S. m. (Histoire naturelle) cannabis, genre de plante à fleurs sans pétales, composée de plusieurs étamines soutenues sur un calice, et stérile, comme l'a observée Caesalpin. Les embryons sont sur les plants qui ne portent point de fleurs ; ils deviennent des capsules qui renferment une semence arrondie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

On connait deux sortes de chanvre, le sauvage, et le domestique.

Le sauvage, cannabis erratica, paludosa, sylvestris, Ad. Lobel. est un genre de plante dont les feuilles sont assez semblables à celles du chanvre domestique, hormis qu'elles sont plus petites, plus noires et plus rudes ; du reste cette plante ressemble à la guimauve, quant à ses tiges, sa graine et sa racine.

Le chanvre domestique dont il s'agit ici, est caractérisé par nos Botanistes de la manière suivante.

Ses feuilles disposées en main ouverte, naissent opposées les unes aux autres : ses fleurs n'ont point de pétales visibles ; la plante est mâle et femelle.

On la distingue donc en deux espèces, en mâle et en femelle ; ou en féconde qui porte des fruits, et en stérîle qui n'a que des fleurs : l'une et l'autre viennent de la même graine.

Le chanvre à fruit, cannabis fructifera offic. cannabis sativa, Parck. C. B. P. 320. Histoire oxon. 3. 433. Rau, hist. 1. 158. synop. 53. Boerh. Ind. A. 2. 104. Tournef. inst. 535. Buxb. 53. cannabis mas. J. B. 3. P. 2. 447. Ger. emac. 708. cannabina foecunda, Dod. pempt. 535.

Le chanvre à fleurs, cannabis florigera, offic. cannabis erratica, C. B. P. 320. 1. R. H. 535. cannabis foemina, J. B. 32. 447. cannab. sterilis, Dod. pemp. 535.

Sa racine est simple, blanche, ligneuse, fibrée ; sa tige est quadrangulaire, velue, rude au toucher, creuse en-dedans, unique, haute de cinq ou six pieds, couverte d'une écorce qui se partage en filets : ses feuilles naissent sur des queues opposées deux à deux, elles sont divisées jusqu'à la queue en quatre, cinq, ou un plus grand nombre de segments étroits, oblongs, pointus, dentelés, veinés d'un verd foncé, rudes, d'une odeur forte et qui porte à la tête.

Les fleurs et les fruits naissent séparément sur différents pieds ; l'espèce qui porte les fleurs, s'appelle chanvre à fleurs : quelques-uns la nomment stérîle ou femelle, mais improprement ; et l'autre espèce qui porte les fruits, est appelée chanvre à fruits, et par quelques-uns, chanvre mâle.

Les fleurs dans le chanvre qu'on nomme improprement stérile, naissent des aisselles des feuilles sur un pédicule chargé de quatre petites grappes placées en sautoir : elles sont sans pétales, composées de cinq étamines, surmontées de sommets jaunâtres, renfermées dans un calice à cinq feuilles purpurines en-dehors, blanchâtres en-dedans.

Les fruits naissent en grand nombre le long des tiges sur l'autre espèce, sans aucune fleur qui ait précédé : ils sont composés de pistiles enveloppés dans une capsule membraneuse d'un jaune verdâtre : ces pistiles se changent en une graine arrondie, un peu aplatie, lisse, qui contient sous une coque mince, d'un gris brun, luisant, une amande blanche, tendre, douce et huileuse, d'une odeur forte, et qui porte à la tête quand elle est nouvelle : cette amande est renfermée dans une capsule ou pellicule d'une seule pièce, qui se termine en pointe. Ces graines produisent l'une et l'autre espèce. Article de M(D.J.)

* Le chanvre est une plante annuelle : il ne se plait pas dans les pays chauds ; les climats tempérés lui conviennent mieux, et il vient fort bien dans les pays assez froids, comme sont le Canada, Riga, etc. qui en fournissent abondamment, et de très-bon ; et tous les ans on emploie une assez grande quantité de chanvre de Riga en France, en Angleterre, et surtout en Hollande.

Il faut pour le chanvre une terre douce, aisée à labourer, un peu légère, mais bien fertile, bien fumée et amendée. Les terrains secs ne sont pas propres pour le chanvre ; il n'y lève pas bien ; il est toujours bas, et la filasse y est ordinairement trop ligneuse, ce qui la rend dure et élastique ; défauts considérables, même pour les plus gros ouvrages.

Néanmoins dans les années pluvieuses il réussit ordinairement mieux dans les terrains secs dont nous parlons, que dans les terrains humides : mais ces années sont rares ; c'est pourquoi on place ordinairement les chenevières le long de quelque ruisseau ou de quelque fossé plein d'eau, de sorte que l'eau soit très-près, sans jamais produire d'inondation : ces terres s'appellent dans quelques provinces des courties ou courtils, et elles y sont très-recherchées.

Tous les engrais qui rendent la terre légère, sont propres pour les chanvres ; c'est pourquoi le fumier de cheval, de brebis, de pigeon, les curures de poulaillers, la vase qu'on retire des mares des villages, quand elle a mûri du temps, sont préférables au fumier de vache et de bœuf ; et je ne sache pas qu'on y emploie la marne.

Pour bien faire il faut fumer tous les ans les chenevières ; et on le fait avant le labour d'hiver, afin que le fumier ait le temps de se consumer pendant cette saison, et qu'il se mêle plus intimement avec la terre lorsqu'on fait les labours du printemps.

Il n'y a que le fumier de pigeon qu'on répand aux derniers labours, pour en tirer plus de profit : cependant quand le printemps est sec, il y a à craindre qu'il ne brule la semence ; ce qui n'arriverait pas si on l'avait répandu l'hiver : mais en ce cas il faudrait en mettre davantage, ou en espérer moins de profit.

Le premier et le plus considérable de ces labours se donne dans le mois de Décembre et de Janvier : on le nomme entre-hiver. Il y en a qui le font à la charrue, en labourant par sillons ; d'autres le donnent à la houe ou à la mare, formant aussi des sillons, pour que les gelées d'hiver ameublissent mieux la terre : il y en a aussi qui le font à la bêche ; il est sans contredit meilleur que les autres, mais aussi plus long et plus pénible ; au contraire du labour à la charrue, qui est le plus expéditif, et le moins profitable.

Le printemps on prépare la terre à recevoir la semence, par deux ou trois labours qu'on fait à quinze jours ou trois semaines les uns des autres ; les faisant toujours de plus en plus legers, et travaillant la terre à plat.

Il est bon de remarquer que ces labours peuvent, comme celui d'hiver, être faits à la charrue, à la houe, ou à la bêche.

Enfin quand après tous ces labours il reste quelques mottes, on les rompt avec des maillets ; car il faut que toute la chenevière soit aussi unie et aussi meuble que les planches d'un parterre.

Dans le courant du mois d'Avril on seme le chenevi, les uns quinze jours plutôt que les autres, et tous courent des risques différents : ceux qui sement de bonne heure, ont à craindre les gelées du printemps, qui font beaucoup de tort aux chanvres nouvellement levés ; et ceux qui sement trop tard, ont à craindre les sécheresses, qui empêchent quelquefois le chenevi de lever.

Le chenevi doit être semé dru, sans quoi le chanvre deviendrait gros, l'écorce en serait trop ligneuse, et la filasse trop dure ; ce qui est un grand défaut : cependant quand il est semé trop dru, il reste beaucoup de petits pieds qui sont étouffés par les autres, et c'est encore un inconvénient. Il faut donc observer un milieu, qu'on atteint aisément par l'usage ; et ordinairement les chenevières ne sont trop claires que quand il a péri une partie de la semence, ou par les gelées, ou par la sécheresse, ou par d'autres accidents.

Il est bon de remarquer que le chenevi est une semence huileuse ; car ces sortes de semences rancissent avec le temps, et alors elles ne lèvent plus ; c'est pourquoi il faut faire en sorte de ne semer que du chenevi de la dernière récolte : quand on en seme qui a deux ans, il y a bien des grains qui ne lèvent pas ; et de celui qui serait plus vieux, il en leverait encore moins.

Lorsque le chenevi est semé, il le faut enterrer ; et cela se fait ou avec une herse, si la terre a été labourée à la charrue ; ou avec un rateau, si elle a été façonnée à bras.

Malgré cette précaution, il faut garder très-soigneusement la chenevière jusqu'à ce que la semence soit entièrement levée, sans quoi quantité d'oiseaux, et surtout les pigeons, détruisent tout, sans épargner les semences qui seraient bien enterrées. Il est vrai que les pigeons et les oiseaux qui ne grattent point, ne font aucun tort aux grains de blé qui sont recouverts de terre ; mais la différence qu'il y a entre ces deux semences, c'est que le grain de blé ne sort point de terre avec l'herbe qu'il pousse, au lieu que le chenevi sort tout entier de terre quand il germe ; c'est alors que les pigeons en font un plus grand dégât, parce qu'apercevant le chenevi, ils arrachent la plante et la font périr.

Les chenevières qui ont couté beaucoup de peine et de travail jusqu'à ce que le chenevi soit levé, n'en exigent presque plus jusqu'au temps de la récolte ; on se contente ordinairement d'entretenir les fossés, et d'empêcher les bestiaux d'en approcher.

Cependant quand les sécheresses sont grandes, il y a des gens laborieux qui arrosent leurs chenevières ; mais il faut qu'elles soient petites, et que l'eau en soit à portée ; à moins qu'on ne put les arroser par immersion, comme on le pratique en quelques endroits.

Nous avons dit qu'il arrivait quelquefois des accidents au chenevi, qui faisaient que la chenevière était claire, et nous avons remarqué qu'alors le chanvre était gros, branchu, et incapable de fournir de belle filasse ; dans ce cas, pour tirer quelque parti de la chenevière, ne fût-ce que pour le chenevi qui n'en sera que meilleur, il faudra la sarcler, pour empêcher les mauvaises herbes d'étouffer le chanvre.

Vers le commencement d'Aout les pieds de chanvre qui ne portent point de graine, qu'on appelle mal-à-propos chanvre femelle, et que nous appellerons le mâle, commencent à jaunir à la cime et à blanchir par le pied ; ce qui indique qu'il est en état d'être arraché : alors les femmes entrent dans la chenevière, et tirent tous les pieds mâles dont elles font des poignées qu'elles arrangent au bord du champ, ayant attention de n'endommager le chanvre femelle que le moins qu'il est possible ; car il doit rester encore quelque temps en terre pour achever d'y mûrir sa semence.

Nous avons dit qu'en arrachant le chanvre mâle on en formait des poignées : on a soin que les brins qui forment une poignée soient à-peu-près d'une égale longueur, et on les arrange de façon que toutes les racines soient égales ; enfin chaque poignée est liée avec un petit brin de chanvre.

On les expose ensuite au soleil pour faire sécher les feuilles et les fleurs ; et quand elles sont bien seches, on les fait tomber en frappant chaque poignée contre un tronc d'arbre ou contré un mur, et on joint plusieurs de ces poignées ensemble, pour former des bottes assez grosses qu'on porte au routoir.

Le lieu qu'on appelle routoir, et où l'on donne au chanvre cette préparation qu'on appelle rouir ou naiser, est une fosse de trois ou quatre taises de longueur, sur deux ou trois taises de largeur, et de trois ou quatre pieds de profondeur, remplie d'eau : c'est souvent une source qui remplit ces routoirs ; et quand ils sont pleins, ils se déchargent de superficie par un écoulement qu'on y a ménagé.

Il y a des routoirs qui ne sont qu'un simple fossé fait sur le bord d'une rivière ; quelques-uns même, au mépris des ordonnances, n'ont point d'autres routoirs que le lit même des rivières : enfin quand on est éloigné des sources et des rivières, on met rouir le chanvre dans les fossés pleins d'eau et dans les mares. Examinons maintenant ce qu'on se propose en mettant rouir le chanvre.

Pour rouir le chanvre, on l'arrange au fond de l'eau, on le couvre d'un peu de paille, et on l'assujettit sous l'eau en le chargeant avec des morceaux de bois et des pierres, comme on voit Pl. I. première division, en q.

On le laisse en cet état jusqu'à ce que l'écorce qui doit fournir la filasse se détache aisément de la chenevotte qui est au milieu, ce qu'on reconnait en essayant de temps en temps si l'écorce cesse d'être adhérente à la chenevotte ; et quand elle s'en détache sans aucune difficulté, on juge que le chanvre est assez roui, et on le tire du routoir.

L'opération dont nous parlons fait quelque chose de plus que de disposer la filasse à quitter la chenevotte ; elle affine et attendrit la filasse.

Il est dangereux de tenir trop longtemps le chanvre dans l'eau ; car alors il rouit trop, le chanvre est trop pourri, et en ce cas la filasse n'a plus de force : au contraire, quand le chanvre n'a pas été assez longtemps dans l'eau, l'écorce reste adhérente à la chenevotte ; la filasse est dure, élastique, et on ne la peut jamais bien affiner. Il y a donc un milieu à garder ; et ce milieu ne dépend pas seulement du temps qu'on laisse le chanvre dans l'eau, mais encore,

1°. De la qualité de l'eau ; il est plutôt roui dans l'eau dormante que dans celle qui coule, dans l'eau qui croupit que dans celle qui est claire.

2°. De la chaleur de l'air ; il se rouit plutôt quand il fait chaud que quand il fait froid.

3°. De la qualité du chanvre ; celui qui a été élevé dans une terre douce, qui n'a point manqué d'eau, et qu'on a cueilli un peu verd, est plutôt roui que celui qui a cru dans une terre forte ou seche, et qu'on a laissé beaucoup mûrir.

En général on croit que quand le chanvre reste peu dans l'eau pour se rouir, la filasse en est meilleure ; c'est pour cela qu'on prétend qu'il ne faut rouir que par les temps chauds : et quand les automnes sont froides, il y en a qui remettent au printemps suivant à rouir leur chanvre femelle ; quelques-uns même préférent de rouir leur chanvre dans de l'eau dormante, même dans de l'eau croupissante, plutôt que dans de l'eau vive.

M. Duhamel, auteur du traité de Corderie, d'où nous tirons cet article abrégé, mit rouir du chanvre dans différentes eaux, et il lui parut que la filasse du chanvre qui avait été roui dans l'eau croupissante, était plus douce que celle du chanvre qu'on avait roui dans l'eau courante ; mais la filasse contracte dans les eaux qui ne coulent point, une couleur desagréable, qui ne lui cause à la vérité aucun préjudice, car elle n'en blanchit que plus aisément : cependant cette couleur déplait, et la filasse en est moins marchande ; c'est pourquoi on fait passer, autant qu'on le peut, au travers des routoirs un petit courant d'eau qui renouvelle celle du routoir, et qui empêche qu'elle ne se corrompe.

Il est évident par ce que nous avons dit, qu'on ne peut pas fixer le temps qu'il faut laisser le chanvre dans le routoir, puisque la qualité du chanvre, celle de l'eau et la température de l'air, ralentissent ou précipitent cette opération.

On a coutume de juger que le chanvre a été suffisamment roui, en éprouvant si l'écorce se lève aisément et de toute sa longueur de dessus la chenevotte ; outre cela il faut avouer que la grande habitude des paysans qui cultivent le chanvre, les aide beaucoup à ne lui donner que le degré de roui qui lui convient : cependant ils s'y trompent quelquefois, et il m'a paru qu'il y avait des provinces où l'on était dans l'usage constant de rouir plus que dans d'autres.

Il est bon d'être averti qu'il faut éviter de mettre rouir le chanvre dans certaines eaux où il y a quantité de petites chevrettes ; car ces animaux le coupent, et la filasse est presque perdue.

En parlant de la récolte du chanvre mâle, nous avons dit qu'on laissait encore quelque temps le chanvre femelle en terre pour lui donner le temps de mûrir sa semence ; mais ce délai fait que le chanvre femelle mûrit trop, son écorce devient trop ligneuse ; et il s'ensuit que la filasse qu'il fournit, est plus grossière et plus rude que celle du mâle : néanmoins quand on voit que la semence est bien formée, on arrache le chanvre femelle comme on a fait le mâle, et on l'arrange de même par poignées.

Dans certains pays, pour achever la maturité du chenevi, on fait à différents endroits de la chenevière des fosses rondes de la profondeur d'un pied et de trois à quatre pieds de diamètre, et on arrange dans le fond de ces fosses les poignées de chanvre bien serrées les unes auprès des autres, de telle sorte que la graine soit em-bas et la racine en-haut ; on les retient ensuite en cette situation avec des liens de paille, et on relève tout autour de cette grosse gerbe la terre qu'on avait tirée de la fosse, pour que les têtes du chanvre soient bien étouffées.

La tête de ce chanvre s'échauffe à l'aide de l'humidité qui y est contenue, comme s'échauffe un tas de foin verd ou une couche de fumier : cette chaleur acheve de mûrir le chenevi, et le dispose à sortir plus aisément de ses enveloppes.

Quand le chenevi a acquis cette qualité, on retire le chanvre de ces fosses, où il semoisirait si on l'y laissait plus longtemps.

Dans d'autres cantons où il y a beaucoup de chanvre, on ne l'enterre point, on se contente de l'arranger par tas tête contre tête ; et quelques jours après on travaille à en retirer le chenevi, comme nous allons l'expliquer.

Ceux qui ne font que de petites récoltes, étendent un drap par terre pour recevoir leur chenevi ; les autres nettoient et préparent une place bien unie sur laquelle ils étendent leur chanvre, en mettant toutes les têtes du même côté ; ils le battent légèrement, ou avec un morceau de bois, ou avec de petits fléaux : cette opération fait tomber la meilleure graine, qu'ils mettent à part pour la semer le printemps suivant ; mais il reste encore beaucoup de chenevi dans les têtes. Pour le retirer, ils peignent la tête de leur chanvre sur les dents d'un instrument qu'on appelle un égrugeoir, qu'on voit même Planc. même division, en r ; et par cette opération l'on fait tomber en même-temps et pêle-mêle, les feuilles, les enveloppes des semences, et les semences elles-mêmes : on conserve tout cela en tas pendant quelques jours, puis on l'étend pour le faire sécher ; enfin on le bat, et on nettoie le chenevi en le vannant et en le passant par le crible.

C'est cette seconde graine qui sert à faire l'huîle de chenevi et à nourrir les volailles.

A l'égard du chanvre, on le porte au routoir, q, pour y souffrir la même préparation que le chanvre mâle.

Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie les bottes pour les faire sécher ; on les étend au soleil le long d'un mur, ou sur la berge d'un fossé, ou simplement à plat dans un endroit où il n'y ait point d'humidité : on a soin de les retourner de temps en temps ; et quand le chanvre est bien sec, on le remet en bottes pour le porter à la maison, où on le conserve dans un lieu sec jusqu'à ce qu'on veuille le tiller ou le broyer de la manière suivante.

Il y a des provinces où l'on tille tout le chanvre, et dans d'autres il n'y a que ceux qui en recueillent peu qui le tillent ; les autres le broyent.

La façon de tiller le chanvre est si simple, que les enfants y réussissent aussi-bien que les grandes personnes : elle consiste à prendre les brins de chanvre les uns après les autres, à rompre la chenevotte, et à en détacher la filasse en la faisant couler entre les doigts. On voit même Planche, même division, cette opération, en s.

Ce travail parait un peu long ; néanmoins comme il s'exécute dans des moments perdus et par les enfants qui gardent les bestiaux, il n'est pas fort à charge aux familles nombreuses : mais il ferait perdre beaucoup de temps aux petites familles, qui ont bien plutôt fait de le broyer.

Avant que de broyer le chanvre, il le faut bien dessécher, ou, comme disent les paysans, le bien hâler ; pour cet effet, on a à une certaine distance de la maison un hâloir, qu'on voit même Planche, même division, en t : car il n'y a rien de si dangereux pour les incendies que de hâler dans les cheminées des maisons, comme quelques paysans le pratiquent : il y en a aussi qui mettent leur chanvre sécher dans leur four ; dans ce cas on n'a rien à craindre pour la maison, mais souvent le feu prend à leur chanvre, et on ne peut pas par ce moyen en dessécher une grande quantité. Le hâloir n'est autre chose qu'une caverne qui a ordinairement six à sept pieds de hauteur, cinq à six de largeur, et neuf à dix de profondeur ou de creux ; le dessous d'une roche fait souvent un très-bon hâloir. Il y en a de voutés à pierres seches ; d'autres qui sont recouverts de grandes pierres plates, ou simplement de morceaux de bois chargés de terre : chacun les fait à sa fantaisie. Mais tout le monde essaye de placer le hâloir à l'abri de la bise et au soleil de midi ; parce que le temps pour broyer est ordinairement par de belles gelées, quand on ne peut pas travailler à la terre.

Environ à quatre pieds au-dessus du foyer du hâloir, et à deux pieds de son entrée, on place trois barreaux de bois qui ont au plus un pouce de grosseur ; ils traversent le hâloir d'un mur à l'autre, et y sont assujettis : c'est sur ces morceaux de bois qu'on pose le chanvre qu'on veut hâler, environ de l'épaisseur d'un demi-pié.

Tout étant ainsi disposé, une femme attentive entretient dessous un petit feu de chenevottes ; je dis une femme attentive, parce qu'il faut continuellement fournir des chenevottes, qui sont bien-tôt consumées, entretenir le feu dans toutes les parties de l'âtre, et prendre garde que la flamme ne s'élève et ne mette le feu au chanvre, qui est bien combustible, surtout quand il y a quelque temps qu'il est dans le hâloir.

La même femme a encore soin de retourner le chanvre de temps en temps, pour que tout se desseche également ; enfin elle en remet de nouveau à mesure que l'on ôte celui qui est assez sec pour être porté à la broye, qu'on voit même Pl. même division, en u.

La broye ressemble à un banc qui serait fait d'un soliveau de cinq à six pouces d'équarrissage sur sept à huit pieds de longueur, on creuse ce soliveau dans toute sa longueur, de deux grandes mortaises d'un bon pouce de largeur, qui le traversent de toute son épaisseur, et on taille en couteau les trois languettes qui ont été formées par les deux entailles ou grandes mortaises dont je viens de parler.

Sur cette pièce de bois on en ajuste une autre qui lui est assemblée à charnière par un bout, qui forme une poignée à l'autre bout, et qui porte dans sa longueur deux couteaux qui entrent dans les rainures de la pièce inférieure.

L'homme qui broye, prend de sa main gauche une grosse poignée de chanvre, et de l'autre la poignée de la mâchoire supérieure de la broye ; il engage le chanvre entre les deux mâchoires ; et en élevant et en baissant à plusieurs reprises et fortement la mâchoire, il brise les chenevottes : en tirant le chanvre entre les deux mâchoires, il oblige les chenevottes à quitter la filasse ; et quand la poignée est ainsi broyée jusqu'à la moitié, il la prend par le bout broyé pour donner la même préparation à celui qu'il tenait dans sa main.

Enfin quand il y a environ deux livres de filasse bien broyée, on la plie en deux, on tord grossièrement les deux bouts l'un sur l'autre ; et c'est ce qu'on appelle des queues de chanvre, ou de la filasse brute.

Les deux pratiques, savoir celle de tiller le chanvre, et celle de le broyer, ont chacune des avantages et des défauts particuliers.

On a coutume de dire qu'il faut plus rouir le chanvre qu'on destine à faire des toiles fines, que celui qu'on ne veut employer qu'à de grosses toiles ; que celui qu'on destine à faire des cordages, doit être le moins roui.

Nous avons dit que le chanvre qui n'était pas assez roui, était dur, grossier, élastique, et restait chargé de chenevottes : on verra dans la suite que ce sont-là de grands défauts pour faire de bons cordages. Voyez l'article CORDERIE.

Nous conviendrons néanmoins qu'on peut rouir un peu plus les chanvres qu'on destine à des ouvrages fins ; mais il ne faut pas espérer par ce moyen d'affiner beaucoup une filasse qui serait naturellement grossière, on la ferait plutôt pourrir : car il faut pour avoir de la filasse fine, que bien des choses concourent.

1°. Le terrain ; car, comme nous l'avons déjà remarqué, les terres trop fortes ou trop seches ne donnent jamais une filasse bien douce ; elle est trop ligneuse, et par conséquent dure et cassante : au contraire si le terrain de la chenevière est trop aquatique, l'écorce du chanvre qu'on y aura recueilli, sera herbacée, tendre, et aisée à rompre, ce qui la fait tomber en étoupes. Ce sont donc les terrains doux, substantiels et médiocrement humides, qui donnent de la filasse douce, flexible et forte, qui sont les meilleures qualités qu'on puisse désirer.

2°. L'année ; car quand les années sont hâleuses, la filasse est dure ; au contraire elle est souple et quelquefois tendre, quand les années sont fraiches et humides.

3°. La maturité ; car si le chanvre a trop resté sur pied, les fibres longitudinales de l'écorce sont trop adhérentes les unes aux autres, la filasse brute forme de larges rubans qu'on a bien de la peine à refendre, surtout vers le pied ; et c'est ce qu'on exprime en disant qu'une queue de chanvre a beaucoup de pattes : c'est le défaut de tous les chanvres femelles qu'on a été obligé de laisser trop longtemps sur pied pour y mûrir leurs semences ; au contraire si l'on arrache le chanvre trop verd, l'écorce étant encore herbacée, il y a beaucoup de déchet, et la filasse n'a point de force.

4°. La façon dont il a été semé ; car celui qui a été semé trop clair a l'écorce épaisse, dure, noueuse et ligneuse : au lieu que celui qui a été semé assez dru, a l'écorce fine.

5°. Enfin les préparations qu'on lui donne, qui consistent à le broyer, à l'espader, à le piler, à le ferrer et à le peigner, comme nous le rapporterons dans la suite.

Dans tout ce que nous avons dit jusqu'à présent, le chanvre a été le fruit de l'industrie des paysans, et il a fait une partie du travail de l'homme des champs ; c'est dans cet état où on l'appelle filasse en brin, ou filasse brute ; et dans les corderies, du chanvre simplement dit.

On apporte les chanvres par gros ballots, on les délie pour voir s'ils ne sont pas mouillés ou fourrés de mauvaises marchandises.

Il est important qu'ils ne soient pas mouillés, 1°. parce qu'ils en peseraient davantage ; et comme on reçoit le chanvre au poids, on trouverait un déchet considérable quand il serait sec : 2°. si on l'entassait humide dans les magasins, il s'échaufferait et pourrirait. Il faut donc faire étendre et sécher les ballots qui sont humides, et ne les recevoir que quand ils seront secs.

Outre cela il est à-propos d'examiner si ces ballots ne sont pas fourrés : car il y a souvent dans le milieu des ballots de chanvre, des liasses d'étoupes, des bouts de corde, des morceaux de bois, des pierres et des feuilles ; tout cela augmente le poids, et ce sont des matières inutiles.

Ainsi quand on trouve des ballots fourrés, il faut ôter soigneusement toutes les matières étrangères.

Nous avons parlé de ce qu'on appelle queue de chanvre, mais il importe ici de savoir comment ces queues sont faites, puisque leur forme aide à faire mieux connaître si le chanvre est bon, ou s'il ne l'est pas.

Il faut pour cela distinguer deux bouts dans un brin de chanvre ; l'un fort délié qui aboutissait au haut de la tige de la plante, et l'autre assez épais qui se terminait à la racine : on appelle ce bout la patte du chanvre.

Lorsqu'on forme une queue de chanvre, on met toutes les pattes d'un côté ; et cette extrémité s'appelle la tête ; l'autre extrémité, qu'on appelle le petit bout ou la pointe, n'étant composée que de brins déliés, ne peut être aussi grosse que la tête.

Or il faut pour qu'une queue de chanvre soit bien conditionnée, qu'elle aille en diminuant uniformément de la tête à la pointe, et qu'elle soit encore bien garnie aux trois quarts de sa longueur ; car quand le chanvre est bien nourri, quand la plante qui l'a fourni, était vigoureuse, il diminue insensiblement et uniformément depuis la racine jusqu'au petit bout : au contraire quand la plante a pâti, le chanvre perd tout-d'un-coup sa grosseur un peu au-dessus des racines ; et alors les pattes qu'on sera obligé de retrancher, sont grosses ; et le reste, qui est la partie utile, est maigre. Outre cela, quand les paysans ont beaucoup de chanvre court, au lieu d'en faire des queues séparées, ils mêlent ce chanvre court avec le long ; et alors les queues ne suivent pas non plus une diminution uniforme depuis la tête jusqu'à la pointe : mais il faut surtout être en garde contre une autre supercherie des paysans, qui, pour faire croire que leurs queues de chanvre sont bien fournies dans toute leur longueur, ont soin de les fourrer vers le milieu avec de l'étoupe. On reconnaitra néanmoins cette fourberie, en prenant les queues de chanvre par la tête et en les secouant, pour voir si tous les brins se plongent dans toute la longueur de la queue.

J'ai déjà fait remarquer que comme les pattes sont inutiles, et qu'elles doivent être retranchées par les peigneurs, il est très-avantageux que les queues de chanvre n'aient point trop de pattes ; ce qui est le défaut principal de toutes les queues de chanvre qui ne suivent pas une diminution uniforme dans toute leur longueur.

D'ailleurs, tous les brins de chanvre que les paysans mettent pour nourrir les queues, restent sur le peigne, et ne fournissent que du second brin ou de l'étoupe.

Il faut de plus remarquer que quand les pattes sont très-grosses, relativement aux brins de chanvre qui y répondent, ces brins faibles se rompent sur le peigne à cause de la trop grande résistance des pattes ; et alors ils fournissent beaucoup de brin court ou de second brin, ou d'étoupe, et fort peu de brin long ou de premier brin. On verra dans la suite combien il est avantageux d'avoir beaucoup de premier brin, qui est presque la seule partie utile.

Il est aisé de conclure que quand le chanvre a ainsi beaucoup de pattes, ou quand les queues se trouvent fourrées ou nourries de chanvre court, il faudra augmenter la tare de sept, huit, ou dix livres par quintal, en un mot proportionnellement au déchet que ces circonstances doivent produire. Cependant quand ces défauts sont communs à tous les chanvres d'une année, il serait injuste de s'en prendre au fournisseur, puisqu'il lui aurait été impossible d'en trouver de meilleur.

Nous avons expliqué comment on broyait et comment on tillait le chanvre ; mais nous avons remis à expliquer les avantages et les désavantages de ces différentes pratiques.

Le chanvre broyé est plus doux et plus affiné que le tillé ; il a aussi moins de pattes ; et une partie des pointes les plus tendres, et qui n'auraient pas manqué de fournir des étoupes, sont restées dans la broye : ainsi il paraitrait que ce chanvre devrait moins fournir de déchet que le chanvre tillé ; cependant il en fournit ordinairement davantage, non-seulement parce qu'il n'est jamais si net de chenevottes, mais principalement parce que les brins étant mêlés les uns dans les autres, il s'en rompt un plus grand nombre quand on les passe sur le peigne ; d'où il suit nécessairement que ce chanvre au sortir du peigne est plus doux et plus affiné que le chanvre tillé. Néanmoins l'inconvénient du déchet et celui d'avoir un peu plus de chenevottes que n'en a le chanvre tillé, a déterminé à contraindre les fournisseurs à ne fournir que du chanvre tillé. M. Duhamel croit cependant que les chanvres fort durs en vaudraient mieux s'ils étaient broyés ; car, dit-il, quand nous parlerons dans la suite des préparations qu'on donne au chanvre, on connaitra que la broye est bien capable de l'affiner et de l'adoucir.

On s'attache quelquefois trop dans les recettes à la couleur du chanvre ; celui qui est de couleur argentine et comme gris-de-perle, est estimé le meilleur ; celui qui tire sur le verd est encore réputé bon ; on fait moins de cas de celui qui est jaunâtre, mais on rebute celui qui est brun.

Nous avons fait voir que la couleur des chanvres dépend principalement des eaux où on les fait rouir ; et que celui qui l'a été dans une eau dormante, est d'une autre couleur que celui qui l'aurait été dans une eau courante, sans que pour cela la qualité du chanvre en soit différente : ainsi nous croyons qu'il ne faut pas beaucoup s'attacher à la couleur des chanvres ; pourvu qu'ils ne soient pas noirs, ils sont recevables : mais la couleur noire ou fort brune indique, ou que les chanvres auraient été trop rouis, ou qu'ils auraient été mouillés étant en balles, et qu'ils se seraient échauffés.

On doit surtout examiner si les queues de chanvre sont de différente couleur ; car si elles étaient marquées de taches brunes, ce serait un indice certain qu'elles auraient été mouillées en balles ; et dans ce cas les endroits plus bruns sont ordinairement pourris.

Il vaut mieux s'attacher à l'odeur du chanvre qu'à sa couleur ; car il faut rebuter sévèrement celui qui sent le pourri, lemoisi, ou simplement l'échauffé, et choisir par préférence celui qui a une odeur forte, parce que cette odeur indique qu'il est de la dernière récolte ; condition que l'on regarde comme importante dans les corderies, parce que le chanvre nouveau produit moins de déchet que le vieux. Il est vrai aussi qu'il ne s'affine pas si parfaitement ; et si l'on y réfléchissait bien, peut-être mépriserait-on un peu de déchet pour avoir un chanvre plus affiné.

Il y a des queues de chanvre dont tous les brins depuis la racine jusqu'à la pointe, sont plats comme des rubans, et d'autres ont ces brins ronds comme des cordons. Il est certain que les premiers sont plus aisés à affiner, parce qu'ils se refendent plus aisément sur le peigne, et c'est la seule raison de préférence qu'on y trouve ; aussi ne rebutera-t-on jamais une queue de chanvre, par la seule raison que les brins qui la composent sont ronds.

Il y a des chanvres beaucoup plus longs les uns que les autres, et on donne toujours la préférence aux chanvres qui sont les plus longs : nous croyons cependant que si les chanvres trop courts font de mauvaises cordes, ceux qui sont trop longs occasionnent un déchet inutile, et qu'ils sont ordinairement plus rudes que les chanvres courts ; et c'est encore un défaut.

Quand le chanvre est fin, moèlleux, souple, doux au toucher, peu élastique, et en même temps difficîle à rompre, il est certain qu'il doit être regardé comme le meilleur ; mais si le chanvre est rude, dur, et élastique, on peut être certain qu'il donnera toujours des cordes faibles.

Il est très-avantageux que les matières qu'on emploie pour faire des cordes, soient souples ; et il n'est pas douteux que c'est la roideur de l'écorce du tilleul et du jonc, qui fait principalement la faiblesse des cordes qui sont faites avec ces matières.

On verra ailleurs, qu'on peut procurer au chanvre cette souplesse si avantageuse, par l'espade, par le peigne, etc.

Nous avons fait remarquer que les chanvres très-rouis étaient les plus souples : nous avons prouvé aussi que l'opération de rouir était un commencement de pourriture, et que si on laissait trop longtemps le chanvre dans les routoirs, il se pourrirait entièrement ; d'où on peut conclure que les chanvres qui n'ont acquis leur souplesse qu'à force de rouir, doivent pourrir plutôt par le service, que ceux qui sont plus durs.

Nous observerons que le chanvre cueilli un peu verd, et dont les fibres de l'écorce n'étaient pas encore devenues très-ligneuses, sont plus souples que les autres ; mais ces chanvres doux, pour être trop herbacés, sont aussi plus aisés à pourrir que les chanvres rudes et très-ligneux. On convient assez généralement de cette proposition dans les corderies : celui de Riga, par exemple, passe pour pourrir plus promptement que les chanvres de Bretagne.

Nous avons dit qu'on mettait rouir le chanvre principalement pour séparer l'écorce de la chenevotte, à laquelle elle est fort adhérente avant cette opération. Quand donc le chanvre n'est pas assez roui, l'écorce reste trop adhérente à la chenevotte, on a de la peine à l'en séparer, et il en reste toujours d'attachée au chanvre, surtout quand il a été broyé.

Ce défaut est considérable, parce que les chenevottes rendent le fil d'inégale grosseur, et qu'elles l'affoiblissent dans les endroits où elles se rencontrent ; mais quand les chanvres ont été trop rouis, l'eau qui a agi plus puissamment sur la pointe qui est tendre, l'a souvent entièrement pourrie.

Ainsi quand les chanvres sont bien nets de chenevottes, ou qu'on remarque que les chenevottes qui restent sont peu adhérentes à la filasse, il faut examiner si les pointes ont encore de la force ; et cela surtout aux chanvres tillés ; car les pointes des chanvres trop rouis restent ordinairement dans la broye ou macque, et ne se trouvent point dans les queues, qui en sont seulement plus courtes ; ce qui n'est pas un défaut, si le chanvre a encore assez de longueur.

Nous observerons que le chanvre femelle qu'on a laissé sur pied pour y mûrir son chenevi, était devenu par ce délai plus ligneux, plus dur et plus élastique que le chanvre mâle qu'on avait arraché plus de trois semaines plutôt. Nous venons de dire que le chanvre le plus fin et le plus souple est le meilleur ; d'où il faut conclure que le chanvre mâle est de meilleure qualité que le chanvre femelle : les paysans qui le savent bien, essaient de le vendre un peu plus cher, et cela est juste. Une fourniture est réputée bonne quand elle contient autant de chanvre mâle que de femelle ; ce qui sera aisé à distinguer par la dureté et la roideur du chanvre femelle, qui est ordinairement plus brun que le chanvre mâle, qui a une couleur plus brillante et plus argentine.

On verra ailleurs, que le premier brin est presque la seule partie utîle dans le chanvre ; d'un autre côté on sait, après ce qui vient d'être dit, que tous les chanvres ne fournissent pas également du premier brin : il est donc nécessaire, quand on fait une recette un peu considérable de chanvre, de s'assurer de la quantité du premier et second brin, d'étoupes et de déchet que pourra produire le chanvre que présente le fournisseur. Or cela se connait en faisant espader et peigner, en un mot préparer comme on a coutume de le faire, un quintal. On pese ensuite le premier, le second et le troisième brin qu'on a retirés de ce quintal ; et le manque marque le déchet : d'ailleurs le chanvre qu'on reçoit étant destiné à faire des cordes, celui qui fera les cordes les plus fortes, sera meilleur. Il résulte donc de-là une manière de l'éprouver. Voyez le détail de cette épreuve, dans l'ouvrage de M. Duhamel.

A mesure qu'on fait la recette, on porte les balles de chanvre dans les magasins, où elles doivent rester jusqu'à ce qu'on les délivre aux espadeurs ; et comme les consommations ne sont pas toujours proportionnelles aux recettes, on est obligé de les laisser quelquefois assez longtemps dans les magasins, où il est important de les conserver avec beaucoup d'attention, sans quoi on courait risque d'en perdre beaucoup ; il est donc avantageux de rapporter en quoi consistent ces précautions.

1°. Les magasins où l'on conserve le chanvre doivent être des greniers fort élevés et spacieux, plafonnés, percés de fenêtres ou de grandes lucarnes de côté et d'autre ; et ces fenêtres doivent fermer avec de bons contrevents, qu'on tiendra ouverts quand le temps sera frais et sec, et qu'on fermera soigneusement quand l'air sera humide, et du côté du soleil quand il sera fort chaud ; car la chaleur durcit, roidit le chanvre, et le fait à la longue tomber en poussière : quand au contraire il est humide, il court risque de s'échauffer. Il est important pour la même raison qu'il ne pleuve point sur le chanvre, ainsi il faudra entretenir les couvertures avec tout le soin possible.

2°. Si le chanvre qu'on reçoit est tant-sait-peu humide, on l'étendra, et on ne le mettra en meulons que quand il sera fort sec, sans quoi il s'échaufferait et serait bientôt pourri.

3°. Pour que l'air entre dans les meulons de tous côtés, on ne les fera que de quinze à dix-huit milliers, et on ne les élevera pas jusqu'au tait. Comme dans les recettes il se trouve presque toujours du chanvre de différente qualité, on aura l'attention, autant que faire se pourra, que tout le chanvre d'un même meulon soit de la même qualité, afin qu'on puisse employer aux manœuvres les plus importantes les chanvres les plus parfaits ; c'est une attention qu'on n'a pas ordinairement, mais qui est des plus essentielles.

4°. On fourrera de temps en temps les bras dans les meulons, pour connaître s'ils ne s'échauffent pas ; et s'il y avait de la chaleur dans quelques-uns, on les déferait, leur laisserait prendre l'air, et les transporterait dans d'autres endroits.

5°. Une ou deux fois l'année on changera les meulons de place, pour mieux connaître en quel état ils sont intérieurement ; d'ailleurs, par cette opération l'on expose le chanvre à l'air, ce qui lui est toujours avantageux.

6°. Quelquefois les rats et les souris endommagent beaucoup le chanvre, qu'ils rongent et qu'ils bouchonnent pour y faire leur nid ; c'est à un homme attentif à leur faire la guerre.

Cependant, malgré toutes ces précautions, le chanvre diminue toujours à mesure qu'on le garde ; et quand on vient à le préparer, on y trouve plus de déchet que quand il est nouveau : il est vrai que le chanvre gardé s'affine mieux, mais il est difficîle que cet avantage puisse compenser le déchet.

Il s'agit maintenant de continuer la préparation du chanvre.

Le premier soin de ceux qui occupent l'attelier où nous entrons, celui des espadeurs, est de le débarrasser des petites parcelles de chenevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbes, poussière, etc. et de séparer du principal brin l'étoupe la plus grossière, c'est-à-dire les brins de chanvre qui ont été rompus en petites parties, ou très-bouchonnés.

Le second avantage qu'on doit avoir en vue, est de séparer les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des espèces de rubans.

La force des fibres du chanvre, selon leur longueur, est sans contredit fort supérieure à celle des petites fibres qui unissent entr'elles les fibres longitudinales, c'est-à-dire qu'il faut infiniment plus de force pour rompre deux fibres que pour les séparer l'une de l'autre : ainsi en frottant le chanvre, en le pilant, en le fatiguant beaucoup, on contraindra les fibres longitudinales à se séparer les unes des autres, et c'est cette séparation plus ou moins grande qui fait que le chanvre est plus ou moins fin, plus ou moins élastique, et plus ou moins doux au toucher.

Rien n'est si propre à détacher les chenevottes du chanvre, à en ôter la terre, à en séparer les corps étrangers, que de le secouer et le battre comme nous venons de le dire.

Pour donner au chanvre les préparations dont nous venons de parler, il y a différentes pratiques.

Tous les ouvriers qui préparent le chanvre destiné à faire du fil pour de la toile, et la plupart des cordiers de l'intérieur du royaume pilent leur chanvre, c'est-à-dire qu'ils le mettent dans des espèces de mortiers de bois, et qu'il le battent avec de gros maillets : on pourrait abréger cette opération en employant des moulins à-peu-près semblables à ceux des papeteries ou des poudrières ; cette pratique, quoique très-bonne, n'est point en usage dans les corderies de la marine, peut-être a-t-on appréhendé qu'elle n'occasionnât trop de déchet ; car dans quelques épreuves que M. Duhamel en a faites, il lui a paru effectivement que le déchet était considérable.

La seule pratique qui soit en usage dans les ports, encore ne l'est-elle pas par-tout, c'est celle qu'on appelle espader, et que nous allons décrire, en commençant par donner une idée de l'attelier des espadeurs, et des instruments dont ils se servent.

L'attelier des espadeurs, qu'on voit Pl. I. seconde division, est une salle plus ou moins grande, suivant le nombre des ouvriers qu'on y veut mettre ; mais il est essentiel que le plancher en soit élevé, et que les fenêtres en soient grandes, pour que la poussière qui sort du chanvre, et qui fatigue beaucoup la poitrine des ouvriers, se puisse dissiper.

Tout-autour de cette salle il y a des chevalets simples X, et quelquefois dans le milieu il y en a une rangée de doubles Y ; nous allons expliquer quelle est la forme de ces chevalets, et quelle différence il y a entre les chevalets simples et les doubles.

Pour cela il faut se représenter une pièce de bois de quinze à dix-huit pouces de largeur, et de huit à neuf d'épaisseur ; si le chevalet doit être simple, on ne donne à cette pièce que trois pieds et demi ou quatre pieds de longueur ; mais si le chevalet est double, elle doit avoir quatre pieds et demi à cinq pieds : à un de ses bouts, si le chevalet est simple, ou à chacun de ses bouts, s'il est double, on doit assembler ou clouer solidement une planche qui aura douze à quatorze lignes d'épaisseur, dix à douze pouces de largeur, et trois pieds et demi de hauteur ; ces planches doivent être dans une situation verticale, et assemblées perpendiculairement à la pièce de bois qui sert de pied ; enfin elles doivent avoir en-haut une entaille demi-circulaire Y, de quatre à cinq pouces d'ouverture, et de trois et demi à quatre pouces de profondeur.

Un chevalet simple ne peut servir qu'à un seul ouvrier, et deux peuvent travailler ensemble sur un chevalet double.

L'attelier des espadeurs n'est pas embarrassé de beaucoup d'instruments ; avec les chevalets dont nous venons de parler, il faut seulement des espades, ou espadons, Z, qui ne sont autre chose que des palettes de deux pieds de longueur, de quatre ou cinq pouces de largeur, et de six à sept lignes d'épaisseur, qui forment des couteaux à deux tranchants mousses, et qui ont à un de leurs bouts une poignée pour les tenir commodément.

L'espadeur prend de sa main gauche, et vers le milieu de sa longueur, une poignée de chanvre pesant environ une demi-livre, il serre fortement la main ; et ayant appuyé le milieu de cette poignée de chanvre sur l'entaille de la planche perpendiculaire du chevalet, il frappe du tranchant de l'espade sur la portion du chanvre qui pend le long de cette planche M. Quand il a frappé plusieurs coups, il secoue sa poignée de chanvre N, il la retourne sur l'entaille, et il continue de frapper jusqu'à ce que son chanvre soit bien net, et que les brins paraissent bien droits ; alors il change de chanvre bout pour bout, et il travaille la pointe comme il a fait les pattes ; car on commence toujours à espader le côté des pattes le premier : mais on ne saurait trop recommander aux espadeurs de donner toute leur attention à ce que le milieu du chanvre soit bien espadé, sans se contenter d'espader les deux extrémités, ce qui est un grand défaut où ils tombent communément.

Quand une poignée est bien espadée dans toute sa longueur, l'ouvrier la pose de travers sur la pièce de bois qui forme le pied de son chevalet O, et il en prend une autre à laquelle il donne la même préparation ; enfin quand il y en a une trentaine de livres d'espadées, on en fait des ballots qu'on porte aux peigneurs. Voyez ces ballots en P.

Il faut observer que si le chanvre n'était pas bien arrangé dans la main des espadeurs, il s'en détacherait beaucoup de brins qui se bouchonneraient ; c'est pourquoi les ouvriers attentifs ont soin de bien arranger le chanvre avant que de l'espader ; malgré cela il ne laisse pas de s'en détacher plusieurs brins qui tombent à terre, mais ils ne sont pas perdus pour cela ; car quand il y en a une certaine quantité, les espadeurs les ramassent, les arrangent le mieux qu'ils peuvent en poignées, et les espadent à part ; en prenant cette précaution, il ne reste plus qu'une mauvaise étoupe dont on faisait autrefois des matelats pour les équipages ; mais les ayant trouvé trop mauvais, on n'emploie plus à présent ces grosses étoupes qu'à faire des flambeaux, des tampons pour les mines, des torchons pour l'étuve, etc.

Le chanvre est plus ou moins long à espader, selon qu'il est plus ou moins net, surtout de chenevottes, et le déchet que cette préparation occasionne dépend aussi des mêmes circonstances ; cependant un bon espadeur peut préparer soixante à quatre-vingt-livres de chanvre dans sa journée, et le déchet se peut évaluer à cinq, six ou sept livres par quintal.

M. Duhamel regarde cette préparation comme importante, et croit qu'il faut espader tous les chanvres avec le plus grand soin ; si nous n'appréhendions pas, dit-il, d'occasionner trop de déchet, nous voudrions quand les chanvres sont rudes, qu'on les fit passer sous des maillets avant que de les espader.

Le chanvre a commencé à être un peu nettoyé, démêlé, et affiné dans l'attelier des espadeurs ; les coups de maillet ou d'espade qu'il y a reçus, en ont fait sortir beaucoup de poussière, de petites chenevottes, et en ont séparé quantité de mauvais brins de chanvre : de plus, les fibres longitudinales ont commencé à se desunir ; mais elles ne sont pas entièrement séparées, la plupart tiennent encore les unes aux autres, ce sont les dents des peignes qui doivent achever cette séparation ; elles doivent, comme l'on dit, refendre le chanvre ; mais elles feront plus, elles détacheront encore beaucoup de petites chenevottes qui y sont restées, elles acheveront de séparer tous les corps étrangers qui seront mêlés avec le chanvre, et les brins trop courts ou bouchonnés qui ne peuvent donner que de l'étoupe ; enfin elles arracheront presque toutes les pattes, qui sont toujours épaisses, dures, et ligneuses. Ainsi les peigneurs doivent perfectionner ce que les espadeurs ont ébauché. Parcourons donc leur atelier ; connaissons les instruments dont ils se servent ; voyons travailler les peigneurs ; examinons les différents états du chanvre à mesure qu'on le peigne.

L'attelier des peigneurs, qu'on voit Pl. I. troisième division, est une grande salle dont le plancher doit être élevé, et qui doit, ainsi que celui des espadeurs, être percé de plusieurs grandes fenêtres, afin que la poussière qui sort du chanvre fatigue moins la poitrine des ouvriers ; car elle est presqu'aussi abondante dans cet atelier que dans celui des espadeurs ; mais les fenêtres doivent être garnies de bons contrevents, pour mettre les ouvriers à l'abri du vent et de la pluie, et même du soleil quand il est trop ardent.

Le tour de cette salle doit être garni de fortes tables R, solidement attachées sur de bons treteaux de deux pieds et demi de hauteur, qui doivent être scellés par un bout dans le mur, et soutenus à l'autre bout par des montants bien solides.

Les peignes sont les seuls outils qu'on trouve dans l'attelier dont nous parlons ; on les appelle dans quelques endroits des serants.

Ils sont composés de six ou sept rangs de dents de fer, à-peu-près semblables à celles d'un rateau ; ces dents sont fortement enfoncées dans une épaisse planche de chêne : il y a des corderies où on ne se sert que de peignes de deux grosseurs ; dans d'autres il y en a de trois, et dans quelques-unes de quatre.

Les dents des plus grands S ont 12 à 13 pouces de longueur ; elles sont carrées, grosses par le bas de six à sept lignes, et écartées les unes des autres par la pointe, ou en comptant du milieu d'une des dents au milieu d'une autre, de deux pouces.

Ces peignes ne sont pas destinés à peigner le chanvre pour l'affiner, ils ne servent qu'à former les peignons ou ceintures ; c'est-à-dire à réunir ensemble ce qu'il faut de chanvre peigné et affiné pour faire un paquet suffisamment gros, pour que les fileurs puissent le mettre autour d'eux sans en être incommodés, et qu'il y en ait assez pour faire un fil de la longueur de la corderie ; nous appellerons ce grand peigne le peigne pour les peignons.

Le peigne de la seconde grandeur T, que nous appellerons le peigne à dégrossir, doit avoir les dents de sept à huit pouces de longueur, de six lignes de grosseur par le bas, et elles doivent être écartées les unes des autres de quinze lignes, en prenant toujours du milieu d'une dent au milieu d'une autre, ou en mesurant d'une pointe à l'autre.

C'est sur ce peigne qu'on passe d'abord le chanvre pour ôter la plus grosse étoupe ; et dans quelques corderies on s'en tient à cette seule préparation pour tout le chanvre qu'on prépare, tant pour les câbles que pour toutes les manœuvres courantes : dans d'autres on n'emploie ce chanvre dégrossi que pour les câbles.

Le peigne de la troisième grandeur V, que nous appellerons peigne à affiner, a les dents de quatre à cinq pouces de longueur, cinq lignes de grosseur par les bas, et éloignées les unes des autres de dix à douze lignes.

C'est sur ce peigne qu'on passe dans quelques corderies le chanvre qu'on destine à faire les haubans et les autres manœuvres tant dormantes que courantes.

Enfin il y a des peignes X, qui ont les dents encore plus courtes, plus menues et plus serrées que les précédents ; nous les appellerons des peignes fins.

C'est avec ces peignes qu'on prépare le chanvre le plus fin, qui est destiné à faire de petits ouvrages, comme le fil de voile, les lignes de loc, lignes à tambours, etc. Il est bon d'observer :

1°. Que les dents doivent être rangées en échiquier ou en quinconce, ce qui fait un meilleur effet que si elles étaient rangées carrément, et vis-à-vis les unes des autres, quand même elles seraient plus serrées. Il y a à la vérité beaucoup de peignes où les dents sont rangées de cette façon : mais il y en a aussi où elles le sont sur une même ligne ; et c'est un grand défaut, puisque plusieurs dents ne font que l'effet d'une seule.

2°. Que les dents doivent être taillées en losange, et posées de façon que la ligne qui passerait par les deux angles aigus, coupât perpendiculairement le peigne suivant sa longueur : d'où il résulte deux avantages ; savoir, que les dents résistent mieux aux efforts qu'elles ont à souffrir, et qu'elles refendent mieux le chanvre ; c'est pour cette seconde raison qu'il faut avoir grand soin de rafraichir de temps en temps les angles et les pointes des dents, qui s'émoussent assez vite, et s'arrondissent enfin en travaillant.

Quand on a espadé une certaine quantité de chanvre, on le porte à l'attelier des peigneurs.

Alors un homme fort et vigoureux prend de sa main droite une poignée de chanvre, vers le milieu de sa longueur : il fait faire au petit bout de cette poignée un tour ou deux autour de cette main, de sorte que les pattes et un tiers de la longueur du chanvre pendent em-bas ; alors il serre fortement la main, et faisant décrire aux pattes du chanvre une ligne circulaire, il les fait tomber avec force sur les dents du peigne à dégrossir, et il tire à lui, ce qu'il répète en engageant toujours de plus en plus le chanvre dans les dents du peigne, jusqu'à ce que ses mains soient prêtes à toucher aux dents.

Par cette opération le chanvre se nettoie des chenevottes et de la poussière ; il se démêle, se refend, s'affine ; et celui qui était bouchonné ou rompu, reste dans le peigne, de même qu'une partie des pattes ; je dis une partie, car il en resterait encore beaucoup si l'on n'avait pas soin de le moucher. Voici comment cela se fait :

Le peigneur tenant toujours le chanvre dans la même situation de la main droite, prend avec sa main gauche quelques-unes des pattes qui restent au bout de sa poignée, il les tortille à l'extrémité d'une des dents du peigne ; et tirant fortement de la main droite, il rompt le chanvre au-dessus des pattes qui restent ainsi dans les dents du peigne, et il réitère cette manœuvre jusqu'à ce qu'il ne voie plus de pattes au bout de la poignée qu'il prépare ; alors il la repasse deux fois sur le peigne, et cette partie de son chanvre est peignée.

Il s'agit ensuite de donner à la pointe qu'il tenait dans sa main une préparation pareille à celle qu'il a donnée à la tête ; mais comme ce travail est le même, à la réserve qu'au lieu de la moucher on ne fait que rompre quelques brins qui excédent un peu la longueur des autres, nous ne répeterons point ce que nous venons de dire en parlant de la préparation de la tête, nous nous contenterons de faire les remarques suivantes.

On commence à peigner le gros bout le premier ; parce que les pattes qui s'engagent dans les dents du peigne, ou qu'on tortille autour quand on veut moucher, exigent qu'on fasse un effort auquel ne résisterait pas le chanvre qui aurait été peigné et affiné auparavant : c'est aussi pour cette raison que les bons peigneurs tiennent leur chanvre assez près des pattes, parce que les brins de chanvre diminuant toujours de grosseur, deviennent de plus en plus faibles.

Il est important que les peigneurs commencent par n'engager qu'une petite partie de leur chanvre dans le peigne, et qu'à différentes reprises ils en engagent toujours de plus en plus jusqu'à la partie qui entre dans leur main, en prenant les mêmes précautions qu'on prendrait pour peigner des cheveux. En effet, on peigne le chanvre pour l'affiner et pour le démêler ; cela étant, on conçoit qui si d'abord on engageait une grande longueur de chanvre dans le peigne, il se ferait des nœuds qui résisteraient aux efforts des peigneurs, jusqu'à ce que les brins qui forment ces nœuds fussent rompus.

On ne démêlerait donc pas le chanvre, on le romprait, et on ferait tomber le premier brin en étoupe, ou on l'accourcirait au point de n'en faire que du second brin, ce qui diminuerait la partie utile, en augmentant celle qui ne l'est pas tant : on prévient cet inconvénient en n'engageant que peu-à-peu le chanvre dans le peigne, et en proportionnant l'effort à la force du brin ; c'est-là où un peigneur habîle se peut distinguer, en faisant beaucoup plus de premier brin qu'un mal-adroit.

Il faut que les peigneurs soient forts ; car s'ils ne serraient pas bien la main, ils laisseraient couler le premier brin, qui se bouchonnerait et se convertirait en étoupe ; d'ailleurs un homme faible ne peut jamais bien engager son chanvre dans les dents du peigne, ni donner en-arrière un coup de fouet, qui est très-avantageux pour détacher les chenevottes : enfin quoique le métier de peigneur paraisse bien simple, il ne laisse pas d'exiger de l'adresse, et une certaine intelligence, qui fait que les bons peigneurs tirent d'un même chanvre beaucoup plus de premier brin que ne font les apprentis.

Le chanvre est quelquefois si long qu'on est obligé de le rompre ; car si on le coupait, les brins coupés se termineraient par un gros bout qui ne se joindrait pas si bien aux autres brins, quand on en ferait du fil, que quand l'extrémité du chanvre se termine en pointe : il faut donc rompre les chanvres qui sont trop longs, mais il le faut faire avec certaines précautions que nous allons rapporter.

Si l'on pouvait prolonger dans le fil les brins de chanvre suivant toute leur longueur, assurément ils ne pourraient jamais être trop longs ; ils se joindraient mieux les uns aux autres, et on serait dispensé de les tordre beaucoup pour les empêcher de se séparer ; mais quand le chanvre est long de six à sept pieds, les fileurs ne peuvent l'étendre dans le fil de toute sa longueur, ils sont obligés de le replier, ce qui nuit beaucoup à la perfection du fil ; d'ailleurs, comme nous le dirons à l'article CORDERIE, il suffit que le premier brin ait trois pieds de long.

Quand donc on est obligé de rompre le chanvre, les peigneurs prennent de la main gauche une petite partie de la poignée, ils la tortillent autour d'une des dents du peigne à dégrossir ; et tirant fortement de la main droite, ils rompent le chanvre, en s'y prenant de la même façon que quand ils le mouchent : cette portion étant rompue, ils en prennent une autre qu'ils rompent de même, et ainsi successivement jusqu'à ce que toute la poignée soit rompue.

A l'occasion de cette pratique, on peut remarquer deux choses ; la première, qu'il serait bon, tant pour moucher que pour rompre le chanvre, d'avoir à côté des peignes une espèce de rateau qui eut les dents plus fortes que celles des peignes ; ces dents seraient taillées en losange, et ne serviraient qu'à cet usage ; car nous avons remarqué que par ces opérations on force ordinairement les dents des peignes, et on les dérange, ce qui fait qu'ils ne sont plus si bons pour peigner, ou qu'on est obligé de les réparer fréquemment.

En second lieu, si le chanvre n'est pas excessivement long, il faut défendre très-expressément aux peigneurs de le rompre ; il vaut mieux que les fileurs aient plus de peine à l'employer, que de laisser rogner un pied ou un pied et demi de chanvre qui tomberait en second brin ou en étoupe.

Mais quelquefois le chanvre est si excessivement long qu'il faut absolument le rompre ; toute l'attention qu'il faut avoir, c'est que les peigneurs le rompent par le milieu : car il est beaucoup plus avantageux de n'avoir qu'un premier brin un peu court, que de convertir en second brin ce qui peut fournir du premier.

A mesure que les peigneurs ont rompu une pincée de chanvre, ils l'engagent dans les dents du peigne, pour la joindre ensuite au chanvre qu'ils tiennent dans leur main, ayant attention que les bouts rompus répondent à la tête de la queue ; et ensuite ils peignent le tout ensemble, afin d'en tirer tout ce qui a assez de longueur pour fournir du premier brin.

Nous avons dit qu'on peignait le chanvre pour le débarrasser de ses chenevottes, de sa poussière, et de son étoupe ; pour le démêler, le refendre, et l'affiner ; mais il y a des peigneurs paresseux, timides ou mal-adroits, qui, de crainte de se piquer les doigts, n'approchent jamais la main du peigne ; alors ils ne préparent que les bouts, et le milieu des poignées reste presque brut, ce qui est un grand défaut : ainsi il faut obliger les peigneurs à faire passer sur le peigne toute la longueur du chanvre, et s'attacher à examiner le milieu des poignées.

Malgré cette attention, quelqu'habîle que soit un peigneur, jamais le milieu des poignées ne sera aussi-bien affiné que les extrémités, parce qu'il n'est pas possible que le milieu passe aussi fréquemment et aussi parfaitement sur le peigne.

C'est pour remédier à cet inconvénient que M. Duhamel voudrait qu'il y eut dans tous les ateliers des peigneurs quelques fers ou quelques frottoirs.

Nous allons décrire ces instruments le plus en abrégé qu'il nous sera possible, en indiquant la manière de s'en servir, et leurs avantages.

Le fer A est un morceau de fer plat, large de trois à quatre pouces, épais de deux lignes, long de deux pieds et demi, qui est solidement attaché, dans une situation verticale, à un poteau par deux bons barreaux de fer qui sont soudés à ses extrémités ; enfin le bord intérieur du fer plat forme un tranchant mousse.

Le peigneur B tient sa poignée de chanvre comme s'il la voulait passer sur le peigne, excepté qu'il prend dans sa main le gros bout, et qu'il laisse prendre le plus de chanvre qu'il lui est possible, afin de faire passer le milieu sur le tranchant du fer ; tenant donc la poignée de chanvre comme nous venons de le dire, il la passe dans le fer, et retenant le petit bout de la main gauche, il appuie le chanvre sur le tranchant mousse du fer ; et tirant fortement la main droite, le chanvre frotte sur le tranchant ; ce qui étant répété plusieurs fois (ayant attention que les différentes parties de la poignée portent sur le fer), le chanvre a reçu la préparation qu'on voulait lui donner, et on l'acheve en le passant légèrement sur le peigne à finir.

Le frottoir ; c'est une planche d'un pouce et demi d'épaisseur, solidement attachée sur la même table où sont les peignes. Cette planche est percée dans le milieu, d'un trou qui a trois ou quatre pouces de diamètre ; et sa face supérieure est tellement travaillée, qu'elle semble couverte d'éminences taillées en pointe de diamant. Lorsqu'on veut se servir de cet instrument, on passe la poignée de chanvre par le trou qui est au milieu ; on retient avec la main gauche le gros bout de la poignée qui est sous la planche, pendant qu'avec la main droite on frotte le milieu sur les crénelures de la planche, ce qui affine le chanvre plus que le fer dont nous venons de parler ; mais cette opération le mêle davantage et occasionne plus de déchet.

Ces méthodes sont expéditives ; elles n'occasionnent pas un déchet considérable, et elles affinent mieux le chanvre que l'on ne pourrait faire en le peignant beaucoup. Il ne faut pas trop peigner les chanvres doux ; mais un chanvre grossier, dur, rude et ligneux, doit être beaucoup plus peigné et tourmenté pour lui procurer la souplesse et la douceur qu'on désire, qu'un chanvre fin et tendre.

Les peigneurs passent le chanvre brut d'abord sur le peigne a dégrossir, et ensuite sur le peigne à finir ; ce qui reste dans leur main est le chanvre le plus long, le plus beau, et le plus propre à faire de bonnes cordes, et c'est celui-là qu'on appelle premier brin : mais un peigneur mal-habîle ne tire jamais une aussi grande quantité de premier brin, et ce brin n'est jamais si beau que celui qui sort d'une bonne main.

Les bons peigneurs peuvent tirer d'un même chanvre une plus grande ou moindre quantité de premier brin, soit en le peignant plus ou moins, soit en le passant sur deux peignes, ou en ne le passant que sur le peigne à dégrossir, ou enfin en tenant leur chanvre plus près ou plus loin de l'extrémité qu'ils passent sur le peigne ; c'est-là ce qu'on appelle tirer plus ou moins au premier brin.

Ce qui reste dans les peignes qui ont servi à préparer le premier brin, contient le second brin et l'étoupe : moins on a retiré du premier brin, meilleur il est, parce qu'il se trouve plus déchargé du second brin ; et en même-temps ce qui reste dans le peigne est aussi meilleur, parce qu'il est plus chargé de second brin, dont une partie est formée aux dépens du premier.

C'est ce qui avait fait imaginer de recommander aux peigneurs de tirer peu de premier brin, dans la vue de retirer du chanvre qui resterait dans le peigne trois espèces de brins.

C'est encore une question de savoir s'il convient de suivre cette méthode : mais expliquons comment on prépare le second brin.

Quand il s'est amassé suffisamment de chanvre dans le peigne, le peigneur l'en retire et le met à côté de lui ; un autre ouvrier le prend et le passe sur d'autres peignes, pour en retirer le chanvre le plus long : c'est ce chanvre qu'on appelle le second brin.

Il n'est pas besoin de faire remarquer que le second brin est beaucoup plus court que le premier, n'ayant au plus qu'un pied et demi ou deux pieds de longueur : outre cela le second brin n'est véritablement que les épluchures du premier, les pattes, les brins mal tillés, les filaments bouchonnés, etc. d'où l'on doit conclure que le second brin ne peut être aussi parfait que le premier, et qu'il est nécessairement plus court, plus dur, plus gros, plus élastique, plus chargé de pattes et de chenevottes ; c'est pourquoi on est obligé de le filer plus gros, et de le tordre davantage : le fil qu'on en fait est raboteux, inégal, et il se charge d'une plus grande quantité de goudron quand on le destine à faire du cordage noir.

Ce sont autant de défauts essentiels : on ne doit pas compter que la force d'un cordage qui serait fait du second brin, aille beaucoup au-delà de la moitié de celle d'un cordage qui serait fait du premier brin, selon les expériences que nous avons faites.

Voilà une différence de force bien considérable néanmoins il nous a paru que cette différence était encore plus grande entre le premier et le second brin du chanvre du royaume, qu'entre le premier et le second brin de celui de Riga.

Les cordages qui sont faits avec du second brin, ont encore un défaut qui mérite une attention particulière. Si l'on coupe en plusieurs bouts un même cordage, il est rare que ces différents bouts aient une force pareille : cette observation a engagé M. Duhamel à faire rompre, pour ses expériences, six bouts de cordages, afin que le fort compensant le faible, on put compter sur un résultat moyen ; mais cette différence entre la force de plusieurs cordages de même nature, est plus considérable dans les cordages qui sont faits du second brin, que dans ceux qui le sont du premier.

On voit combien il serait dangereux de se fier à des cordages qui seraient faits avec du second brin, et quelle imprudence il y aurait à les employer pour la garniture des vaisseaux : la bonne économie exige qu'on les emploie à des usages de moindre conséquence.

Comme on ne fait point de cordages avec de l'étoupe, M. Duhamel ne peut marquer quelle en serait la force en comparaison des cordages qui sont faits avec le second brin ; mais certainement elle serait beaucoup moindre : on se sert ordinairement des étoupes pour faire des liens, pour amarrer les pièces de cordages quand elles sont roues ; on en fait quelques livardes, et on en porte à l'étuve pour y servir de torchons : peut-être qu'en les passant sur des peignes fins, on pourrait en retirer encore un petit brin qui serait assez fin pour faire de petits cordages, faibles à la vérité, mais qui ne laisseraient pas d'être employés utilement. Il reste à examiner si la main-d'œuvre n'excéderait pas la valeur de la matière.

Maintenant qu'on sait par des expériences, 1° que le second brin ne peut faire que des cordes très-foibles ; 2°. que quand on laisse le second brin joint au premier, il affoiblit tellement les cordes qu'elles ne sont presque pas plus fortes que si on avait retranché tout le second brin, et tenu les cordages plus legers de cette quantité : on est en état de juger si l'on doit tendre à tirer beaucoup de premier brin : ainsi nous nous contenterons de faire remarquer que tirer beaucoup de premier brin, affiner peu le chanvre, ou laisser avec le premier brin presque tout le second, ce n'est qu'une même chose.

Mais d'un autre côté, comme le second brin est de peu de valeur en comparaison du premier ; si l'on tire peu en premier brin, on augmentera la qualité et la quantité du second, en occasionnant un déchet considérable qui tombera sur la matière utile, sans que ce que le premier brin gagnera en qualité, puisse entrer en compensation avec ce qu'on perdra sur la quantité : tout cela a été bien établi ci-dessus, et nous ne le rappelons ici que pour indiquer quelle pratique il faut suivre pour tenir un juste milieu entre ces inconvéniens.

M. Duhamel pense qu'il faut peigner le chanvre à fond, sans songer du-tout à ménager le premier brin ; et que pour éviter la consommation, il faut ensuite retirer le chanvre le plus beau, le plus fin, et le plus long, qui sera resté dans les peignes confondu avec le second brin et l'étoupe ; et après avoir passé ce chanvre sur le peigne à affiner, on le mêlera avec le premier brin.

Cette pratique est bien différente de celle qui est en usage ; car pour retirer beaucoup de premier brin, on peigne peu le chanvre, surtout le milieu des poignées, et on ne le travaille que sur le peigne à dégrossir ; c'est pourquoi ce chanvre demeure très-grossier, dur, élastique, et plein de chenevottes, ou de pattes ; au lieu que celui qui aura été peigné comme nous venons de le dire, deviendra doux, fin, et très-net.

Pour terminer ce qui regarde l'attelier des peigneurs, il ne reste plus qu'à parler de la façon de faire ce qu'on appelle les ceintures ou peignons dont on a déjà parlé fort en abrégé.

A mesure que les peigneurs ont préparé des poignées de premier ou de second brin, ils les mettent à côté d'eux sur la table qui supporte les peignes, ou quelquefois par terre ; d'autres ouvriers les prennent, et peu-à-peu les engagent dans les dents du grand peigne qui est destiné à faire les peignons : ils ont soin de confondre les différentes qualités de chanvre, de mêler le court avec le long, et d'en rassembler suffisamment pour faire un paquet qui puisse fournir assez de chanvre pour faire un fil de toute la longueur de la filerie, qui a ordinairement 180 à 190 brasses ; c'est ce paquet de chanvre qu'on appelle des ceintures ou des peignons. On sait par expérience que chaque peignon doit peser à-peu-près une livre et demie ou deux livres, si c'est du premier brin ; et deux livres et demie ou trois livres, si c'est du second. Cette différence vient de ce que le fil qu'on fait avec le second brin, est toujours plus gros que celui qu'on fait avec le premier ; et outre cela, parce qu'il n'y a presque pas de déchet quand on fîle le premier brin, au lieu qu'il y en a lorsqu'on fîle le second.

Quand celui qui fait les peignons juge que son grand peigne est assez chargé de chanvre, il l'ôte du peigne sans le déranger ; et si c'est du premier brin, il plie son peignon en deux pour réunir ensemble la tête et la pointe, qu'il tord un peu pour y faire un nœud ; si c'est du second brin, qui étant plus court se séparerait en deux, il ne le plie pas, mais il tord un peu les extrémités, et il fait un nœud à chaque bout ; alors ce chanvre a reçu toutes les préparations qui sont du ressort des peigneurs.

Un peigneur peut préparer jusqu'à 80 livres de chanvre par jour ; mais il est beaucoup plus important d'examiner s'il prépare bien son chanvre, que de savoir s'il en prépare beaucoup.

Il ne faut peigner le chanvre qu'à mesure qu'on en a besoin pour faire du fil ; car si on le gardait, il s'emplirait de poussière, et on serait obligé de le peigner de nouveau : c'est aussi pour garantir le brin de la poussière, qui est toujours très-abondante dans la peignerie, qu'on emploie des enfants à transporter les peignons à mesure qu'on les fait, de l'attelier des peigneurs à celui des fileurs. C'est dans cet atelier que commence l'art de Corderie. Voyez CORDERIE, et l'ouvrage de M. Duhamel déjà cité.

CHANVRE, (Matière médicale) La semence de cette plante est seule usitée en Médecine, et encore l'employe-t-on bien rarement : elle est émulsive. Quelques auteurs ont cru que l'émulsion qu'on en préparait était bonne contre la toux, et préférable en ce cas aux émulsions ordinaires : ils l'ont donnée aussi pour spécifique contre la gonorrhée, surtout lorsqu'elle est accompagnée d'érections fréquentes et douloureuses. Voyez GONORRHEE.

La semence et les feuilles écrasées et appliquées en forme de cataplasme sur les tumeurs douloureuses, passent pour puissamment résolutives et stupéfiantes. Cette dernière vertu se manifeste par une odeur forte et inébriante qui s'élève du chanvre qu'on fait sécher. L'eau dans laquelle on a fait rouir le chanvre, passe pour plus dangereuse encore ; et on prétend que si quelqu'un en buvait, il succomberait sur le champ à son venin, contre lequel tous les antidotes connus ne seraient que des secours le plus souvent insuffisans.

L'huîle qu'on retire de ses semences, connue sous le nom d'huîle de chenevis, est employée extérieurement comme résolutive ; mais cette vertu lui est commune avec les autres huiles par expression ; elle ne participe pas dans l'usage intérieur de la qualité dangereuse de la plante ; tout comme on n'en doit rien attendre de particulier dans l'usage extérieur à titre de stupéfiante, parce qu'on a reconnu cette qualité dans la plante entière ou dans ses feuilles.

On trouve dans plusieurs autres différentes émulsions composées, décrites sous le nom d'emulsio cannabina ; telles sont l'emulsio cannabina ad gonorrheam de Doleus, d'Etmuller, de Michaelis, de Minsicht, etc. (b)