S. f. (Morale) c'est, suivant la définition de Locke, cette inquiétude ou ce désordre de l'âme que nous ressentons après avoir reçu quelqu'injure, et qui est accompagné d'un désir pressant de nous venger : passion qui nous jette hors de nous-mêmes, et qui cherchant le moyen de repousser le mal qui nous menace, ou qui nous a déjà atteints, nous aveugle, et nous fait courir à la vengeance : maîtresse impérieuse et ingrate, qui récompense mal le service qu'on lui a rendu, et qui vend chérement les pernicieux conseils qu'elle donne.

Je parle ici de la colere couverte, durable, jointe à la haine : celle qui est ouverte, ingénue, semblable à un feu de paille, sans mauvaise intention, est un simple effet de la pétulance du tempérament, qui peut quelquefois être louable, ou du moins qui ne serait repréhensible que par l'indiscrétion ou le tort qui en résulterait. Mais cette vivacité est bien différente d'une violence qui surmonte toute affection, nous enlace et nous entrave, pour me servir d'un terme expressif de Fauconnerie. Telle était la colere de Coriolan, quand il vint se rendre à Tullus pour se vanger de Rome, et acheter les effets de son ressentiment aux dépens même de sa vie.

Les causes qui produisent ce désordre, sont une humeur atrabilaire, une faiblesse, mollesse, et maladie d'esprit, une fausse délicatesse, une sensibilité blâmable, l'amour-propre, l'amour des petites choses, une vaine curiosité, la legereté à croire, le chagrin d'être méprisé et injurié ; d'où vient que la colere de la femme est si vive et si plénière : elle nait aussi dans le refus de la violence du désir.

Cette passion a souvent des effets lamentables, suivant la remarque de Charron : elle nous pousse à l'injustice ; elle nous jette dans de grands maux par son inconsidération ; elle nous fait dire et faire des choses messéantes, honteuses, indignes, quelquefois funestes et irréparables, dont s'ensuivent de cruels remords : l'histoire ancienne et moderne n'en fournissent que trop d'exemples. Horace a bien raison de dire :

Qui non moderabitur irae, &c.

Epist. IIe lib. I. vers. 60-66.

Les remèdes, dit Charron, dont je vais emprunter le langage, sont plusieurs et divers, lesquels l'esprit doit être avant la main armé et bien muni, comme ceux qui craignent d'être assiégés ; car après n'est pas temps. Ils se peuvent réduire à trois chefs : le premier est de couper chemin à la colere, et lui fermer toutes les avenues ; il faut donc se délivrer de toutes les causes et occasions de colere ci-devant énoncées : le second chef est de ceux qu'il faut employer lorsque les occasions de colere se présentent, qui sont 1°. arrêter et tenir son corps en paix et en repos, sans mouvement et agitation : 2°. dilation à croire et prendre résolution, donner loisir au jugement de considérer ; 3°. se craindre soi-même, recourir à de vrais amis, et mûrir nos coleres entre leurs discours ; 4°. y faire diversion par tout ce qui peut calmer, adoucir, égayer : le troisième chef est aux belles considérations dont il faut abreuver et nourrir notre esprit de longue main, des actions funestes et mouvements qui résultent de la colere ; des avantages de la modération ; de l'estime que nous devons porter à la sagesse, laquelle se montre principalement à se retenir et se commander.

Il ne faut pas cependant considérer la colere comme une passion toujours mauvaise de sa nature ; elle ne l'est pas, ni ne déshonore personne, pourvu que ses émotions soient proportionnées au sujet qu'on a de s'émouvoir. Par conséquent elle peut être légitime, quand elle n'est portée qu'à un certain point ; mais d'un autre côté elle n'est jamais nécessaire : on peut toujours, et c'est même le plus sur, soutenir dans les occasions sa dignité et ses droits sans se courroucer. Si le désir de la vengeance, effet naturel de cette passion, s'y trouve joint ; alors comme cet effet est vicieux par lui-même, il lâche la colere, et l'empêche de demeurer dans de justes bornes. Donner à la vengeance émanée de la colere la correction de l'offense, serait corriger le vice par lui-même : " La raison qui doit commander en nous, dit encore Charron, auteur admirable sur ce sujet, ne veut point de ces officiers-là qui font de leur tête sans attendre son ordonnance : elle veut tout faire par compas ; et pour ce, la violence ne lui est pas propre ".

Ceux donc qui prétendent qu'un meurtre commis dans la colere ne doit pas proprement être mis au nombre des injustices punissables, n'ont pas une idée juste du droit naturel ; car il est certain que l'injustice ne consiste essentiellement qu'à violer les droits d'autrui. Il n'importe qu'on le fasse par un mouvement de colere, par avarice, par sensualité, par ambition, etc. qui sont les sources d'où proviennent ordinairement les plus grandes injustices : c'est le propre au contraire de la justice de résister à toutes les tentations, par le seul motif de ne faire aucune breche aux lois de la société humaine. Il est pourtant vrai que les actions auxquelles on est porté par la colere, sont moins odieuses que celles qui naissent du désir des plaisirs, lequel n'est pas si brusque, et qui peut trouver plus facilement de quoi se satisfaire ailleurs sans injustice ; sur quoi Aristote remarque très-bien que la colere est plus naturelle que le désir des choses qui vont dans l'excès ; et qui ne sont pas nécessaires.

Mais lorsque ce philosophe prétend que cette passion sert par fois d'armes à la vertu et à la vaillance, il se trompe beaucoup : quant à la vertu, cela n'est pas vrai ; et quant à la vaillance, on a répondu assez plaisamment qu'en tout cas c'est une arme de nouvel usage ; car, dit Montaigne, " nous remuons les autres armes, et celle-ci nous remue ; notre main ne la guide pas, c'est elle qui guide notre main, nous ne la tenons pas ". Article de M(D.J.)

COLERE, (Médecine) cette passion irritante nous jette dans des mouvements violents, en causant un grand désordre dans notre machine.

Nous venons de parler de cette passion en moraliste, nous allons la considérer en médecin.

Telle est sa nature, qu'elle met subitement, quelle qu'en soit la cause, tout le système nerveux dans une agitation extraordinaire par la constriction violente qu'elle produit dans les parties musculaires, et qu'elle augmente prodigieusement non-seulement le systole du cœur et de ses vaisseaux contigus, mais encore le ton des parties fibreuses de tout le corps.

Ce mouvement impétueux du sang et de l'altération du fluide nerveux dans les personnes en qui la colere est poussée à son dernier période, se manifeste évidemment par l'augmentation du pouls, la promptitude de la respiration, la soif, la chaleur, le gonflement et la rougeur du visage, la pulsation des artères de la tête plus forte, plus élevée, surtout aux environs des tempes, l'éclat des yeux, le bégayement, la voix enrouée, le parler précipité, la suppression de l'urine, le tremblement des parties extérieures ; enfin une certaine précipitation remarquable dans les fonctions de l'esprit. Ces symptômes se trouvent plus ou moins rassemblés suivant le tempérament et la force de la passion ; et la Physiologie les explique sans peine par la constriction spasmodique de tout le système nerveux.

En conséquence les observations de pratique ont appris que des fièvres bilieuses, inflammatoires, la jaunisse, les obstructions du foie, des hémorrhagies, des diarrhées, des pierres dans la vésicule du fiel ou dans les conduits biliaires, en étaient quelquefois la suite. La conspiration singulière de tous les nerfs en donne la raison. D'abord la constriction violente qui se fait ici dans le genre nerveux, produit la suppression de l'urine, l'obstruction et l'embarras dans l'écoulement de la bile, d'où résulte la formation des pierres de la vésicule du fiel. C'est de cette constriction que provient la jaunisse ; d'un autre côté, les conduits biliaires formés de tuniques musculaires et nerveuses, se trouvant excessivement comprimés par l'influx rapide du liquide spiritueux contenu dans les nerfs, se resserrent, font couler la bîle qu'ils contiennent ; et cette bîle passe dans le duodenum et dans le ventricule. De-là les envies de vomir, la déjection de matière bilieuse, et la diarrhée. L'abondance et l'acreté de cette bîle causeront la chaleur, la soif, les fièvres lentes, bilieuses, inflammatoires, etc.

La colere produisant des spasmes, et augmentant le mouvement des fluides, il est nécessaire qu'il se porte avec impétuosité, ou qu'il s'arrête dans les parties supérieures une trop grande quantité de sang ; d'où il arrive que ces parties seront trop distendues, et en conséquence le visage s'enflammera, toutes les veines de la tête, celles du front, des tempes seront gonflées, etc. Il en pourra donc résulter des hémorrhagies, soit par le nez, soit par une rupture de la veine pulmonaire, soit par les veines de l'anus, soit par la matrice. En un mot dans les parties dont les vaisseaux se trouveront les plus faibles ou les plus distendus, l'influx rapide déréglé du liquide spiritueux contenu dans les nerfs, rendra la langue bégayante, la voix enrouée, le parler précipité, le tremblement, la précipitation dans les fonctions de l'esprit.

Enfin quelques observations nous apprennent qu'il y a des personnes qui, à la suite d'une grande colere, ont perdu tour-à-tour l'ouie, la vue et la parole, et d'autres qui sont tombés pendant plusieurs jours dans un état d'insensibilité. Ces divers accidents dépendent entièrement ou de la compression des nerfs du cerveau, ou du flux arrêté des esprits, tantôt sur un organe des sens, tantôt sur l'autre.

C'est pourquoi le médecin travaillera à calmer ces spasmes, cette agitation de tout le système nerveux ; à remettre le sang et les humeurs dans un mouvement uniforme, et corriger l'acrimonie des fluides. Ainsi les réfrigérants, tels que la liqueur minérale anodyne d'Hoffman, l'esprit de nitre ou l'esprit de vitriol dulcifiés, délayés dans un liquide convenable, deviendront de vrais calmants. Si la bîle s'est jetée dans les intestins, il faut l'évacuer doucement par des lénitifs, tels que la magnésie blanche, la poudre de rhubarbe mêlée avec le nitre, les décoctions de tamarins, et autres de cette espèce. On corrigera l'acrimonie des fluides par des boissons opposées à cette acrimonie. S'il s'est rompu quelque vaisseau dans le tissu pulmonaire, on diminuera l'impétuosité du sang par la saignée, la dérivation, les demi-bains, les rafraichissants. Mais l'on évitera dans la méthode curative les cathartiques et les émétiques qui sont funestes dans cet état ; car comme ils n'agissent qu'en irritant les fibres délicates de l'estomac et des intestins, et que ces fibres sont déjà attaquées de constrictions spasmodiques par la colere, de tels remèdes ne feraient qu'augmenter le mal. Ce serait bien pis dans les personnes sujettes à des spasmes hypochondriaques, hystériques, et dans celles qui sont déjà tourmentées de cardialgie. Ce n'est point ici que la difficulté pour déterminer des remèdes fait une des parties délicates du jugement du médecin, un peu de bon sens lui suffit. Art. de M(D.J.)