S. f. (Morale) c'est une disposition à faire part aux hommes de ses propres biens ; elle doit, comme toutes les qualités qui ont leur source dans la bienveillance, la pitié, et le désir des louanges, etc. être subordonnée à la justice pour devenir une vertu. La libéralité ne peut être exercée que par les particuliers, parce qu'ils ont des biens qui leur sont propres ; elle est injuste et dangereuse dans les souverains. Le roi de Prusse n'étant encore que prince royal, avait récompensé libéralement une actrice célèbre ; il la récompensa beaucoup moins lorsqu'il fut roi, et il dit à cette occasion ces paroles remarquables : autrefois je donnais mon argent, et je donne aujourd'hui celui de mes sujets.

La libéralité, comme on voit, est donc une vertu qui consiste à donner à propos, sans intérêt, ni trop, ni trop peu.

La libéralité est une qualité moins admirable que la générosité ; parce que celle-ci ne se borne point aux objets pécuniaires, et qu'elle est en toutes choses une élévation de l'âme, dans la façon de penser et d'agir : c'est la d'Aristote, qui fait pour les autres par le plaisir d'obliger, beaucoup au-delà de ce qu'ils peuvent attendre de nous. Mais le mérite éminent de la générosité, ne détruit point le cas qu'on doit faire de la libéralité, qui est toujours une vertu des plus estimables, quand elle n'est pas le fruit de la vanité de donner, de l'ostentation, de la politique, et de la simple décence de son état. Le vice nommé avarice dans l'idée commune, est précisément l'opposé de cette vertu.

Je définis la libéralité avec l'évêque de Peterborough, une vertu qui s'exerce en faisant part gratuitement aux autres, de ce qui nous appartient. Cette vertu a pour principe la justice de l'action, et pour but la plus excellente fin : car, quoique les donations soient libres, elles doivent être faites de manière, que ce que l'on donne de son bien ou de sa peine, serve à maintenir les parties d'une grande fin ; c'est-à-dire la sûreté, le bonheur, et l'avantage des sociétés.

Mais comme il est impossible de fournir aux dépenses que demande l'exercice de la libéralité, sans un attachement honnête à acquérir du bien, et à conserver celui qu'on a acquis, ce soin est prescrit par des maximes qui se tirent de la même fin dont nous venons de faire l'éloge. Ainsi la libéralité qui désigne principalement l'acte de donner et de dépenser comme il convient, renferme une volonté d'acquérir, et de conserver, selon les principes que dictent la raison et la vertu.

La volonté d'acquérir s'appelle prévoyance, et elle est opposée d'un côté à la rapacité, de l'autre, à une imprudente négligence de pourvoir sagement à l'avenir. La volonté de conserver, est ce que l'on nomme frugalité, économie, épargne entendue, qui tient un juste milieu entre la sordide mesquinerie et la prodigalité. Il est certain que ces deux choses, la prévoyance et la frugalité, facilitent la pratique de la libéralité, l'aident et la soutiennent. Soyez vigilant et économe dans les dépenses journalières ; vous pourrez être libéral dans toutes les occasions nécessaires. Voilà pourquoi l'on voit très-peu régner cette vertu dans les pays de luxe : on n'y donne qu'à soi, rien aux autres, et l'on finit par être ruiné.

La libéralité a divers noms, selon la diversité des objets envers lesquels on doit l'exercer ; car si l'on est libéral pour des choses qui sont d'une très-grande utilité publique, cette vertu est une noble magnificence, , dit Aristote, à quoi est opposée d'un côté la profusion des ambitieux, et de l'autre la vilenie des âmes basses. Si l'on est libéral envers les malheureux, c'est une compassion pratique ; et quand on assiste les pauvres, c'est l'aumône. La libéralité exercée envers les étrangers, s'appelle hospitalité, surtout si on les reçoit dans sa maison. En tout cela la juste mesure de la bénéficence, dépend de ce qui contribue le plus aux diverses parties de la grande fin ; savoir aux secours réciproques, au commerce entre les divers états ; au bien des sociétés particulières, autant qu'on peut le procurer, sans préjudice des sociétés supérieures.

Il ne faut pas confondre la libéralité avec la prodigalité, quoiqu'elles paraissent avoir ensemble un grand rapport ; l'une est une vertu, et l'autre un excès vicieux. La prodigalité consiste à répandre sans choix, sans discernement, sans égard à toutes les circonstances ; cet homme prodigue, qu'on appelle d'ordinaire généreux, trouvera bientôt qu'il a sacrifié en vaines dépenses, à des sots, des fripons, des flatteurs, et même à des malheureux volontaires, tous les moyens d'assister à l'avenir d'honnêtes gens. S'il est beau de donner, quel soin ne doit on pas prendre de se conserver en situation de faire toute sa vie des actes de libéralité ?

Mais je ne tiens point compte à Crassus de ses libéralités immenses, employées même en choses honnêtes, parce qu'il en avait acquis le moyen par des voies criminelles. Les largesses estimables sont celles qui viennent de la pureté des mœurs, et qui sont les suites et les compagnes d'une vie vertueuse.

La libéralité bien appliquée, est absolument nécessaire aux princes pour l'avancement du bonheur public. " A le prendre exactement, dit Montagne, un roi en tant que roi, n'a rien proprement sien ; il se doit soi-même à autrui. Le prince ayant à donner, ou pour mieux dire à payer, et rendre à tant de gens selon qu'ils ont desservi, il en doit être loyal dispensateur. Mais si la libéralité d'un prince est sans discrétion et sans mesure, je l'aime mieux avare. L'immodérée largesse est un moyen faible à lui acquérir bienveillance, car elle rebute plus de gens qu'elle n'en pratique ; et si elle est employée sans respect de mérite, fait vergogne à qui la reçoit, et se reçoit sans grâce. Les sujets d'un prince excessif en don, se rendent excessifs en demandes ; ils se taillent non à la raison, mais à l'exemple. Qui a sa pensée à prendre, ne l'a plus à ce qu'il a prins ".

Enfin, comme les rois ont particulièrement réservé la libéralité dans leur charge, ce n'est pas assez que leurs bienfaits roulent sur la récompense de la vertu, il faut qu'en même temps leur dispensation ne blesse point l'équité. Satisbarzane officier chéri d'Artaxerxes, voulant profiter de ses bontés, lui demanda pour gratification une chose qui n'était pas juste. Ce prince comprit que la demande pouvait s'évaluer à trente mille dariques ; il se les fit apporter, et les lui donna en disant : " Satisbarzane, prenez cette somme ; en vous la donnant je ne serai pas plus pauvre, au lieu que si je faisais ce que vous me demandez, je serais plus injuste ".

J'ai quelquefois pensé que la libéralité était une de ces qualités, dont les germes se manifestent dès la plus tendre enfance. Le persan Sadi rapporte dans son rosaire du plus libéral et du plus généreux des princes indiens, qu'on augura dans tout le pays qu'il serait tel un jour, lorsqu'on vit qu'il ne voulait pas teter sa mère, qu'elle n'allaitât en même temps un autre enfant de sa seconde mamelle. (D.J.)

LIBERALITE, (Littérature) vertu personnifiée sur les médailles romaines, et représentée d'ordinaire en dame romaine, vêtue d'une longue robe. On ne manqua pas de la faire paraitre sur les médailles des empereurs, tantôt répandant la corne d'abondance, tantôt la tenant d'une main, et montrant de l'autre une tablette marquée de plusieurs nombres, pour désigner sous ce voîle la quantité d'argent, de grain ou de vin, que l'empereur donnait au peuple. Dans d'autres médailles, l'action du prince qui fait ces sortes de largesses, est nuement représentée. Ce sont là les médailles qu'on appelle liberalitas par excellence ; mais cet empereur quelquefois libéral par crainte, par politique ou par ostentation, n'avait-il pas tout pris et tout usurpé lui-même ? (D.J.)