parler est perdue : on n'a que le supplément de Freinshemius, et il se trouve que ce dictionnaire n'a cité qu'un allemand du XVIIe siècle, croyant citer un romain du temps d'Auguste. On ferait des volumes immenses de tous les faits célèbres et reçus, dont il faut douter. Mais les bornes de cet article ne permettent pas de s'étendre.

Les monuments, les cérémonies annuelles, les médailles mêmes, sont-elles des preuves historiques ? On est naturellement porté à croire qu'un monument érigé par une nation pour célébrer un événement, en atteste la certitude. Cependant, si ces monuments n'ont pas été élevés par des contemporains ; s'ils célebrent quelques faits peu vraisemblables, prouvent-ils autre chose, sinon qu'on a voulu consacrer une opinion populaire ?

La colonne rostrale érigée dans Rome par les contemporains de Duillius, est sans-doute une preuve de la victoire navale de Duillius. Mais la statue de l'augure Navius, qui coupait un caillou avec un rasoir, prouvait-elle que Navius avait opéré ce prodige ? Les statues de Cérès et de Triptolème, dans Athènes, étaient-elles des témoignages incontestables que Cérès eut enseigné l'Agriculture aux Athéniens ? Le fameux Laocoon, qui subsiste aujourd'hui si entier, atteste-t-il bien la vérité de l'histoire du cheval de Troie ?

Les cérémonies, les fêtes annuelles établies par toute une nation, ne constatent pas mieux l'origine à laquelle on les attribue. La fête d'Arion porté sur un dauphin, se célébrait chez les Romains comme chez les Grecs. Celle de Faune rappelait son aventure avec Hercule et Omphale, quand ce dieu amoureux d'Omphale prit le lit d'Hercule pour celui de sa maîtresse.

La fameuse fête des Lupercales était établie en l'honneur de la louve qui allaita Romulus et Remus.

Sur quoi était fondée la fête d'Orion, célébrée le 5 des ides de Mai ? Le voici. Hirée reçut chez lui Jupiter, Neptune et Mercure ; et quand ses hôtes prirent congé, ce bon homme qui n'avait point de femme, et qui voulait avoir un enfant, témoigna sa douleur aux trois dieux. On n'ose exprimer ce qu'ils firent sur la peau du bœuf qu'Hirée leur avait servi à manger ; ils couvrirent ensuite cette peau d'un peu de terre, et de-là naquit Orion au bout de neuf mois.

Presque toutes les fêtes romaines, syriennes, grecques, égyptiennes, étaient fondées sur de pareils contes, ainsi que les temples et les statues des anciens héros. C'étaient des monuments que la crédulité consacrait à l'erreur.

Une médaille, même contemporaine, n'est pas quelquefois une preuve. Combien la flatterie n'a-t-elle pas frappé de médailles sur des batailles très indécises, qualifiées de victoires, et sur des entreprises manquées, qui n'ont été achevées que dans la légende. N'a-t-on pas, en dernier lieu, pendant la guerre de 1740 des Anglais contre le roi d'Espagne, frappé une médaille qui attestait la prise de Carthagène par l'amiral Vernon, tandis que cet amiral levait le siège ?

Les médailles ne sont des témoignages irréprochables que lorsque l'événement est attesté par des auteurs contemporains ; alors ces preuves se soutenant l'une par l'autre, constatent la vérité.

Dait-on dans l 'histoire insérer des harangues, et faire des portraits ? Si dans une occasion importante, un général d'armée, un homme d'état a parlé d'une manière singulière et forte qui caractérise son génie et celui de son siècle, il faut sans-doute rapporter son discours mot pour mot ; de telles harangues sont peut-être la partie de l'histoire la plus utile. Mais pourquoi faire dire à un homme ce qu'il n'a pas dit ? Il vaudrait presque autant lui attribuer ce qu'il n'a pas fait ; c'est une fiction imitée d'Homère. Mais ce qui est fiction dans un poème, devient à la rigueur mensonge dans un historien. Plusieurs anciens ont eu cette méthode ; cela ne prouve autre chose, sinon que plusieurs anciens ont voulu faire parade de leur éloquence aux dépens de la vérité.

Les portraits montrent encore bien souvent plus d'envie de briller que d'instruire : des contemporains sont en droit de faire le portrait des hommes d'état avec lesquels ils ont négocié, des généraux sous qui ils ont fait la guerre. Mais qu'il est à craindre que le pinceau ne soit guidé par la passion ! Il parait que les portraits qu'on trouve dans Clarendon sont faits avec plus d'impartialité, de gravité et de sagesse, que ceux qu'on lit avec plaisir dans le cardinal de Retz.

Mais vouloir peindre les anciens, s'efforcer de développer leurs âmes, regarder les événements comme des caractères avec lesquels on peut lire surement dans le fond des cœurs ; c'est une entreprise bien délicate ; c'est dans plusieurs une puérilité.

De la maxime de Ciceron concernant l 'histoire ; que l'historien n'ose dire une fausseté, ni cacher une vérité. La première partie de ce précepte est incontestable ; il faut examiner l'autre. Si une vérité peut être de quelque utilité à l'état, votre silence est condamnable. Mais je suppose que vous écriviez l'histoire d'un prince qui vous aura confié un secret, devez-vous le révéler ? Devez-vous dire à la postérité ce que vous seriez coupable de dire en secret à un seul homme ? le devoir d'un historien l'emportera-t-il sur un devoir plus grand ?

Je suppose encore que vous ayez été témoin d'une faiblesse qui n'a point influé sur les affaires publiques, devez-vous revéler cette faiblesse ? En ce cas, l'histoire serait une satyre.

Il faut avouer que la plupart des écrivains d'anecdotes sont plus indiscrets qu'utiles. Mais que dire de ces compilateurs insolents, qui se faisant un mérite de médire, impriment et vendent des scandales, comme Lecauste vendait des poisons.

De l'histoire satyrique. Si Plutarque a repris Hérodote de n'avoir pas assez relevé la gloire de quelques villes grecques ; et d'avoir omis plusieurs faits connus dignes de mémoire, combien sont plus répréhensibles aujourd'hui ceux qui, sans avoir aucun des mérites d'Hérodote, imputent aux princes, aux nations, des actions odieuses ; sans la plus légère apparence de preuve. La guerre de 1741 a été écrite en Angleterre. On trouve, dans cette histoire, qu'à la bataille de Fontenoy les François tirèrent sur les Anglais avec des balles empoisonnées et des morceaux de verre venimeux, et que le duc de Cumberland envoya au roi de France une boète pleine de ces prétendus poisons trouvés dans les corps des Anglais blessés. Le même auteur ajoute que les François ayant perdu quarante mille hommes à cette bataille, le parlement de Paris rendit un arrêt par lequel il était défendu d'en parler sous des peines corporelles.

Des mémoires frauduleux, imprimés depuis peu, sont remplis de pareilles absurdités insolentes. On y trouve qu'au siege de Lille les alliés jetaient des billets dans la ville conçus en ces termes : Français, consolez-vous, la Maintenon ne sera pas votre reine.

Presque chaque page est remplie d'impostures et de termes offensans contre la famille royale et contre les familles principales du royaume, sans alléguer la plus légère vraisemblance qui puisse donner la moindre couleur à ces mensonges. Ce n'est point écrire l'histoire, c'est écrire au hazard des calomnies.

On a imprimé en Hollande, sous le nom d'histoire, une foule de libelles, dont le style est aussi grossier que les injures, et les faits aussi faux qu'ils sont mal écrits. C'est, dit-on, un mauvais fruit de l'excellent arbre de la liberté. Mais si les malheureux auteurs de ces inepties ont eu la liberté de tromper les lecteurs, il faut user ici de la liberté de les détromper.

De la méthode, de la manière d'écrire l'histoire, et du style. On en a tant dit sur cette matière, qu'il faut ici en dire très-peu. On sait assez que la méthode et le style de Tite-Live, sa gravité, son éloquence sage, conviennent à la majesté de la république romaine ; que Tacite est plus fait pour peindre des tyrants, Polybe pour donner des leçons de la guerre, Denys d'Halycarnasse pour développer les antiquités.

Mais en se modélant en général sur ces grands maîtres, on a aujourd'hui un fardeau plus pesant que le leur à soutenir. On exige des historiens modernes plus de détails, des faits plus constatés, des dates précises, des autorités, plus d'attention aux usages, aux lais, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l'agriculture, à la population. Il en est de l'histoire comme des Mathématiques et de la Physique. La carrière s'est prodigieusement accrue. Autant il est aisé de faire un recueil de gazettes, autant il est difficîle aujourd'hui d'écrire l'histoire.

On exige que l'histoire d'un pays étranger ne soit point jetée dans le même moule que celle de votre patrie.

Si vous faites l'histoire de France, vous n'êtes pas obligé de décrire le cours de la Seine et de la Loire ; mais si vous donnez au public les conquêtes des Portugais en Asie, on exige une topographie des pays découverts. On veut que vous meniez votre lecteur par la main le long de l'Afrique, ou des côtes de la Perse et de l'Inde ; on attend de vous des instructions sur les mœurs, les lais, les usages de ces nations nouvelles pour l'Europe.

Nous avons vingt histoires de l'établissement des Portugais dans les Indes ; mais aucune ne nous a fait connaître les divers gouvernements de ce pays, ses religions, ses antiquités, les Brames, les disciples de Jean, les Guèbres, les Baniants. Cette réflexion peut s'appliquer à presque toutes les histoires des pays étrangers.

Si vous n'avez autre chose à nous dire, sinon qu'un Barbare a succédé à un autre Barbare sur les bords de l'Oxus et de l'Iaxarte, en quoi êtes-vous utîle au public ?

La méthode convenable à l'histoire de votre pays n'est pas propre à écrire les découvertes du nouveau monde. Vous n'écrirez point sur une ville comme sur un grand empire ; vous ne ferez point la vie d'un particulier comme vous écrirez l'histoire d'Espagne ou d'Angleterre.

Ces règles sont assez connues. Mais l'art de bien écrire l'Histoire sera toujours très-rare. On sait assez qu'il faut un style grave, pur, varié, agréable. Il en est des lois pour écrire l'Histoire comme de celles de tous les arts de l'esprit ; beaucoup de préceptes, et peu de grands artistes. Cet article est de M. de VOLTAIRE.




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